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Marx/Engels et les insurrections polonaises
mardi 13 décembre 2022, par
FRÉDÉRIC ENGELS
EN QUOI LA POLOGNE
CONCERNE-T-ELLE
LA CLASSE OUVRIÈRE ?
The Commonwealth, 24 mars 1866.
À chaque fois que la classe ouvrière est intervenue pour son
compte dans l’agitation politique, toute sa politique étrangère a pu dès
le début se résumer en quelques mots : restauration de la Pologne 87. Ce fut le cas pour le mouvement chartiste, tant qu’il a subsisté ; ce fut le cas pour les ouvriers français, aussi bien avant 1848 que durant la mémorable année 1848, lorsqu’ils marchèrent le 15 mai sur l’Assemblée national au cri de « Vive la Pologne ! ». Ce fut le cas
pour l’Allemagne, lorsqu’en 1848 et 1849 les organes de la classe ouvrière demandèrent que l’on fit la guerre à la Russie pour restaurer la Pologne. C’est aujourd’hui encore le cas - à une exception près, sur
laquelle nous aurons l’occasion de revenir -, les travailleurs d’Europe
proclament unanimement que la restauration de la Pologne fait partie
intégrante de leur programme politique et exprime de la manière la
plus significative leur politique étrangère.
La bourgeoisie a, elle aussi, des « sympathies » pour les Polonais,
mais elles ne l’ont nullement empêché, au moment même où elle intervenait en paroles en leur faveur, de soutenir les pires ennemis de la Pologne, Lord Palmerston, par exemple, n’a pas manqué en 1831,
1846 et 1863 de lâcher les Polonais au moment décisif.
Il en va autrement de la classe ouvrière. Elle veut l’intervention, et
rejette le principe de la non-intervention. Elle veut la guerre contre la
Russie tant que celle-ci ne laissera pas la Pologne en paix. C’est ce
qu’elle a démontré, à chaque fois que les Polonais se sont soulevés
contre leurs oppresseurs.
Tout récemment l’Association internationale des travailleurs a
donné une expression plus complète à ce sentiment et à cet instinct
universellement répandus dans la classe ouvrière qu’elle représente, en inscrivant sur son drapeau : « Résistance aux empiètements russes en Europe - Restauration de la Pologne ».
Ce programme de politique étrangère a trouvé l’assentiment unanime des travailleurs d’Europe occidentale et centrale auxquels il était
adressé. Cependant comme nous l’avons dit plus haut, il y a eu une
exception parmi les ouvriers de France, chez la petite minorité de partisans de feu P.-J. Proudhon. Celle-ci se distingue tout à fait de la majeure partie des ouvriers conscients et avancés, dont elle déclare
qu’ils sont des fous ignorants. De fait, dans la plupart des questions,
elle affiche des opinions diamétrale » ment opposées aux leurs. C’est
ce qui se vérifie également dans sa politique étrangère. Les Proudhoniens, siégeant pour juger du cas des Polonais opprimés, prononcent le même verdict que la cour de Stalybridge : « Cela leur servira de leçon. » Ils admirent la Russie comme le grand pays de l’avenir, comme la nation la plus progressiste du monde, à côté de laquelle un pays aussi misérable que les États-Unis ne vaut même pas la peine d’être nommé. Ils ont accusé le Conseil central de l’Association internationale des travailleurs d’appliquer le principe bonapartiste des nationalités et de mettre le magnanime peuple russe au ban de l’Europe civilisée - ce qui est un grave péché contre les principes de la démocratie universelle et de la fraternité entre toutes les nations. Tel est l’acte d’accusation. Abstraction faite de la phraséologie démocratique, on s’aperçoit aussitôt qu’il coïncide littéralement avec ce que l’aile extrême des conservateurs de tous les pays se plaît à dire de la Pologne et de la Russie. Ces charges ne méritent même pas qu’on les réfute, mais comme elles émanent d’une fraction de la classe ouvrière - si infime soit-elle - nous estimons qu’il est désirable de nous arrêter à la question russo-polonaise et de mettre en évidence ce que l’on peut appeler la politique extérieure des travailleurs unis d’Europe.
D’abord, pourquoi ne parlons-nous jamais que de la seule Russie,
lorsqu’il est question de la Pologne ? Deux puissances allemandes -
l’Autriche et la Prusse - n’ont-elles pas participé au démembrement de
la Pologne ? Ne tiennent-elles pas également des parties de la Pologne
sous le joug et, en alliance avec la Russie, ne font-elles pas tout ce qui
est en leur pouvoir pour opprimer tout mouvement national des Polo-
nais ?
Il est de notoriété publique que l’Autriche s’est débattue pour se re-
tirer des affaires polonaises, et qu’elle s’est opposée pendant très longtemps aux plans de partage de la Russie et de la Prusse. La Pologne était une alliée naturelle de l’Autriche contre la Russie. Lorsque celle-ci est devenue une puissance redoutable, rien ne pouvait être davantage dans l’intérêt de l’Autriche que de maintenir la Pologne vivante entre elle et l’Empire russe. C’est seulement lorsque l’Autriche
vit que le sort de la Pologne était scellé, que les deux autres puissances - avec ou sans l’Autriche - étaient déterminées à l’anéantir, c’est alors seulement que l’Autriche se joignit à elles, pour des raisons
d’autoconservation, afin de pas être oubliée dans le partage. Dès 1815, cependant, elle se prononça pour la restauration d’une Pologne indépendante ; en 1831 et 1863, elle était prête à entrer en guerre pour cet objectif et à renoncer à sa partie, si l’Angleterre et la France voulaient l’appuyer. Ce fut la même chose pendant la guerre de Crimée. Nous ne disons pas cela pour justifier la politique générale du gouvernement autrichien. L’Autriche a amplement démontré que l’oppression d’une nation plus faible entrait dans les us et coutumes de ses souverains. Mais, dans le cas de la Pologne, l’instinct de conservation était plus fort que la soif de nouveaux territoires ou que les habitudes de la dynastie. C’est pourquoi nous écartons pour l’heure l’Autriche de notre champ de vision.
En ce qui concerne la Prusse, sa participation à la Pologne est trop
réduite pour peser dans la balance. Son amie et alliée, la Russie, est
parvenue à alléger la Prusse des neuf-dixièmes de ce qu’elle avait obtenue lors des trois partages. Or le peu qui lui reste encore lui pèse
comme un cauchemar : il a enchaîné la Prusse au char de triomphe de
la Russie, il a permis au gouvernement russe, même en 1863 et 1864,
de pratiquer impunément en Prusse-Pologne toutes les violations de la
loi, toutes les infractions aux libertés individuelles, au droit de réunion et à la liberté de la presse qu’il s’est appliqué ensuite d’étendre au
pays tout entier : il a faussé tout le mouvement libéral de la bourgeoisie prussienne, qui, par crainte de risquer quelques kilomètres carrés de terre à la frontière orientale, permit au gouvernement de mettre les Polonais hors la loi.
Les travailleurs non seulement de Prusse, mais de toute l’Allemagne, ont avant tous les autres un intérêt particulier à la restauration
de la Pologne, et à chaque mouvement révolutionnaire ils ont prouvé
qu’ils en étaient conscients. La restauration de la Pologne signifie pour eux l’émancipation de leur propre pays du vasselage russe. Et
c’est pourquoi nous écarterons également la Prusse de notre champ
d’analyse.
Lorsque la classe ouvrière de Russie - à supposer qu’il existe dans
ce pays une classe au sens où on l’entend en Europe occidentale - se
donnera un programme politique, et que ce programme contiendra la
libération de la Pologne alors nous écarterons également la Russie,
conçue comme nation, de notre champ d’analyse, et nous n’accuserons
plus que le gouvernement tsariste.
La Révolution polonaise de 1830
https://www.marxists.org/francais/marx/works/1880/11/km18801127.htm
Lire aussi
https://fr.wikipedia.org/wiki/Insurrection_de_Novembre
L’insurrection de Cracovie de février 1846
https://www.marxists.org/francais/engels/works/1848/02/18480222.htm
Lire aussi
https://fr.wikipedia.org/wiki/Soul%C3%A8vement_de_Cracovie
L’insurrection polonaise de 1863
https://www.marxists.org/francais/marx/works/1867/01/km22011867.htm
Lire aussi
https://fr.wikipedia.org/wiki/Insurrection_de_Janvier
Le débat sur la Pologne à Francfort en 1848
https://www.marxists.org/francais/engels/works/1848/08/fe18480809.htm
Le parti de classe et la question polonaise
https://www.marxists.org/francais/marx/works/00/parti/kmpc090.htm
La première internationale et la Pologne :
La question polonaise
A) Pourquoi les ouvriers d’Europe se mêlent-ils de cette question ? En premier lieu, parce que les écrivains et agitateurs bourgeois sont convenus de faire une conspiration du silence sur ce sujet, quoiqu’ils prétendent prendre sous leur protection toutes les sortes de nationalités sur le continent, et même l’Irlande. Ensuite, parce que les aristocrates aussi bien que les bourgeois considèrent comme leur dernier rempart contre la vague montante de la classe ouvrière le sinistre pouvoir asiatique, qui se trouve à l’arrière-plan de la politique européenne. Or, cette puissance ne peut être véritablement brisée que par la restauration de la Pologne sur une base démocratique.
B) La situation ayant changé maintenant en Europe centrale, notamment en Allemagne, une Pologne démocratique est plus nécessaire que jamais. Sans elle, l’Allemagne deviendra l’avant-poste de la Sainte-Alliance, à moins qu’elle ne devienne l’alliée d’une France républicaine. Le mouvement ouvrier en sera continuellement troublé, entravé et retardé, tant que cette grande question ne sera pas résolue.
C) Il est spécialement du devoir de la classe ouvrière allemande de saisir l’initiative de cette question, car l’Allemagne s’est rendue coupable du démembrement de la Pologne
https://www.marxists.org/francais/marx/works/00/parti/kmpc054.htm
Lire aussi
https://www.legrandsoir.info/Karl-Marx-Friedich-Engels-la-Pologne.html