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Révolte ouvrière en Chine

jeudi 28 octobre 2010

Pourquoi les ouvriers se révoltent-ils en Chine ?

Parce que c’est l’une des plus infâmes dictatures du monde capitaliste qui cumule stalinisme féroce et exploitation féroce !!!

L’affaire Foxconn (une série de suicides chez le plus gros sous-traitant électronique du monde, dans la ville usine de Longhua à Shenzhen) et l’affaire Honda (quinze jours de grève dans une usine clé du groupe nippon à Foshan), dont le retentissement médiatique fut exceptionnel en Chine, peuvent apparaître comme les signes d’une métamorphose du mode de développement chinois.

L’affaire Foxconn a révélé le malaise des nouvelles générations d’ouvriers migrants, déroutés par l’inanité de l’effort qu’ils doivent fournir à mesure qu’un fossé grandissant les sépare des jeunes consommateurs urbains de leur âge. La notoriété des marques que livre Foxconn (Apple, Nokia...) et les critiques dont le géant taïwanais fait l’objet depuis plusieurs années ont cristallisé les émotions. Le cas Honda marque un tournant dans l’histoire des grèves en Chine : les débrayages n’y sont pas rares mais interviennent en réponse, le plus souvent, à des impayés. La presse les mentionne à peine. Avec la paralysie de l’ensemble des usines Honda de Chine par les grévistes de Foshan, les revendications salariales ont fait irruption dans les débats.

Des augmentations en trompe l’oeil Les hausses de salaires consenties sont en apparence spectaculaires. En réalité, elles sont de l’ordre du rattrapage, dans une province, le Guangdong, où la pénurie de main-d’oeuvre est redevenue alarmante en 2010. Chez Honda, les 33 % d’augmentation obtenus (les grévistes exigeaient 50 %) portent le salaire de base à environ 2 000 yuans par mois (243 euros), en deçà des 2 293 yuans que l’ONG Sacom (Students and Scholars Against Corporate Misbehaviour) considère comme le minium décent dans le Guangdong. Chez Foxconn, l’entreprise propose une augmentation de 70 % (à partir d’octobre). Elle porterait le salaire de base à 2 000 yuans mais est conditionnée à une période d’essai de trois mois, au tarif de 1 200 yuans, et à un « test de compétence » qui ne convainc pas pour l’instant les ouvriers.

Le risque d’une propagation des conflits collectifs à d’autres usines est réel. Ainsi, conséquence directe de la grève à Honda Auto Parts, près de 250 ouvriers ont cessé le travail lundi 7 juin à Foshan Fengfu Autoparts, un fournisseur de pots d’échappement de Honda en Chine. Leur salaire, clament-ils, est inférieur à celui de leurs collègues avant même qu’ils se mettent en grève. Comme eux, ils réclament un syndicat élu : « Si leur grève n’avait pas été un tel succès, on ne serait sûrement pas aussi unis qu’aujourd’hui », a déclaré un gréviste au South China Morning Post de Hongkong.

Les hausses du salaire minium mensuel que les provinces chinoises annoncent les unes après les autres (de 20 % à 30 % cette année) ont un impact limité : les ouvriers du secteur privé sont le plus souvent payés à la pièce. Et la rémunération horaire, en comptant les heures supplémentaires, indispensables, augmente en fait très peu.

Le syndicat officiel contesté Le rôle, ou plutôt, l’absence de rôle, de l’Acftu (l’unique centrale syndicale chinoise) a relancé le débat sur les failles du mécanisme de représentation des travailleurs. Les ouvriers ne peuvent élire de délégué et considèrent le syndicat « hors du coup ». Les grévistes de Honda, qui lors du conflit ont fait appel à un universitaire spécialiste des questions de droit du travail, Chang Kai, de l’université du Peuple à Pékin, ont déclaré dans leur dernière lettre ouverte, le 7 juin, qu’ils espéraient « parvenir à l’élection démocratique de représentants syndicaux et à l’établissement d’un mécanisme de négociation collective ».

La transformation du modèle de production chinois, fondé sur l’afflux de jeunes paysans ouvriers qui vont d’une usine à l’autre sans pouvoir s’installer dans les villes, est impérative. Pour Wang Youqin, économiste à l’université Fudan de Shanghaï, les « hausses de salaires sont prématurées » en Chine. Il faut aussi cesser, dit-il, de « subventionner les campagnes », car tout cela « réduit la fluidité du marché du travail ». La priorité est d’accélérer l’urbanisation effective, en offrant aux migrants les avantages sociaux (assurance santé, logements sociaux et statut urbain) dont ils sont privés, pour qu’ils puissent se fixer en ville. « Commes les seigneurs féodaux, les autorités contrôlent les terres, que les paysans ne peuvent vendre, et réduisent au minimum la mobilité de la main-d’oeuvre », dénonce-t-il.

Moins de main-d’oeuvre sur le marché En raison de la politique de l’enfant unique, l’évolution démographique va encore accélérer l’urgence de cet ajustement. Ainsi, le nombre des 15-24 ans à rejoindre la population active a atteint son maximum et passera de 227 millions en 2010 à 150 millions en 2024. C’est le fameux « cap Lewis », du nom de l’économiste Arthur Lewis, spécialiste des pays en développement, à partir duquel le surplus de main-d’oeuvre bon marché s’épuise.

« Pendant des années, les entreprises ont fait comme si la Chine avait une réserve illimitée de jeunes gens prêts à travailler pour des salaires modestes, écrit Arthur Kroeber, rédacteur en chef du China Economic Quaterly. Cela ne sera plus le cas pour les quinze ans à venir : les entreprises devront payer plus pour les travailleurs débutants, et faire plus d’efforts pour les garder, parce qu’il ne sera pas facile de les remplacer. »

Les revendications salariales interviennent donc à un moment critique pour l’économie chinoise, soumise à des pressions inflationnistes croissantes. Tout en servant l’objectif du gouvernement chinois de reporter la réévaluation du yuan réclamée par les Occidentaux.
Brice Pedroletti

Le récit d’un infiltré chez Foxconn LIU ZHIYI, un jeune reporter du Nanfang Zhuomo (« Le Week-end du Sud »), s’est infiltré pendant près d’un mois dans une usine de Foxconn, l’entreprise qui a été marquée par une série de suicides de ses employés.

Sur place, il a interrogé ses jeunes collègues, « pas pour savoir pourquoi ils mettent fin à leurs jours, plutôt pour comprendre comment ils vivent ». Extraits. "Si vous demandez aux ouvriers quels sont leurs rêves, vous avez souvent la même réponse : monter un business, s’enrichir, et ensuite faire ce qui nous plaît. Dans l’usine, ils appellent avec humour leurs chariots hydrauliques des « BMW ».

Evidemment, ils préféreraient posséder une vraie BMW ou au moins « un mode de vie BMW »(...). Ils rêvent souvent, mais souvent, ils détruisent eux-mêmes ces rêves, comme un misérable peintre déchire lui-même ses esquisses : « Si nous continuons à travailler comme ça, on va finir par arrêter de rêver pour le restant de nos vies ».

Ils fabriquent des produits électroniques de pointe pour le monde entier et ils économisent au rythme le plus lent qui soit. Ils ont un code d’accès à un service qui se termine par 888 : comme beaucoup d’hommes d’affaires, ils adorent ce chiffre et ils idolâtrent son équivalent phonétique, « riche ».

Wang Kezhu, un gros travailleur, se plaignait des salaires trop bas, mais quand il s’est renseigné pour suivre des cours à l’extérieur, il « ne comprenait pas un mot » et il a abandonné.

Il disait qu’avec peu d’éducation, il ne pouvait qu’accepter le premier travail qu’on lui proposait, et que c’était ça son destin. (...) Je lui ai demandé pourquoi il travaillait si dur, mais il ne me répondait jamais. Jusqu’à ce qu’un matin je le vois s’arrêter devant un pilier et soudainement crier « à l’aide ».

ZHANG DUNFU : « Une frustration profonde face aux conditions de vie »

ZHANG DUNFU, sociologue à l’université de Shanghaï

M. Zhang fait partie des neuf sociologues chinois signataires, le 18 mai, d’un appel qui a circulé sur Internet, « pour résoudre le problème des nouvelles générations de migrants » et « faire cesser la tragédie de Foxconn ».

Quels enseignements tirez-vous du malaise social révélé par les suicides chez Foxconn, les revendications salariales chez Honda, ou les faits divers violents de ces derniers temps ?

 Le gouvernement chinois a tout à fait les moyens de garder la situation sous contrôle, d’empêcher que ça se propage. Et les gens vont oublier. Mais ça ne veut pas dire que d’autres événements similaires ne vont pas se produire, que ce soit des grèves, des suicides ou des crimes. On décèle chez les auteurs de ces actes une frustration profonde face à leurs conditions de vie.

Ce qui est perçu comme une stratification sociale très rigide entre certaines catégories de gens est source de conflits insolubles. Il y a un fossé dans le monde du travail entre ceux qui sont sur les lignes de production, les managers et les investisseurs étrangers. Les ouvriers ont l’impression d’appartenir à un autre monde.

Comment expliquez-vous le malaise des nouvelles générations de « paysans ouvriers » face au mode de vie urbain ?

 Les jeunes qui viennent de la campagne ressentent une forte discrimination à leur égard. Ils logent, mangent, s’amusent dans des endroits différents de ceux des jeunes des villes. Ils ont souvent une faible estime d’eux-mêmes, ce qui peut conduire au suicide.

La nouvelle génération découvre un monde très différent de celui que connaissaient leurs aînés : de superbes voitures, des lieux de divertissement toujours plus clinquants. Ils appartiennent à ce monde splendide mais il leur est inaccessible.

Et ils constatent l’existence de doubles standards, dans la manière dont ils sont traités, que ce soit par la police, les administrations...

La plupart d’entre eux ne vont pas revenir dans les campagnes. Quand ils rentrent chez eux, ils ne se sentent plus dans leur élément. Comme ils ont chaque mois du cash, grâce à leur travail, ils ont aussi commencé à consommer, et se sentent autonomes. Et ils privilégient certains achats - l’habillement, le téléphone portable - pour se distinguer de leurs camarades au village.

L’exode rural est faussé par le système du « hukou », le permis de résidence : les candidats à la vie urbaine sont prisonniers de leur statut de rural et de tous les avantages sociaux du « hukou » urbain, d’où le désespoir de ne pouvoir sortir de leur condition.

 Le noeud du problème, c’est de mener des changements institutionnels pour combler le fossé entre « urbains » et « ruraux ». Ce fossé, qui existe depuis des décennies, est énorme. Le système du hukou n’est pas seulement une barrière pour les paysans ouvriers. Il se pose aussi aux jeunes diplômés, quand ils ne travaillent pas dans des grandes entreprises ou dans des organismes d’Etat.

Des gens dûment employés par une société peinent à obtenir un hukou pour leur conjoint(e). La réticence des villes à assouplir le numerus clausus tient au fait qu’elles se considèrent en fait comme des entreprises, avec des coûts et des revenus. Ne serait-ce qu’entrebâiller la porte à une population de travailleurs signifie pour elles des charges supplémentaires. C’est à leurs yeux une catastrophe. Elles évitent aussi de prendre toute responsabilité, de peur d’être critiquées par leurs résidents d’origine.

Les petites et moyennes agglomérations semblent actuellement les plus désireuses de s’ouvrir. Mais cela cache aussi un intérêt bien compris : c’est un moyen pour elles de mettre la main sur des terres qui sont ensuite monnayées. Et les paysans qui deviennent urbains ne sont pas toujours en mesure de faire une bonne affaire.

Plus éduqués que leurs aînés, les jeunes sont plus conscients de leurs droits - Bruno Philip

Vague de crimes aveugles dans les écoles qui ont fait en moins de deux mois quinze morts chez les écoliers dans cinq provinces différentes, épidémie de suicides chez le géant taïwanais Foxconn, où les cadences de travail font craquer les « petites mains » du miracle économique, multiplication de grèves fomentées par des ouvriers narguant l’absence de libertés syndicales : l’été s’annonce chaud en Chine !

La revendication ouvrière, la hausse de la criminalité et l’expression d’une violence longtemps contenue alarment les autorités de cet Etat-parti hanté par un cauchemar aussi ancien que l’empire du Milieu : l’instabilité sociale.

Derniers incidents violents en date : le 31 mai, une femme a attaqué au couteau les passagers d’un train circulant dans une province du Nord-Est. Le lendemain, dans le Hunan (centre de la Chine), un garde de sécurité d’une agence de la poste a utilisé ses armes pour mitrailler trois juges d’un tribunal local : l’homme estimait que la séparation des biens consécutive à son divorce n’avait pas fait l’objet d’un jugement équitable...

Dans un pays au taux de violence jusqu’à présent faible, les médias n’hésitent plus à couvrir de tels événements, que la censure a désormais du mal à passer sous silence : selon des statistiques citées par l’officielle Académie des sciences sociales de Chine en février, le nombre de crimes violents a bondi de 10 % en 2009, avec 5,3 millions de cas d’homicides, de viols et de vols à main armée. Des chiffres qui, selon Pi Yipun, professeur de criminologie à l’université de sciences politiques et du droit de Pékin, illustre le fait que le taux de criminalité avait dû enfler depuis belle lurette, mais que les autorités locales faisaient leur possible pour en diminuer l’ampleur à coups de rapports truqués... « Un taux de criminalité élevé peut affecter les perspectives de promotion des fonctionnaires », observe M. Pi.

A la racine du mal, tous les chercheurs s’accordent pour montrer du doigt le fossé des inégalités au coeur d’un système à la fois répressif, injuste et corrompu. Pour Geng Shen, professeur à l’Académie pékinoise des sciences de l’éducation, « des gens se vengent contre la société parce qu’ils ne peuvent s’adapter aux développements sociaux très rapides ».

« Créer de vrais syndicats »

Yu Jianrong, sociologue dans cette même Académie des sciences sociales, va plus loin encore dans une interview accordée au Yazhou Zhoukan (l’« Hebdomadaire de l’Asie »). Il estime que les concepts de « normes » et de « règles » sont devenus en Chine des sous-ensembles un peu flous : en résumé, dit-il, il y a ceux qui, au pouvoir, s’exemptent des normes qu’ils voudraient voir respecter par le reste de la population, ce qui pousse certains à violer, à leur tour, ces règles...

Dans le quotidien de Canton Nanfang Dushibao, un journaliste raconte que l’un des assaillants des écoles hurlait après avoir été neutralisé : « Ils ne me laissent pas vivre, alors je ne les laisse pas vivre non plus ! » Pour le reporter, le meurtrier voyait en ces « ils » qu’il désignait les représentants d’une classe sociale : l’école en question a la réputation d’accueillir les fils de riches.

Les problèmes sociaux dans les usines et le mécontentement croissant des ouvriers viennent également de susciter dans la presse chinoise un afflux de commentaires : dans le Nanfang Zhuomo (« Le Week-end du Sud »), publication qui pousse loin sa couverture des questions sociales, on lisait à la mi-mai que « l’angoisse des jeunes issus de la deuxième génération des travailleurs migrants est à l’origine des tentatives de suicide : ils n’ont plus la possibilité de retourner sur leurs terres d’origine et gagnent moins que leurs parents ».

Des sociologues remarquent que la tranche d’âge des 15-25 ans est en baisse en raison de l’application de la politique de l’enfant unique depuis 1979. Ces jeunes disposent d’un levier plus fort dans des entreprises qui ont un besoin crucial de main-d’oeuvre. Ils sont plus éduqués que leurs aînés, sont plus conscients de leurs droits, regardent la télévision et surfent sur Internet.

Il n’est donc pas surprenant qu’ils bafouent les réglementations imposées par des syndicats liés au parti et choisissent la grève pour faire valoir leurs exigences. Selon l’économiste Xia Yeliang, professeur à l’université de Pékin, « jusque là, les ouvriers souffraient en silence au travail et ne passaient à l’action qu’en dernière extrémité. Ils sont inquiets des conséquences de leurs actes, puisque le syndicat ne les protégera pas d’éventuelles représailles patronales. La grève chez Honda démontre l’urgence de créer de vrais syndicats pour défendre les intérêts des ouvriers ».

En Chine populaire, à l’heure du néocapitalisme autoritaire, un tel discours est quasi révolutionnaire. Le célèbre blogueur Wu Yue San Ren a écrit, le 28 mai, un commentaire où il appelle à « réhabiliter la grève et le syndicat »... « Que les médias ne nous disent pas que des grèves sont des « suspensions de la production », s’insurge-t-il. C’est un euphémisme ! Appellerait-on une manifestation une promenade ? Il est temps de construire un système syndical qui puisse régler les conflits entre patrons et ouvriers ! »

Messages

  • L’usine de Zhengzhou compte un peu plus de 100 000 employés, dont la majorité est née après 1990. Deux exemples sont donnés, au travers de deux inspecteurs rencontrés par The Economic Observer. Ils ont 19 et 20 ans, ce qui, après seulement sept mois passés dans cette usine, en fait déjà des "vétérans".

    Le schéma classique est d’avoir deux contrôleurs pour un peu plus de 100 ouvriers par chaîne de production. Ce travail d’inspection est au départ perçu comme valorisant et simple, il suffit de remonter les lignes de production et de superviser le travail des autres. La réalité fut assez différente.

    Aux 8h quotidiennes, s’ajoutent souvent 2h supplémentaires effectuées sur un principe de volontariat, mais c’est alors perdre le bonus qui y est associé. Les dortoirs sont éloignés, obligeant à des transports. La pause repas d’une heure est perçue comme trop courte et lors des périodes de montée en charge de la production, un seul jour de congés par mois est possible. Ensuite, un mois est travaillé en journée, le mois suivant la nuit. Certains toutefois parmi les salariés s’accommodent de ce traitement et multiplient les heures supplémentaires afin de gonfler leur salaire.

    C’est aussi un environnement monotone qui est décrit. Cette usine a poussé au milieu des champs, dans une région rurale, et le rythme journalier se réduit à travailler, manger et dormir. L’usine et ses dortoirs sont à peu près les seules installations présentes.

    Foxconn a bien procédé à des augmentations de salaire, mais elles ont été suivies d’une hausse rapide du coût de la vie, la nourriture ayant parfois doublé de prix en un an. Nourriture et cigarettes peuvent ponctionner d’un tiers le salaire mensuel, explique le site.

    L’environnement est également présenté comme propice à une petite délinquance et quelques violences entre employés. Quant aux pouvoirs publics, ils apparaissent obnubilés par les opportunités de croissance, voyant avant tout dans Foxconn le moteur de l’économie locale. La province du Henan a quasiment doublé ses exportations. À côté de cela, les prestations qui pourraient être offertes à ces milliers d’employés ne pèsent pas lourd, l’objectif des autorités est plutôt de continuer à faire s’étendre ces usines.

    L’une de ces inspectrices raconte ensuite qu’elle est constamment prise en tenaille entre les ouvriers et sa hiérarchie. Ses rapports peuvent compromettre le bonus annuel perçu par les responsables des chaînes de production qu’elle inspecte, des responsables qui vont alors faire pression par ricochet sur les ouvriers sous leurs ordres.

    De l’autre côté de l’étau, ce sont ses superviseurs qui lui assènent une forme de pression « Si vous avez fait un contrôle pendant 10h sans signaler un seul incident, nos chefs vont partir du principe que nous sommes incompétents ou penser que nous faisons mal notre travail, et nous serons nous aussi réprimandés » explique Wang Jing.

    Ce qui se traduit parfois par des injures de la part des plus jeunes ouvriers vis-à-vis de ces inspecteurs à peine plus vieux qu’eux, quand cela ne dégénère pas en petites violences plus physiques, pouvant impliquer plusieurs ouvriers contre un contrôleur. Cela est arrivé, au sein de l’usine ou en dehors des locaux après le travail sur le chemin du retour.

    The Economic Observer écrit :

    Wang est maintenant très prudente lors des visites d’inspection et elle essaie de maintenir un équilibre. Si elle passe en revue une ligne de production trop souvent, le chef de cette unité pensera qu’elle le harcèle. Si elle s’arrête plus d’une minute sur une chaîne, le responsable concerné viendra voir ce qui se passe et si vous ne partez pas il vous dira "Vous êtes en une tournée d’inspection, que faites-vous encore sur cette chaîne ?" Les menaces physiques deviennent parfois le dernier recours.

    La direction de l’usine a fait part auprès des inspecteurs de sa volonté de prendre en compte ces questions de sécurité. Mais il y a un problème bien plus fondamental, estime un professeur en sociologie de l’université de Pékin, qui étudie la situation de ces jeunes migrants venus travailler dans ces énormes usines. En relocalisant certaines installations à l’intérieur des terres, Foxconn a certes réduit ses coûts, mais il a omis un point essentiel :

    Il n’y a pas eu de changement dans le système de gestion. L’approche semi-militaire n’est pas appropriée pour de jeunes travailleurs migrants. Tant que les problèmes fondamentaux autour du mode de management, du cadre de vie et de l’environnement de travail ne sont pas améliorés, les problèmes qui se présentent aujourd’hui apparaîtront fréquemment à l’avenir.

  • Début mai 2010, la révolte gronde dans le delta de la rivière des Perles, l’une des régions les plus industrialisées de la Chine où sont implantés les équipementiers des constructeurs automobiles comme Volkswagen ou Toyota.

    Dans l’usine de transmissions Honda de Nanhaï, dans laquelle travaille Tan Zhiqing depuis presque trois ans, les ouvriers sont découragés : la majoration du salaire minimum mensuel de 831 yuans (161 $CAN) à 994 yuans (192,5 $CAN) annoncée par l’administration locale le 1er mai a été en partie annulée par la direction du site, qui a réduit de presque autant les avantages sociaux. Au final, le gain n’est que de 34 yuans (6,5 $CAN) par mois.

    Le 17 mai 2010, Tan Zhiqing, au lieu de rejoindre son poste de travail, appuie sur le bouton d’arrêt d’urgence et stoppe la production. Dans la foulée, 50 autres travailleurs débrayent. Quatre heures plus tard, ils sont 100 à rencontrer l’équipe chargée du management. Des négociations sont prévues pour les 20 et 21 mai. Elles échoueront. Le 22 mai, Tan entraîne 300 ouvriers pour un sit-in. Les patrons annoncent son licenciement. La grève s’intensifie jusqu’à attirer l’attention des médias internationaux. Le 4 juin, sous la pression, la direction accorde 500 yuans (97 $CAN) de plus par mois, soit 24 % d’augmentation. Succès inespéré. La grève se répand comme une traînée de poudre. Elle obligera Honda à arrêter la production dans quatre de ses établissements. Selon la fédération syndicale de Guangzhou, plus de 100 grèves éclatèrent les jours suivants.

    Le 6 juin, Foxconn, en réponse au scandale des suicides à répétition, annonce qu’elle relève les salaires mensuels de 1200 à 2000 yuans (60 % d’augmentation). Autour de l’usine Toyota de Nansha, 8 des 14 principaux fournisseurs connurent des conflits sociaux. Tous débouchèrent sur des augmentations significatives.

    Le 10 juin, Kevin Hamlin, analyste chez Bloomberg, estime que la Chine a atteint le « tournant de Lewis » (du nom de l’économiste Arthur Lewis, Prix Nobel 1979), c’est-à-dire le moment critique où la main-d’oeuvre d’une économie émergente n’est plus considérée comme illimitée, ce qui entraîne des hausses de salaire.

    En octobre, Yiping Huang, chercheur à l’Université de Pékin, affirme que « les économistes refusent encore l’idée que la Chine se rapproche du tournant de Lewis […], mais les milieux d’affaires considèrent y être, car il est de plus en plus difficile de trouver des employés, et les coûts salariaux grimpent en flèche ». Le salaire minimum augmentera en 2010 de 22,8 %, alors qu’il n’avait gagné que 12,5 % par an entre 2006 et 2010. Ce qui fera dire en 2011 à Geoffrey Crothall, du China Labour Bulletin : « La course planétaire qui consiste à produire au plus bas coût est terminée […]. On peut trouver des travailleurs moins chers en dehors de la Chine, mais il est impossible d’en trouver autant. »

    Depuis le printemps 2010, les conflits sociaux n’ont plus cessé. La Ligue des droits de l’homme rapporte que « la nouvelle génération de salariés supporte moins bien des conditions de travail éprouvantes ». Il ne se passe plus un seul jour sans qu’une grève surgisse, à l’instar de ce débrayage en mars 2015 chez des fournisseurs de Nike et de Reebok, où 5000 employés ont fait la rève. Les téléphones portables et les réseaux sociaux jouent dorénavant un rôle-clé en disséminant des informations continues auprès de millions de travailleurs, aussi qualifiés de « rebelles digitaux ».

    Par ailleurs, la majorité des multinationales occidentales ont mis en place des programmes d’achat responsable pour inciter leurs fournisseurs à instaurer des conditions de travail décentes. Ces entreprises ne le font pas seulement pour minimiser le risque de mauvaise réputation, mais aussi pour sécuriser leur approvisionnement. « Une meilleure transparence et l’implication des différents maillons dans une démarche de progrès ne sont pas qu’un moyen d’améliorer l’image des donneurs d’ordres. C’est avant tout une volonté d’adaptation afin de sécuriser le business », commente Nathalie Perroquin, vice-présidente « responsabilité sociétale » du groupe Coty.

    Le 28 mars 1985, à 10 heures, Ronald Reagan lançait la journée de courtage à Wall Street en frappant la cloche de la Bourse de New York et en s’exclamant : « We are going to turn the bull loose » (que l’on peut traduire par « Nous allons libérer les forces du marché »), marquant ainsi le point de départ symbolique d’une mondialisation débridée. Les historiens retiendront-ils que, 25 ans après, le 17 mai 2010, à 7 h 50, Tan Zhiqing lui répondait en tapant sur le bouton d’arrêt d’urgence d’une usine sino-japonaise en criant : « Don’t work for such low wages ! » (« Ne travaillez pas pour des salaires aussi bas ! ») ?

  • Soulèvement de mille personnes en Chine à Yongchang (Gansu) suite à la mort non accidentelle d’une jeune fille de 13 ans accusée de vol à l’étalage et arrêtée par les gardiens et qui a été jetée du haut d’un immeuble !!!

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