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Révolte contre les viols que subissent les femmes en Inde

30 décembre 2012, 21:39

"Je te demande pardon, petite soeur." Devant les bougies de la veillée funèbre qui s’est tenue samedi soir à Delhi, ce message en disait long sur un sentiment de culpabilité éprouvé par l’Inde entière. Au petit matin, la nouvelle redoutée est tombée : l’étudiante de 23 ans, victime d’un viol collectif le 16 décembre, a succombé à ses blessures après 13 jours en soins intensifs. La décision des autorités de la transférer jeudi par un vol sanitaire vers un hôpital de Singapour n’a pas pu enrayer les complications médicales.

La jeune femme s’est éteinte samedi à 4 h 45 du matin, avant d’être rapatriée en Inde la nuit suivante. À l’aéroport de Delhi, son cercueil doré et ses parents ont été accueillis par le Premier ministre, Manmohan Singh, et la présidente du Parti du Congrès au pouvoir, Sonia Gandhi. La crémation du corps s’est ensuite tenue à l’aube dans le secret et sous haute sécurité.

Une façon expéditive d’écarter de la cérémonie les habitants de Delhi, choqués et en colère. Depuis une dizaine de jours, l’opinion publique blâme ainsi la légèreté du système judiciaire et l’insensibilité des policiers face aux agressions sexuelles, dans une société qui banalise la violence. Le sordide fait divers avait déjà donné lieu à de vastes protestations à la Porte de l’Inde, au coeur de la capitale. Manmohan Singh avait alors étouffé le mouvement par un appel au calme et par l’interdiction d’accès au monument.

Les autorités n’ont pas hésité ce week-end à transformer la zone en forteresse, déployant plus de 5 000 policiers et fermant 10 stations de métro, dans une action que les critiques jugent "excessive et paranoïaque". Au même moment, l’annonce du décès s’est répandue comme une traînée de poudre. De jeunes présentatrices n’ont pu cacher leurs larmes à l’antenne.

Des étudiants de Jawaharlal Nehru University se sont rendus à l’arrêt de bus de Munirka pour déposer de fleurs et des messages. "Tu resteras l’inspiration de notre lutte", ont-ils écrit. C’est en ces lieux que, le 16 décembre à 21 h 30, la jeune femme a embarqué dans un bus avec son ami, après être allée voir L’odyssée de Pi au cinéma. Le couple s’est retrouvé piégé par six hommes à l’intérieur du véhicule aux vitres teintées. Les assaillants ont tabassé le jeune homme puis violé et torturé l’étudiante avec une barre de fer. Ils ont ensuite jeté les deux corps sur un trottoir. Depuis, les six assaillants, à l’exception d’un mineur, ont été inculpés de meurtre.

Au fil du week-end, des centaines de personnes, dont des familles avec des enfants, se sont retrouvées à Jantar Mantar, le seul lieu autorisé à Delhi. Certains se sont recueillis, d’autres ont participé à des débats. Des groupes se sont allongés au sol avec un bâillon noir sur la bouche ou portaient en silence des messages d’indignation. Le décès de l’étudiante a aussi mobilisé les foules à Mumbai, Hyderabad, Calcutta, Bangalore et Lucknow. Les derniers détails livrés sur l’origine modeste de la victime, sur son père qui avait vendu son lopin de terre pour financer ses études en médecine ont achevé d’émouvoir le pays.

La chaîne NDTV a passé en boucle une consigne demandant à tous les Indiens d’allumer une bougie en mémoire de "l’héroïne". Dans un souci inhabituel, le nom de la jeune femme n’a jamais été divulgué. Et l’Inde s’est approprié cette femme sans visage et sans nom. Des médias ont choisi de la baptiser "Amanat", qui signifie "trésor" en ourdou. Samedi, jour de sa mort, elle est devenue pour tous "la fille de l’Inde".

"C’est un tournant", s’accordent à dire les analystes de la capitale. Le calvaire médiatisé de l’étudiante est le symbole d’une crise sociale, dans une Inde où les violences envers les femmes sont une douleur muette, avec 24 000 cas enregistrés en 2011 et des milliers inavoués. L’insécurité de Delhi lui vaut le surnom de "capitale du viol". Et ces deniers jours, les crimes ne sont plus passés inaperçus : le suicide, au Punjab, d’une victime à laquelle le policier demandait de retirer sa plainte et d’épouser un de ses violeurs. Ou encore, dimanche, un nouveau viol d’une femme dans un bus. Désormais, personne ne conteste la réalité : les Indiennes sont l’objet de harcèlement et de violences sexuelles. "Dans l’Inde patriarcale, la femme est esclave de l’homme ; même son mariage est monnayé par une dot", juge Sourabh Kumar, un étudiant militant.

"Nous demandons justice !" scande ainsi Meha, 23 ans, dans la rue depuis cinq jours. Sur sa banderole, et dans la surenchère punitive qui agite la classe moyenne de Delhi, Meha a écrit : "Coupez les violeurs en trois morceaux." La plupart des manifestants exigent le recours à la peine de mort, légale mais peu pratiquée en Inde. Mais aux tentatives de politisation du mouvement anti-viol a fait place ce week-end une population au profil plus varié. Avec un point commun : sa méfiance à l’égard de la volonté du gouvernement.

La classe politique, âgée et encline au machisme, ne s’est certes pas privée de dérapages sur l’affaire. Tel cet élu qui a demandé à ce que les filles ne portent plus de jupe pour leur uniforme scolaire. Quant aux jeunes politiciens, dont Rahul Gandhi, le député et fils de Sonia Gandhi, ils se sont abstenus de participer aux débats. Les autorités tentent néanmoins de gérer la crise en multipliant les mesures : la création de deux comités, une police sensibilisée, des peines plus sévères et la publication sur Internet de l’identité des "violeurs".

Dans l’immédiat, Amita, une jolie adolescente de 17 ans qui tient une bougie, demande avec défiance : "Pourquoi devrais-je baisser les yeux devant un homme ?" Les manifestants qui prennent le micro le promettent : "L’Inde s’éveille aujourd’hui." Et à Jantar Mantar, dimanche à la tombée de la nuit, la foule ne désemplissait pas.

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