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Qu’est-ce que l’effet Casimir ?

28 mars 2019, 08:13

Quel visage présente donc aujourd’hui cet étrange vide, qu’une de ses facettes révèle comme un extravagant réservoir d’énergie, dont la présence a été confirmée lors d’une expérience clé, baptisée « effet Casimir » (lire ci-contre) : « Dans chaque centimètre cube de l’Univers, il y a vraiment beaucoup plus d’ordres de grandeur d’énergie du vide que celle de la matière dans tout l’Univers visible », écrit ainsi l’Américain Ronald Adler (université de Stanford) ? Libération fait le point avec le physicien Edgard Gunzig.

Longtemps, le vide est resté l’apanage des philosophes. Quand le concept est-il devenu scientifique ?

Avec Galilée, au XVIIe siècle, le vide a cessé d’être un enjeu philosophique pour devenir un objet de science. Galilée, le premier, a formulé des « expériences de pensée » pour comprendre les lois du mouvement des corps. Il avait besoin, pour préciser ce qui arrivait à un corps laissé à lui-même, d’éliminer les forces de frottement, de débarrasser le phénomène à étudier des parasites susceptibles de le troubler, d’opérer une idéalisation du réel, bref de « faire le vide ». On assiste ainsi à la première construction théorique du vide. Il fut relayé, d’une façon plus mathématique, par Newton, qui introduisit le vide dans sa conception du monde. Ce vide est un espace absolu dépourvu de matière.

Pourtant, au XIXe siècle, rien ne va plus avec ce vide « sans matière ». Pourquoi ?

Le problème surgit avec les questions de rayonnement. En particulier, après les travaux de Faraday et surtout de Maxwell, qui formule les lois de l’électromagnétisme (lois entrecroisées de l’électricité et du magnétisme) et comprend définitivement que la lumière est une onde électromagnétique. On connaissait déjà des ondes : les acoustiques où c’est l’air qui vibre ; les aquatiques, où c’est l’eau qui vibre. A chaque fois, il y avait un milieu qui vibrait et transportait les ondes. De même, on se demande ce qui vibre pour la lumière ? On avait en quelque sorte besoin d’une substance où vibre la lumière. Ainsi est née la notion d’« éther » (rien à voir avec le produit chimique, ndlr).

L’éther en question n’a jamais été trouvé, Einstein l’a même radicalement éliminé. Qu’est-ce qui reste ?

La célèbre expérience de Michelson et Morley a effectivement apporté la preuve que la lumière se propageait sans que puisse être repéré un quelconque « vent d’éther ». Einstein, avec sa théorie de la relativité restreinte en 1905, a alors l’audace de se débarrasser de l’éther et de postuler que la vitesse de la lumière est la même pour tout le monde, indépendamment des observateurs. C’est une nouvelle façon de comprendre la lumière, phénomène ondulatoire qui se « supporte » lui-même, qui sous-tend sa propre vibration, sans avoir besoin de vibrer dans quelque chose. Un saut conceptuel extraordinaire est franchi : la vitesse de la lumière devenant absolue (et non plus relative à un éther), ce sont d’autres absolus qui doivent être éliminés et devenir relatifs : l’espace et le temps. Il n’y a plus « d’horloge universelle » qui bat pour tout le monde la mesure du temps, l’écoulement du temps devient relatif. Cette relativité a frappé les esprits de l’époque et continue de provoquer des remous. Ce qui nous frappe, rétrospectivement, c’est que ce moment de la théorie est un point d’articulation dans l’histoire du vide : jamais il n’a été plus vide. Le vide est dépouillé de tout, véritablement « évidé ».

Parce qu’ensuite, il s’est re-rempli ?

Avec la relativité générale, où s’installe de façon « naturelle » la gravitation, il y a en effet réhabillage du vide. L’espace-temps, qui était une sorte de scène de théâtre passive pour les événements, un réceptacle inerte devient un protagoniste dynamique actif. Il se courbe, cette courbure traduisant sa sensibilité au contenu de l’Univers, c’est-à-dire à la matière (lire glossaire). Les équations prennent une tournure inédite, où géométrie égale matière, où la géométrie de l’espace-temps prend un caractère physique. Et que devient le vide là-dedans ? Il devient physiquement impossible. On voit en effet que la gravitation, universelle, est impossible à « écranter ». On ne peut pas construire une cage de Faraday (3) qui abrite de la gravitation ; les « effets gravitationnels » ne peuvent être éliminés d’aucun lieu. Même si on évacue de cet endroit-ci la matière, le rayonnement électromagnétique, qu’on décide même de négliger le fameux rayonnement cosmologique à 3°Kelvin (rayonnement fossile du big bang, ndlr) traversant l’Univers tout entier, il restera inévitablement quelque chose : les effets à l’infini de la matière qui est encore quelque part. Einstein allait encore plus loin et affirmait qu’un vide en relativité générale est « non seulement physiquement impossible mais aussi conceptuellement incohérent ».

Pendant ce temps, l’effet Casimir nous confirme que jamais vide n’a été aussi plein d’énergie. Mais c’est le vide vu par une autre théorie, la mécanique quantique. Que faut-il y comprendre ?

Ce n’est pas un petit problème mais une catastrophe. Pour mieux le comprendre, il faut un peu de théorie. En théorie quantique des champs (lire glossaire), les objets fondamentaux ne sont ni les particules, ni les ondes, mais les « champs quantiques ». C’est lorsque ces « champs » sont excités qu’on voit par exemple apparaître ce que l’on baptise particule - électron, proton ou autre, et qu’on les détecte avec des appareils de mesure. A l’inverse, c’est quand ces champs sont dans leur état d’énergie minimale (dit fondamental) qu’on parle de « vide ». Prenons l’analogie du pendule. Vu de façon classique, le pendule immobile, qui s’est figé, est dans son état fondamental et son énergie est nulle. Vu de façon quantique, il ne sera jamais considéré comme totalement immobile, il lui restera toujours une petite vibration inamovible par principe. C’est cela que l’on décide de baptiser « vide », cet état de plus basse énergie, étant entendu qu’elle ne vaut pas zéro, que c’est une énergie résiduelle. Dans ce registre, le vide quantique n’est pas absence de matière, mais état particulier de la matière. Il faut construire pour lui un formalisme mathématique à l’instar de ce qu’on fait pour un simple oscillateur. Et c’est ici qu’on découvre que le vide quantique est à la fois capable du pire et du meilleur.

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