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Une révolution ignorée par Noam Chomsky : la distinction entre les langages mathématiques formels et notre langage universel

30 janvier 2014, 12:15, par F. Kletz

Voici une phrase de l’article de Alex, phrase qu’il me semble nécessaire de discuter :

« ce qui est frappant c’est que cette science reprend le vocabulaire des langages formels étudiés en mathématiques. »

En effet, la proximité de vocabulaire me semble une indication trop légère pour identifier deux penser ou la proximité de deux pensées. Bien entendu l’article d’Alex ne se contente pas de la question de la proximité de vocabulaire, mais l’argument étant présent dans son article, il s’agit pour moi, ici, de le discuter.

***

Spinoza et Descartes ont un vocabulaire très proche, et pourtant, ils ont élaboré deux conceptions philosophiques, voire deux systèmes philosophiques profondément opposés, et même incompatibles.

Ce qui est frappant quand on lit Descartes et en particulier ses articles I-63 et I-64 des Principes de la philosophie c’est qu’il utilise le même vocabulaire que son successeur Spinoza. En fait, c’est Spinoza qui utilise le même vocabulaire que Descartes.

Pourtant, de ce même vocabulaire, sont issues deux philosophies profondément différentes, et même deux philosophies qui s’opposent.

C’est l’agencement des définitions et donc le contenu de la pensée exprimée dans l’ Éthique qui permet de distinguer les conceptions et les systèmes de pensée des deux philosophes.

Voici ce que dit Spinoza des modes : « V. J’entends par mode les affections de la substance, ou ce qui est dans autre chose et est conçu par cette même chose. »

Voici les titres des articles de Descartes en question :

« 63. Comment on peut avoir des notions distinctes de l’extension & de la pensée, en tant que l’une constitue la nature du corps, & l’autre celle de l’âme. »
« 64. Comment on peut aussi les concevoir distinctement, en les prenant pour des modes ou attributs de ces substances. »

En résumé, ce qu’il faut voir ici, c’est que Descartes distingue étendue et pensée en deux substances (il utilise le pluriel quand il parle de substances), séparant ainsi l’âme du corps. Dès lors, pour un cartésien et pour Descartes lui-même, on ne peut comprendre union de l’âme et du corps, même si on peut la concevoir.

Face à cette difficulté, Spinoza, dans le vocabulaire cartésien, unifie les deux substances pour n’en penser qu’une. Étendue et substance deviennent ainsi des modes d’une même substance.

Cela ne résout pas tous les problèmes, et en pose d’autres. Il faudrait étudier Épicure pour essayer de concevoir une âme matérielle. Il faudra attendre les progrès du matérialisme d’un Diderot, enrichi de l’arme de la dialectique pour permettre au marxisme et au darwinisme d’établir l’âme comme une notion surannée qui ne permet pas de penser la nature et la matière. La pensée reste un concept scientifique, l’âme est dépassée par la notion plus précise de conscience, même si la conscience peut être spiritualisée, comme dans le poème du même nom de Victor Hugo, par exemple.

Ainsi, ce n’est pas par le vocabulaire seul qu’on peut identifier les pensées de Chomsky et de Frege, mais bien par d’autres manières : la reprise de présupposés, d’une démarche, d’une philosophie.

Frege est issu d’une tradition qui avait Hegel pour cible. Chomsky s’est dit dès les années 1970 et, je crois me souvenir, dans le film qui lui est consacré en 1993, partisan de l’anarcho-syndicalisme. Sa cible est Marx d’un point de vue politique et la pensée révolutionnaire qui pose le problème de l’appareil d’état selon ses conditions matérielles et non selon la métaphysique propre à l’anarchisme, tradition dont fait partie Chomsky.

En cela, peut-être, la pensée politique anti-révolutionnaire de Frege et de Chomsky se rejoignent. Ce n’est cependant pas en évoquant le vocabulaire commun à deux penseurs qu’on peut identifier leur proximité de pensée. L’argument avancé ici est bien la proximité immense de vocabulaire d’un Spinoza avec celui d’un Descartes, alors que leurs conceptions sont incompatibles.

Bien entendu l’article d’Alex ne se contente pas de la question de la proximité de vocabulaire, mais l’argument étant présent dans son article, il s’agissait de le discuter.

***

Pour les sources sur lesquelles je m’appuie, voici les pages consultables sur lesquelles j’ai trouvé les citations :

Descartes, Principes de la philosophie, Première partie art. 63 et art. 64)

Spinoza, Éthique, I, définition V,

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