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Bergson ou le vide philosophique français au XXe siècle

1er juin 2017, 09:50

Gaston Bachelard dans "La dialectique de la durée" :

C’est sans doute dans l’ordre du discours, sur le plan même des preuves bergsoniennes qu’il faut porter nos premières critiques. Ensuite, nous pourrons passer aux enquêtes psychologiques positives ; nous nous demanderons alors si le bergsonisme a fait une juste place au négativisme psychologique, à la coercition, à l’inhibition. Quand nous aurons ainsi approfondi la psychologie de l’anéantissement, nous tenterons d’établir que l’anéantissement suppose le néant comme limite, de la même manière que la qualification suppose la substance comme support. Du point de vue fonctionnel où nous nous placerons, nous verrons qu’il n’y a rien de plus normal, rien de plus nécessaire, que de passer à la limite et de poser la détente de la fonction, le repos de la fonction, le non-fonctionnement de la fonction puisque la fonction, de toute évidence, doit souvent s’interrompre de fonctionner. C’est alors que nous sentirons l’intérêt de faire remonter le principe de la négation jusqu’à la réalité temporelle elle-même. Nous verrons qu’il y a hétérogénéité fondamentale au sein même de la durée vécue, active, créatrice, et que, pour bien connaître ou utiliser le temps, il faut activer le rythme de la création et de la destruction, de l’œuvre et du repos. Seule la paresse est homogène ; on ne peut garder qu’en reconquérant ; on ne peut maintenir qu’en [9] reprenant. Au surplus, du seul point de vue méthodologique, il y aura toujours intérêt à établir un rapprochement entre la dialectique des entités diverses et la dialectique fondamentale de l’être et du non-être. C’est donc à cette dialectique de l’être et du néant que nous ramènerons l’effort philosophique, bien convaincu d’ailleurs que ce n’est pas un accident historique qui avait conduit vers ce problème les premiers philosophes de la Grèce. La pensée pure doit commencer par un refus de la vie. La première pensée claire c’est la pensée du néant.

Sur le plan du discours, la thèse défendue par M. Bergson dans l’Évolution créatrice revient à dire qu’il n’y a pas d’actions vraiment négatives et que par conséquent les mots négatifs ne sauraient avoir de sens que par les mots positifs qu’ils nient, toute action et toute expérience se traduisant infailliblement et de prime abord sous l’aspect positif. Or cette référence privilégiée au positif fait tort, croyons-nous, à la parfaite corrélation des mots quand on les traduit, comme il convient de le faire, dans le langage de l’action. Un concept est formé par une expérience, analysé par des actions. Et c’est en cela qu’on peut dire, par exemple, que le mot vide, prenant son sens du verbe vider, correspond à une action positive. Une intuition bien éduquée conclurait donc que le vide est simplement la disparition imagée ou réalisée d’une matière particulière sans que jamais on puisse parler d’une intuition directe du vide. Toute absence serait ainsi la conscience d’un départ. Telle est, au fond, la thèse bergsonienne. Or, s’il est bien vrai qu’on ne puisse vider que ce qu’on trouve d’abord plein, il est tout aussi exact de dire qu’on ne peut emplir que ce qu’on trouve d’abord vide. Si l’on veut que l’étude du plein soit claire et riche, il faut toujours que cette étude soit le récit plus ou moins circonstancié d’un remplissage. Bref, du vide au plein, il y a, nous semble-t-il, une parfaite corrélation. L’un n’est pas clair sans l’autre, et surtout une notion ne s’éclaircit pas sans l’autre. Si l’on nous refuse l’intuition du vide, nous sommes en droit de refuser l’intuition du plein.

Les récentes objections de M. Bergson contre la facile clarté des méthodes intellectuelles ne nous ont pas convaincu . Nous voyons les rapports de l’intuition et de l’intelligence sous un jour plus complexe qu’une simple opposition. Nous les voyons sans cesse intervenir en coopération. Il y a des intuitions à la base de nos concepts : ces intuitions sont troubles - à tort on les croit naturelles et riches. Il y a des intuitions dans la mise en rapport de nos concepts : ces intuitions, essentiellement secondes, sont plus claires - à tort on les croit factices et pauvres. Faisons rapidement la psychologie d’un esprit scientifique tourmenté par l’idée du vide. Il a lu la longue histoire des doctrines du vide ; il pratique la difficile technique du vide, toujours anxieux des possibilités d’une micro-fuite ; il sait, sans doute, combien captieuse est la notion du vide puisque, subitement, au moment où il pensait pouvoir définir le vide de matière, il vient de voir ce vide habité par la radiation. Il est donc mieux préparé que personne à comprendre une théorie qui voudrait que le vide à un point de vue particulier soit automatiquement le plein à un autre point de vue. Mais il ne se contente pas de cet automatisme. Il pressent un problème nouveau : il cherche ou il cherchera à atteindre le vide à deux points de vue réunis ; il tentera d’écarter et la matière et la radiation. Dès lors, son concept de vide s’enrichit, se diversifie et par cela même s’éclaircit. Car aucun savant ne revendiquera pour ses idées expérimentales une clarté a priori. Il est aussi prudent que le philosophe intuitionniste. Il a la même patience. Et voici d’ailleurs tout ce qu’il faut pour les réconcilier dans une même estime : comme le dit justement M. Bergson, une intuition philosophique demande une contemplation longuement poursuivie. Cette contemplation difficile, qui doit être apprise et qui pourrait sans doute être enseignée, n’est pas loin d’être une méthode discursive d’intuition. C’est tout ce qu’il nous faut pour nous autoriser à adjoindre, comme primordiale, la psychologie de l’éclaircissement des notions à la définition logique de ces notions. Dès lors, l’équilibre s’établit entre la conceptualisation réciproque du vide et du plein et nous pouvons, non pas comme points de départ, mais comme facteurs de résumés, équilibrer les deux concepts contraires du plein et du vide.

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