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Dialogue sur l’éducation des enfants

11 novembre 2013, 11:09

Léon Trotsky

Pour la liberté dans l’éducation
10 juillet 1938

Je remercie sincèrement la rédaction de Vida pour m’avoir proposé d’exprimer mon opinion sur les tâches des éducateurs mexicains. Ma connaissance, encore insuffisante, de la vie de ce pays, ne me permet pas de formuler des jugements pratiques concrets. Mais il y a une considération générale que je puis me permettre de formuler ici.

Dans les pays arriérés, qui comprennent, non seulement le Mexique, mais, dans une certaine mesure, également l’U.R.S.S., l’activité du maître d’école n’est pas seulement une profession, mais une mission élevée. La tâche de l’éducation culturelle consiste à éveiller et développer la personnalité critique dans les masses opprimées et foulées aux pieds. La condition indispensable pour cela est que l’éducateur lui-même possède une personnalité développée dans le sens critique. Celui qui n’a pas de convictions suffisamment élaborées ne peut être un guide du peuple. C’est pourquoi un régime totalitaire, sous toutes ses formes ‑ dans l’Etat, dans le syndicat, dans le parti ‑ porte des coups irréparables à la cause de la culture et de l’instruction. Là où on impose d’en haut des convictions, comme un ordre militaire, l’éducateur perd sa personnalité mentale et tic petit inspirer, ni aux enfants ni aux adultes, confiance dans la profession qu’il exerce.

C’est ce qui se produit actuellement, non seulement dans les pays fascistes, mais aussi en U.R.S.S. Les bases économiques créées par la révolution d’Octobre ne sont heureusement pas encore complètement détruites. Mais le régime politique a revêtu définitivement un caractère totalitaire. La bureaucratie soviéti­que, qui a violé la révolution, exige que le peuple la considère comme infaillible. La tâche d’abuser le peuple, à la manière des prêtres, a été confiée au maître d’école. Pour étouffer en ce dernier la voix de la critique, on a introduit le régime totalitaire dans les syndicats de travailleurs de l’enseignement. Les fonctionnaires‑policiers installés à la tête des syndicats mènent une rageuse campagne de calomnie et de répression contre tout éducateur qui a un sentiment critique, le qualifiant de « contre­-révolutionnaire », de « trotskyste » et de « fasciste » [1]. Celui qui ne cède pas, le G.P.U. l’élimine. Pire encore, la bureaucratie soviétique s’efforce d’étendre le même système au monde entier. Elle possède dans chaque nation ses propres agents qui cherchent à établir le régime totalitaire à l’intérieur des syndicats de ces pays [2]. Tel est le danger terrible qui menace la cause de la révolution et de la culture, particulièrement dans les pays jeunes et arriérés où la population ‑ en dehors de ce que j’ai signalé n’est pas trop encline à se soumettre aux ordres des féodaux, des cléricaux et de l’impérialisme.

Le vœu le plus ardent que je puisse exprimer est que l’enseignement mexicain ne soit pas soumis à un régime totalitaire dans ses syndicats, avec son cortège de mensonges, de calomnies, de répression et d’étouffement de la pensée critique. Seule une lutte idéologique honorable et loyale peut assurer l’élaboration de convictions fermes et sérieusement mûries. Seul un enseignement armé de semblables conditions est capable de conquérir une autorité inébranlable et d’accomplir sa grande mission historique.

Notes

[1] Les militants qui avaient dirigé les syndicats de l’enseignement du temps de Lénine avaient été écartés dans la période stalinienne : le contrôle de l’enseignement était l’une des pièces maîtresses de la dictature bureaucratique.

[2] L’allusion directe de Trotsky à l’affiliation au P.C. mexicain des dirigeants du syndicat enseignant, le S.T.E.R.M., allait provoquer une levée de boucliers et l’accusation lancée contre Trotsky de « chercher à diviser le syndicat », nouveau prétexte invoqué pour réclamer son expulsion du pays (voir notamment El Universal, 10 novembre 1938).

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