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Qui était Yvan Craipeau

samedi 11 décembre 2021, par Robert Paris

Yvan Craipeau à gauche de Trotsky en 1934

Qui était Yvan Craipeau, secrétaire de Trotsky, militant trotskiste et secrétaire général du groupe troksite français à lépoque de Trotsky

Yvan Craipeau :

Les attentats contre Trotsky

Il nous faut revenir en arrière dans le temps pour parler du séjour que fit Trotsky en France, de 1933 à 1935.

Depuis de longs mois, la situation de Trotsky était un sujet d’inquiétude pour ses amis et ses camarades. Non seulement Trotsky était isolé de toutes les luttes ouvrières d’Occident, mais il se trouvait dans un pays où il n’avait aucun ami politique ; la Turquie kemaliste avait été reconnaissante à l’URSS d’avoir renoncé aux visées impérialistes de la Russie tsariste et « démocratique » sur Constantinople, d’avoir au contraire appuyé le jeune Etat turc moderne dans ses efforts pour maintenir son indépendance ; aussi les portraits de Lénine et de Trotsky avaient-ils les honneurs de la salle de séance au Parlement. Mais le gouvernement turc avait en même temps écrasé toute tentative des travailleurs pour s’organiser ; il n’existait en Turquie aucun parti communiste légal et pratiquement aucun parti communiste illégal. C’est un des rares pays où la IVe Internationale n’a jusqu’à maintenant jamais eu le moindre groupe organisé.

Cette situation était très dangereuse pour Trotsky. Pour organiser sa sécurité, il ne pouvait compter que sur quelques camarades étrangers du pays et de sa langue.

Or il ne manquait pas d’ennemis. En 1923, sa maison fut incendiée. L’organe du Parti Communiste Allemand, la « Rote Fahne » révéla un projet des gardes blancs pour l’assassiner, avec à leur tête, le chef réactionnaire Turkul. La haine des gardes blancs était en effet farouche. Ils n’oubliaient pas que Trotsky avait été leur principal ennemi, qu’ils avaient été écrasés par l’Armée Rouge créée par lui.

Sans aucun doute, la « Rote Fahne » utilisait des renseignements du guépéou et sur l’ordre du guépéou. Quelle était le sens de cette mise en garde ? Probablement un alibi, pour que, si Trotsky était assassiné par les gardes blancs, on ne puisse pas soupçonner le guépéou. A moins qu’il ne soit agi de camoufler une tentative d’assassinat par le guépéou lui-même.

L’Opposition Internationale mena campagne pour la défense de Trotsky. En France, les militants de la Ligue s’efforcèrent d’obtenir l’appui du Secours Rouge. Signalons à ce propos la réponse de Barbusse, écrivain stalinien de stricte obédience. Barbusse se dérobe, mais cela ne donne que plus de poids à ce qu’il est obligé d’avouer : « Sans doute on est mal venu à prétendre d’une façon absolue que Trotsky, grand animateur de la Révolution d’Octobre et créateur de l’Armée Rouge est un contre-révolutionnaire. Mais on fait facilement du contre-révolutionarisme en servant trop étroitement sa cause et en ne plaçant pas celle-ci à la place qu’il convient dans l’ensemble de la lutte internationale contemporaine. » (4 mai 1932)
(…)
La tentative d’assassinat montrait que le danger était pressant. Mais aucun Etat d’Occident ne voulait accepter sur son sol le dangereux chef révolutionnaire. Trotsky raconte dans son autobiographie comment la terre était pour lui « la planète sans visa ». Les sociaux-démocrates allemands, par exemple, avaient prétendu donner au bolchevik Trotsky une leçon de démocratie. En Allemagne au moins, n’importe qui pouvait trouver asile. Trotsky fit les démarches nécessaires pour bénéficier de cette généreuse hospitalité. Mais il s’avéra qu’on ne laisserait entrer le vieux leader que s’il pouvait prouver que sa santé exigeait impérieusement des soins médicaux et que c’était pour lui une question de vie ou de mort : la démocratie de Weimar ne lui offrait en définitive qu’un coin de cimetière.
En 1932, Trotsky avait pu sortir un instant de sa prison. Les étudiants socialistes de Copenhague lui avaient demandé de venir leur exposer les causes de la Révolution Russe. Trotsky avait obtenu les visas de transit. Un groupe de militants avaient reçu la mission de lui servir de gardes du corps pendant la traversée de la France, de Marseille à Dunkerque. Ils garderont le souvenir de la fulgurante apparition, de la haute silhouette, de l’éclair du regard surtout. Toute la nuit, Trotsky les interrogea sur la vie des organisations, sur les jeunes, sur les luttes ouvrières.
A Copenhague, il défendit avec flamme la Révolution Russe et la fit mieux comprendre. Dans ces conditions s’évanouissait tout espoir de voir le gouvernement socialiste danois accepter de transformer en autorisation de séjour le visa de passage. Trotsky dut regagner sa résidence forcée de Prinkipo.
Trotsky à Royan
Un an plus tard, sur l’intervention d’Anatole de Monzie, ami personnel de Rakowski, le gouvernement radical d’Herriot lui accorda enfin l’autorisation de séjour en France. C’était un gouvernement démocratique ; il ne fit pas faute de claironner à tous les échos combien la France était libérale pour accorder ainsi le droit d’asile à un tel chef révolutionnaire. Nous verrons bientôt les limites de ce libéralisme.
Trotsky n’était pas autorisé à résider dans la région parisienne. Ses camarades louèrent pour lui une villa à Saint-Palais, près de Royan. Pendant ce temps, les journalistes étaient aiguillés sur Royan : sa résidence devait rester secrète. Il fallait craindre les gardes blancs qui écumaient de rage et aussi le guépéou. Un camarade fut envoyé en éclaireur auprès des gardes blancs de la région. Un autre (J. Baussier) prît contact avec les militants communistes de Royan et de Saint-Palais ; il trouva dans le Parti communiste des dispositions telles que, quelque temps après, il amena auprès de Trotsky le propre secrétaire de la cellule communiste de Saint-Palais et que celui-ci adhéra à la Ligue (trotskyste).
Trotsky vivait dans la villa avec Nathalia, sa compagne et quelques camarades. Plusieurs jeunes lui servaient de secrétaires et de gardes du corps, parmi lesquels Van Heijenoort, son secrétaire à Prinkipo, Clément, jeune bolchevik-léniniste allemand, et Y. Craipeau. Chaque nuit, les militants montaient la garde et effectuaient des rondes ; ils accompagnaient « le vieux » chaque fois qu’il sortait. Trotsky n’acceptait pas sans protester cette vigilance qui le transformait en prisonnier perpétuel. (…)

Trotsky organisait sa vie systématiquement, afin que pas une minute n’en fût perdue. Tout était réglé en vue du rendement maximum. Etait réglementé jusqu’au court répit qu’il s’accordait pour aller donner la pâtée aux chiens ou pour se promener dans le jardin, en bavardant avec un des secrétaires. Trotsky détestait avant tout le désordre, le laisser-aller et la bohême. (…)

Il travaillait du matin au soir, intensément et méthodiquement, fatiguant plusieurs sténo-dactylos et secrétaires. Le soir, tous se réunissaient. Parfois se tenait une « réunion de cellule », fonctionnant comme un groupe de la Ligue. Le plus souvent venaient des visiteurs. Un soir, c’était Malraux, avec qui Trotsky discutait de la stratégie de la bataille du Yang-Tsé-Kiang. Un autre soir, c’étaient les dirigeants de l’Independant Labour Party anglais, vivement intéressés par le cours de marxisme élémentaire que leur donnait Trotsky. Celui-ci expliquait patiemment. D’autres fois, c’étaient les dirigeants du Parti Socialiste Ouvrier allemand (SAP), des partis ouvriers indépendants de Hollande, ou des sections de la Ligue Communiste Internationaliste. Trotsky connaissait la situation du mouvement ouvrier de chaque pays et brusquement, les événements particuliers apparaissaient, à la lueur de l’analyse marxiste, comme éclairés par les autres événements du monde.

Bien entendu, la situation en France et la vie de l’organisation française faisaient très fréquemment l’objet des discussions. Aux réunions du soir, se trouvaient presque tous les jours quelques camarades français, venus discuter avec « le vieux » comme on appelait familièrement Trotsky.

Le prétendu « ultimatisme » de Trotsky

A ce propos, il faut ajouter un mot contre la légende malveillante de la « dictature » de Trotsky. Incontestablement, il était entier dans ses convictions, passionné dans la discussion. Mais rien là de la morgue des « chefs infaillibles ». Avec les jeunes, il discutait sérieusement, avec cordialité et compréhension. Y. Craipeau éprouvait, dès 1933, des doutes sérieux sur le caractère ouvrier de l’Etat soviétique. Trotsky pesait avec soin les arguments, discutait honnêtement et sans polémique, n’hésitait pas à passer au crible de la critique sinon sa thèse générale – sur laquelle il ne varia guère jusqu’à sa mort – du moins certains aspects de sa thèse, comme la question de thermidor et la nécessité d’une révolution politique en URSS. Pour faire le point de ce débat, il écrivit « Thermidor et l’Etat ouvrier russe ». C’est lui qui devait convaincre son jeune interlocuteur (Y. Craipeau, qui le rapporte ici) de rédiger son analyse opposée à la sienne propre…

Trotsky participe à la lutte

Fin 1933, Trotsky avait obtenu l’autorisation de résider dans la région parisienne. Il vint habiter dans une villa de Barbizon. C’est là qu’il se trouvait lors des événements de février 1934. Ces événements, il les avait depuis longtemps prévus. Il avait annoncé leur dramatique importance. Aussi lui était-il impossible de rester en place. Il vint à Paris clandestinement. Il avait rasé sa barbiche pour ne pas être reconnu. Il tint plusieurs réunions avec la commission exécutive de la Ligue pour mettre au point les mots d’ordre à lancer sur le front unique, la milice ouvrière, l’armement du peuple. C’est ainsi que commença à être mis sur pied le « programme d’action » des bolcheviks-léninistes qui devait ensuite, étoffé et élargi, devenir en 1938, le programme transitoire de la IVe Internationale.

Les fascistes hurlent à la mort

Un des premiers actes du gouvernement bonapartiste de Doumergue fut dirigé contre Trotsky. Le 14 avril, une descente de police est opérée dans la villa de Trotsky à Barbizon. Il est remarquable de signaler que cette attaque correspondait à une violente offensive contre Trotsky dans les journaux de Hitler. Le 14 avril même la « Deutsche Wochenschrift » écrivait en énorme manchette : « Trotsky derrière les troubles en France. » Avec un sous-titre : « le vieil incendiaire organise le bouleversement de l’Europe occidentale. Une centrale secrète à Paris – la légende de la retriate de Trotsky. Les consignes de Trotsky pour la guerre civile aux communistes allemands. »

Le journal hitlérien se plaignait amèrement du droit d’asile donné en France à « l’ennemi le plus farouche de l’Allemagne nazie ». Le Deutsche Wochenschrift attaque violemment la Ligue Communiste Internationaliste ; elle précise l’inquiétude naissante des dirigeants réactionnaires français devant les mots d’ordre de Trotsky et conclut « Il faut expulser l’incendiaire ». L’ « Angriff » de Hitler reprend le même thème.

Aussitôt, comme sur un signal, toute la presse réactionnaire et fasciste se met à son tour à aboyer contre « l’incendiaire Trotsky », le « criminel de Brest-Litovsk », sa vie « fastueuse », ses prétendus « domestiques », les mots d’ordre trotskystes d’alliance ouvrière et de milice ouvrière. L’ « Action Française » royaliste a ouvert le feu. « Trotsky à la porte » hurle « l’Ami du Peuple » du milliardaire réactionnaire Coty. « Chassons-le comme un chien » glapit « la Liberté », de l’immonde Camille Aymard, qui devait plus tard devenir le journal de Doriot.

Voici comment « le Jour » du fasciste Léon Bailly justifie sa haine :

« Trotsky, extrémiste de gauche, adversaire des concessions aux koulaks et des négociations avec l’étranger ne s’est jamais écarté de la doctrine bolcheviste à l’état pur et c’est son intransigeance qui amena Staline à le prier d’aller propager à l’étranger sa doctrine de subversion permanente et totale. Pour nous, Français, la preuve est faite que la IVe Internationale n’est que la forme la plus violente de la IIIe, un succédané plus redoutable. »

« Le Journal » déverse des colonnes entières de calomnies et conclut :

« Que ce fauteur permanent d’agitation révolutionnaire et d’intrigues suspectes aille exercer ailleurs que dans notre pays sa dangereuse activité. »

« L’Humanité » et le « Secours Rouge » stalinien ajoutent leur note dans ce concert et, comme la presse fasciste, ils exigent l’expulsion de Trotsky.

« Le Matin » claironne en manchette : « Satisfaction est donnée au pays, Trotsky est chassé. »

Les protestations

D’un peu partout, les comités d’alliance ouvrière élèvent leurs protestations. Le Parti socialiste organise, avec la Ligue, un meeting de protestation dans le département de la Seine. Ecrivains et intellectuels rendent publique leur indignation. Signalons par exemple un manifeste qui dit : « Nous saluons à cette nouvelle étape de son chemin difficile, le vieux compagnon de Lénine, le signataire de la paix de Brest-Litovsk… l’organisateur de l’Armée Rouge qui a permis au prolétariat de conserver le pouvoir malgré le monde capitaliste coalisé contre lui. »

Le manifeste est signé par André Breton, René Char, René Crevel, Paul Eluard, Fernand Marc, Benjamin Péret, Yves Tanguy. D’autres intellectuels ajouteront ensuite leur signature, comme René Le Febre, Romain Rolland, J.R. Bloch, Léon Werth, André Gide, J. Cassou, Bernard Lecache, Jean Giono, Eugène Dabit, Alain, A. Wurmser.

Un autre manifeste paraît, avec la signature de Malraux et d’une dizaine d’écrivains. Un troisième est signé d’une dizaine d’artistes de l’A.E.A.R., filiale communiste, parmi lesquels, notamment, Sylvain Itkine.

Le professeur Langevin accepte la présidence d’honneur d’un meeting de protestation. A meeting, qui groupe 800 personnes, on vient lire une déclaration de Romain Rolland : « Ce sera l’opprobre éternelle de la démocratie française qu’elle ait refusé à Léon Trotsky l’asile qu’il était venu lui demander. C’est la honte de l’Europe que la Turquie lui ait donné une leçon de dignité. »

D’autres manifestations de solidarité ont lieu en province, par exemple à Lille ou à Montpellier avec le Parti Socialiste, la CGT, les Jeunesses Socialistes, la Fédération Unitaire de l’Enseignement et la Ligue, dans un meeting ou parle Vallière. La Fédération Unitaire de l’Enseignement exprime son indignation véhémente. Même le journal de la fraction stalinisante dans la SFIO, l’ « Action Socialiste », doit faire entendre sa protestation.

Trotsky en résidence surveillée

Mais où chasser Trotsky ? Aucun pays ne l’accepte. Dès lors, le gouvernement Doumergue doit se contenter de le mettre en résidence surveillée. Trotsky est relégué dans un village des Alpes, près de Grenoble (Domène) où il est surveillé sans cesse par plusieurs policiers qui ont mission de ne laisser personne pénétrer auprès de lui. Bien entendu, à de rares intervalles, les militants réussissent pourtant à forcer le blocus.

Les provocations fascistes continuent. C’est ainsi par exemple que le 29 décembre 1934, au moment de l’assassinat de Kirov, « le Matin » publie la manchette suivante : « Staline annonce-t-on de Moscou, a demandé l’expulsion de France de Trotsky… Souhaitons que la nouvelle soit exacte ; nous serions d’accord pour une fois avec le chef du communisme. »

« L’Ami du Peuple » précise : « A la porte Trotsky. Son maintien parmi nous constitue un outrage à nos morts… Qu’attend-on pour l’extrader et l’envoyer à Moscou ? Tant pis si le voyage se termine mal pour lui. »

En même temps, dans l’Humanité, Duclos mène une campagne parallèle et monte une provocation où Trotsky est dénoncé comme l’instigateur du meurtre de Kirov.

Duclos y prétend que le journal trotskyste « La Vérité » du 15 décembre faisait « l’apologie de l’assassinat ». or voici la conclusion de l’article paru dans ce journal : « Quant à notre position, il serait vain de répéter qu’elle ne saurait être que celle de la condamnation la plus absolue, la plus nette, la plus rigoureuse de cet attentat, comme de toute méthode terroriste en général, qui ne peut servir qu’un but : défricher la voie au bonapartisme et au fascisme en URSS. » Signé meunier, c’est-à-dire Trotsky.

En même temps que le guépéou entre ainsi en action, les gardes blancs continuent à s’agiter. Or, devant ces dangers accrus, Trotsky étant en résidence surveillée, ses amis sont impuissants à le protéger effectivement. Aussi essaye-t-on d’obtenir un visa pour l’Angleterre (avec l’intervention de l’ILP) et pour d’autres pays. A chaque fois, un refus lui est opposé sous la pression du Kremlin.

C’est la Norvège qui, en 1935, lui accorde enfin l’autorisation de séjour – la Norvège où gouverne le parti socialiste « de gauche », le NAP. les flons-flons démocratiques en Norvège même ne dureront pas longtemps. Sous la pression conjuguée des fascistes de Quisling et du gouvernement de Moscou, les « socialistes de gauche » ne tarderont pas à chasser encore une fois Trotsky, sans cesse traqué pour son attachement irréductible au socialisme révolutionnaire. »

Extraits du livre d’Yvan Craipeau, « Le mouvement trotskyste en France »

Le récit d’Yvan Craipeau, l’ancien secrétaire général du groupe trotskyste de France à l’époque de Trotsky :

« Nous ne descendons pas de Jeanne d’Arc (dans les années trente, les staliniens français reconvertis au nationalisme bleu blanc rouge, après l’entente Laval-Staline, ont trouvé des accents vibrants pour se redonner des racines nationales dont Jeanne d’Arc et la Marseillaise !)

Commençons par un aveu. Notre Parti n’est pas le fils spirituel de Jeanne d’Arc ou de Louis XIV, de Vercingétorix ou de Monsieur Clemenceau. Ceux dont il se revendique dans le lointain passé, ce sont les esclaves de Spartacus insurgés contre leurs maîtres, les serfs du Moyen-Age brûlant les châteaux des seigneurs, les sans-culottes et les ménagères républicains de Jacques Roux, qui pendaient les accapareurs à la lanterne, les canuts de Lyon qui dressaient sur leurs barricades la fière devise : « Vivre en travaillant ou mourir en combattant ».

Ceux dont notre Parti se revendique, ce sont tous ceux qui ont lutté au service des exploités et des opprimés, quelle que soit leur nationalité ; le Français Blanqui dont l’exemple guidait les prolétaires sur les barricades de 1848 et de 1871, les Allemands Karl Marx et Frederic Engels qui, il y a un siècle, lançaient au monde le Manifeste Communiste : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous » - les Russes Lénine et Trotsky qui, pendant la guerre de 1914, redressaient le drapeau rouge de l’internationalisme abandonné par les social-patriotes de tous les pays : les Vandervelde, les Mussolini, les Ebert et les Cachin qui se vautraient alors dans l’union sacrée avec leur bourgeoisie nationale.

Les rythmes de l’histoire

Car tel est le drame de notre époque, comme de toutes les périodes où la société change de peau. Si les classes antagonistes avaient clairement conscience de leurs intérêts et de leur devenir, la lutte ne durerait pas longtemps : les classes privilégiées aux effectifs restreints perdraient le pouvoir dès qu’elles se montreraient incapables de promouvoir l’humanité dans la nouvelle étape de son histoire.

Or il n’en est rien. La révolution bourgeoise n’a eu lieu en France par exemple, que deux siècles après la Hollande, plus d’un siècle après l’Angleterre, alors que la féodalité jouait depuis des siècles déjà un rôle parasitaire. C’est que les classes sociales sont loin d’être homogènes, et qu’elles ne prennent pas automatiquement conscience de leur intérêt général : l’histoire des sociétés se déroule dans le cadre des lois naturelles, économiques et sociologiques. Les lois la déterminent aussi rigoureusement qu’elles déterminent chacune de nos actions. Mais cela ne signifie pas fatalité. L’histoire est faite par les hommes, leurs groupements, leurs partis ; elle avance, piétine, recule en fonction de leurs luttes, de leurs défaites et de leurs victoires dans les diverses parties du monde.

Flux et reflux gigantesques qui font l’histoire du monde. Quoi d’étonnant s’ils durent des décennies ? L’individu veut ramener à son échelle les délais de l’histoire. Le révolutionnaire a tendance à s’impatienter et à se décourager parce que les progrès sont trop lents. Il lui arrive de verser dans le scepticisme parce que les événements prennent des chemins imprévus. C’est le moment de répéter une fois de plus avec le philosophe « ni rire, ni pleurer : comprendre ».

En fait, ce qui frappe celui qui réfléchit, ce n’est pas la lenteur de l’évolution ; c’est la rapidité tumultueuse des événements qui se succèdent depuis quelques décennies comme les grosses vagues aux jours de tempête. Ce n’est pas l’imprévu du cours de l’histoire, c’est au contraire le déterminisme de ses lois. Ce ne sont pas les retards qu’y apportent les agents de la bourgeoisie dans le camp ouvrier, c’est au contraire l’inexorable décadence de la bourgeoisie, malgré ses alliés, l’implacable marche au socialisme qui se fraye laborieusement la voie malgré eux.

Le réformisme

De tout temps la bourgeoisie s’est efforcée de chloroformer le prolétariat en utilisant sa presse, sa littérature, son église, sa morale. Devant la montée de la force prolétarienne elle a été amenée à utiliser les organismes de défense du prolétariat : les syndicats et les partis ouvriers qui se donnent comme but le renversement du régime capitaliste. Mais la nécessité même de la lutte entraîne la formation d’états-majors permanents. Or, à de rares exceptions près – où l’histoire fait un bond en avant – qui dit lutte dit compromis. Dans cette lutte dont l’issue fatale apparaît lointaine à l’échelle d’une génération, les dirigeants ouvriers ont tendance à s’installer dans le compromis et à en vivre. Ils en vivent d’autant plus que la bourgeoisie des pays avancés peut faire des concessions à son prolétariat, lui abandonner des bribes de ses profits, particulièrement des surprofits réalisés par l’exploitation des peuples coloniaux.

De là, depuis un siècle, les tendances corporatistes du syndicalisme, qui tendent à tirer quelques miettes du patronat pour une couche privilégiée de travailleurs en échange de sa neutralité dans la lutte générale des prolétaires contre les exploiteurs. De là, la puissance des dirigeants réformistes des syndicats qui, en échange de quelques avantages partiels, s’entendent avec la bourgeoisie pour lui assurer les plus gros bénéfices, lancent aux ouvriers les mot d’ordre « produire d’abord », opposent les catégories entre elles, et interviennent en jaunes au cours des grèves. roupant tous les travailleurs pour la défense de leurs revendications, le syndicat est, par nature, l’organisme des luttes partielles en même temps que la conscience de classe contre le patronat. Il engendre le réformisme.

Les partis ouvriers, au contraire groupent une avant-garde, consciente de la nécessité de lutter systématiquement pour abattre le régime. Est-ce à dire qu’ils soient à l’abri du réformisme ? Bien loin de là. Ils sont amenés à lutter sur les terrains où les barrières des classes apparaissent moins nettement, où la bourgeoisie est la plus forte, où la corruption est la plus facile : telles sont les municipalités et les parlements.

Au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle, enrichie par l’exploitation des colonies et le développement de la production, la bourgeoisie en plein essor peut se permettre des réformes sociales. La plupart de ces réformes, du reste, la servent au premier chef : par exemple en lui permettant l’utilisation la plus rationnelle d’une main d’œuvre mieux logée, mieux nourrie, plus instruite, plus cultivée et mieux disposée.

Rien d’étonnant à ce que se constitue dans les partis ouvriers une aile réformiste qui fait de ces réformes l’objectif essentiel. Tels sont les Fabiens en Angleterre, les possibilistes en France. Partout se dessine une aile électoraliste, parlementariste. Partout les « révisionnistes » s’efforcent, comme Bernstein en Allemagne, de contester la rigueur de la lutte des classes ou la nécessité d’une révolution prolétarienne…

C’est ainsi que, minée par le réformisme, la IIe Internationale se disloque lamentablement dès les premiers jours d’août 1914. Chacun des partis « socialistes » se retrouve aux côtés de sa bourgeoisie nationale, prêchant la guerre contre les prolétaires des autres pays ; même Jules Guesde entre dans le gouvernement bourgeois. Jouhaux prêche la production des ouvriers. Hervé embrasse le drapeau tricolore qu’il avait naguère planté dans le fumier. Chargé de mission par le gouvernement français et avec les fonds secrets, Cachin aide Mussolini à monter, en faveur de l’intervention, le journal « Popolo d’Italia » qui devait devenir l’organe central du fascisme italien.

La IIIe Internationale et la révolution russe

La guerre impérialiste avait exacerbé les contradictions du régime. En Russie elles étaient plus fortes que partout ailleurs, en fonction même du retard économique du pays, de la faiblesse de sa bourgeoisie et de sa soumission au capital étranger, de la concentration relative de son prolétariat, du caractère féodal de la société qui dressait la paysannerie contre les propriétaires terriens, des oppositions nationales qui ajoutaient un nouveau facteur centrifuge à tous les autres. Ainsi minée par ses contradictions, la Russie formait le « chaînon le plus faible » du monde capitaliste. C’est là où la révolution prolétarienne pouvait vaincre plus facilement.

Telle était la thèse développée par Trotsky, dès avant la révolution russe de 1905. Dans le parti socialiste russe Trotsky occupait alors une place à part des deux fractions principales – mencheviste et bolcheviste.

Les mencheviks pensaient que l’étape à venir de la révolution serait bourgeoise, que les socialistes devaient favoriser cette révolution bourgeoise et devenir l’opposition démocratique d’un parlement bourgeois, comme en Occident.

Les bolcheviks pensaient que la Russie connaîtrait une étape intermédiaire ni ouvrière n bourgeoise, où les partis ouvriers et paysans exerceraient ensemble le pouvoir contre la bourgeoisie.

A ces deux schémas Trotsky opposait la théorie de la révolution permanente, affirmant le caractère continu du bouleversement qui se préparait. Cette théorie peut se résumer ainsi : la Russie, état arriéré, n’est pas encore passée par la révolution bourgeoise qu’ont accomplie depuis longtemps les pays avancés d’Occident. Le déséquilibre entre les vieilles formes de la société féodale et les formes capitalistes montantes posera rapidement le problème de cette révolution bourgeoise. Mais celle-ci se produisant tard, à une époque où le prolétariat a suffisamment de force et de cohésion, la bourgeoisie faible et veule sera impuissante à promouvoir ses propres tâches historiques. Ces tâches historiques progressives ne pourront être accomplies que par le prolétariat entraînant derrière lui son alliée, la masse des paysans travailleurs ; l’étape bourgeoise sera presque immédiatement dépassée et la révolution prolétarienne triomphera.

Cependant, ajoutait Trotsky, cette révolution, dans un pays arriéré comme la Russie, ne pourra définitivement vaincre si elle demeure isolée, si elle n’est pas rapidement aidée par la révolution internationale.

Critiqué à l’époque par les mencheviks et les bolcheviks, ce schéma devait s’avérer juste d’un bout à l’autre.

En 1905, l’autocratie réussit à se maintenir au pouvoir. Mais en 1917 la révolution prolétarienne d’octobre suivit de près la révolution bourgeoise de février. A ce moment, contre les mencheviks qui niaient la possibilité d’instaurer la dictature du prolétariat dans un pays arriéré comme la Russie, Lénine, et après bien des hésitations, l’ensemble des bolcheviks, s’orientèrent vers la prise du pouvoir, en plein accord avec Trotsky dont l’organisation restée jusque là dissidente, entra alors dans le parti bolchevik.

L’accord entre Lénine et Trotsky était alors total. L’un et l’autre considéraient la révolution russe triomphante comme la première étape de la révolution mondiale.

Aucun bolchevik d’ailleurs, aucun révolutionnaire, ne pensait alors différemment. En mars 1918, Lénine écrivait :

« La vérité absolue, c’est qu’à moins d’une révolution allemande, nous sommes perdus… Mais en tout cas, quelles que soient les vicissitudes possibles et imaginables, si la révolution allemande ne vient pas, nous périrons. »

Et le 23 avril de la même année il ajoutait :

« Notre état arriéré nous a poussés en avant et nous périrons si nous n’arrivons pas à tenir jusqu’au jour où nous rencontrerons un puissant appui du côté des ouvriers insurgés des autres pays. »

La IIIe Internationale

Aussi l’une des premières préoccupations des révolutionnaires victorieux fut-elle d’aider les prolétaires du monde entier à renverser leur bourgeoisie. Tel était le sens de leur premier appel par radio aux peuples en guerre, au lendemain de la prise du pouvoir. C’est aux travailleurs de tous les pays que s’adressaient Trotsky et les parlementaires soviétiques à Brest-Litovsk, par-dessus la tête des parlementaires allemands.

Les soviets fraternisaient avec les soldats des armées qu’envoyaient contre eux les états impérialistes et désorganisaient ces armées plus par la propagande que par la force.

Dès 1919, alors que la révolution russe était attaquée de tous les côtés par les blancs et leur alliés impérialistes, les délégués des partis révolutionnaires franchissaient le blocus et jetaient les bases de l’Internationale Communiste : la IIIe Internationale n’était pas une vague fédération de partis nationaux, comme la IIe, mais l’état-major centralisé de la révolution mondiale…

Irrésistible, la poussée des masses prolétariennes donnait la majorité aux communistes dans la plupart des partis socialistes d’Europe.

En France en 1920, lamajorité du parti socialiste passait aux « comités pour la IIIe Internationale ». Frossard et Cachin, après un voyage à Moscou, s’étaient prononcés par pour la IIIe. L’Internationale Communiste les avait acceptés comme « une planche pourrie vers les ouvriers français », mais elle avait posé des conditions précises à l’adhésion du parti socialiste français - notamment la rupture avec les social-patriotes et les pacifistes…

Contrairement à l’espoir des bolcheviks la vague révolutionnaire des années 1918 à 1921 – qui avait culminé en 1919 – fut brisée par la bourgeoisie et ses laquais social-démocrates. Battus, les Spartakistes, massacrés à Berlin, et dispersés les soviets allemands. Battues les républiques soviétiques de Bavière et de Hongrie ; battue, l’armée rouge en Pologne et en Finlande. Le Russie révolutionnaire seule restait debout, grâce à l’armée rouge forgée par Trotsky et au soutien des travailleurs des autres pays.

La révolution russe isolée

La Russie soviétique, isolée, était obligée de se replier sur elle-même, pour reprendre des forces en attendant une nouvelle crise révolutionnaire dans le monde.

Après six années de guerre et de guerre civile, après les années de famine, tandis que grondait l’hostilité paysanne aux réquisitions, l’économie soviétique était ruinée. Lénine et Trotsky durent opérer le tournant stratégique de la N.E.P. (Nouvelle Economie Politique), rétablissant le commerce privé. Le résultat fut une amélioration sensible du niveau de vie des masses russes, sous-alimentées de façon effroyable depuis la révolution. Mais en même temps se formaient de nouvelles couches sociales hostiles au communisme : nepmen (commerçant privés), koulaks (paysans riches), bureaucrates de l’ancien régime – que le bas niveau de culture du prolétariat russe n’avait pas permis de remplacer dans les divers rouages administratifs. Sans compter les bureaucrates du nouveau régime qui, les meilleurs combattants étant tombés le plus souvent dans la guerre civile, s’installaient dans les rouages du Parti, des coopératives ou des syndicats et de l’Etat, convaincus que la révolution était à son terme puisqu’ils étaient aux postes de commande et affirmant qu’il fallait renoncer aux « utopies » de la révolution mondiale.

Du danger contre-révolutionnaire que constituaient l’existence et le développement de ces nouvelles couches sociales, Lénine se rendit compte avant sa fin. L’échec d’une nouvelle tentative révolutionnaire allemande, en 1923 vint renforcer ces tendances nouvelles. Lénine se demanda alors : « Le gouvernement ne nous échappe-t-il pas ? » et de son lit de malade, il tenta de mener la lutte contre l’encrassement bureaucratique de la société soviétique.

Il entrevoyait déjà que les divergences d’intérêts des couches sociales dans la société soviétique pouvaient entraîner une scission dans le parti bolchevik. Il sentait déjà que les deux partis se regrouperaient autour de Staline et Trotsky et, dans son testament politique, il préconisait de remplacer Staline au poste de secrétaire général du Parti.

Mais, le 21 janvier 1924, terrassé depuis de longs mois par la maladie, Lénine mourait.

Après la mort de Lénine

A partir de cette date, la dégénérescence de la révolution russe isolée va en s’accélérant. Nous allons voir se dérouler une lutte inégale et bientôt sanglante. D’un côté l’appareil bureaucratique qui s’efforcera de maintenir et d’accroître ses privilèges en s’appuyant sur les éléments conservateurs du pays. De l’autre l’avant-garde révolutionnaire, les plus valeureux combattants de la guerre civile, luttant pour conserver la révolution aux prolétaires et pour garder à la révolution russe son caractère internationaliste.

D’un côté un appareil bureaucratique qui réussira à stabiliser son pouvoir en utilisant les paysans riches et les ouvriers les plus arriérés contre les ouvriers révolutionnaires, puis les ouvriers révolutionnaires contre les paysans et les nepmen devenus menaçants ; une bureaucratie qui supprimera toute démocratie dans le parti communiste, éliminera les travailleurs du pouvoir et accroîtra ses privilèges de manière démesurée. De l’autre une opposition de gauche de plus en plus écrasée, qui sera éliminée, puis exclue, puis massacrée, mais maintiendra les principes révolutionnaires et internationalistes sur lesquels s’était bâtie la IIIe Internationale.

D’un côté, les bureaucrates des partis communistes du monde entier qui abandonneront la politique léniniste de la révolution prolétarienne internationale pour la théorie stalinienne du « socialisme dans un seul pays » et qui mèneront la classe ouvrière de défaite en défaite ; de l’autre, une opposition internationale très faible qui s’organisera peu à peu sous la direction de Trotsky, au milieu des pires difficultés, avec l’objectif de redresser l’Internationale communiste – une opposition qui devra un jour rompre avec l’espoir d’un tel redressement et constituer la IVe Internationale…

Désormais, les « thermidoriens » de la Révolution Russe triomphent. Si la base économique de la société soviétique reste celle de la Révolution, tout est changé au point de vue politique. A la tête de l’Internationale Communiste, au lieu des révolutionnaires éprouvés de la veille, on voit apparaître les hommes des défaites, ceux dont la politique aventuriste ou opportuniste a causé l’écrasement des révolutions : Bela Kun, le vaincu du Hongrie, Kuusinen, le vaincu de Finlande, Koralov et Dimitrof, les vaincus de Bulgarie, l’Allemand Neumann, l’homme du putsch de Canton. En même temps se lèvent sur la scène politique d’anciens contre-révolutionnaires ralliés depuis peu au bolchevisme : Zasslavsky, qui avait traité Lénine d’agent de l’Allemagne, s’installe à la Pravda. Vychinsky, ancien menchevik de droite, saboteur du ravitaillement en Ukraine, joue un rôle de premier plan dans l’appareil. En Géorgie, des mencheviks ralliés persécutent les vieux bolcheviks.

Pourtant le prestige de Trotsky reste considérable en URSS où s’annonce une nouvelle crise. La bureaucratie n’est pas tranquille, même quand Trotsky est exilé aux confins de la Chine, Staline décide de l’exiler. Trotsky proteste de sa volonté inébranlable de rester en Union Soviétique. Il est traîné de force sur un navire qui le conduit en Turquie : le seul pays qui ait consenti à donner asile au grand révolutionnaire, au compagnon de Lénine.

Faiblesse numérique des oppositions communistes

L’exil de Trotsky en Turquie marquait une nouvelle étape. Jusqu’alors, il n’avait pas existé d’opposition internationale. Seuls avaient vu le jour des groupes oppositionnels hétérogènes et sans liaison. Trotsky exilé allait leur donner une cohésion politique et une organisation internationale. De tous les pays, des révolutionnaires vinrent à Prinkipo pour discuter avec lui.

A l’étranger, les ouvriers communistes étaient assez peu au courant des questions en discussion – qui leur apparaissaient des querelles d’état-major, théoriques et loin de leurs luttes immédiates. Dans l’ensemble, ils admirent assez facilement ce que leur dirent les grands journaux communistes : que Trotsky, Zinoviev et les autres leaders de l’opposition s’étaient écartés de la ligne bolchevique, niant les possibilités révolutionnaires de l’URSS.

C’est seulement dans les milieux dirigeants que la discussion était vive. En Belgique, c’était van Overstraten, jusqu’alors secrétaire général du Parti Communiste, qui passait à l’opposition de gauche. En Grèce, c’était Pouliopoulos, un des fondateurs du communisme dans ce pays. En France, c’était d’abord Souvarine, ancien secrétaire du Parti ; ensuite ses adversaires : Treint, qui lui avait succédé au secrétariat du Parti, Barré et momentanément Suzanne Girault. En Espagne, c’était Nin, ancien secrétaire de l’Internationale Syndicale Rouge. En Chine, c’était Chen Dou-siou, fondateur et secrétaire du Parti Communiste. Aux Etats-Unis et au Canada, c’étaient Cannon et Spector, dirigeants du Parti de ces pays. Tous furent exclus.

Nulle part pourtant ces exclusions n’entraînaient une scission importante. Seuls quelques fidèles suivaient les leaders exclus. Le plus souvent les opposants étaient des intellectuels, plus portés à s’intéresser au débat théorique. Même hésitant, l’ouvrier révolutionnaire voulait à tout prix rester dans le Parti, malgré ses erreurs, parce qu’il en sentait l’impérieuse nécessité quotidienne sur le lieu du travail. Il préférait abdiquer son esprit critique et faire confiance à la majorité, à l’Internationale. Ceux-là même qui approuvaient Trotsky ne voyaient guère ce qu’ils pourraient faire dans un groupement de propagande fractionnelle dont l’activité consistait à mener campagne contre le bloc des quatre classes en Chine ou contre le comité anglo-russe (alliance de la bureaucratie russe et de celle des syndicats anglais).

C’est seulement en Belgique et en Grèce qu’une fraction importante du Parti avait suivi l’opposition russe. Encore s’agissait-il de partis très faibles – surtout en Belgique.

Faiblesse politique des oppositions communistes

Les oppositions n’étaient pas seulement faibles numériquement. Formées dans des partis légaux, elles étaient loin d’être forgées du même métal que l’opposition russe. Elles étaient loin aussi d’être homogènes. En France par exemple, trois oppositions principales s’étaient succédées, se réclamant toutes de l’opposition russe : Souvarine et son groupe « Bulletin communiste », qui publiaient les articles de l’opposition russe mais s’étaient surtout dressés contre la « bolchevisation » du Parti et se réclamaient d’un communisme « démocratique » ; Paz et son groupe de « Contre le courant » qui écrivaient des articles dithyrambiques sur Trotsky, mais s’orientaient vers la social-démocratie et le syndicalisme pur ; Treint et « l’Unité Léniniste », formés à l’école manœuvrière de Zinoviev.

Van Overstreaten en Belgique, en Allemagne Urbahns et le « Drapeau du Communisme » penchaient vers l’ultra-gauchisme, tandis que les « bordiguistes » italiens repoussaient la politique de front unique et l’unité syndicale qu’ils avaient refusé d’admettre déjà lors du troisième congrès de l’Internationale Communiste…

C’est seulement en 1933 que l’Opposition de Gauche internationale définit sa plate-forme fondamentale en un document élaboré par elle et régulièrement adopté.

Pourquoi ne pas avoir construit de nouveaux partis révolutionnaires ?

Certains peuvent aujourd’hui reprocher aux « trotskystes » de ne pas avoir opposé dès ce moment aux partis communistes, des organisations révolutionnaires indépendantes. Mais il ne faut pas oublier deux choses. D’abord les divergences avec les communistes « staliniens » apparaissaient alors comme des divergences de stratégie qui, dans la plupart des pays, ne se traduisaient pas en divergences de classes dans la rue ou dans l’usine et dont l’importance de principe n’était sensible que pour des militants éduqués politiquement.

Ensuite, même si l’on avait pu déterminer théoriquement l’impossibilité du redressement révolutionnaire des partis communistes, il n’aurait pas été possible de rallier les ouvriers révolutionnaires sous le drapeau d’un nouveau parti. Ce n’était envisageable que dans certains pays en fonction de leur histoire particulière, comme en Grèce et en Hollande. Encore ces partis indépendants se différenciaient-ils des partis communistes, moins par leur programme communiste internationaliste que pour des raisons particulières au développement national du mouvement ouvrier : en Grèce par exemple, les Archéo-Marxistes avaient connu une existence indépendante avant le parti communiste. En Hollande le parti révolutionnaire indépendant était lié à la plus ancienne des organisations syndicales néerlandaises : le NAS.

A l’échelle internationale, c’était dans les partis communistes que se trouvait l’avant-garde de la classe ouvrière. Rompre avec cette avant-garde dévouée et combative, c’était prendre une très lourde responsabilité. Les « trotskystes » ne s’y résignèrent que plus tard quand il fut absolument prouvé que l’Internationale Communiste était devenue un organisme sclérosé, incapable de réagir même aux leçons les plus tragiques de l’histoire et quand il fut clair qu’elle servait irrémédiablement de courroie de transmission pour la politique anti-ouvrière et anti-révolutionnaire d’une bureaucratie soviétique solidement installée au pouvoir…

« La Vérité » et la Ligue Communiste

Jusqu’en 1929, les oppositionnels n’avaient constitué en France que des petites chapelles, groupant pour une bonne partie d’anciens dirigeants du PC, exclus pour leur lutte contre la direction ou pour leur soutien de l’opposition russe.

Dès 1925, Souvarine, ancien secrétaire du Parti, publiait dans le « Bulletin Communiste » les articles et déclarations de l’opposition russe, Rosmer et Monatte, deux militants des luttes syndicales, lancèrent « la Révolution prolétarienne » sous l’étiquette « syndicaliste-révolutionnaire »…

En 1929, la situation de l’opposition de gauche française n’était guère brillante. Plus exactement, il existait non une opposition, mais une poussière de petits groupes : la « Révolution Prolétarienne » de Monatte, le « Cercle Marx-Léniniste » de Souvarine, l’ « Unité Léniniste » de Treint (devenu « Redressement Communiste »), « Contre le Courant » de Paz ; la revue « la Lutte de Classe » de P. Naville et Gérard Rosenthal ; des groupes autonomes de Lyon et Limoges, un « groupe du vxe rayon », des groupes italiens. Ces groupes passaient leur temps en discussions intérieures, en polémiques et en pourparlers interminables, complètement coupés des travailleurs et du Parti Communiste – lui-même de plus en plus coupé des masses.

Comment en sortir ? Par des palabres nouvelles pour élaborer un programme commun ? Trotsky conseilla à l’opposition française de rompre avec cette stérilité. « Marx a jadis observé qu’un seul pas en avant réel du mouvement est plus important qu’une douzaine de programmes. »

Aller de l’avant, cela signifie agir. Et d’abord publier un organe régulier : « Vous êtes obligés de commencer avec un hebdomadaire. C’est déjà un pas en avant ; à condition, bien entendu, que vous ne vous arrêtiez pas là, que vous continuiez obstinément votre effort vers un quotidien ». Rassembler autour de cet hebdomadaire « tous les éléments sains, virils et vraiment révolutionnaires de l’opposition de gauche » rejetant « l’esprit de cercle, les intérêts et les ambitions médiocres ».

C’est ainsi qu’autour de « la Vérité », hebdomadaire de l’opposition communiste, s’opéra le regroupement de tous les oppositionnels décidés à l’action. Les autres groupes s’y rallièrent, ou bien s’effritèrent et disparurent. Paz s’efforça de lancer un hebdomadaire concurrent (« le Libérateur »), qui ne dura que quelques semaines. Seule « la Révolution Prolétarienne » continua à paraître, mais s’orienta plus délibérément dans le sens du syndicalisme pur…

Le journal n’avait de sens que comme arme d’une organisation. Or cette organisation n’existait pas. Le groupe qui s’était formé autour de « la Vérité » s’était quelque peu développé dans les premiers mois d’existence du journal. Le groupe de « la Lutte de Classe » avec P. Naville et G. Rosenthal, avait fusionné avec son noyau initial. Sa revue était devenue l’organe théorique de l’opposition… En avril 1930 fut constituée la Ligue Communiste (opposition de gauche)…

Ce n’était pas facile. D’abord parce que l’organisation était très faible : une centaine de camarades au plus dans tout le pays lors de la conférence de formation. La Ligue possédait très peu d’attaches en province. Même en comptant ceux qui se constituèrent peu après, elle ne comptait des groupes qu’à Lyon, dans l’Est (à Chaligny avec les camarades Paget et Florence, ouvriers communistes connus pour leur dévouement), dans le Nord – à Lille, à Halluin (avec Cornette, ancien responsable des Jeunesses Communistes du Nord), plus tard, à Montigny-en-Gohelle – ensuite à Tours (avec Bernard, ancien secrétaire du PC), à Dijon, puis à Marseille. Généralement, il s’agissait de quelques ouvriers communistes ayant joui d’une forte autorité mais désormais isolés…

Les effectifs les plus importants étaient ceux de la région parisienne. C’est elle qui dirigeait en fait la Ligue. Or, précisément, c’est là que les faiblesses de la Ligue étaient les plus apparentes. La région parisienne comprenait une forte proportion d’intellectuels, d’anciens responsables communistes désormais coupés de leur base… De plus, presque tous les ouvriers de la région parisienne se trouvaient être des militants immigrés. Non par hasard. Chassés de leur pays par la réaction, ils constituaient une avant-garde particulièrement combative ; ils ne bornaient pas leurs préoccupations à leurs problèmes nationaux. Ils étaient portés vers une vue plus large, plus internationaliste des problèmes ; ils avaient davantage tendance à approfondir les questions.

Cette forte proportion d’étrangers comportait ses avantages : elle garantissait le caractère profondément internationaliste de la Ligue, la portée internationale de ses préoccupations. C’est ainsi que la Ligue fut toujours au premier rang dans la lutte anticoloniale ; une de ses premières manifestations publiques fut la démonstration d’une centaine de manifestants indochinois et français devant l’Elysée, pour protester contre l’assassinat des révoltés de Yen-Bay. Parmi les manifestants indochinois, certains allaient être renvoyés dans leur pays et allaient y jouer un rôle de premier plan dans le réveil des masses populaires : au premier rang, Ta Thu-thau.

Mais cette forte proportion des étrangers dans la Ligue constituait aussi un lourd handicap. Non seulement ces camarades, sous la menace permanente d’une expulsion, étaient dans l’incapacité de participer à l’action politique (ventes, collages…) mais leurs préoccupations, leurs réactions, n’étaient pas celles des grandes masses.

Avec son noyau dirigeant formé surtout d’intellectuels et d’ouvriers étrangers, la Ligue était d’autant plus isolée des masses et de leurs préoccupations. Elle ressemblait à une organisation d’émigrés… La Ligue se ressentait de la faiblesse de ses antennes dans la classe ouvrière et de son absence de responsabilité dans ses luttes…

Les sympathisants mêmes hésitaient à quitter le Parti Communiste – « le Parti ». Etre exclu était un déchirement.

Ceux qui voulaient continuer la lutte se trouvaient isolés de leurs camarades, en butte aux attaques les plus violentes, aux calomnies personnelles les plus incroyables.

La plupart du temps, il s’agissait d’individus qui venaient à l’opposition un par un.

Parfois, il s’agissait d’un petit groupe. A Paris, c’étaient généralement des émigrés qui rompaient avec leur groupe de langue stalinien. Ils se trouvaient seulement un peu plus isolés, comme émigrés au deuxième degré. Tel fut le cas du groupe juif (qui réussit du reste à éditer son propre organe en yiddish : « Clarté »), d’un petit groupe hongrois, puis d’un petit groupe polonais. Ce fut le cas enfin des militants de l’opposition italienne – membres du comité central et du bureau politique du PC italien, qui passèrent à l’opposition : parmi eux Blasco et sa compagne Lucienne (avec Fosco, qui fonda, à la chute de Mussolini, la section italienne de la IVe Internationale)…

La bureaucratie stalinienne supprimait la démocratie non seulement dans le Parti, mais aussi dans les syndicats qu’elle contrôlait. Elle y était amenée par l’opposition croissante qu’elle rencontrait dans l’application de sa politique. Les syndicats révolutionnaires de plus en plus désertés, se trouvèrent bientôt assujettis étroitement à la bureaucratie du Parti Communiste. Le jour devait venir, bientôt, où ce parti allait cesser son opposition irréductible à la bourgeoisie et pactiser avec elle. ce jour-là, le mouvement syndical, contrôlé par lui bureaucratiquement, allait le suivre dans son évolution et s »intégrer de plus en plus dans l’appareil d’Etat bourgeois. On comprend par là toute l’importance de la lutte menée par une poignée de militants trotskystes et révolutionnaires pour la démocratie syndicale et la sauvegarde du syndicalisme révolutionnaire…

Le plenum de l’Opposition Internationale se réunit du 19 au 21 août 1933 avec les représentants des six principales sections (russe, allemande, française, grecque, américaine).

Il décida de rompre avec la IIIe Internationale et de cesser son rôle d’opposition. En conséquence, l’organisation internationale prit le nom de Ligue Communiste Internationaliste (bolchevik-léniniste)…

Le SAP allemand, le RSP et l’OSP de Hollande se déclarèrent d’accord avec la Ligue Communiste Internationaliste sur la nécessité de créer une internationale révolutionnaire. Ils signèrent la « Déclaration des quatre » qui reprenait à son compte le programme essentiel de l’opposition communiste…

Les sectaires ont vu avec indignation Trotsky s’efforcer d’opérer un regroupement vac des formations « centristes » dont certaines – horreur ! – venaient de la social-démocratie. Le sang de ces « puristes » ne fit qu’un tour. En dehors de la ligne droite et des abstractions virginales, ils ne connaissaient que la trahison…

Il est du reste savoureux de constater que cette opposition sectaire dans la Ligue Communiste Internationaliste était animée par l’organisation archéo-marxiste grecque. Celle-ci avait rallié l’opposition en 1930 et constituait une organisation forte de 2000 membres. Mais elle tenait avant tout à ce que le secrétariat international n’intervienne pas dans sa politique intérieure, notamment dans sa politique nationaliste à l’égard de la Macédoine…

Une opposition sectaire, à l’initiative des archéo-marxistes grecs se dessina dans la Ligue Communiste (France)… Les opposants démissionnèrent en bloc. Eux aussi montrèrent où menaient leurs conceptions d’organisation. Ils entraînaient la moitié des militants de la région parisienne, c’est-à-dire la moitié des forces vives de la Ligue. Appuyés par l’organisation archéo-marxiste, ils avaient fondé l’ « Union Communiste » et lancé le journal « l’Internationale ». Mais leur activité se borna à critiquer dans leur journal et leurs publications intérieures l’action de la Ligue et du secrétariat international…

Chez les militants, après l’effort intense et l’excitation qui dure depuis février 1934, apparaît une sérieuse fatigue. C’est un fait que, malgré la justesse de ses mots d’ordre (de front unique de la classe ouvrière), soulignée par la volte-face du Parti Communiste, malgré la publicité beaucoup plus grande que naguère donnée à ses idées, la Ligue Communiste ne s’est guère développée. Seules les Jeunesses Léninistes ont vu croître leurs effectifs en quelques mois. La réalisation du front unique barre la route à un développement indépendant. Un instant, la crise dans le Parti Communiste avait fait naître dans la Ligue de grands espoirs. Ceux-ci sont désormais anéantis. Depuis juillet, Doriot a choisi la voie de l’opportunisme et de l’affairisme municipal avant de s’engager dans celle de la bourgeoisie et du fascisme. Le tournant du Parti Communiste vers le front unique lui a rendu la confiance de sa base. Personne ne pense non plus que le Parti Communiste révolutionnaire puisse naître de pourparlers avec le Parti d’Unité Prolétarienne squelettique et composé pour les 9/10 d’affairistes municipaux avec leur clientèle : le comité central de la Ligue n’a accepté de nouer des pourparlers avec sa direction que pour éclairer les quelques véritables militants ouvriers qu’il compte dans ses rangs.

Trotsky écrit alors :

« La IVe Internationale peut naître… d’un regroupement des éléments révolutionnaires, de l’épuration et de la trempe de leurs rangs dans le feu de lutte. Elle peut aussi se former à travers la radicalisation du noyau prolétarien du parti socialiste et de la décomposition de l’organisation stalinienne. » (…)

Trotsky s’appuyait sur une réévaluation des partis qui se réclamaient de la classe ouvrière. Déjà, en juillet 1933, il avait souligné l’évolution à gauche des partis socialistes. Il avait rappelé que la IIIe Internationale s’était constituée « pour les 9/10e d’éléments centristes évoluant vers la gauche », y compris leurs dirigeants…

Trotsky, considérant l’évolution de la SFIO, estimait qu’elle avait cessé d’être un parti traditionnel, stable et homogène, pour devenir un conglomérat de type centriste, hétérogène, instable, composé d’éléments contradictoires : des bonzes réformistes ossifiés et des militants qui s’efforçaient de trouver la voie de la révolution…

« La Ligue peut et doit montrer l’exemple à ces milliers et à ces dizaines de milliers de militants révolutionnaires, d’instituteurs, etc., qui risquent de rester, dans les conditions actuelles, en dehors du courant de la lutte. En rentrant dans le Parti Socialiste, ils renforceront extraordinairement l’aile gauche, féconderont toute l’évolution du Parti, constitueront un centre d’attraction puissant pour les éléments révolutionnaires du Parti « Communiste » et faciliteront ainsi incommensurablement le débouché du prolétariat sur la voie de la révolution. » (…)

Tel était donc le tournant radical qu’il proposait aux militants de la Ligue pour empêcher leur isolement.

L’opposition dans la Ligue

Quand le bureau politique de la Ligue prit connaissance du texte de Trotsky (signé « Gourov ») presque tous furent atterrés et d’abord Pierre Frank. La majorité s’y rallia pourtant vite devant la pression des faits. Mais de nombreux militants restaient violemment hostiles.

Certains pensaient qu’il s’agissait d’un abandon de la politique léniniste. Ils croyaient à l’existence d’un principe métaphysique (semblable aux autres principes métaphysiques dont est peuplée la mythologie sectaire) – qui interdit aux communistes de se trouver avec des socialistes dans le même parti. Ils brandissaient avec indignation la charte fondamentale des communistes internationalistes qui proclamaient la le nécessité de maintenir « l’indépendance du Parti Révolutionnaire ». Comme si la Ligue pouvait prétendre à être le Parti Révolutionnaire ! Comme si, avant même de veiller à son indépendance, la tâche du moment n’était pas précisément de construire un tel parti !

Les plus intransigeants dénonçaient les « entristes » comme des capitulards. De même que les groupes sectaires, « bordiguistes » ou « Union communiste », ils vitupéraient « Trotsky-Kautsky ». Leu chef de file était Lhuilier qui devait, l’année suivante, adhérer au Parti Socialiste… et y rester…

D’autres, comme Pierre Naville, sans considérer les « entristes » comme des traîtres, estimaient qu’il n’y avait rien à tirer du Parti Socialiste, que c’était un parti social-démocrate et nullement centriste, et que la Ligue pourrait seulement s’y corrompre et s’y dissoudre…

Au congrès de la Ligue, 66 mandats contre 41 se prononcèrent pour l’entrée dans le Parti Socialiste ; tandis que la conférence régionale des Jeunesses Léninistes qui leur tint lieu de congrès se prononçait dans le même sens.

Les adversaires « de principe » devaient bientôt fusionner avec « l’Union Communiste » puis la quitter et rejoindre le Parti Socialiste.

Quant au groupe Naville, après avoir fait passer dans la presse un communiqué déclarant que la Ligue Communiste continuait son existence indépendante, lui aussi adhérait au Parti Socialiste… et en même temps que la majorité de la Ligue. Mais pendant plusieurs mois, il forma un petit groupe séparé.

La majorité de la Ligue s’organisait pour la nouvelle étape. Elle annonçait sa décision d’adhérer à la SFIO – dans un numéro spécial de « la Vérité » en septembre 1934.

La déclaration précisait :

« Dans les conditions présentes, continuer comme un petit groupe indépendant ne permettrait pas de jouer un rôle avec l’efficacité que réclame la gravité de la situation. C’est pourquoi nous avons décidé d’entrer, tels que nous sommes, avec notre programme et nos idées, dans le Parti Socialiste. Dans les rangs des sections du Parti Socialiste, côte à côte avec ses travailleurs révolutionnaires, avec la classe ouvrière de France, nous voulons, dans le combat commun contre la bourgeoisie, élaborer avec eux les meilleurs moyens, la meilleure méthode pour se libérer des chaînes du capitalisme…

Sans renoncer à notre passé et à nos idées, mais aussi sans arrière-pensée quelconque de cercle, en disant ce qui est, il faut entrer dans le Parti Socialiste : nullement pour des exhibitions, nullement pour des expériences, mais pour un sérieux travail révolutionnaire sous le drapeau du marxisme. »
(…)
La majorité des trotskystes (Craipeau, Rigal, Rousset) estimait que la présence des trotskystes dans le Parti Socialiste serait très courte, que leur tâche était de convaincre l’aile révolutionnaire et de construire avec elle le parti marxiste nécessaire pour aborder la crise révolutionnaire. Ils en tiraient la nécessité d’entrer « drapeau déployé », en utilisant d’emblée toutes les possibilités offertes par le libéralisme de la social-démocratie avant qu’elle se soit prémunie contre les révolutionnaires.

Les « entristes » adultes, au contraire (Molinier, Frank) pensaient qu’il fallait entrer dans le Parti Socialiste sans éclat, au besoin individuellement, chacun dans sa section de base. Leur perspective était longue. Ils considéraient du reste comme probable l’unité organique des deux partis ouvriers, désormais aussi réformistes l’un que l’autre, et envisageaient la construction du parti à travers une semblable expérience…

Les Bolcheviks-léninistes qui voulaient construire le parti révolutionnaire avaient dû entrer dans la social-démocratie afin d’en retrouver l’avant-garde. Or ils savaient qu’une autre avant-garde, autrement prolétarienne et importante, se trouvait dans les rangs du Parti Communiste.

De là cette idée, déjà exprimée par Trotsky, que la construction du parti révolutionnaire pourrait éventuellement s’opérer par un regroupement des éléments révolutionnaires de l’un et de l’autre parti…

Sur un point important, le groupe Bolchevik-léniniste força le barrage : la milice du peuple. C’était là un point essentiel de sa propagande…

Les Croix de feu s’attaquèrent au Parti Socialiste et mirent à sac la permanence de la Seine, rue Feydeau.

Cette fois, l’émotion fut profonde dans le PS et Marceau Pivert accepta le font unique proposé par les Bolcheviks-léninistes pour organiser la milice…

La progression de l’influence des Bolcheviks-léninistes (abréviation BL) dans le PS se manifestait lors des votes politiques dans le Parti : par exemple, dans la Seine, à la première session (mai) les B.L. obtenaient 805 mandats sur 5400. A la deuxième session (juin) le nombre de leurs mandats s’élevait à 1037 contre 2370 à la Bataille (Pivert-Zyromski) et 1570 à Paul Faure…

Au congrès de Mulhouse (juin 1935), les B.L. apparaissaient déjà avec un certain poids… Ils apportaient un programme cohérent de lutte de classes, d’action directe, de front unique révolutionnaire…

En mai 1935, le président du gouvernement français, Pierre Laval avait fait le voyage de Moscou et vu Staline et ils avaient publié un communiqué commun : « Mr Staline comprend et approuve pleinement la politique faite par la France pour maintenir sa force armée au niveau de sa sécurité… »

La bureaucratie réformiste du PS se sentait tout à fait proche d’eux…

Les B.L. se trouvaient devant une haine conjuguée de deux bureaucraties…

Les réformistes étaient prêts à tout pour se débarrasser des révolutionnaires – même à détruire leurs propres organisations…

Au congrès de Lille du PS (juillet 1935), les BL étaient exclus par une majorité de 2/3, la minorité – près du tiers du congrès – quitta la salle…

Mais le plus grave était la confusion au sein même des BL…

Confusion politique d’abord. C’est ainsi que le rapport de Zeller pour le congrès de novembre 1935 soutenait toujours le mot d’ordre de « Front Populaire de Combat ». Comme si les révolutionnaires pouvaient réclamer au Front Populaire (avec Herriot et Daladier !) de passer « à l’action »… Confusion d’autant plus dangereuse que le rapport avait été établi en accord avec les dirigeants du GBL, Molinier et Rous.

Ce rapport semait encore des illusions sur les possibilités de réintégration…

Quand les BL étaient menacées d’exclusion, Marceau Pivert organisa une nouvelle tendance : la Gauche Révolutionnaire. Cela représentait un certain progrès politique. Marceau Pivert rompait avec Zyromski, de plus en plus ouvertement social-patriote. Il reprenait le programme d’action du GBL, les mots d’ordre que les BL avaient popularisés dans le Parti Socialiste… Marceau Pivert disait en somme aux travailleurs socialistes : « Vous pouvez tenir le même langage que les trotskystes, tout en restant dans le giron socialiste. »

Plus tard, Léon Blum le récompensera par u strapontin dans le gouvernement de Front Populaire.

La situation des BL était difficile. Elle nécessitait une offensive politique vigoureuse. Au contraire, la direction du GBL n’avait cessé de tergiverser depuis le congrès de Lille. Au lendemain de Lille, Trotsky avait télégraphié de Norvège son avis : « Scission définitive fonction de l’accord Laval-Staline : préparer le nouveau parti »…

Une crise profonde traversa le GBL… R. Molinier et P. Franck arrivèrent avec non seulement le projet de leur journal « La Commune », mais jusqu’aux affiches imprimées en deux couleurs. La majorité du comité central refusa de s’incliner… En dépit d’un compromis conclu, Frank et Molinier continuèrent leur campagne publique pour leur nouvel organe et, malgré l’ordre formel de la direction du GBL, ils le publièrent.

Dès lors les derniers ponts étaient rompus. Déjà Trotsky s’était violemment prononcé contre « l’entreprise centriste de La Commune ». Il avait protesté contre les atermoiements et réclamé l’exclusion de R. Molinier. Celle-ci fut décidée d’abord par le secrétariat international…

Le groupe La Commune entrainait la moitié des GBL et avec eux les militants adultes les plus influents… Par contre, derrière la majorité du comité central et Trotsky se trouvaient les Jeunesses, qui constituaient une force déterminante.

Ainsi, au moment le plus critique de la rupture avec les réformistes, pendant que les révolutionnaires de la phrase jouaient les sirènes pour empêcher les ouvriers de rompre avec la SFIO, les BL se trouvaient divisés en deux tronçons hostiles qui gaspillaient leurs forces à éditer deux hebdomadaires concurrents et usaient leur crédit par des polémiques de la dernière violence les uns contre les autres…

L’approche d’une crise sociale d’envergure mettait à l’ordre du jour la formation du parti révolutionnaire. L’exclusion des révolutionnaires par les bonzes socialistes rendait cette formation plus urgente que jamais… La crise de La Commune retarda l’application de cette politique…

A la fin du mois de février, une conférence était convoquée pour les 7 et 8 mars en vue de construire le parti… Le secrétariat international fait distribuer à cette conférence une déclaration qui dit notamment :

« Le Secrétariat International de la Ligue Communiste Internationale a été informé tout à fait en dernière heure que le groupe Molinier organisait en huit jours ce qu’il appelait le Congrès pour le nouveau Parti en France. » (…) « Nous demandons à tous les militants honnêtes de condamner l’entreprise de division et de confusion du groupe Molinier… »

Voilà le climat dans lequel allait se trouver le nouveau parti trotskyste naissant le POI et son journal Lutte ouvrière alors que commençaient les grandes grèves de juin 1936 !!!

Les dirigeants Frank et Molinier étaient les principaux responsables des divisions, de la confusion politique et finalement de l’échec !!!

N’oublions pas qu’ils sont les fondateurs des deux principaux courants du trotskysme français actuel : LCR et POI !!! »

Yvan Craipeau, « Le mouvement trotskyste en France » :
Communisme ou fascisme ?
Tandis que l’Internationale Communiste (devenue le fief de Staline) bavardait sur la « radicalisation des masses », se préparait en Allemagne la plus terrible défaite de la classe ouvrière et de toute la civilisation.
L’Allemagne était une terre d’élection pour le fascisme. Le traité de Versailles, avec les réparations, les dettes de guerre, l’occupation et la perte d’importantes régions industrielles avaient entraîné la désorganisation de l’économie et la faillite de la monnaie. Nul pays ne subit aussi profondément que l’Allemagne les contrecoups du krach de Wall Street et les convulsions de la crise économique de 1929.
Plus de trois millions de travailleurs furent jetés sur le pavé. Des centaines de milliers de jeunes – dont une immense armée d’étudiants – n’avaient jamais été intégrés dans la production et n’avaient aucun espoir de l’être jamais. Il faut comprendre l’exaspération des classes moyennes réduites à la misère par l’inflation et la fermeture des débouchés internationaux. Pour l’Allemagne, prise à la gorge par la misère, il n’y avait que deux issues possibles : la révolution prolétarienne entraînant la réorganisation de l’économie européenne, planifiée dans le cadre des Etats-Unis Socialistes de l’Europe, ou alors un coup de force fasciste écrasant les revendications de la classe ouvrière, redonnant du travail à tous par un réarmement gigantesque qui permettrait à son tour à l’Allemagne de prendre la part du lion dans le partage des marchés internationaux.
Communisme ou fascisme ? Socialisme ou barbarie ? Tel était le dilemme. Des deux voies, laquelle suivrait l’Allemagne ?
Les travailleurs allemands avaient lutté pour le socialisme. Leurs soulèvements héroïques, de 1918 à 1923, avaient été écrasés avec le soutien actif de la social-démocratie, alors que la bourgeoisie était incapable de les réprimer elle-même – du moins au début. La social-démocratie s’était pendue aux basques de la bourgeoisie. Elle avait fait tirer sur les grévistes et les manifestants ouvriers. Elle avait aidé le grand Etat-Major à retrouver tout son pouvoir et largement subventionné le budget de la guerre.
Maintenant que la crise de Wall Street avait définitivement tari la source des munificences municipales et des libéralités réformistes, il n’y avait plus de place pour la démocratie de Weimar, son libéralisme de pacotille et son champion social-démocrate.
A chaque élection, la social-démocratie s’effondrait davantage, en même temps que les formations libérales bourgeoises. Avec sa propagande révolutionnaire (au moins en apparence), le Parti Communiste voyait ses suffrages monter à chaque élection. Mais son influence montait bien moins vite que celle des nationaux-socialistes. Ceux-ci utilisaient à fond la situation. Ils avaient rallié les fanatiques nationalistes des corps francs – déclassés, prêts à tous les coups de main. Ils apparaissaient comme les brigades de choc de la lutte contre les « antinationaux », marxistes et communistes. Pour mettre fin à la menace ouvrière, ils avaient obtenu des subventions massives, non seulement de la bourgeoisie allemande, mais aussi de la bourgeoisie de l’Angleterre et des Etats-Unis – sans compter celle des bourgeois chauvins de France, du type Schneider. Leur propagande excitait le chauvinisme exaspéré par la défaite, canalisait vers l’antisémitisme l’anticapitalisme du petit bourgeois borné, parfois même d’ouvriers arriérés ; promettait aux boutiquiers de les protéger contre les trusts juifs et, dans l’ambiance mystique de ses meetings et de ses démonstrations paramilitaires, donnait à la poussée humaine des déclassés et des petits bourgeois, l’illusion qu’elle constituait une force sous la direction providentielle de son Führer.
Aux élections de 1930, le Parti Communiste allemand passe de 3 300 000 voix à 4 600 000. Mais les nazis passent de 600 000 à 6 400 000 voix.
Social-démocrates et staliniens ouvrent la porte à Hitler
Les dirigeants des partis ouvriers, dans le monde entier, ne comprennent nullement les dangers. La social-démocratie compte sur sa puissance, sur ses manœuvres, sur les bourgeois démocrates, sur le centre catholique, sur le « Casque d’Acier » nationaliste, sur les Von Papen et Cie. Elle les soutient successivement au pouvoir, au nom du principe du moindre mal. En novembre 1932 encore, parce que les nazis ont perdu 2 millions de voix dans les élections présidentielles (mais ils en ont encore 11 500 000), Léon Blum exulte dans « Le Populaire » : « Hitler est désormais exclu du pouvoir. Il est même exclu, si je puis dire, de l’espérance du pouvoir. » Il ajoute, avec la perspicacité qui le caractérise : « Entre Hitler et le pouvoir, une barrière infranchissable est dressée. Et cet échec définitif (sic) du racisme est, par excellence, la victoire de la social-démocratie. » Ainsi, a réussi la tactique « des actes et inactions ( !) qui ont le plus surpris et le plus ému l’opinion française ».
Trois mois plus tard, le vieux maréchal Hindenburg, le Pétain allemand, que les socialistes ont fait élire contre Hitler à la présidence de la République – toujours au nom de la tactique du moindre mal – appelle Hitler au pouvoir.
Il est vrai que Blum n’est pas seul à répandre des illusions. L’Humanité écrit le même jour, sous la plume de Berlioz : « Le mouvement hitlérien, stationnaire en juillet, est sur le déclin. La mystique est brisée » (8 novembre 1930).
Comment les communistes staliniens comprendraient-ils le danger fasciste ? Ils sont alors aveuglés par la théorie de la troisième période. Pour eux, il n’y a aucune différence entre la démocratie bourgeoise et le fascisme. C’est ainsi que le dirigeant stalinien de l’Internationale Communiste déclare, en avril 1931, dans son rapport au XIe plénum : « D’où la première conclusion politique que, seul, un bourgeois libéral peut construire ou plutôt admettre, une opposition entre la démocratie bourgeoise et le régime fasciste, qu’il s’agit là de deux formes politiques principiellement différentes » (Internationale Communiste, 16 avril 1931, page 703).
L’arrivée au pouvoir d’Hitler ? Les communistes staliniens s’en moquent bien : « Le chancelier Brüning a fait tant de choses, qu’il restera à peine quelque chose pour un gouvernement Hitler » (Correspondance 16.12.1931).
Et ils plastronnent : « Ces messieurs les fascistes ne nous effrayent pas. Ils se liquideront plus rapidement que n’importe quel autre gouvernement » (Remmelé au Reichstag, le 14 octobre 1931). « Très juste » clame-t-on sur les bancs communistes.
Remmelé ajoute : « D’abord les fascistes, ensuite nous ! »
Le 6 août 1932, la « Rote Fahne », organe du Parti Communiste Allemand, déclare : « Les mesures de dictature fasciste favorisent le mouvement révolutionnaire. »
L’opposition de gauche (trotskyste) jette l’alarme
Au contraire, l’opposition de gauche jette l’alarme depuis 1930. le 12 décembre 1931, la Vérité est tout entière consacrée à une étincelante polémique de Trotsky.
Trotsky écrit dans « La clef de la situation est en Allemagne » :
« Sur le fond de la politique mondiale, qui est loin d’être pacifique, la situation en Allemagne se détache nettement.
Les leaders du prolétariat mondial ont un bœuf sur la langue. Ils croient se mettre hors d’affaire en se taisant… A la politique de Lénine, ils substituent celle de l’autruche… Après la troisième période d’aventure et de vantardises (période inventée par l’Internationale stalinienne), la quatrième période est arrivée, celle de la panique et des capitulations…
Si l’on traduit le silence des dirigeants actuels du Parti Communiste Russe en langage clair, ce langage signifie : fichez-nous la paix. »
Trotsky continue, prophétique :
« Le devoir de l’opposition de gauche est de donner l’alarme. La direction de l’Internationale Communiste conduit le prolétariat allemand à une catastrophe qui consistera en une capitulation causée par la panique, devant le fascisme. »
Il prévient :
« Eviter la bataille serait livrer le prolétariat à son ennemi. L’arrivée au pouvoir des « nationaux-socialistes » aurait pour effet avant tout, l’extermination de l’élite du prolétariat allemand, la destruction de ses organisations ; elle lui ôterait toute foi en lui-même et en son avenir ; l’œuvre infernale du fascisme italien semblerait probablement insignifiante en comparaison de ce que pourrait être le national-socialisme allemand…
Bien entendu, le fascisme qui triomphe pour le moment, tombera quelque jour victime des contradictions objectives et de sa propre inconsistance. Mais d’une façon plus immédiate, dans un avenir que l’on peut pronostiquer au cours des 10 ou 20 années qui vont suivre, la victoire du fascisme en Allemagne signifierait une rupture dans la tradition révolutionnaire, l’effondrement de l’Internationale Communiste, le triomphe de l’impérialisme mondial sous ses aspects les plus odieux et les plus sanguinaires.
La victoire du fascisme en Allemagne déterminerait inévitablement une guerre contre l’URSS…
Hitler, en cas de victoire, deviendrait un super-Wrangel de la bourgeoisie mondiale. Quiconque prêche une « retraite stratégique », c’est-à-dire une capitulation, est un traître…
Les propagandistes d’une retraite devant les fascistes, doivent être considérés comme des agents inconscients de l’ennemi dans les rangs du prolétariat.
Le devoir du Parti Communiste Allemand est de dire : le fascisme ne peut arriver au pouvoir qu’au moyen d’une guerre civile implacable et exterminatrice, sans merci. »
L’ennemi principal pour les staliniens : les socialistes
Mais, comment la classe ouvrière pourrait-elle se défendre et contre-attaquer, quand ses chefs la dressent en deux blocs violemment hostiles ?
En effet, pour défendre l’ordre capitaliste, les sociaux-démocrates n’hésitent pas à faire tirer sur les ouvriers communistes, comme le 1er mai 1929 le préfet de police « socialiste » Zoergiebel. Quant aux staliniens, pour eux, socialistes et fascistes sont des frères jumeaux.
C’est ce qu’explique encore Staline en 1932 :
« Le fascisme est l’organisation de combat de la bourgeoisie qui s’appuie sur le soutien actif de la social-démocratie. La social-démocratie est l’aile modérée du fascisme. Il n’y a aucune raison d’admettre que l’organisation de combat de la bourgeoisie puisse obtenir, sans soutien actif de la social-démocratie, des succès décisifs dans les luttes ou dans le gouvernement du pays… Il y a aussi peu de raisons d’admettre que la social-démocratie puisse obtenir des succès décisifs dans les luttes ou dans le gouvernement du pays… sans le soutien actif de l’organisation de combat de la bourgeoisie. Ces organisations ne s’excluent pas réciproquement, mais au contraire se complètent l’une l’autre. Ce ne sont pas des antipodes mais des jumeaux. Le fascisme est un bloc uniforme de ces deux organisations… Sans ce bloc, la bourgeoisie ne peut rester au gouvernement. » (Staline, cité par « Die Internationale », février 1932, page 68).
L’ennemi principal c’est donc le parti socialiste. Thaelmann, chef du Parti Communiste Allemand, déclare :
« Et cependant, il y a de telles tendances qui, devant les arbres nationaux-socialistes ne veulent pas voir la forêt social-démocrate. Parce que les nationaux-socialistes… ont pu remporter un important succès électoral, ces camarades sous-estiment l’importance de notre lutte contre le social-fascisme… En cela s’exprime indubitablement des indices d’une déviation de notre ligne politique qui nous fait un devoir de diriger le coup principal entre le parti socialiste allemand.
Face à ces fausses idées, nous devons établir en toute fermeté : les fascistes peuvent être battus, seulement si l’on démasque devant les masses ouvrières le Parti Socialiste Allemand, son alliance avec le fascisme et si on détache celles-ci des chefs socialistes » (Thaelman, « Quelques fautes », Die Internationale, novembre-décembre 1931, page 490).
Appliquant la ligne du parti, l’organe des syndicats rouges déclare :
« Chassez les petits Zoergiebel (les ouvriers socialistes !) de l’entreprise et du syndicat. »
La « Jeune Garde » des Jeunesses Communistes reprend :
« Chassez les social-fascistes des entreprises, des bureaux de placement, des écoles d’apprentissage. »
Jusqu’aux gosses de socialistes qu’il faut, selon les organisations staliniennes, frapper et chasser !
Faisant écho à ses grands frères, « le Tambour » des jeunes pionniers communistes (staliniens) s’écrie :
« Frappez les petits Zoergiebel dans les écoles et les cours de récréation ! »
Les rapports, comme on voit, sont rien moins que cordiaux ! L’unité d’action se porte bien ! Les chefs communistes ont tout simplement peur du front unique. Münzenberg écrit dans le « Rote Aufbau » du 1er décembre 1931 :
« Le Parti Socialiste Allemand menace de faire le front unique avec le Parti Communiste. »
Le front unique, les chefs staliniens le veulent bien, mais (« Rote Aufbau », 1-12-1931) « SANS et CONTRE la direction social-démocrate ».
Comme si les ouvriers socialistes pouvaient jamais accepter de faire front unique… sans et contre leur propre direction ! Des propositions de front unique ayant néanmoins été adressées à la CGT allemande (l’AGDB), Thaelmann attaque violemment cette « déviation » :
« Le fait que, par exemple, dans notre travail syndical révolutionnaire des propositions de front unique au sommet aient pu être faites à des directions générales de la CGT réformiste ou à quelque instance de la bureaucratie syndicale montre en même temps que notre lutte principale contre la social-démocratie n’a pas été menée assez résolument pour rendre de telles fautes possibles. » (Thaelmann, « Die Internationale », novembre-décembre 1931).
Tout au contraire, les staliniens n’hésitent pas à l’occasion à mêler leurs votes à ceux des nazis contre les social-démocrates. C’est ce qui se passe en août 1931 en Prusse : les nazis, de plus en plus en montée, utilisent une loi de l’Etat Prussien pour déclencher un plébiscite contre le gouvernement socialiste de l’Etat, contre la social-démocratie. Le Parti Communiste marche d’emblée, sous prétexte de transformer (?) le plébiscite brun en « plébiscite rouge ». Le gouvernement prussien passe à la réaction.
Cette politique du Parti Communiste Allemand s’accompagne d’une surenchère nationaliste pour essayer de concurrencer la propagande chauvine des nazis. Il reprend les mots d’ordre de « Révolution populaire » et de « Libération nationale », mobilisant les masses contre le traité de Versailles, se plaçant sur le même terrain que les nazis et faisant assaut de patriotisme avec eux. Or le poison chauvin mène inévitablement au fascisme. Telle est alors la politique du Parti Communiste Allemand de Staline. Elle constitue le digne pendant à la politique de capitulation et de moindre mal que pratique la social-démocratie. Toutes deux ouvrent, toute grande, la porte à Hitler.
L’opposition de gauche (trotskyste) appelle au Front Unique
A cette politique de suicide, Trotsky et l’opposition de gauche opposaient la voie de la lutte de classes et de l’unité d’action. Voilà, écrivait Trotsky, le langage que doivent tenir les communistes :
« Si les fascistes essayent de faire une insurrection, nous, communistes, nous allons lutter contre eux jusqu’à la dernière goutte de sang, non pas pour défendre le gouvernement Braun-Brüning, mais pour préserver contre l’étranglement et la destruction l’élite du prolétariat, les organisations ouvrières, la presse ouvrière, non seulement la nôtre, mais aussi les vôtres social-démocrates. Nous sommes prêts à défendre avec vous n’importe quelle maison ouvrière, n’importe quelle imprimerie d’un journal ouvrier, contre les attaques des fascistes. Et nous vous demandons de vous engager à nous venir en aide, au cas où nos organisations seraient menacées. Nous vous proposons le front unique de la classe ouvrière contre les fascistes. » (Léon Trotsky, 25 août 1931)
Tel avait été également le discours qu’avait tenu au Landstag de Prusse, le 8 juillet, le député communiste Seipold, oppositionnel de gauche (trotskyste), qui avait violemment attaqué le plébiscite fasciste et préconisé la république des conseils ouvriers.
En énorme titre, nos camarades allemands écrivent dans leur journal « Permanente Revolution » du 1er décembre 1931 :
« Le front unique avec les organisations du Parti Socialiste Allemand et de l’ADGB est le commandement de l’heure. »
L’appel de Trotsky devient de plus en plus angoissé :
« Thaelmann écrit : « Abandonnez vos chefs et rejoignez notre front unique sans parti ». Cela signifie ajouter encore une phrase creuse à mille autres. Ouvriers Communistes, vous centaines de milliers et millions, vous ne pourrez partir nulle part ; pour vous, il n’y aura pas assez de passeports pour l’étranger. Dans le cas où le fascisme viendra au pouvoir, il passera sur vos crânes et vos épines dorsales. Le salut n’est que dans la lutte implacable. Et la victoire ne peut être donnée que par un rapprochement dans le combat avec les ouvriers social-démocrates. Hâtez-vous, ouvriers communistes, car peu de temps vous reste. » (Lettre à l’ouvrier communiste allemand, 8.12.1931).
(…)
A ces appels au front unique, qui seul pourrait barrer la route à Hitler, les chefs staliniens répondent par un redoublement d’injures et de calomnies :
« Les trotskystes, écrit Thaelmann, voient l’arbre nazi afin de nous masquer la forêt social-démocrate » (Die internationale, mai 1932).
Et il ajoute :
« Trotsky veut, tout sérieusement, une action commune des communistes avec les assassins de Liebknecht et Rosa, de plus avec Zoergiebel et ces préfets de police que le régime de von Papen laisse en fonction, pour opprimer le prolétariat. Trotsky cherche à plusieurs reprises dans ses écrits, à détourner la classe ouvrière en exigeant des négociations de sommet entre le Parti Communiste et le Parti Socialiste Allemand » (l’Internationale Communiste, page 1329).
Un autre chef du Parti Communiste Allemand, Willy Münzenberg écrit dans « Rote Aufbau » du 15 février 1931 :
« Dans la brochure sur la question « Comment le national-socialisme sera-t-il battu ? », Trotsky ne donne toujours qu’une réponse unique, le Parti Communiste Allemand doit faire bloc avec le Parti Socialiste Allemand… Dans cette constitution de bloc, Trotsky voit le seul moyen de salut complet pour la classe ouvrière allemande contre le fascisme. Ou bien le Parti Communiste avec la social-démocratie, ou bien la classe ouvrière est perdue pour 10 ou 20 années. C’est la théorie d’un fasciste (!)… complètement perdu et contre-révolutionnaire. Cette théorie est la pire théorie, la plus dangereuse et la plus criminelle que Trotsky ait édifiée, dans les dernières années de sa propagande contre-révolutionnaire. »
Ainsi, Trotsky, de 1930 à 1933, était un fasciste… puisqu’il préconisait le front unique des partis socialiste et communiste contre le fascisme !!!...
Réformistes et staliniens capitulent devant Hitler
Ainsi, la politique du moindre mal des social-démocrates et la politique stalinienne du « social-fascisme » conduisait tout droit la classe ouvrière à la défaite. Il n’y eut pas même de combat.
Les partis qui se réclamaient de la classe ouvrière restaient pourtant puissants. Ils comptaient encore 12 millions d’adhérents, de puissantes centrales syndicales, des organisations militaires bien organisées, tant le « Front de Fer » social-démocrate, que le « Front Rouge » des communistes. Manquaient-ils donc de courage, les militants ouvriers socialistes et communistes ? Allons donc. Messieurs les insulteurs à gage de la classe ouvrière allemande oublient que, depuis 1918, les ouvriers allemands avaient donné à l’Europe l’exemple de l’héroïsme. Ils oublient les centaines et les milliers de martyrs ouvriers tombés sous les balles hitlériennes lors des batailles de rue qui faisaient rage depuis des années. Ou plutôt ils ne l’oublient pas ; mais ils cherchent à faire oublier la responsabilité de leurs Etats-Majors capitulards.
Les chefs sociaux-démocrates ? Leur politique n’était qu’une longue suite de capitulations. Il s’agissait pour eux, de se montrer les gérants loyaux de la bourgeoisie, pour qu’elle n’ait pas besoin de chercher des domestiques plus fidèles. Ils mettaient leur confiance, non dans l’action commune avec les communistes – ils étaient les ennemis de l’unité d’action autant que les chefs communistes – mais dans le soutien de Brüning (le chef du parti catholique allemand), des nationalistes de Bavière de von Papen ou Schleicher.
« Soyez calmes, soyez dignes » prêchaient-ils aux travailleurs attaqués par les nazis. Et après la prise du pouvoir par les nazis, on voyait Leipart, le Jouhaux allemand, lécher les bottes d’Hitler pour essayer de sauver la précieuse caisse de la CGT réformiste. Ce n’est pas de ces gens-là qu’on pouvait attendre le signal du combat.
Mais le Parti Communiste ? Plus l’échéance approche et plus on voit, par-delà ses rodomontades, s’amorcer sa capitulation sans combat.
En janvier 1933, le Parti Communiste Allemand participe, AVEC LES NAZIS, à la grève des tramways de Berlin.
Les nazis se font de plus en plus insolents. Le 22 janvier, sous prétexte de saluer la mémoire d’un de leurs « martyrs », le souteneur Horst Wessel, ils organisent une concentration sur la Bulow Platz, en face de la Maison du Parti Communiste aménagée en blockhaus : la Maison Karl Liebknecht. Il s’agit de mesurer la force de résistance de la classe ouvrière. Or le Parti Communiste ne réagit pas. En vain l’opposition de gauche (trotskyste) appelle à déclencher l’action. En vain elle appelle à l’organisation et au déclenchement d’une immense grève générale – à l’union des partis ouvriers pour une résistance effective.
Les chefs communistes reprennent les leitmotivs des chefs sociaux-démocrates :
« Restez calmes et disciplinés. Ne répondez pas à la provocation ».
Toute la journée, les chemises brunes paradent devant la maison Karl Liebknecht.
Et Thaelmann écrit : « Egalement le 22 janvier (le jour de la manifestation nazie devant la maison Karl Liebknecht) eut lieu sous le signe du renversement des rapports de classes EN FAVEUR DE LA REVOLUTION PROLETARIENNE. »
Huit jours après, CERTAIN qu’il n’y aura pas de résistance ouvrière, Hindenburg appelle Hitler au pouvoir.
Pendant ce temps, les chefs réformistes continuent de bêler : « Pas d’action individuelle ! Restez calmes ! » (…)
La Pravda, journal officiel soviétique, se borna à un bref compte rendu, en troisième page, de la prise du pouvoir par Hitler. Elle précisa que cela ne signifiait nullement le moindre refroidissement des rapports entre Berlin et Moscou.
En mars, tandis que la terreur faisait rage contre les ouvriers communistes. Litinov se rendait à Berlin.
Le prolétariat allemand avait été trahi et livré. »

Masses, avant-garde, parti

Contribution à la discussion ouverte par « Sous le drapeau du socialisme »

de Yvan Craipeau

« Le problème essentiel dont il faut aujourd’hui discuter entre révolutionnaires est bien celui des rapports dialectiques entre l’avant-garde et les masses – qui définissent en même temps la nature du parti révolutionnaire. Ce problème peut-il être abordé à partir du pamphlet où Trotsky s’efforce de définir « nos tâches politiques » dans la Russie de 1904 ?

Deutscher avait déjà insisté sur la filiation des conceptions « substitutionnistes » de Lénine avec la réalité de la société bureaucratique. « Que faire ? » substituant à la volonté des masses celle des comités révolutionnaires professionnels ; à celle des comités, atomisés par la division du travail conspiratif, la volonté du comité central ; enfin, au comité central lui-même, la volonté de son leader ; n’est-ce pas une préfiguration de la dictature stalinienne sur le prolétariat ? Dès lors, la polémique de Trotsky contre le substitutionnisme prend figure d’avertissement prophétique et de théorie générale pour un socialisme antibureaucratique.

C’est là une vue tentante, mais simpliste – parce qu’en dehors du temps et de l’espace. Trotsky écrit lui-même en 1904 que l’histoire tranchera la question de l’efficacité entre les conceptions de Lénine et les siennes propres. S’il s’est rallié aux conceptions léninistes, c’est précisément que l’histoire avait tranché, en effet – mais, bien entendu, sur le terrain de la lutte politique en Russie au début du siècle. Dans la Russie économiquement, culturellement et politiquement arriérée, les cadres archaïques de la société précapitaliste ne pouvaient être détruits que par une armée de révolutionnaires professionnels, utilisant, dirigeant, encadrant la révolte des masses prolétariennes et – au deuxième degré – celle des masses paysannes. Les conditions de la guerre civile ont fait que les masses prolétariennes ont perdu presqu’aussitôt la direction autonome de la révolution au profit du parti. Si elles en ont été dépossédées rapidement de tout pouvoir par une bureaucratie – amalgamant une fraction de l’ancienne bureaucratie et l’appareil des « comités »-, la raison n’en est pas l’idéologie léniniste « substitutionniste », mais bien l’arriération de la Russie qui avait rendu nécessaire la conception léniniste elle-même de l’organisation.

Dans la Russie exsangue et affamée d’après guerre, aucune « conception d’organisation » ne pouvait convaincre les travailleurs d’accepter librement les sacrifices nécessaires pendant au moins une génération pour constituer l’accumulation primitive. La marge du choix restait étroite. Elle le reste dans l’ensemble des pays sous-développés qui ont fait craquer les structures anciennes.

La formation d’une caste dirigeante qui se substitue au prolétariat tient non à la théorie de « Que faire ? », mais aux tâches objectives des sociétés de transition dans le secteur sous-développé : incapables de dépasser le capitalisme, elles ne peuvent que se substituer à lui pour le développement industriel.

Les rapports entre masses et pouvoir, masses et avant-garde, se posent en de tout autres termes dans les pays économiquement avancés. L’objectif n’y est plus de prendre en charge les tâches historiques du capitalisme, mais bien de le dépasser. L’accumulation primitive y est depuis longtemps constituée. L’enjeu révolutionnaire est non seulement d’empêcher une minorité d’accaparer les fruits de la progression rapide de la productivité, mais, beaucoup plus profondément, de dépasser l’organisation et la division capitaliste du travail, de surmonter les contradictions millénaires entre travail intellectuel et travail manuel, entre travail dirigeant et dirigé, entre la condition de l’homme et celle de la femme, entre société civile et société politique, etc.

Or, contrairement aux tâches de l’accumulation primitive, ces tâches ne peuvent être prises en charge par une caste privilégiée. Elles ne peuvent l’être que par les masses. Aussi n’est-ce pas par hasard si les révoltes prolétariennes contre le système bureaucratique ont commencé à Berlin, Varsovie, Budapest, Prague ou Gdansk (le prolétariat soviétique étant plus durablement tenu en tutelle par le système bureaucratique issu de la révolution).

A l’évolution des forces productives et de leurs structures, qui rend possible et nécessaire le dépassement du capitalisme, correspond une évolution de la classe ouvrière elle-même. Infiniment plus diversifiée et plus cultivée, elle n’a plus besoin de compter sur une avant-garde intellectuelle extérieure à elle-même (issue des classes dominantes) pour l’instruire et la constituer politiquement en classe. Sa propre avant-garde interne peut constituer elle-même l’intellectuel collectif qui lui permettra de se constituer politiquement en classe hégémonique.

Nous reviendrons sur cette thèse pour la nuancer. Mais il faut être d’abord conscients de ce qu’implique la thèse inverse – reprise de « Que faire ? » et que Lénine avait considérablement nuancée par la suite. Si la classe ouvrière ne peut être constituée en classe que de l’extérieur – par une avant-garde issue de la petite bourgeoisie -, il est absurde de penser que la délégation de cette « avant-garde extérieure » cessera par magie après la révolution. Le pouvoir ne pourrait être exercé qu’au nom de la classe ouvrière par cette avant-garde, c’est-à-dire par un parti se réclamant de la classe ouvrière.

Seule une classe ouvrière majeure peut assumer elle-même le pouvoir. Il est vrai qu’elle n’atteindra pas la prise et l’exercice du pouvoir. Mais elle ne changera pas de nature par un coup de baguette magique. Les groupes révolutionnaires affirment que la dictature du prolétariat signifie non la dictature d’un parti au nom du prolétariat, mais l’exercice du pouvoir par les conseils ouvriers et paysans, par la démocratie prolétarienne. Si ces affirmations théoriques ont un sens, c’est selon cette perspective qu’il faut concevoir les rapports entre masses et avant-garde, et, du même coup, la nature du parti révolutionnaire.

De ce point de vue, nombre des idées de « Nos tâches politiques » deviennent d’actualité… Mais c’est de la réalité présente que se nourrira la théorie, plus que d’un ouvrage qui n’est pas écrit pour elle. Le principal intérêt de « Nos tâches politiques » est de désacraliser « Que faire ? » en lui rendant sa valeur conjoncturelle.

Commençons par détruire un mythe. Beaucoup de révolutionnaires considèrent que l’efficacité des partis staliniens tient à ce qu’ils ont conservé des conceptions léninistes d’organisation. Bien sûr, admettent-ils, ils les ont dépouillées de la contrepartie démocratique du centralisme – affirmée dans les thèses de l’Internationale Communiste et mise en pratique par le parti bolchevique. Bien sûr, aussi, le parti s’est dilué dans une masse non militante. Mais les P.C. ont gardé des conceptions de Lénine des éléments qui continuent à déterminer leur supériorité : la rigueur du centralisme, la subordination de l’individu au parti, le rôle décisif joué par les militants professionnels. En fait, la référence au léninisme ne joue pas davantage dans le domaine de l’organisation que dans le domaine de la politique et de l’action. Dans les conditions occidentales, par exemple, les révolutionnaires professionnels se sont mués en fonctionnaires (non seulement de l’appareil politique, mais de l’édition ; des groupements de financiers de type capitaliste, de l’appareil syndical de négociation, des organismes étatiques, etc.). Le lecteur de « Nos tâches politiques » est tenté de répondre : ce qui reste, c’est précisément la mise en tutelle des masses – considérées comme matériau et moyen de la politique, en tant que piétaille électorale ou syndicale.

C’est vrai. Mais cette mise en tutelle ne découle pas de la théorie léniniste. Elle provient de la pratique, pour l’essentiel réformiste (c’est-à-dire intégrée aux cadres de la société bourgeoise), que développe le parti communiste depuis des décennies, et elle correspond aux objectifs politiques qu’il s’assigne.

N’oublions pas que le « substitutionnisme » est aussi bien réformiste. Il est pratiqué par l’avocat social-démocrate qui « représente » les travailleurs au parlement ou par le bonze de « Force Ouvrière » qui négocie « en leur nom ». Le centralisme lui-même n’est nullement étranger au réformisme ; il suffit de se rappeler la social-démocratie allemande d’avant 1914. L’efficacité de l’appareil centralisé du Parti Communiste est le fruit de son histoire, non de sa doctrine.

Par contre, ses structures correspondent bien à ses perspectives puisqu’il s’agit pour lui d’exercer le pouvoir au nom des masses. (Dans les conditions d’un pays avancé, il ne peut le faire, du reste, qu’en exprimant les aspirations de la technocratie – ce qui explique le contenu de sa politique).

C’est dans l’avant-garde révolutionnaire, et surtout dans les groupes trotskystes, que la sacralisation théorique de « Que faire ? » exerce ses ravages. Passons sur les règles proprement organisationnelles. Si elles se réduisent aux principes généraux du centralisme démocratique, elles expriment une nécessité évidente d’efficacité : la nécessité d’élaboration démocratique de l’orientation et la discipline aux décisions des organismes responsables issus des délibérations collectives. C’est là un cadre général, valable pour toutes sortes d’organisations – de la formation de type militaire en période d’illégalité profonde, jusqu’au parti de masse -. S’il s’agit d’emprunter à « Que faire ? » les règles mêmes d’organisation – par exemple en attribuant la décision aux seuls comités de « révolutionnaires professionnels » - il va de soi que c’est la nature du parti et son rôle qui est en question.

En fait, ce que la plupart des groupes retiennent de « Que faire ? » porte justement sur la nature du parti et ses rapports avec les masses : les intellectuels sont seuls capables d’apporter aux travailleurs la conscience politique qui leur permet de se constituer en classe.

L’avant-garde se constitue ainsi de l’extérieur – sur une référence doctrinale préétablie. Ses rapports avec la classe (incapable par elle-même de s’élever au-dessus de la conscience trade-unioniste) sont de professeur à élève. L’objectif est substituer à la direction réformiste et surtout stalinienne, la direction du parti révolutionnaire – et en premier lieu dans les syndicats. L’organisation devient dès lors une fin en soi. Porteuse de la seule orientation révolutionnaire (ce dont elle est seule juge, puisqu’elle pense en détenir seule les critères), elle ne peut que combattre violemment comme contre-révolutionnaire toute autre organisant visant à la même fin. Cette conception des rapports entre masses et avant-garde est la source de leur impuissance. Elle les amène à privilégier les intérêts du groupe sur l’intérêt du mouvement dans son ensemble, considérant qu’il y a identification de l’intérêt des masses à celui du groupe. Elle les amène par là à se constituer en sectes. De là aussi la tendance au scissionnisme – chaque clivage interne étant considéré comme un clivage de classe. Cette conception du parti les amène enfin à stériliser la théorie à laquelle ils subordonnent le mouvement en la transformant en abstraction pratiquement sans impact sur le réel.

En effet, s’il est vrai que les intellectuels continuent à jouer un rôle essentiel dans l’élaboration théorique, cette élaboration théorique elle-même est inséparable de l’expérience des luttes menées par les masses. Non seulement elle éclaire ces luttes, mais elle s’en nourrit. Les intellectuels révolutionnaires ont au moins autant à apprendre qu’à enseigner.

Est-ce à dire que l’avant-garde puisse se fondre elle-même dans un « mouvement politique de masses », qui se voudrait directement représentatif des masses en lutte ? Ce serait là une absurdité. Une telle avant-garde serait le reflet du mouvement et non sa conscience. Même dans sa forme la plus élevée, le mouvement des masses est traversé de contradictions et ne vaut pas plus cher que la force politique qui l’anime. Les soviets d’Autriche, après la première guerre mondiale, ne pouvaient pas par eux-mêmes dépasser l’impuissance de la social-démocratie austro-marxiste qui les animait. Aujourd’hui, le puissant mouvement des délégués dans la métallurgie italienne est constamment menacé d’être institutionnalisé, récupéré par le réformisme, intégré dans le système. Il est incapable de promouvoir une issue révolutionnaire s’il ne provoque pas le regroupement et le développement d’une avant-garde politique cohérente. Les bavardages sur le mouvement politique de masse aboutiraient seulement à diluer l’organisation encore embryonnaire de l’avant-garde à la réduire à un corps invertébré et impuissant…

Yvan Craipeau, Juin 1971

Première biographie

Yvan Craipeau (1912-2001)

Instituteur, rejoint les J.C. en 1928, l’Opposition de Gauche en 1930.

Avant-guerre Craipeau sera l’un des principaux dirigeants de la section française de la IV° Internationale, le Parti Ouvrier Internationaliste. En 1939, il s’oppose à Trotsky, considérant que l’U.R.S.S. était devenu un capitalisme d’Etat.

Durant la guerre Craipeau dirige le P.O.I. clandestin et il est désigné comme secrétaire général de la section de la IV° Internationale réunifiée en 1943, le Parti Communiste Internationaliste. Mais en 1947, la politique qu’il préconise est rejetée. Il quitte le mouvement trotskyste en 1948.

Il participera ensuite à divers groupements de la "Nouvelle Gauche" dont l’aboutissement sera le Parti Socialiste Unifié des années 1960-70.
https://www.marxists.org/francais/4int/bios/craipeau.htm

Deuxième biographie

Yvan Craipeau, fils d’un militant socialiste SFIO, commença à militer au lycée, à Poitiers, en organisant un groupe marxiste, ce qui lui valut son expulsion en 1928 pour « anti-militarisme ». Arrivé à Paris, inscrit en classe préparatoire à Henri-IV, il se rend alors aux locaux de La Vérité à la rencontre de la gauche communiste, entrant ensuite à la Ligue communiste, créée en 1930 autour de Pierre Naville et Raymond Molinier. Après avoir fondé une section locale des Jeunesses communistes (JC) en Vendée, lors de vacances en 1930, il est expulsé des JC en 1934 pour « fractionnisme », il devint l’un des membres du comité exécutif de la Ligue communiste, chargé du développement d’une branche de jeunesse, jusqu’à la dissolution de cette dernière organisation en 1934.

Ayant présidé un meeting d’un millier de personnes, dans le 11e, le 12 janvier 1933, au cours duquel socialistes, communistes et trotskistes prennent la parole, il représente la Ligue après les émeutes du 6 février 1934, en compagnie de Gérard Rosenthal et de Pierre Frank, lors de la négociation avec des membres de la SFIO, dont Marceau Pivert, afin de former un front uni. Les trotskistes adoptent alors une position d’entrisme non dissimulé à la SFIO, formant le Groupe Bolchévique-léniniste (BL) au sein de cette dernière. Avec Marcel Hic, David Rousset, Louis Rigaudias et Jean van Heijenoort, il fait alors partie de la direction des BL au sein des Jeunesses socialistes (JS), dont il préside la fédération de Seine-et-Oise. Yvan Craipeau est par ailleurs membre du service d’ordre de la SFIO, les TTPS (« Toujours Prêt Pour Servir »), animés par Serge Tchakhotine.

Il devient en 1935 le secrétaire personnel de Léon Trotski, alors exilé en Norvège, puis, opposé au conflit entre Raymond Molinier et Pierre Naville, décide de créer, avec Fred Zeller, ex-dirigeant des Jeunesses socialistes, et Jean Rous, les Jeunesses socialistes révolutionnaires (JSR) avec le journal Révolution. Outre quelques trotskystes, les JSR rassemblent des jeunes communistes ayant rompu avec le PCF et quelques membres de l’ultragauche.

Après la publication de La Révolution trahie (1936) par Trotski, Craipeau entame un nouvel examen de la situation soviétique, concluant finalement que l’URSS n’est pas un « État ouvrier dégénéré » comme l’affirme le « Vieux », mais un système « collectiviste bureaucratique », expression qui connait à son tour un certain succès dans certains milieux trotskistes.

En 1938, il est partisan de l’adhésion du Parti ouvrier internationaliste (POI, créé en juin 1936 avec son concours actif) au Parti socialiste ouvrier et paysan (PSOP) de Marceau Pivert1, et adhère à celui-ci en février 1939 avec une minorité de dissidents du POI. Il lance alors la revue La Voie de Lénine qui regroupe une tendance du PSOP opposée au pacifisme, et organise une fraction, les « Comités pour la IVe Internationale ». Ceux-ci sont exclus le 20 novembre 1939 du PSOP.

Parallèlement à son engagement politique, Craipeau s’investit aussi dans le syndicalisme, notamment au sein de la Fédération unitaire de l’enseignement, dans les périodes où il exerce le métier d’instituteur (à partir de 1933) dans une école de Taverny.

Yvan Craipeau est réformé pendant la « drôle de guerre ». Avec Jean Rous, Daniel Guérin et Barta, il forme le « Comité pour la IVe Internationale » qui diffuse, en parallèle à La Voix de Lénine, L’Étincelle. Ils prônent alors le « défaitisme révolutionnaire ».

Après l’armistice de juin 1940, le Comité s’unit avec les Jeunesses socialistes révolutionnaires de Fred Zeller et le POI, exsangue. Ils utilisent sous Vichy les Auberges de jeunesse comme couverture de leur action et sortent, avec Marcel Hic, le 30 août 1940 le premier journal clandestin de l’Occupation, La Vérité, organe bolchevique-léniniste. Il publie la revue de la IVe Internationale et met sur pied deux locaux d’impression clandestins.

Après l’arrestation de la plupart des membres du POI en 1943, il devient chargé de la propagande du POI visant la Wehrmacht. Échappant à de nombreuses reprises aux arrestations de la Gestapo, il est blessé en janvier 1944, puis participe à la réunification des trotskistes qui conduit à la création du Parti communiste internationaliste (PCI) en février 1944.

Après guerre, il est élu secrétaire général du PCI en 1946. Se présentant en tant que candidat PCI à Taverny (Val-d’Oise) aux législatives de 1946, il manque d’être élu de quelques centaines de voix5. La même année, il devient membre du secrétariat international de la IVe Internationale, mais quitte le parti, avec sa tendance, en 1948, lui-même ne croyant pas en une crise imminente du capitalisme, et celle-ci défendant l’union avec des secteurs dissidents des Jeunesses socialistes et une partie de la gauche de la SFIO. Il joue malgré lui un rôle important dans la dissolution des jeunesses socialistes décidées par la SFIO en 1947 lorsque sont découvertes les relations très proches qu’il entretient avec la direction de cette organisation de jeunesse, notamment par le biais d’André Essel.

Yvan Craipeau se retire alors provisoirement du militantisme politique, devenant en 1951 professeur de lettres à Basse-Terre, en Guadeloupe, où il devient cependant rapidement secrétaire à la FEN. Il appuie alors la grève des travailleurs agricoles dans le secteur de la canne à sucre1. Par ailleurs, il écrit alors quelques articles pour France Observateur, l’hebdomadaire de Claude Bourdet, un chrétien de gauche.

En 1954, il revient en métropole, participant à la création de la Nouvelle Gauche, qui finit par participer à la fondation de l’Union de la gauche socialiste. En 1958, il est élu au bureau national de celle-ci, qui finit par conduire à la création du PSU (1960), parti auquel France Observateur s’associe de près. Dirigeant de la fédération des Alpes-Maritimes du PSU, Yvan Craipeau reste cadre dirigeant de ce parti de nombreuses années, écrivant par ailleurs sur la politique.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Yvan_Craipeau

Troisième biographie

Né le 24 septembre 1911 à la Roche-sur-Yon (Vendée), mort le 13 décembre 2001 à Paris ; instituteur puis professeur de lettres ; dirigeant trotskiste jusqu’en 1948 ; membre de la direction du Parti socialiste unifié à sa création.

Le père d’Yvan Craipeau, Élie Craipeau, postier, participa en Vendée à la fondation du Parti socialiste SFIO. Cette action socialiste influença son fils qui s’orienta cependant vers un marxisme plus radical. Devenu lycéen à La Roche-sur-Yon puis à Poitiers, il participa à la constitution d’une petite organisation marxiste locale, indépendante des grands courants nationaux. Cette action politique lui valut d’être accusé d’activité antimilitariste et entraîna son exclusion du lycée de Poitiers en 1928 alors qu’il suivait les cours d’hypokhâgne.

Arrivé à Paris en 1929, il entreprit en octobre des études au lycée Henri IV. Le provincial qu’il était à l’époque découvrit alors le bouillonnement politique de la capitale. Il toucha du doigt la multiplicité des tendances, des courants, l’intensité des débats et fit la constatation qu’il existait un groupe d’oppositionnels se réclamant de Trotsky dont il se sentit proche. Ce groupe venait de lancer, en août, le journal La Vérité. Y. Craipeau s’y intégra fin 1929 et fit partie en avril 1930 de la Ligue communiste naissante. En tant qu’opposition de gauche du Parti communiste, cette organisation ne rassemblait que des membres du Parti ou des exclus. Y. Craipeau ne remplissait pas ces conditions, ne parvenant pas à se faire admettre aux Jeunesses communistes parce que déjà connu comme trotskiste. Une modification des statuts de la Ligue communiste, en 1931, remédia à ce type de situation.

Pour sa part, Yvan Craipeau trouva un moyen original pour contourner la difficulté. Pendant les vacances scolaires, en juillet 1930, il constitua les Jeunesses communistes jusqu’alors inexistantes en Vendée. En tant que militant trotskiste partisan du redressement du Parti communiste, Yvan Craipeau créa bientôt trois groupes de la JC : La Roche-sur-Yon, Luçon et les Sables-d’Olonne. Jusqu’en février 1934 date à laquelle il fut exclu pour « activité fractionnelle », il resta membre de la JC. Ce fut en tant que tel qu’il participa à la campagne de Maurice Thorez « les bouches s’ouvrent » en signant un article dans l’Humanité.

Dans le même temps, il devint dirigeant de la Ligue où il représentait la jeune génération. Élu à la communion exécutive en 1930, il conserva ses responsabilités jusqu’à la dissolution de la Ligue en août 1934. Chargé de l’animation du travail des trotskistes en direction de la Jeunesse, il participa, en octobre 1932, au lancement d’un journal bimensuel éphémère Le Jeune bolchevik qui réapparut, en novembre 1933, sous le titre Octobre rouge, transformé à nouveau, en mars 1934, en Le Combat des jeunes. Il fut gérant de ces trois publications. Les jeunes trotskistes, dirigés par Yvan Craipeau, furent à l’initiative du premier regroupement unitaire des directions de la JC et de la Jeunesse socialiste. Le 12 janvier 1933, s’ouvrait, devant plus d’un millier de jeunes rassemblés au Boxing-Hall dans le XIe arr. de Paris, un meeting, présidé par Yvan Craipeau, où prirent la parole communistes, socialistes et trotskistes. Ce succès, sans lendemain immédiat, poussa cependant à la création d’une organisation de jeunes trotskistes, perspective dont Yvan Craipeau était l’initiateur chaleureux. Il réussit ainsi à mettre sur pied les Jeunesses léninistes qui s’organisèrent véritablement au début de 1934.

Entre-temps, pendant l’été 1933, Yvan Craipeau rencontra, à Saint-Palais-sur-Mer près de Royan, Trotsky qui incarnait à ses yeux le sens de son combat. En 1934, il soutint la proposition du « Vieux » d’adhérer au Parti SFIO afin de ne pas isoler les oppositionnels du grand mouvement d’union qui se dessinait au bénéfice des grandes organisations ouvrières. Il insista toutefois pour que « l’entrisme ait lieu drapeau rouge déployé et sans concessions ». Quand, en septembre, le Groupe bolchevik-léniniste fut créé en tant que tendance à l’intérieur du Parti SFIO, Yvan Craipeau fut élu à son comité central et désigné à son secrétariat. Il était plus particulièrement chargé du travail en direction des Jeunes. Les Jeunesses léninistes, jusqu’alors rivaux redoutés des Jeunesses socialistes du fait de leur formation politique et de leur rigueur militante, firent un travail considérable notamment dans la lutte contre les fascistes. Lors des exclusions de juillet 1935 au congrès national de la JS tenu à Lille, ce fut la majorité de la Fédération de la Seine qu’ils entraînèrent avec eux, ainsi que de nombreux militants de province. Marcel Hic, David Rousset*, Louis Rigaudias, Jean Van Heijenoort et Yvan Craipeau formaient, à cette époque la direction de la fraction des bolcheviks-léninistes dans la JS. Élu à la direction fédérale des JS de Seine-et-Oise, membre par ailleurs du comité fédéral mixte, Yvan Craipeau s’occupa des « Toujours Prêts Pour Servir » (TPPS) - il avait été élu, en janvier 1935, responsable de la milice au sein du GBL.
Si l’adhésion au Parti SFIO rencontra déjà de grandes résistances, le départ se déroula au milieu d’une lutte de tendances d’une grande violence. Jugeant inévitable la rupture avec le Parti SFIO, Y. Craipeau s’impatienta devant les atermoiements du Groupe bolchevik-léniniste et menaça de démissionner si l’on se refusait à une politique plus offensive. Il participa, par la suite, à la fondation des nouvelles structures du mouvement trotskiste. Membre du comité central des Jeunesses socialistes révolutionnaires, il contribua à la création du Parti ouvrier internationaliste en juin 1936 et fut également candidat BL aux élections législatives du 26 avril 1936 dans la 2e circonscription de Saint-Denis où il ne réunit que 25 voix.

Après avoir été surveillant au collège Chaptal, Yvan Craipeau travaillait, depuis l’automne 1935, à France-mutualiste, caisse autonome de retraite. Ce fut dans ce cadre qu’il participa à la grande grève de juin 1936. Il contribua, à cette occasion, avant d’être licencié, à la création d’une section syndicale CGT dans l’entreprise. Il n’avait pourtant pas la formation d’un employé de bureau ; en 1932, il avait obtenu le Diplôme d’études supérieures de philosophie et exerça plusieurs métiers (ouvrier du bâtiment, imprimeur, instituteur à Taverny). Ainsi, en 1933, il était membre du conseil syndical de l’Enseignement de la Seine de la CGTU. De nouveau instituteur à la rentrée de 1936, il reprit à Mantes (Seine-et-Oise) son action syndicale.

Ce fut en tant que simple délégué de son département, qu’il intervint à la conférence nationale du POI du 1er janvier 1937. Il profita de son éloignement de la capitale pour tirer le bilan de six années de militantisme cherchant à comprendre la place tenue par le mouvement trotskiste durant cette période de mobilisation des ouvriers. Cette réflexion s’accompagnait, sans doute à la lumière des procès de Moscou, d’une divergence de vues avec ses amis sur la question russe. Délégué de Mantes au IIe congrès du POI, en novembre 1937, Craipeau y présenta une thèse dans laquelle le caractère ouvrier de l’État soviétique était contesté. Parallèlement, il fut sans relâche un artisan des regroupements, des rapprochements, des fusions. Il travailla avec le Front social de Mantes, il adhéra au Cercle syndicaliste « Lutte de classe » où il défendit les thèses de son organisation, il assista à la conférence du 3 juillet 1938 qui réunit les Jeunesses socialistes autonomes, les Jeunesses socialistes révolutionnaires et les Jeunesses socialistes ouvrières et paysannes. Dès la création du PSOP de Marceau Pivert, il fut partisan de l’adhésion pure et simple du POI au nouveau Parti.
Sur cette question, Craipeau, avec l’appui de Jean Rous et le soutien de Trotsky, prit la tête de la minorité du POI qui adhéra, en février 1939, à la formation pivertiste. Il contribua au lancement de la revue La Voie de Lénine qui regroupa l’opposition marxiste-révolutionnaire dans le PSOP critiquant tout spécialement les courants pacifistes et franc-maçons.

Réformé à la déclaration de guerre, Yvan Craipeau tenta de remettre sur pied l’organisation trotskiste. Avec Marcel Hic, il fit paraître, le 31 août 1940, La Vérité clandestine. Il édita également la revue IVe Internationale, monta pour ces éditions deux imprimeries clandestines puis, après l’arrestation de la plupart des membres du CC en 1943, devint le responsable, militaire et presse, du POI. Après avoir réussi, à plusieurs reprises, à échapper à la Gestapo, notamment en janvier 1944 où il fut blessé, il participa à la réunification des trotskistes qui donna naissance, en février 1944, au Parti communiste internationaliste.

Devenu secrétaire général de cette organisation en 1946, lorsque sa tendance devint majoritaire, il fut élu également au comité exécutif de la IVe Internationale. Il défendait, à l’époque, la perspective d’une fusion avec les JS dissidents et une tendance de la gauche de la SFIO. Candidat la même année, aux élections en Seine-et-Oise, il réussit le tour de force de regrouper sur son nom plus de 14 000 voix, fait unique dans l’histoire du mouvement trotskiste. Minoritaire dans le PCI, il le quitta en 1948 avec l’ensemble de sa tendance.

Lors du congrès du SNI, le 28 décembre 1945, il était intervenu sur la question de l’échelle mobile dont il se montrait partisan et lors du congrès national de Grenoble, le 27 juillet 1946, sur le rapport sur la question de la formation prémilitaire. Il estimait que l’état-major utilisait les instituteurs pour encadrer l’armée. Après la révolution, il faudrait « se tourner vers les vrais ennemis ».

En 1951, devenu professeur de lettres, Yvan Craipeau quitta la France pour aller enseigner au lycée de Basse-Terre (Guadeloupe). Il fut secrétaire de la section locale de la Fédération de l’éducation nationale, en tant que militant du Syndicat national de l’enseignement secondaire, et soutint notamment une grève des coupeurs de canne à sucre.

Revenu en France en 1954, il participa à la création de la Nouvelle gauche et devint membre de sa direction. Partisan de la fusion avec le Mouvement de libération du peuple, il fut élu, en 1958, au bureau national de la nouvelle organisation ainsi créée : l’Union de la gauche socialiste. En 1960, Yvan Craipeau participa à la fondation du Parti socialiste unifié issu de la fusion du Parti socialiste autonome et de l’UGS. Membre du comité politique national jusqu’en 1963, réélu au conseil national en 1965, il fut désigné à sa direction politique nationale, en 1974, après l’adhésion de Michel Rocard au Parti socialiste.

Il avait été un animateur actif du comité d’action du XIIe arr. en mai 1968.
Dirigeant de la fédération des Alpes-Maritimes, il défendit dans son parti la perspective d’un regroupement des forces autogestionnaires-syndicales, sociales et politiques - y compris avec l’extrême gauche révolutionnaire.

La publication de ses mémoires en 1999 lui offrit une nouvelle occasion d’intervenir dans le débat politique et théorique. Il appelait de ses vœux une jonction entre l’extrême gauche et les verts anticapitalistes, pour prendre en main la révolution planétaire du XXIe siècle, une révolution basée sur le bouleversement technique de la production et la croissance exponentielle qui condamne à terme le capitalisme et le salariat.

https://maitron.fr/spip.php?article21043

Lettre de Trotsky à Yvan Craipeau en 1934 (en anglais) :

https://sites.google.com/site/sozialistischeklassiker2punkt0/leon-trotsky/1934/leon-trotsky-letter-to-yvan-craipeau

Une discussion avec Trotsky en 1937 :

https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/defmarx/dma1.htm
1939 – La critique de Craipeau des thèses trotskistes :

https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/defmarx/dmc1.htm
1940 – Rapport sur la situation en France par Marcel Hic et Yvan Craipeau (en espagnol) :

https://www.marxists.org/espanol/hic/1940/agosto07.htm

Le point de vue de Ian Birchall (en anglais) :

https://www.marxists.org/history/etol/writers/birchall/2000/xx/craipeau.html

Mémoires de Craipeau, secrétaire de Trotsky :
https://funambule.org/lectures/social-%C3%A9conomie-politique/litterature-marxiste/M%C3%A9moires%20d%27un%20dinosaure%20trotskyste.%20(Yvan%20Craipeau).pdf

Souvenirs de Jean-René Chauvin :
https://chsprod.hypotheses.org/yvan-craipeau-andre-essel

Y. Craipeau, candidat aux législatives de 1958 :

https://chsprod.hypotheses.org/elections-legislatives-de-1958

Yvan Craipeau – Les mémoires d’un dinosaure trotskyste :
https://www.google.fr/books/edition/M%C3%A9moires_d_un_dinosaure_trotskyste/7-chRaVw-hkC?hl=fr&gbpv=1&dq=trotsky&printsec=frontcover

Yvan Craipeau – Les révolutionnaires pendant la seconde guerre mondiale :

https://www.google.fr/books/edition/Les_r%C3%A9volutionnaires_pendant_la_Seconde/mt35DwAAQBAJ?hl=fr&gbpv=1&dq=inauthor:%22Yvan+Craipeau%22&printsec=frontcover

Yvan Craipeau – La révolution qui vient :

https://www.google.fr/books/edition/La_r%C3%A9volution_qui_vient/rmd8DwAAQBAJ?hl=fr&gbpv=1&dq=inauthor:%22Yvan+Craipeau%22&printsec=frontcover

Yvan Craipeau – Le pouvoir à prendre :

https://www.google.fr/books/edition/Le_pouvoir_%C3%A0_prendre/dVnaDwAAQBAJ?hl=fr&gbpv=1&dq=inauthor:%22Yvan+Craipeau%22&printsec=frontcover

Yvan Craipeau – Ces pays que l’on dit socialistes :

https://www.google.fr/books/edition/Ces_pays_que_l_on_dit_socialistes_la_fac/L9xXDwAAQBAJ?hl=fr&gbpv=1&dq=inauthor:%22Yvan+Craipeau%22&printsec=frontcover

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