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Il est revenu, le temps des insurrections…

mardi 5 février 2019, par Robert Paris

L’auto-organisation et la bureaucratie, mariage de la carpe et du lapin

Céline Verzeletti, secrétaire confédérale du syndicat CGT, qui appelait à « bloquer l’économie » pendant… une journée (!) : « Personne n’a le monopole ni de l’action, ni de la grève, ni de la colère ». Sous-entendu, les gilets jaunes n’en ont pas le monopole. Jusqu’à présent, c’étaient les bureaucraties syndicales qui exigeaient le monopole de la direction de toutes les luttes !!! Le monde change mais pas vraiment les bureaucraties réformistes…

Il est revenu, le temps des insurrections…

Les commentateurs s’interrogent sur la manière de qualifier désobligeamment le mouvement des gilets jaunes : anarchie ou manipulation, blocages sauvages, révolte fourre-tout, mouvement multiforme, révolution ou fausse révolution, jacquerie ou retour des gueux, grand bazar ou chaos, délire ou prise conscience, lutte de classe ou mélange des classes, etc. Ils dissertent sur les raisons d’un tel déchainement dans un pays riche, développé, dirigeant du monde et se lamentent sur l’image donnée du pays dans le reste du monde, en passant sur l’image donnée par des gilets jaunes qui fleurissent aux quatre coins du même monde, imitant le mouvement en France…

Au-delà de l’hypocrisie malveillante de ces propos des médias aux ordres du pouvoir et aux mains des milliardaires, il y a un véritable étonnement face à une lutte qui ne ressemble à aucune autre, qui n’obéit à aucun des clichés provenant des époques précédentes, qui ne suit aucune règle connue, qui n’est dirigée par aucune organisation préexistante, par aucun syndicat ni aucun parti, qui refuse toute allégeance aux institutions de la société capitaliste et de son Etat, qui ne négocie avec personne, qui ne participe à aucune des tromperies électorales de la fausse démocratie du grand capital, même si certains de ses membres en sont tentés. Ils sont scandalisés aussi par le fait que ceux qui ont toujours été les silencieux, les plus démunis, ceux qui ne parlent jamais dans les médias, ont réussi à faire parler d’eux et même ont pris le devant de la scène. Macron reconnaît qu’il ne s’en remet pas qu’un gilet jaune parle autant qu’un ministre devant un média et il incrimine la naïveté des journalistes. Mais cela ne fait que témoigner de son désarroi face à la force de ce mouvement qui a passé tous les barrages, policier, médiatique, politique, social et même syndical.

En effet, les appareils syndicaux ont réellement fait barrage ! Ils ont appelé les gilets jaunes au calme. Ils les ont accusé de semer la violence, la haine, le racisme, le fascisme ! Dès le début, ils ont diffusé partout dans les entreprises l’idée que c’était la petite bourgeoisie qui menait la danse dans les gilets jaunes, tout en sachant parfaitement que c’était faux et que les « petits bourgeois » en question étaient en grande partie des « auto-entrepreneurs », ces nouveaux salariés sans contrat, sans statut, sans retraite, sans garantie d’emploi, ou encore des tout petits patrons, étranglés, poussés à bout, ne s’en sortant pas, les véritables alliés naturels du prolétariat.

Au début du mouvement, l’ensemble des syndicats et des associations antiracistes ou écologistes a fait barrage, sans aucune exception, diffusant partout l’image d’un gilet jaune raciste, fasciste, ennemi des immigrés, ce qui a été un élément déterminant empêchant la fraction immigrée des salariés, de la population pauvre et les banlieues de rejoindre un mouvement pour lequel elle éprouvait une sympathie évidente. L’autre élément qui a joué pour l’empêcher de se joindre a été l’effet d’années et d’années de propagande soi-disant antiterroriste, selon laquelle origine immigrée est synonyme de terrorisme soi-disant islamique. Les populations d’origine immigrée ont craint également que, si elles manifestaient avec des gilets jaunes, elles seraient les premières arrêtées, cognées, blessées, violentées par les forces de l’ordre. Là encore, elles n’ont eu aucun soutien pour entrer en lutte de la part des prétendues « organisations ouvrières » dont le soi-disant antiracisme n’a jamais agi pour empêcher cette cassure entre les deux fractions du prolétariat en France et leur union dans la lutte ! Aucune réponse à la propagande soi-disant antiterroriste n’a été donnée par ces organisations politiques et syndicales, de la gauche, de la gauche de la gauche et même de l’extrême gauche officielle, tous liés à des appareils syndicaux, tous liés à des associations soi-disant antiracistes, soi-disant antifascistes, soi-disant écologistes ou environnementalistes.

Sur ce dernier point, la défense de l’environnement, les écolos ont joué aussi un sale rôle en faisant passer les gilets jaunes comme des ennemis de l’environnement, comme des démagogues qui se moquent de la pollution de la planète, comme des égoïstes qui refusent tout sacrifice pour sauver la planète, profitant du fait que la cible du début du mouvement était une taxe à prétentions environnementalistes de Macron, cet ancien ami de Hulot qui avait sans doute mis lui-même la main au projet de taxe sur les carburants !!! Ces prétendus écolos n’avaient aucun souci du fait que nombre de travailleurs ne vivaient qu’en utilisant leur voiture et pas pour le plaisir et étaient déjà pris à la gorge par ce que cela leur coutait !!! Rien à dire non plus, pour ces écolos, sur le fait qu’on faisait payer les pauvres et pas les riches !!! On n’a pas trouvé aisément des soutiens des gilets jaunes parmi les dirigeants écolos alors que les gilets jaunes, eux, étaient souvent au contraire tout à fait conscients des méfaits de la pollution, des responsabilités des milliardaires dans la destruction de la planète… Ces écolos prêts à participer au gouvernement des milliardaires, avec la gauche comme avec la droite, n’étaient pas prêts à soutenir une révolte de ceux qui ne peuvent finir les fins de mois ! Ils permettaient ainsi à Macron d’ironiser sur le fait que les gilets jaunes s’occuperaient des fins de mois pendant que lui se préoccuperait de la fin du monde !!!

Et, pour une fois, ce menteur disait un peu la vérité : ce qui le préoccupe c’est la fin du monde capitaliste, une fin provoquée non seulement par l’effondrement économique mais aussi par l’irruption des masses exploitées et opprimées sur le terrain politique.

Eh oui, ce qui a gêné tous ces nantis, c’est que les prolétaires, les pauvres, les exploités pénètrent la chasse gardée des classes possédantes, interviennent politiquement. C’est aussi l’une des caractéristiques nouvelles du mouvement qui a gêné les syndicats, eux qui tenaient à rester sur le terrain revendicatif et toujours séparer la politique et la revendication économique ! Eh bien, les gilets jaunes n’ont pas seulement contesté une taxe, un impôt, un niveau des salaires, des retraites, des aides sociales, des allocations chômage, de la casse des services publics et autres questions économiques, mais ils ont remis en question la démocratie des milliardaires, le mode de fonctionnement d’un Etat aux mains des lobbys, des trusts, des banquiers !! Ils ont déclaré qu’ils voulaient mettre en place une véritable démocratie et ils ont commencé à se réunir dans ce but, non seulement pour revendiquer mais pour décider. Pour décider non seulement des revendications, des objectifs de la lutte mais aussi décider du futur mode de fonctionnement de toute la société, de la nouvelle démocratie à mettre en place en se passant des institutions vendues au grand capital !

Comment qualifier une telle nuée de comités, de réunions des blocages des ronds-points, des assemblées, des coordinations, et autres formes multiples d’organisation qui ont fleuri dans les coins les plus reculés, qui se sont reliés entre eux, qui ont passé des heures et des heures à tenter de se comprendre, d’étudier, d’apprendre à s’organiser, de s’écouter, alors que, pendant des années et des années, aucun mouvement syndical ou politique, dirigé par les appareils réformistes n’avait jamais permis une telle discussion de masse, une telle auto-organisation.

Les mêmes masses populaires pouvaient bien être convoquées dans les rues par les appareils réformistes, eh bien jamais cela ne permettait une telle liaison, un tel débat de masse, une telle apparition d’une organisation à la base. Et ce n’est pas un hasard car ces appareils sont viscéralement opposés à cette auto-organisation des opprimés et des exploités, comme ils le sont aussi à l’interprofessionalité du mouvement, à la liaison entre actifs, retraités et chômeurs, comme ils n’ont jamais permis aux plus démunis de s’exprimer, comme ils n’ont jamais permis non plus aux femmes pauvres, exploitées et écrasées de s’organiser et de sa battre. Et quand les nouveaux « gueux » ont pris la parole, ces appareils politiques, associatifs et syndicaux réformistes, loin d’être solidaires, se sont mobilisés, se sont exprimés CONTRE le mouvement !!! Ils ont pris prétexte que des militants de droite ou d’extrême droite y participaient, que des ultra-gauche aussi y participaent, que des blacks blocks y agissaient, qu’il y avait de la casse, et autres prétextes.

Mais la vérité, c’est que l’auto-organisation des prolétaires, que leur intervention sur le terrain politique, que la désobéissance à l’ordre établi, que l’action directe des gilets jaunes, que leur refus de négocier avec le pouvoir, que leur refus de déclarer par avance leurs actions et demander l’autorisation du pouvoir, c’est surtout cela qui rompt avec les stratégies réformistes et que ces appareils soi-disant ouvriers ou salariés n’ont jamais pratiqué et ne comptent toujours pas pratiquer.

Depuis, ces appareils se sont aperçus qu’ils ne pouvaient pas en finir avec le mouvement simplement en le discréditant, simplement en le bloquant dans les entreprises et que l’image qu’ils donnaient d’eux-mêmes dans la classe ouvrière risquait surtout de les discréditer eux plutôt que de discréditer les gilets jaunes parmi les travailleurs ! Du coup, ils ont pris le tournant et ont commencé des manœuvres soi-disant en vue de la « convergence » entre gilets jaunes et… syndicats !!!

Comme si on pouvait faire converger des piliers de l’ordre social avec une insurrection qui le remet en cause !!!

Eh oui, on l’a trouvé le terme qui décrit le mouvement actuel : c’est une insurrection, n’en déplaise aux appareils syndicaux, aux appareils politiques, à tous les réformistes et aux opportunistes des groupes d’extrême gauche officielle. C’est le cas des « insoumis » de Mélenchon, ces dirigeants de gauche de la gauche, y compris PCF et Parti de Gauche, qui ne s’insoumettent pas tant que cela à l’Etat du grand capital, qui ne refusent pas le pouvoir bourgeois, qui ne refusent pas la participation aux élections bidons, qui participent aux appareils syndicaux et autres institutions du pouvoir des milliardaires. C’est le cas aussi des groupes comme LO, NPA, POI, CNT, AL, Révolution permanente et autres qui sont davantage préoccupés de sauver les appareils syndicaux que de proposer des perspectives aux gilets jaunes. Ce qui caractérise l’intervention de ces groupes, c’est qu’ils n’appellent nullement les salariés des entreprises à rejoindre les gilets jaunes ni à s’organiser en comités de gilets jaunes mais appellent les gilets jaunes à faire leur jonction avec les syndicats en restant sur la base des méthodes classiques syndicales (pas d’auto-organisation, pas de comités, pas de décisions par la base, seulement des journées d’action, etc.). Tout au long du mouvement des gilets jaunes, des syndicats comme CGT et SUD ont jalonné de « journées d’action » syndicales et revendicatives qui n’ont joué aucun rôle dans le mouvement, qui n’ont d’ailleurs rien jalonné du tout, étant donné que c’étaient les manifestations des samedis, les « actes » des gilets jaunes, qui jouaient ce rôle de jalons de la lutte. Les rares et petits groupes d’extrême gauche (comme la Fraction, Voix des Travailleurs ou le PES et quelques trop rares autres) qui ont fait cet effort de tenter d’organiser des comités de gilets jaunes dans les entreprises et qui les ont encouragés par leurs interventions politiques se comptent sur les doigts d’une seule main !!! A l’inverse, tous les grands groupes opportunistes d’extrême gauche ne sont entrés dans le mouvement des gilets jaunes que comme chevaux de Troie des appareils syndicaux ! Ils ont présenté les journées d’action des bureaucraties syndicales comme des initiatives communes syndicats-gilets jaunes, comme le moyen de donner des perspectives nouvelles au mouvement, comme la solution pour que la lutte gagne les entreprises, comme l’issue pour être plus nombreux et faire fléchir le pouvoir. Ils se sont bien gardés de souligner que cela signifiait renoncer à l’essentiel : au caractère insurrectionnel du mouvement !!! C’est réellement un sale boulot que font ainsi les gauches, les gauches de la gauche et les extrêmes gauches opportunistes et il doit être dénoncé publiquement !!!

Oui, l’essentiel de l’apport énorme du mouvement des gilets jaunes à la lutte des classes en France et dans le monde, une avancée historique, c’est qu’il a marqué le retour du prolétariat sur la scène politique, l’auto-organisation de la lutte, l’union des exploités et des opprimés, le caractère explosif, l’action directe, le mélange d’objectifs économiques, sociaux et politiques que les classes possédantes sont incapables de satisfaire, tout ce qui caractérise une insurrection !!!

Ne laissons personne effacer par leurs manœuvres ce pas en avant des prolétaires et de tous les exploités !!!

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