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En souvenir de 1943, une révolution il y a 70 ans !

8 juillet 2013, 04:33

En 1942, Abraham Léon écrivait :

C’est le capitalisme moderne qui a posé le problème juif. Non pas parce que les Juifs comptent actuellement près de 20 millions d’individus (le pourcentage des Juifs par rapport aux non Juifs a même fortement baissé depuis l’époque romaine), mais parce que le capitalisme a détruit les bases séculaires de l’existence du judaïsme. Il a détruit la société féodale et avec elle la fonction du peuple-classe juif. L’histoire a condamné ce peuple-classe à la disparition ; c’est ainsi que fut posé le problème juif. Le problème juif est celui de l’adaptation du judaïsme à la société moderne, le problème de la liquidation de l’héritage légué à l’humanité par le féodalisme.

Durant des siècles, le judaïsme a constitué un organisme social au sein duquel les éléments sociaux et nationaux s’interpénétraient profondément. Les Juifs sont loin de constituer une race ; au contraire, c’est probablement un des mélanges raciaux les plus caractéristiques, les plus prononcés. Cela n’empêche que, dans cet alliage, l’élément asiatique est très marquant, suffisamment marquant en tout cas pour différencier le Juif au milieu des nations occidentales où il se trouve le plus répandu. Ce « fond » national réel est complété par un fond imaginaire, poétique, constitué par la tradition séculaire qui rattache le Juif actuel à ses lointains « ancêtres » de l’époque biblique. C’est sur cette base nationale que par la suite est venu se greffer le fond de classe, la psychologie mercantile. Les éléments nationaux et sociaux se sont mêlés au point de s’interpénétrer complètement. Il sera difficile de déceler chez le Juif polonais, dans son « type », la part héritée de ses ancêtres et la part empruntée à la fonction sociale qu’il exerce dans ce pays depuis des siècles. On peut admettre que la base sociale a depuis longtemps gagné en importance sur le fond national. De toute façon, si l’élément social est venu s’ajouter à l’élément national, ce dernier n’a pu subsister que grâce au premier. C’est grâce à sa situation sociale et économique que le Juif a pu se « conserver ».

Le capitalisme a posé le problème juif, c’est-à-dire qu’il a détruit les bases sociales sur lesquelles le judaïsme s’était maintenu depuis des siècles. Mais le capitalisme n’a pas résolu le problème juif, car il n’a pas pu absorber le Juif libéré de son écorce sociale. La décadence du capitalisme a suspendu les Juifs entre ciel et terre. Le marchand « précapitaliste » juif a en grande partie disparu, mais son fils n’a pas trouvé de place dans la production moderne. La base sociale du judaïsme s’est effondrée ; le judaïsme est devenu en grande partie un élément déclassé. Le capitalisme a non seulement condamné la fonction sociale des Juifs, il a condamné aussi les Juifs eux-mêmes.

Les idéologues petits-bourgeois sont toujours enclins à ériger un phénomène historique en catégorie éternelle. Pour eux, la question juive est fonction de la Diaspora ; seule la concentration des Juifs en Palestine pourrait la résoudre.

Cependant, c’est pur enfantillage que de ramener la question juive à une question territoriale. La solution territoriale n’a de sens que si elle signifie la disparition du judaïsme traditionnel, la pénétration des Juifs dans l’économie moderne, la « productivisation » des Juifs. Par une voie détournée, le sionisme revient ainsi aux solutions préconisées par ses pires ennemis : les « assimilateurs » conséquents. Pour les uns comme pour les autres, il s’agit de faire disparaître l’héritage « maudit » du passé, de faire des Juifs des ouvriers, des agriculteurs, des intellectuels productifs. L’illusion du sionisme ne consiste pas dans sa volonté d’arriver à ce résultat ; c’est là une nécessité historique qui se fraiera le chemin tôt ou tard. Son illusion consiste à croire que les difficultés insurmontables qu’oppose le capitalisme décadent à ces tâches, disparaîtront comme par enchantement en Palestine. Mais si les Juifs n’ont pas pu trouver de place dans l’économie dans la Diaspora, les mêmes causes empêcheront que cela se fasse en Palestine. Le monde constitue une telle entité à l’époque actuelle, que c’est pure folie d’y entreprendre de constituer un îlot à l’abri de ses tempêtes. C’est pourquoi la faillite de « l’assimilation doit forcément être accompagnée de la faillite du sionisme ». A l’époque où le problème juif prend l’allure d’une immense tragédie, la Palestine ne peut constituer qu’un faible palliatif. Dix millions de Juifs se trouvent dans un immense camp de concentration. Quel remède peut apporter à ce problème la création de quelques colonies sionistes ?

Donc, ni assimilation ni sionisme ? Pas de solution alors. Non, il n’y a pas de solution à la question juive en régime capitaliste, comme il n’y a pas de solution aux autres problèmes qui se posent à l’humanité sans de profonds bouleversements sociaux. Les mêmes causes qui ont rendu illusoire l’émancipation juive, rendent impossible la réalisation du sionisme. Sans éliminer les causes profondes de la question juive, on ne pourra pas en éliminer les effets.

Le ghetto, la rouelle ont reparu. Symboles aussi du destin tragique vers lequel est acheminée l’humanité. Mais l’exacerbation même de l’antisémitisme prépare les voies à sa disparition. L’éviction des Juifs constitue momentanément une sorte d’espace vital pour la petite bourgeoisie. L’« aryanisation » permit de caser quelques dizaines de milliers d’intellectuels et petits-bourgeois inoccupés. Mais en s’attaquant aux causes apparentes de leurs misères, les petits-bourgeois n’ont fait que renforcer l’action de ses causes réelles. La fascisme accélère le processus de prolétarisation des classes moyennes. Après les petits-bourgeois juifs, des centaines de milliers de commerçants et d’artisans ont été expropriés et prolétarisés. La concentration capitaliste a fait des progrès gigantesques. « L’apparente amélioration de la situation économique » ne s’est effectuée qu’au prix de la préparation de la deuxième guerre impérialiste, cause de destructions et de massacres formidables.

Ainsi le sort tragique du judaïsme reflète avec une particulière acuité la situation de toute l’humanité. Le déclin du capitalisme signifie pour les Juifs le « retour au ghetto », alors que les bases du ghetto ont disparu depuis longtemps avec les fondements de la société féodale. Pour toute l’humanité également, le capitalisme barre aussi bien le chemin du passé que la route de l’avenir. Seule, la destruction du capitalisme peut permettre à l’humanité de mettre à profit les immenses acquisitions de l’ère industrielle.

Peut-on s’étonner que les masses juives, qui ressentent les premières, et avec une acuité particulière, les contradictions du capitalisme, aient fourni des forces abondantes pour la lutte socialiste et révolutionnaire ? A différentes reprises, Lénine souligna l’importance des Juifs pour la révolution non seulement en Russie, mais aussi dans d’autres pays. Lénine exprima aussi l’idée que la fuite d’une partie de la population juive à l’intérieur de la Russie, par suite de l’occupation des régions industrielles de l’Ouest, avait été très utile pour la révolution, de même que l’apparition pendant la guerre, dans les villes russes, d’un grand nombre d’intellectuels juifs. Ils permirent aux bolcheviks de briser le sabotage général auquel ils se heurtèrent partout au lendemain de la Révolution et qui était très dangereux. Par là, ils aidèrent les bolcheviks à surmonter une phase très critique [1]. Le pourcentage élevé des Juifs dans le mouvement prolétarien n’est que le reflet de la situation tragique du judaïsme, à notre époque. Les facultés spirituelles des Juifs, fruit du passé historique du judaïsme, sont ainsi d’un appoint sérieux au mouvement prolétarien.

C’est là aussi certainement une dernière raison, et non pas la moins importante, de l’antisémitisme moderne. Les classes dirigeantes persécutent avec un sadisme particulier les intellectuels et les ouvriers juifs qui ont fourni une masse de combattants au mouvement révolutionnaire. Isoler complètement les Juifs des sources de la culture et de la science devient indispensable au régime décadent qui les persécute. La légende ridicule du « marxisme juif » n’est qu’une manifestation caricaturale des liens qui existent effectivement entre le socialisme et les masses juives.

Jamais la situation des Juifs n’a été aussi tragique. Aux pires époques du Moyen Age, des contrées entières s’ouvraient pour les recevoir. Actuellement, le capitalisme, qui domine l’Univers entier, leur rend la Terre inhabitable. Jamais le mirage d’une Terre promise n’a tant hanté les masses juives. Mais jamais une Terre promise ne fut moins en mesure qu’à notre époque de résoudre la question juive.

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