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Lutte Ouvrière et la politique révolutionnaire face à la guerre

mercredi 18 octobre 2023, par Alex

Lutte Ouvrière et la politique révolutionnaire face à la guerre

Voici un commentaire rapide de la video de Lutte ouvrière « Les révolutionnaires et la guerre en Ukraine ». LO y déforme complètement et systématiquement depuis plusieurs mois les positions de Lénine et Trotsky sur la guerre et nous pensons que cela mérite une réponse.

 :

https://www.lutte-ouvriere.org/multimedia/fetes/les-revolutionnaires-et-la-guerre-en-ukraine-699266.html

Lutte Ouvrière rejette l’article 7 du programme du parti de Lénine et Trotsky

Lutte ouvrière effectue un raccourci en décrétant que toute guerre de notre époque est une guerre impérialiste comme celle de 1914 ou 1939, et que les travailleurs n’ont par conséquent à prendre parti pour aucun camp dans ces guerres.

Lutte ouvrière s’appuie sur une lettre d’Engels à Bernstein en 1892. Ainsi, Engels dit dans cette lettre (citée avec un lapsus qui inverse son sens par P. Lafitte) :

« Nous avons à contribuer à l’émancipation du prolétariat d’Europe occidentale, et il faut
tout subordonner à ce but. »

Engels en conclut que les révolutionnaires s’opposent à certaines "guerres de libération nationale" :

« Aussi intéressants que soient les peuples slaves balkaniques etc., je
me fiche complètement d’eux sitôt que leur aspiration à la libération entre en conflit avec les
intérêts du prolétariat. Les Alsaciens sont eux aussi opprimés, et je veux bien me réjouir
lorsque nous en serons de nouveau débarrassés. Mais si, à l’avant-veille d’une révolution
imminente, ils veulent provoquer une guerre entre la France et l’Allemagne, pousser et exciter
de nouveau les deux peuples l’un contre l’autre, et repousser ainsi la révolution, alors je dis :
halte-là ! »

L’objectif des marxistes révolutionnaires est la révolution prolétarienne, et l’on rejette tout ce qui fait reculer la révolution. Mais alors qu’Engels cite quelques exemples où des revendications nationales sont justement de cette nature, il ne tire en aucune manière de conclusion générale : toute revendication nationale irait à l’encontre de la révolution prolétarienne !

Or c’est ce que LO veut faire dire à Engels. Le parti bolchévique, dont LO cite le le nom sans jamais citer le programme, adopta pourtant à son fameux congrès de 1903 qui aboutit à la scission entre bolchéviks et menchéviques, l’article 6 (ou 7) qui a été approuvé par les bolchéviks et les menchéviks, dénoncé par Rosa Luxemburg, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

Lutte Ouvrière dénonce tout soutien du prolétariat de France aux guerres des nations opprimées contre l’impérialisme français

Lutte Ouvrière propose une théorie des guerres de l’époque impérialiste qui est contraire à celle de Lénine. A cette époque impérialiste, les guerres ne peuvent plus être des guerres "progressistes". Certes Lénine reprend ce cadre général, mais il maintient que des guerres de peuples opprimés contre les puissances oppressives pourront avoir lieu avant la révolution prolétarienne dans certains pays, et que les révolutionnaires ne peuvent que prendre parti dans ces guerres.

La vague de décolonisation prit la forme de telles guerres. Dans la Guerre d’Algérie, le prolétariat de France ne pouvait que prendre le parti du peuple algérien dans sa guerre contre l’impérialisme français, tout en combattant la direction du FLN. Ce fut la position de LO à l’époque. Mais en 2023, LO efface cet épisode. Dans cette video aucun des soulèvements des peuples colonisés conte la tutelle française n’est salué comme une guerre juste !

LO a supprimé de son programme l’armement du peuple travailleur en France (se plaçant ainsi à droite du réformiste Jaurès !), et s’oppose ainsi à l’armement de tous les opprimés contre l’impérialisme français.

LO déforme la politique de Trotsky face à la seconde guerre mondiale

La politique de Trotsky contre la marche à la seconde guerre mondiale ne date pas de 1938, mais de 1919. Dès le premier congrès de l’IC Lénine et Trotsky proclament que faute de révolution prolétarienne en Europe, la marche à une seconde guerre mondiale est assurée. Cela est explicite dans le premier texte du IIème congrès. Il ne proposèrent pas de "transformer cette guerre mondiale en guerre civile". Se considérant dans la prolongation de la première guerre mondiale, il proposaient d’organiser cette guerre civile, la révolution, partout où cela est possible. Ce fut le cas en Italie (1919), en Hongrie (1919), en Allemagne (1919-1923), en Chine (1924-1926), en Espagne (1931-1938), en france (1936) et ailleurs.

Lutte Ouvrière fait croire que la "tactique" de Trotsky est d’attendre la mobilisation, d’attendre que la bourgeoisie donne des armes à la classe ouvrière, afin que celle-ci les retourne contre elle. Avant cela, pas question pour le prolétariat de s’armer ! LO cite des textes de Trotsky de 1938 à 1940, qui prenaient en compte la vague de défaite des révolutions prolétariennes, et proposait une politique pour cette période spécifique. LO dans sa vidéo donne des conseils au prolétariat de France de 1938, sans mentionner la défaite de 1936 !

Bref si la bourgeoisie française mobilise la classe ouvrière dans son armée, LO encourage par avance les prolétaires à y aller avec enthousiasme. Nous exagérons ?

1) LO rabache que le niveau de conscience du prolétariat est très bas, que le prolétariat est patriote et donc que s’opposer à une guerre avant qu’elle n’éclate est impossible.

2) LO présente la guerre comme un fatalité historique (s’appuyant sur une citation de R. Luxemburg !), que l’empêcher serait réactionnaire, du pacifisme bourgeois utopique à la Jaurès. Bref, du haut se son savoir marxiste, LO dénonce par avance toute action contre la guerre, le prolétariat n’étant pas à la hauteur, il faudrait profiter de la mobilisation pour que la bourgeoisie donne des armes.

Lutte Ouvrière efface toute trace de politique révolutionnaire contre la guerre

Citer le passage d’une lettre d’Engels donne des airs d’érudition aux orateurs de LO. Mais que penserait-on d’un historien de la révolution française qui citerait des lettres de Diderot sans mentionner la prise de la bastille, la révolution du 10 août et le sacre de Napoléon ?

Or LO "oublie" des épisodes exemplaires comme les mutins de la mer noire (1919), la campagne du PC contre l’occupation de la Rhur (lutte entre deux bourgeoisies impérialistes où les ouvriers de France ne pouvaient rester "neutres" comme le préconiserait LO).

a) LO rompt avec le point de vue matérialiste de Marx et Trotsky : Marx voyait la cause fondamentale de la révolution dans l’économie, le conflit entre la structure économique et les rapports de productions ; Trotsky en déduisait comme corollaire en 1938, dans la première phrase de son Programme de transition : "La situation politique mondiale dans son ensemble se caractérise avant tout par la crise historique de la direction du prolétariat. La prémisse économique de la révolution prolétarienne est arrivée depuis longtemps au point le plus élevé qui puisse être atteint sous le capitalisme."

b) La prémisse économique de la révolution prolétarienne est arrivée depuis longtemps au point le plus élevé qui puisse être atteint sous le capitalisme."

Au contraire, LO a un point de vue idéaliste, présentant le bas niveau de conscience du prolétariat comme la cause de l’impossibilité d’une révolution aujourd’hui, alors que la direction révolutionnaire que prétend incarner LO serait totalement à la hauteur des ses tâches. C’est le décalage entre ce que dit LO, et le prolétariat qui n’y comprend rien qui serait le blocage fondamental.

c) Dans cette vidéo, les intervenants de LO n’appliquent pas la leçon qu’ils donnent en permanence : garder une boussole en conservant un point de vue de classe. Car ni l’Etat ukrainien ni l’Etat russe ne sont caractérisés en termes de classes : Etat ouvrier ou Etat bourgeois, qui est l’alternative qu’a étudiée Trotsky de 1924 à 1940. Les formules comme "le régime de Poutine", "la guerre de Poutine" sont un retour de fait aux théories des grands hommes. Tout cela parce que LO considère la Russie comme un Etat ouvrier dégénéré, mais n’ose pas le dire clairement, car le corollaire de la défense de la Russie face à l’impérialisme se poserait. "Ce n’est pas notre guerre", le slogan très primaire de LO, ne tiendrait plus du tout.

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