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Mémoires militantes dans la classe ouvrière : cinq militants ouvriers de Renault

25 mars 2013, 06:21

Vic était l’archétype de l’ouvrier "qui sait ouvrir sa gueule" tel qu’on l’imagine sorti des années 50.
S’il avait fait un casting pour un film populo avec Gabin, nul doute qu’il aurait été engagé. Son éternel mégot accroché au coin des lèvres, il régnait sur l’organisation technique de la fête de LO. Et quand tout baignait, il sortait d’on ne sait où une trompette et nous régalait de quelques airs. Il était ado quand il avait fait partie d’une fanfare stalinienne dans les années 30.

Il pouvait se permettre de ne pas obéir aux consignes de l’organisation concernant les seconds tours d’élections. Il a d’ailleurs reconnu ne pas avoir voté Mitterrand en 1981. Pas sûr qu’il ait eu une attitude différente en 1965 et en 1974 ? On le considérait comme "quelqu’un d’un peu libertaire"... Mais on le respectait trop pour lui en tenir grief.

Il était devenu membre du groupe Union Communiste (trotskyste) vers de 1941-42. Puis comme tout réfractaire au S.T.O., il avait vécu la fin de la guerre dans la clandestinité.
A la Libération il a d’abord travaillé chez Citroën-Javel avant de se faire embaucher chez Renault à Billancourt en 1946 à la demande de David Korner (alias "Barta", le dirigeant historique). Il faut dire que Renault était un lieu prioritaire d’investissement militant. A la Libération, on y retrouvait toutes les tendances révolutionnaires hostiles au PCF (anarchistes, bordiguistes, trotskystes).

Après cette grêve, Vic fut en quelque sorte contraint de créer un syndicat indépendant, le Syndicat Démocratique Renault (SDR) alors que quelque mois plus tôt il rejetait toute idée de "syndicat rouge". Le SDR se retrouva rapidement dans la même situation d’isolement que la CNT dont Vic avait pourtant dénoncé la création en 1946. La question des tâches nécessaires pour faire fonctionner un syndicat de plus en plus éloigné de la grande masse des travailleurs fut à l’origine d’une engueulade entre Vic et Barta, ce qui provoqua l’éclatement du groupe Union Communiste en 1949.
Pour simplifier grossièrement, Barta était plutôt pour privilégier la survie d’un parti même à l’état groupusculaire, en préservant son avant-garde comme cela fut réalisé pendant la guerre, tandis que Vic, pris au piège du fait accompli, préférait mettre son énergie à tenter de faire vivre un syndicat révolutionnaire.

Sur la lancée de cet engagement, Vic participa au début des années 50 avec Daniel Mothé, fraiseur, et d’autres ouvriers de Renault, proches de Socialisme ou Barbarie, à la publication de bulletins et journaux d’entreprise, Le Tavailleur émancipé puis Tribune Ouvrière. Pour la petite histoire, c’est en hommage à ce journal que l’ex-T2 de la LCR (tendance conseilliste) que je rejoignis, prit le nom de Tribune en 1979.

On ne sait pas grand chose des relations de Vic avec Socialisme ou Barbarie, à part qu’il ne pouvait pas piffer Castoriadis. Une sorte de trou noir dans sa biographie. D’ailleurs, LO a toujours été très discrète au sujet de cette période 1950-55 pendant laquelle s’affrontaient franckistes et lambertistes pour la direction de la IVe Internationale.
Toujours est-il qu’en 1956, Vic referma le chapitre conseilliste. Il se réconcilia avec Barta, on ne sait comment (?), et avec quelques autres, dont le sulfureux Robert Barcia (alias "Hardy"), ils créèrent Voix Ouvrière (troskyste), l’ancêtre de Lutte Ouvrière.

S’il n’y avait eu à LO que des mecs comme lui, peut-être que je serais resté plus longtemps et peut-être même resté tout court (difficile de dire). Mais l’influence grandissante de la petite bourgeoisie salariée (profs pour beaucoup) après 68 a profondément modifié l’identite ouvrièriste intransigeante de l’organisation pour imposer en quelques années Arlette en produit de marketing et le discours parlementariste qui va avec.

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