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Chronologie de la révolte des Indiens d’Amérique

4 septembre 2018, 06:53

Lévi-Strauss, dans « Tristes tropiques » :

« Nous envisagions autrefois l’histoire précolombienne de l’Amérique avec simplisme. Aujourd’hui, après des découvertes récentes et grâce, en ce qui me concerne, aux années consacrées à l’étude de l’ethnographie nord-américaine, je comprends mieux que l’hémisphère occidental doit être considéré comme un tout. L’organisation sociale, les croyances religieuses des Gé répètent celles des tribus des forêts et des prairies d’Amérique du Nord ; voilà d’ailleurs bien longtemps qu’on a noté – sans en déduire les conséquences – des analogies entre les tribus du Chaco (comme les Guuaicuru) et celles des plaines des Etats-Unis et du Canada. Par le cabotage au long des côtes du Pacifique, les civilisations du Mexique et du Pérou ont certainement communiqué à plusieurs moments de leur histoire. Tout cela a été un peu négligé, parce que les études américaines sont restées pendant longtemps dominées par une conviction : celle que la pénétration du continent était toute récente, datant à peine de 5000 ou 6000 ans avant notre ère et entièrement attribuée à des populations asiatiques arrivées par le détroit de Béring. On disposait donc seulement de quelques milliers d’années pour expliquer comment ces nomades s’étaient mis en place d’un bout à l’autre de l’hémisphère occidental en s’adaptant à des climats différents ; comment ils avaient découvert, puis domestiqué et diffusé sur d’énormes territoires, les espèces sauvages qui sont devenues, entre leurs mains, le tabac, le haricot, le manioc, la patate douce, la pomme de terre, l’arachide, le coton et surtout le maïs, comment enfin étaient nées et s’étaient développées des civilisations successives, au Mexique, en Amérique centrale et dans les Andes, dont les Aztèques, les Maya et les Inca sont les lointains héritiers. Pour y parvenir, il fallait amenuiser chaque développement pour qu’il tienne dans l’intervalle de quelques siècles : l’histoire précolombienne de l’Amérique devenait une succession d’images kaléidoscopiques où le caprice du théoricien faisait à chaque instant apparaître des spectacles nouveaux. Tout se passait comme si les spécialistes d’outre-Atlantique cherchaient à imposer à l’Amérique indigène cette absence de profondeur qui caractérise l’histoire contemporaine du Nouveau Monde. Ces perspectives ont été bouleversées par des découvertes qui reculent considérablement la date où l’homme a pénétré sur le continent. Nous savons qu’il y a connu, et chassé, une faune aujourd’hui disparue : paresseux terrestre, mammouth, chameau, cheval, bison archaïque, antilope, avec les ossements desquels on a retrouvé ses armes et outils de pierre. La présence de certains de ces animaux dans des endroits comme la vallée de Mexico implique des conditions climatiques très différentes de celles qui prévalent actuellement, et qui ont requis plusieurs millénaires pour se modifier. L’emploi de la radioactivité pour déterminer la date des restes archéologiques a donné des indications dans le même sens. Il faut donc admettre que l’homme était déjà présent en Amérique voici au moins 20.000 ans, en certains points, il cultivait le maïs il y a plus de 3000 ans. En Amérique du Nord, un peu partout, on retrouve des vestiges vieux de 10.000 à 12.000 années… Nous refusions jadis la dimension historique à l’Amérique précolombienne parce que l’Amérique post-colombienne en a été privée. Il nous reste peut-être à corriger une seconde erreur, qui consiste à penser que l’Amérique est restée pendant vingt mille ans coupée du monde entier, sous prétexte qu’elle l’a été de l’Europe occidentale. Tout suggère plutôt qu’au grand silence atlantique répondait, sur tout le pourtour du Pacifique, un bourdonnement d’essaim. »

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