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Chronologie de la révolte des Indiens d’Amérique

18 avril 2014, 16:33, par RP

Telles sont les attributions d’une gens indienne typique.

« Tous ses membres sont des hommes libres, tenus de protéger leur mutuelle liberté, égaux en droits personnels, - ni les sachems, ni les chefs militaires ne revendiquent de prérogatives quelconques ; ils forment une collectivité fraternelle, unie par les liens du sang. Liberté, égalité, fraternité, sans avoir été jamais formulés, étaient. les principes fondamentaux de la gens, et celle-ci, à son tour, était l’unité de tout un système social, la base de la société indienne organisée. Ceci explique l’indomptable esprit d’indépendance et la dignité de l’attitude personnelle que chacun reconnaît aux Indiens [2]. »

A l’époque de la découverte, les Indiens de toute l’Amérique du Nord étaient organisés en gentes, selon le droit maternel. Dans quelques tribus seulement, comme celle des Dakotas, les gentes avaient disparu, et dans quelques autres, chez les Ojibwas, les Omahas, elles étaient organisées selon le droit paternel.

Dans un très grand nombre de tribus indiennes comptant plus de cinq ou six gentes, nous en trouvons trois, quatre, ou davantage encore, réunies en un groupe particulier que Morgan, traduisant fidèlement le nom indien, appelle phratrie (fraternité), d’après son pendant grec. C’est ainsi que les Senecas ont deux phratries : la première comprend les gentes 1 à 4, la deuxième, les gentes 5 à 8. Une étude plus poussée montre que ces phratries représentent presque toujours les gentes primitives, premières subdivisions de la tribu à son origine ; car chaque tribu, pour pouvoir subsister de façon autonome, devait nécessairement englober au moins deux gentes, le mariage étant interdit au sein de la gens. A mesure que la tribu s’accroissait, chaque gens se scindait à nouveau en deux, ou en plus de deux tronçons, dont chacun apparaît alors comme une gens particulière, tandis que la gens originelle, qui englobe toutes les gentes-filles, subsiste en tant que phratrie. Chez les Senecas et la plupart des autres Indiens, les gentes d’une des phratries sont entre elles des gentes-sœurs, tandis que celles de l’autre phratrie sont leurs gentes-cousines, - termes qui, nous l’avons vu, ont un sens très réel et très expressif dans le système de parenté américain. A l’origine, aucun Seneca n’avait le droit de se marier au sein de sa phratrie, mais cette coutume est, depuis fort longtemps, tombée en désuétude et se limite à la gens. Chez les Senecas, la tradition voulait que l’Ours et le Cerf fussent les deux gentes initiales à partir desquelles les autres s’étaient ramifiées. Une fois que cette nouvelle organisation se fut enracinée, on la modifia selon les besoins ; si des gentes d’une phratrie dépérissaient, on y faisait parfois passer, par compensation, des gentes entières d’autres phratries. C’est pourquoi nous trouvons, dans différentes tribus, les gentes de même nom diversement groupées dans les phratries.

Les fonctions de la phratrie chez les Iroquois sont en partie sociales en partie religieuses. 1º Les phratries jouent au ballon l’une contre l’autre ; chacune délègue ses meilleurs joueurs, les autres regardent le jeu, chaque phratrie ayant sa place particulière, et les spectateurs parient entre eux sur la victoire des leurs. 2º Au Conseil de tribu, les sachems et les chefs militaires de chaque phratrie siègent ensemble, les deux groupes se faisant face, et chaque orateur s’adresse aux représentants de chaque phratrie comme à un corps particulier. 3º Si un meurtre s’était produit dans la tribu, sans que le meurtrier et la victime appartinssent à la même phratrie, la gens offensée en appelait souvent à ses gentes-sœurs ; celles-ci tenaient un Conseil de phratrie et s’adressaient à l’autre phratrie prise comme collectivité, afin que celle-ci réunît également un Conseil pour arranger l’affaire. Ici donc, la phratrie réapparaît comme gens primitive, et avec plus de chances de succès que la gens isolée et plus faible, sa fille. 4º En cas de décès de personnages éminents, la phratrie opposée se chargeait d’organiser l’inhumation et les funérailles, tandis que la phratrie du défunt conduisait le deuil. Un sachem venait-il à mourir, la phratrie opposée annonçait la vacance de la charge au Conseil fédéral des Iroquois. 5º Lors de l’élection d’un sachem, le Conseil de phratrie intervenait également. On considérait comme allant presque toujours de soi la ratification par les gentes-sœurs ; mais les gentes de l’autre phratrie pouvaient faire opposition. Dans ce cas, le Conseil de cette phratrie se réunissait ; s’il maintenait son opposition, l’élection restait sans effet. 6º jadis, les Iroquois avaient des mystères religieux particuliers, appelés par les Blancs medecine-lodges. Ces mystères étaient célébrés chez les Senecas par deux confréries religieuses, avec une initiation en règle pour les nouveaux adeptes ; à chacune des deux phratries, était rattachée une de ces confréries. 7º Si, comme il est à peu près certain, les quatre linages (lignages) qui habitaient les quatre quartiers de Tlaxcala [3] au temps de la conquête, étaient quatre phratries, cela prouve du même coup que les phratries, tout comme chez les Grecs et dans d’autres groupements consanguins analogues chez les Germains, étaient en même temps des unités militaires ; chacun de ces quatre lignages marchait au combat formée en une troupe particulière avec son propre uniforme, avec son propre drapeau et sous le commandement de son chef propre.

De même que plusieurs gentes constituent une phratrie, de même, dans la forme classique, plusieurs phratries constituent une tribu ; en certains cas, dans des tribus sérieusement affaiblies, le chaînon intermédiaire, la phratrie, fait défaut. Qu’est-ce donc qui caractérise une tribu indienne en Amérique ?

1º Un territoire propre et un nom particulier. Chaque tribu possédait encore, en dehors de l’emplacement de son établissement effectif, un territoire considérable pour la chasse et la pêche. Au-delà de ce territoire s’étendait un large espace neutre qui allait jusqu’au territoire de la tribu la plus voisine, et qui était plus étroit entre tribus de langues apparentées, plus large entre tribus de langues différentes. C’est le Grenzwald (la forêt-frontière) des Germains, le désert que les Suèves de César créent autour de leur territoire, l’îsarnholt (en danois, jarnved, limes danicus) entre Danois et Germains, le Sachsenwald et le branibor (en slave : forêt protectrice ; d’où le nom de Brandenbourg) entre les Germains et les Slaves. Ce territoire ainsi délimité par des frontières incertaines était le pays commun de la tribu, reconnu tel par les tribus voisines et défendu par la tribu même contre tout empiètement. La plupart du temps, l’incertitude des frontières ne devenait fâcheuse, dans la pratique, que lorsque la population s’était considérablement accrue. - Il semble que les noms de tribus soient dus le plus souvent au hasard, plutôt qu’intentionnellement choisis ; avec le temps, il arriva fréquemment qu’une tribu fût désignée par les tribus voisines sous un nom autre que celui qu’elle employait elle-même ; de même que les Allemands reçurent des Celtes le premier nom collectif qu’ils portent dans l’histoire, le nom de Germains.

2º Un dialecte particulier, propre à cette seule tribu. En fait tribu et dialecte coïncident ; la formation nouvelle de tribus et de dialectes par suite de scissions se produisait encore récemment en Amérique et sans doute n’a-t-elle pas encore cessé complètement. Là où deux tribus affaiblies ont fusionné, il arrive exceptionnellement qu’on parle dans la même tribu deux dialectes fortement apparentés. L’importance numérique moyenne des tribus américaines reste au-dessous de 2 000 membres ; les Cherokees, pourtant, sont au nombre de 26 000, le plus fort chiffre d’Indiens des États-Unis parlant le même dialecte.

3º Le droit d’investir solennellement de leur autorité les sachems et les chefs militaires élus par les gentes.

4º Le droit de les destituer, même contre la volonté de leur gens. Comme les sachems et les chefs militaires sont membres du Conseil de tribu, ces droits qu’a sur eux la tribu s’expliquent d’eux-mêmes. Là où s’était formée une fédération de tribus, etoù la totalité des tribus était représentée dans un Conseil fédéral, les droits précités passaient à ce Conseil fédéral

5º Un lot de représentations religieuses communes (mythologie) et de cérémonies du culte. « À leur façon barbare, les Indiens étaient un peuple religieux [4]. » Leur mythologie n’a pas encore été l’objet d’une étude critique ; ils imaginaient déjà sous une forme humaine les incarnations de leurs représentations religieuses, - esprits de toutes sortes, - mais le stade inférieur de la barbarie, auquel ils en étaient alors, ne connaît pas encore les figurations plastiques, qu’on appelle des idoles. C’est un culte de la nature et des éléments qui évolue vers le polythéisme. Ces différentes tribus avaient leurs fêtes régulières, avec certaines formes de culte bien déterminées, en particulier la danse et les jeux ; la danse principalement était un élément essentiel de toutes les solennités religieuses ; chaque tribu célébrait les siennes en particulier.

6º Un Conseil de tribu pour les affaires communes. Il était composé de tous les sachems et de tous les chefs militaires des différentes gentes, leurs représentants véritables puisqu’ils pouvaient toujours être destitués ; il délibérait publiquement, entouré des autres membres de la tribu qui avaient le droit d’intervenir et de faire entendre leur opinion ; le Conseil décidait. Dans la règle, tout assistant était entendu s’il le désirait ; les femmes, elles aussi, pouvaient faire exposer leur point de vue par un orateur de leur choix. Chez les Iroquois, la décision finale devait être prise à l’unanimité, comme c’était également le cas pour certaines résolutions dans les communautés de marche germaniques. Il incombait en particulier au Conseil de tribu de régler les relations avec les tribus étrangères ; il recevait et envoyait les ambassades ; il déclarait la guerre et concluait, la paix. Si la guerre éclatait, elle était faite généralement par des volontaires. En principe, chaque tribu était considérée comme en état de guerre avec toute autre tribu, si un traité de paix n’avait pas été expressément conclu entre elles. Des expéditions contre les ennemis de ce genre étaient, pour la plupart, organisées à titre individuel par des guerriers éminents ; ils donnaient une danse guerrière ; ceux qui s’y joignaient exprimaient du même coup qu’ils participaient à l’expédition. La colonne était aussitôt formée et se mettait en marche. De même, la défense du territoire de la tribu attaquée était assurée, la plupart du temps, par des levées de volontaires. Le départ et le retour de ces colonnes donnaient toujours lieu à des réjouissances publiques. L’autorisation du Conseil de tribu n’était pas nécessaire pour des expéditions de ce genre et elle n’était ni sollicitée, ni donnée. C’est tout à fait les expéditions particulières des suites armées germaniques, telles que Tacite nous les décrit, à cette différence près que chez les Germains les suites ont pris un caractère plus permanent, forment un noyau solide, organisé dès le temps de paix et autour duquel les autres volontaires se groupent en cas de guerre. Ces colonnes guerrières étaient rarement nombreuses ; les expéditions les plus importantes des Indiens, même à de grandes distances, étaient accomplies par des forces militaires insignifiantes. Quand plusieurs de ces suites se réunissaient pour une grande entreprise, chacune d’elles n’obéissait qu’à son propre chef ; l’unité du plan de campagne était assurée, tant bien que mal, par un Conseil de ces chefs. C’est de cette façon que les Alamans faisaient la guerre sur le Haut-Rhin, au ive siècle, comme nous en trouvons la description dans Ammien Marcellin.

7º Nous trouvons, dans quelques tribus, un chef suprême, dont les pouvoirs sont pourtant fort réduits. C’est l’un des sachems qui, dans les cas qui exigent une action rapide, doit prendre des mesures provisoires jusqu’au moment où le Conseil peut se réunir et statuer définitivement. C’est, à un stade très rudimentaire, une tentative restée presque toujours stérile dans la suite du développement pour investir un fonctionnaire du pouvoir exécutif ; comme nous le verrons par la suite, ce fonctionnaire aura, dans la plupart des cas, sinon toujours, pour origine le chef militaire suprême.

La grande majorité des Indiens américains n’alla pas au-delà du groupement en tribu. Leurs tribus peu nombreuses, séparées les unes des autres par de vastes zones frontières, affaiblies par des guerres incessantes, occupaient avec peu de gens un immense territoire. Çà et là se constituaient des alliances entre tribus apparentées, sous le coup d’un danger momentané, et elles se dissolvaient avec lui. Mais, dans quelques régions, des tribus originairement parentes, après s’être disloquées, s’étaient regroupées de nouveau en fédérations permanentes, faisant ainsi le premier pas vers la constitution de nations [5]. Aux États-Unis, nous trouvons chez les Iroquois la forme la plus développée d’une fédération de ce genre. Abandonnant leurs territoires à l’ouest du Mississipi, où ils formaient probablement une branche de la grande famille des Dakotas, ils s’établirent après de longues pérégrinations dans l’État actuel de New York et se répartirent en cinq tribus : les Senecas, les Cayougas, les Onondagas, les Oneidas et les Mohawks. Ils vivaient de poisson, de gibier et de jardinage rudimentaire, habitaient des villages qui étaient presque toujours protégés par des palissades. Ne dépassant jamais le chiffre de 20 000, ils avaient dans les cinq tribus un certain nombre de gentes communes, parlaient des dialectes très apparentés d’une même langue et occupaient un territoire d’un seul tenant, partagé entre les cinq tribus. Comme ce territoire avait été récemment conquis, l’union, créée par l’habitude, des tribus victorieuses contre la population refoulée subsistait naturellement ; elle se développa, au plus tard vers le début du XV° siècle, jusqu’à constituer une « confédération éternelle », confédération qui d’ailleurs, sentant ses nouvelles forces, prit aussitôt un caractère agressif. A l’apogée de sa puissance, vers 1675, elle avait conquis alentour de vastes territoires dont elle avait en partie chassé, en partie rendu tributaires les habitants. La confédération des Iroquois présente l’organisation sociale la plus avancée à laquelle soient parvenus les Indiens quand ils n’ont pas dépassé le stade inférieur de la barbarie (à l’exception, par conséquent, des Indiens du Mexique, du Nouveau-Mexique et du Pérou). Voici quelles étaient les règles fondamentales de la confédération :

1º Confédération éternelle des cinq tribus consanguines, sur la base d’une égalité et d’une indépendance complètes dans toutes les affaires intérieures de la tribu. Cette consanguinité formait le véritable fondement de la confédération. Sur les cinq tribus, trois s’appelaient tribus-mères et elles étaient sœurs entre elles, comme l’étaient également les deux autres, qui s’appelaient tribus-filles. Trois gentes - les plus anciennes - étaient encore vivaces et représentées dans toutes les cinq tribus ; trois autres gentes étaient représentées dans trois tribus ; les membres de chacune de ces gentes étaient tous frères entre eux à travers l’ensemble des cinq tribus. La langue commune, avec de simples variantes dialectales, était l’expression et la preuve de la commune origine.

2º L’organe de la confédération était un Conseil fédéral de cinquante sachems, tous égaux par le rang et le prestige ; ce Conseil décidait en dernier ressort dans toutes les affaires de la confédération.

3º Lors de la fondation de la confédération, ces cinquante sachems avaient été répartis entre les tribus et les gentes comme dignitaires de charges nouvelles, expressément créées pour les fins de la confédération. Ils étaient réélus par les gentes intéressées à chaque nouvelle vacance et pouvaient toujours être révoqués par elles ; mais le droit de les investir de leurs fonctions appartenait au Conseil fédéral.

4º Ces sachems fédéraux étaient également sachems dans leurs tribus respectives et avaient siège et voix dans le Conseil de tribu.

5º Toutes les décisions du Conseil fédéral devaient être prises à l’unanimité.

6º Le vote s’effectuait par tribu, de telle façon que chaque tribu et, dans chacune d’elles, tous les membres du Conseil devaient exprimer leur accord pour qu’une décision valable pût être prise.

7º Chacun des cinq Conseils de tribu pouvait convoquer le Conseil fédéral, mais celui-ci ne pouvait se convoquer de lui-même.

8º Les séances avaient lieu devant le peuple assemblé ; chaque Iroquois pouvait y prendre la parole ; le Conseil seul décidait.

9º Personne n’était placé à la tête de la confédération, elle n’avait pas de chef du pouvoir exécutif.

10º Par contre, elle avait deux chefs de guerre suprêmes, avec mêmes attributions et même pouvoir (les deux trois » des Spartiates, les deux consuls à Rome).

C’est là toute la constitution publique sous laquelle les Iroquois vécurent et vivent encore depuis plus de quatre cents ans.

Friedrich Engels dans « L’origine de la famille, de la propriété privé et de l’Etat »

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