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L’analyse politique et sociale de Trotsky durant la révolution russe de 1917 avant la révolution d’Octobre

mercredi 25 octobre 2023, par Robert Paris

L’analyse politique et sociale de Trotsky durant la révolution russe de 1917 avant la révolution d’Octobre

Mai 1917 - Paix et réaction

À la séance du 3 mars 1916 de la douma, M. Milioukov répondait en ces termes à une critique de la gauche : « Je ne suis pas certain que le gouvernement soit en train de nous conduire à la défaite, mais ce dont je suis sûr, c’est qu’une révolution en Russie nous y conduirait indubitablement et que nos ennemis ont par conséquent toute raison de la souhaiter. Si on me disait qu’organiser la Russie pour la victoire équivaut à l’organiser pour la révolution, je répondrais : il vaut mieux, tant que dure la guerre, la laisser en l’état d’inorganisation où elle se trouve. » Cette citation est intéressante à deux points de vue. Non seulement elle prouve que, l’année précédente encore, M. Milioukov considérait que des intérêts pro-allemands étaient à l’œuvre dans toute révolution quelle qu’elle soit, et pas seulement chez les internationalistes, mais aussi qu’elle est l’expression caractéristique d’un sycophante libéral. La prédiction de M. Milioukov est très intéressante : « Je sais qu’une révolution en Russie nous conduirait indubitablement à la défaite ». Pourquoi cette certitude ? En tant qu’historien, M. Milioukov doit savoir qu’il y a eu des révolutions qui ont mené à la victoire. Mais en tant qu’homme d’État impérialiste, M. Milioukov ne peut pas ne pas voir que l’idée de conquérir Constantinople, l’Arménie et la Galicie est incapable de susciter l’enthousiasme des masses révolutionnaires. M. Milioukov sentait et même savait que, dans sa guerre, la révolution ne pouvait amener la victoire.

Évidemment, lorsque la révolution a éclaté, M. Milioukov a tenté aussitôt de l’atteler au char de l’impérialisme allié. C’est pourquoi il fut accueilli avec ravissement par les tintements sonores et métalliques de tous les coffres-forts de Londres, Paris, et New York. Mais cette tentative se heurta à la résistance presque instinctive des ouvriers et des soldats. M. Milioukov a été chassé du gouvernement ; assurément, pour lui, la révolution ne fut pas synonyme de victoire1.

Milioukov était parti, mais la guerre continuait. Un gouvernement de coalition fut formé, composé de démocrates petit-bourgeois et de représentants de la bourgeoisie qui avaient dissimulé jusque-là, pour un temps, leurs griffes impérialistes. Nulle part peut-être cette coalition n’a mieux révélé son caractère contre-révolutionnaire que dans le domaine de la politique internationale, c’est-à-dire avant tout de la guerre. La grande bourgeoisie a envoyé ses représentants au gouvernement pour y défendre l’idée d’« une offensive sur le front et une fidélité inaltérable envers nos alliés » (résolution du congrès du parti cadet). Les démocrates petit-bourgeois, qui se baptisaient « socialistes », sont entrés au gouvernement pour, « sans s’isoler » de la grande bourgeoisie et de ses alliés impérialistes, terminer la guerre le plus vite possible et le moins mal possible pour tous les belligérants : sans annexions, sans indemnités ni tributs, et même avec la garantie de l’autodétermination nationale.

Les ministres capitalistes ont renoncé aux annexions, en attendant des jours plus favorables. En échange de cette concession purement verbale, ils ont obtenu de leurs collègues démocrates petit-bourgeois la promesse ferme de ne pas déserter le capable de reprendre l’offensive. En renonçant (momentanément) à Constantinople, les impérialistes faisaient un sacrifice insignifiant dans la mesure où, après trois ans de guerre, la route vers Constantinople n’avait pas raccourci mais rallongé. Mais les démocrates, en échange de cette renonciation toutes platonique à une très hypothétique Constantinople par les libéraux, ont assumé tout l’héritage du gouvernement tsariste, reconnu tous les traités conclus par ce gouvernement en mis toute l’autorité et le prestige de la révolution au service de la discipline et de l’offensive. Cela impliquait tout d’abord, pour les « leaders » de la révolution, la renonciation à toute politique internationale indépendante, et cette politique conclusion parut toute naturelle au parti petit-bourgeois qui, dès qu’il fut dans la majorité, abandonna volontairement tout le pouvoir qu’il détenait. Ayant chargé le prince Lvof de créer une administration révolutionnaire, M. Chingarev de remettre sur pied les finances de la révolution, M. Konovalov d’organiser l’industrie, la démocratie petite-bourgeoise ne pouvait que laisser le soin à MM. Ribot, Lloyd George et Wilson de défendre les intérêts de la Russie révolutionnaire.

Bien que la révolution, dans sa phase actuelle, n’ait pas changé le caractère de la guerre, elle n’en a pas moins exercé une profonde influence sur l’agent actif de la guerre, c’est-à-dire l’armée. Le soldat a commencé à se demander pourquoi il verse son sang, auquel il donne maintenant plus de prix que sous le tsarisme. Et immédiatement la question des traités secrets s’est posée de façon impérative. Remettre l’armée en état de se battre signifiait dans ces conditions briser la résistance démocratiquement révolutionnaire des soldats, mettre à nouveau en sommeil leur conscience éveillée depuis peu et, jusqu’à ce que la principe de la « révision » des anciens traités soit annoncé, placer l’armée révolutionnaire au service des buts de l’ancien régime. Cette tâche était trop lourde pour l’octobriste-bourbonien 2 Goutchkov, et elle l’a écrasé. Il ne fallait rien de moins qu’un « socialiste » pour la réaliser. Et on l’a trouvé en la personne du « plus populaire » des ministres Kérensky.

En exploitant à fond sa popularité pour accélérer la préparation de l’offensive (sur tout le front impérialiste des Alliés), Kérensky devient naturellement le favori des classes possédantes. Non seulement le ministre des Affaires étrangères, Terechtchenko, approuve la haute estime dans laquelle nos Alliés tiennent les « efforts » de Kérensky, non seulement Rietch, qui critique si sévèrement les ministres de gauche, n’arrête pas de féliciter le ministre de l’Armée et de la Marine Kérensky, mais même Rodzianko considère de son devoir de souligner « les nobles et patriotes tâches » dans lesquelles est engagé notre ministre de l’Armée et de la Marine Kérensky : « Ce jeune homme (pour citer Rodzianko, président octobriste de la Douma) ressuscite chaque jour avec une vigueur redoublée, pour le plus grand bien de son pays et du travail constructif. » Circonstance glorieuse qui n’empêche cependant pas Rodzianko d’espérer qu’une fois que le « travail constructif » de Kérensky aura atteint le niveau convenable les efforts de Goutchkov pourront luis succéder.

Pendant ce temps, le ministère des Affaires étrangères de Terechtchenko s’efforce de persuader les Alliés de sacrifier leurs appétits impérialistes sur l’autel de la démocratie révolutionnaire. Il serait difficile d’imaginer entreprise plus infructueuse et, malgré son caractère tragique et humiliant, plus ridicule que celle-là ! Lorsque M. Terechtchenko, à la manière d’un éditorialiste de journal de province du genre démocratique, tente d’expliquer aux chefs endurcis du brigandage international que la révolution russe est vraiment « un mouvement intellectuel puissant, exprimant la volonté du peuple russe dans sa lutte pour l’égalité […] », etc., quand, de plus, il « ne doute pas » qu’« une union étroite entre la Russie et ses alliés (les chefs endurcis du brigandage international) assurera de la façon la plus complète possible un accord sur toutes les questions qui sont en jeu dans les principes proclamés par la révolution russe », il est difficile de se débarrasser d’un sentiment de dégoût devant un tel mélange d’impuissance, d’hypocrisie et de stupidité.

Dans ce document de Terechtchenko, la bourgeoisie, semble-t-il, s’est réservé tous les passages décisifs : « fidélité inaltérable à la cause des Alliés », « inviolabilité de la promesse de ne pas conclure une paix séparée » et renvoi de la révision des buts de guerre à « un moment favorable », ce qui revient à demander au soldat russe, jusqu’à ce qu’arrive ce « moment favorable », de verser son sang pour ces buts de guerre impérialiste qu’il semble précisément si peu opportun de publier, si peu opportun de réviser ? Tout l’horizon politique de Tsérételli, se révèle dans la fatuité complaisante avec laquelle il recommande à l’attention du congrès panrusse ce document diplomatique qui contient selon lui « des paroles claires et franches, dans le langage d’un gouvernement révolutionnaire, sur les buts de la révolution russe ». On ne peut nier une chose : les appels lâches et impuissants adressés à Lloyd George et à Wilson sont rédigés dans les mêmes termes que ceux du comité exécutif des soviets aux Albert Thomas, Scheidemann et Henderson. Dans les deux textes, il y a tout au long une identité de but et – qui sait ? – peut-être même une identité d’auteur3.

On trouve une parfaite appréciation de ces toutes dernières notes diplomatiques du tandem Terechtchenko-Tseretelli dans un endroit à première vue inattendu : L’Entente, journal publié en français à Petrograd et organe précisément de ces Alliés auxquels Terechtchenko et Tchernov jurent une « indéfectible allégeance ». Nous admettons volontiers, la publication de cette note était attendue avec une certaine inquiétude. » En fait, il n’est pas facile, comme l’admet cet organe officiel, de trouver une formule qui concilie les buts contradictoires des Alliés. « En ce qui concerne la Russie, en particulier, la position du gouvernement provisoire était plutôt délicate et pleine de danger. D’un côté, il était obligé de tenir compte du point de vue du conseil des délégués ouvriers et soldats et, autant que possible, de représenter ce point de vue ; de l’autre, il lui fallait ménager les relations internationales et les puissances amies, auxquelles il était impossible d’imposer la décision du conseil.

« Et le gouvernement provisoirement est sorti de cette épreuve pur et sans tache. »

Dans le document qui est sous nos yeux, nous avons donc les principaux points du catéchisme révolutionnaire couché, enregistrés et scellés par l’autorité du gouvernement provisoire. Rien d’essentiel ne manque. Tous les beaux rêves, tous les jolis mots du dictionnaire sont correctement utilisés. On y trouve l’égalité, la liberté et la justice dans les relations internationales. Donc tout y est4, au moins dans les termes. Le plus rouge des camarades ne peut y trouver à redire ; de ce côté-là, le gouvernement provisoire n’a rien à craindre…

« Mais, et les Alliés ? », demande L’Entente. « S’ils l’étudient attentivement et la lisent entre les lignes (!), à la lumière de la bonne volonté et de l’amitié pour la jeune démocratie russe, les Alliés pourront trouver en divers points de la note… certains passages agréables de nature à raffermir leur confiance quelque peu vacillante. Ils savent bien que la position du gouvernement provisoire n’est pas des plus commodes et que ses efforts en prose ne doivent pas être pris trop à la lettre… La garantie fondamentale que le gouvernement donne aux Alliés consiste en ce que… l’accord signé à Londres le 5 septembre 1914 (engagement à ne pas signer de paix séparée) ne doit pas être révisé. Cela nous satisfait complètement pour le moment. »

Et nous aussi. En fait, il serait difficile d’émettre un jugement plus méprisant sur la « prose » de Terechtchenko-Tsérételli que celui dans le très officiel L’Entente, qui tire son inspiration de l’ambassade de France. Cette appréciation, qui n’est en aucun cas inamicale pour Terechtchenko ou ceux qui sont derrière lui, porte un coup mortel aux « efforts constructifs » de Tsérételli, qui nous a si chaudement recommandé le « langage franc et ouvert » de ce document. « Rien n’a été oublié, jure-t-il devant le congrès, il satisfera la conscience des plus rouges des camarades. »

Mais ils se trompent, ces experts en prose diplomatique : ils ne satisfont personne. N’est-il pas significatif que les événements de la vie réelle répondent aux appels de Kérensky et aux remontrances et aux menaces de Tsérételli par un coup aussi terrible que la révolte des marins de la mer Noire 5 ? On nous avait dit que c’était là, chez les marins, qu’était la citadelle de Kérensky, le foyer du « patriotisme » qui réclamait l’offensive. Les faits ont, une fois de plus, administré une correction impitoyable. En adoptant la position des anciens accords impérialistes en politique étrangère, en capitulant à l’intérieur devant les classes possédantes, il était impossible d’unir l’armée par une combinaison d’enthousiasme révolutionnaire, et de discipline. Et le « gros bâton » de Kérensky s’est, heureusement, révélé beaucoup trop court.

Non, cette voie à coup sûr ne mène nulle part.

Vperiod, juin 1917

Notes

1 Le 1er mai, Milioukov, ministre des Affaires étrangères, entreprit dans une note aux gouvernements alliés d’honorer les engagements du régime tsariste en matière de politique étrangère. Cela provoqua des manifestations de protestation et des affrontements de rue. Il fut chassé du cabinet et remplacé par Tsérételli, jusqu’alors ministre des Finances. Le 18 mai, un gouvernement de coalition fut formé, avec la participation des socialistes. Lvof restait Premier ministre, Kérensky devenait ministre de la Guerre.

2 Octobriste : parti monarchiste et pro-impérialiste qui soutenait le « Manifeste du tsar » d’octobre 1905 ; dirigé par Goutchkov.

3 Au début de la révolution, les modérés des soviets firent appel, par l’intermédiaire du comité exécutif, aux socialistes et au prolétariat des pays belligérants pour qu’ils rompent avec leurs gouvernements impérialistes ; mais peu à peu cette politique révolutionnaire fut abandonnée, et le comité exécutif participa à la honteuse réunion des social-patriotes de Stockholm, malgré les protestations des bolcheviks. Il suffit, pour marquer le caractère non révolutionnaire du comité exécutif, de dire qu’il collabora avec Scheidemann, Albert Thomas (France), Henderson (Angleterre) et autres social-patriotes. Le socialisme modéré agit comme le commis voyageur [en français dans le texte – [N.d.T.] de la diplomatie bourgeoise. Un des documents secrets publiés après l’arrivée au pouvoir des bolcheviks montre le véritable caractère de la conférence de Stockholm, avec laquelle, soit dit en passant, les socialistes indépendants d’Allemagne refusèrent affaire : il s’agit d’un télégramme daté du 18 août, adressé par l’ambassadeur de Russie à Stockholm avec Branting, l’un des organisateurs social-patriotes de la confédération si Kérensky la jugeait inopportune et qu’il userait de son influence sur le comité scandinavo-hollandais à cette fin. Le télégramme concluait en demandant le secret sur cette conversation, afin de ne pas compromettre Branting, car sinon on perdrait une source importante d’information ! Pas étonnant qu’elle ait été une misérable faillite. (Note de Luis C. Fraina, 1918.)

4 En français dans le texte (N.d.T.).

5 À partir du 19 juin 1917 se produisent des révoltes dans la flotte de la mer Noire. L’amiral Koltchak fut renversé et, sous l’influence des bolcheviks, les marins élurent leurs propres chefs.

https://www-marxists-org.translate.goog/archive/trotsky/1917/power/art01.htm?_x_tr_sl=auto&_x_tr_tl=fr&_x_tr_hl=fr

Juin 1917 - La double impuissance

Les conditions de la guerre déforment et obscurcissent l’action des forces intérieures de la révolution. Mais son cours n’en restera pas moins déterminé par ces mêmes forces intérieures, c’est-à-dire les classes.

La révolution, qui montait depuis 1912, a vu, dans un premier temps, son élan brisé par la guerre, mais ensuite, grâce à l’intervention héroïque d’une armée exaspérée, elle s’est accélérée dans la combativité sans précédent. La capacité de résistance de l’ancien régime avait été définitivement minée par le déroulement de la guerre. Les partis politique qui auraient pu jouer le rôle de médiateurs entre la monarchie et le peuple se trouvèrent tout à coup suspendus dans les airs en raison des formidables poussées venues d’en bas et furent obligés au dernier moment de faire le saut périlleux vers les rivages sûrs de la révolution. Cela conféra à la révolution, pour un temps, l’apparence extérieure d’une parfaite harmonie nationale. Pour la première fois dans toute son histoire, le libéralisme bourgeois se sentit « lié » aux masses – et c’est cela qui dut lui donner l’idée d’utiliser l’esprit révolutionnaire « universel » au service de la guerre.

Les conditions, les buts, les participants de la guerre ne changèrent pas. Goutchkov et Milioukov, les membres les plus ouvertement pro-impérialistes de l’équipe politique de l’ancien régime, étaient maintenant les maîtres des destinées de la Russie révolutionnaire. Naturellement, la guerre, dont la nature restait fondamentalement la même que sous le tsarisme – contre le même ennemi, avec les mêmes alliés, avec les mêmes engagements internationaux –, devait maintenant se transformer en une « guerre pour la révolution ». Pour les capitalistes, cela équivalait à mobiliser la révolution, avec toutes les forces et les passions qu’elle avait stimulées, au service de l’impérialisme. Les Milioukov consentirent magnanimement à qualifier le « chiffon rouge » d’emblème sacré – à condition que les masses laborieuses se montrent prêtes à mourir avec béatitude, sous ce chiffon rouge, pour Constantinople et les détroits.

Mais le pied fourchu impérialiste de Milioukov dépassait de façon trop voyante. Pour gagner les masses et canaliser leur énergie révolutionnaire vers une offensive sur le front extérieur, il fallait des méthodes plus élaborées et, par-dessus tout, on avait besoin de nouveaux partis politiques, dont les programmes n’aient pas encore été compromis et dont la réputation n’ait pas encore été ternie.

On les trouva. Dans les années de contre-révolution, en particulier lors du dernier boom industriel, le capital avait soumis et dompté intellectuellement plusieurs milliers de révolutionnaires de 1905, sans se soucier de leurs « notions » travaillistes ou marxistes. Et parmi les intellectuels « socialistes » apparurent d’assez nombreux groupes brûlant de prendre part à la répression des luttes sociales et à l’entraînement des masses vers les buts « patriotiques ». Main dans la main avec l’intelligentsia, mise en vedette à l’époque de la contre-révolution, venaient les faiseurs de compromis, qui avaient été définitivement effrayés par l’échec de la révolution de 1905, et depuis lors avaient cultivé un seul et unique talent : être agréable à tout le monde.

L’opposition de la bourgeoisie au tsarisme – sur une base impérialiste toutefois – avait, dès avant la révolution, fourni la base nécessaire à un rapprochement entre socialistes opportunistes et classes possédantes. À la Douma, Kérensky et Tchkéidzé conçurent leur politique comme annexe au bloc progressiste, et les Gvozdiev et Bogdanov « socialistes », participèrent avec les Goutchkov aux comités de l’industrie de guerre. Mais l’existence du tsarisme rendait très difficile la défense ouverte du patriotisme « gouvernemental ». La révolution balaya tous les obstacles de ce genre. La capitulation devant les partis capitalistes s’appela désormais « unité démocratique », la discipline de l’État bourgeois se transforma soudain en « discipline révolutionnaire » et, pour finir, la participation à une guerre de la révolution contre une défaite extérieure.

Cette intelligentsia nationaliste, qui avait été prédite, appelée et entraînée par le social-patriote Strouvé dans son journal Vyekhi, rencontra soudain un soutien inattendu et généreux dans la faiblesse des secteurs les plus arriérés du peuple, qui avaient été organisés de force pour constituer l’armée.

C’est uniquement parce que la révolution a éclaté au cours d’une guerre que les éléments petits-bourgeois de la ville et de la campagne ont pris automatiquement l’apparence d’une force organisée et commencé à exercer sur les membres du conseil des délégués ouvriers et soldats une influence dépassant de loin le pouvoir qu’auraient eu ces classes atomisées et arriérées en toute autre circonstance. L’intelligentsia menchevik-populiste a trouvé dans cette masse de provinciaux attardés, pour la plupart encore à peine éveillés politiquement, un soutien tout à fait naturel au début. En amenant les classes petites-bourgeoises à un accord avec le libéralisme bourgeois, qui venait à nouveau de révéler en beauté son incapacité à guider les masses populaires de façon indépendante, l’intelligentsia menchevik-populiste s’acquit, grâce à la pression des masses, une certaine influence, y compris dans les couches prolétariennes, momentanément reléguées au second plan par l’importance numérique de l’armée.

À première vue, on aurait pu croire que toutes les contradictions de classe avaient disparu, que toute la société avait été replâtrée avec des morceaux d’idéologie menchevik-populiste et que, grâce aux « efforts constructifs » de Kérensky, Tchkéidzé et Dan, une trêve nationale entre les classes avait été conclue. D’où une surprise et une stupeur sans pareilles lorsque s’affirma à nouveau une politique prolétarienne indépendante ; d’où ce concert de lamentations furieuses et, pour tout dire, révoltantes contre les révolutionnaires socialistes, destructeurs de l’harmonie universelle.

Les intellectuels petits-bourgeois, après avoir été hissés par le soviet des délégués ouvriers et soldats à des hauteurs pour lesquelles ils n’étaient absolument pas préparés, furent effrayés par-dessus tout par l’idée de responsabilité et remirent donc respectueusement leur pouvoir au ministère féodalo-capitaliste issu de la Douma du 3 juin. La terreur sacrée du petit-bourgeois devant le pouvoir d’État, très évidente dans le cas des populistes (travaillistes), était voilée, chez les mencheviks-patriotes, par des socialistes d’assumer le fardeau du pouvoir dans une révolution bourgeoise.

Ainsi naquit le « double pouvoir », qu’on pourrait plus justement qualifier de double impuissance. La bourgeoisie détenait l’autorité au nom de l’ordre et de la guerre jusqu’à la victoire ; mais, sans les soviets, elle ne pouvait gouverner ; ces derniers avaient avec le gouvernement des rapports de demi-confiance respectueuse, à laquelle se mêlait la peur que le prolétariat révolutionnaire, par un geste maladroit, ne renverse tout ce bel édifice.

La politique étrangère cyniquement provocatrice de Milioukov amena une crise. Conscient de l’étendue de la panique dans les rangs des leaders petits-bourgeois quand ils étaient confrontés aux problèmes du pouvoir, le parti bourgeois commença à utiliser en ce domaine le chantage pur et simple : en menaçant de faire la grève du gouvernement, c’est-à-dire de cesser de participer au pouvoir, il exigea que le soviet lui fournisse un certain nombre de potiches socialistes, dont la fonction dans le cabinet de coalition devait être de renforcer la confiance des masses dans le gouvernement et, de cette façon, de mettre fin au « double pouvoir ».

Devant l’ultimatum, les mencheviks-patriotes s’empressèrent de laisser tomber leurs derniers restes de préjugés marxistes contre la participation à un gouvernement bourgeois et entraînèrent avec eux les « leaders » travaillistes du soviet qui, pour leur part, n’étaient embarrassés par aucune surcharge de principes ou de préjugés. Cela était particulièrement clair chez Tchernov, qui ne revint des conférences de Kienthal et de Zimmerwald1, où il avait excommunié Vandervelde, Guesde et Sembat, que pour entrer dans le ministère du prince Lvov et de Chingariev. Bien sûr, les mencheviks-patriotes russe firent remarquer que le ministérialisme russe n’avait rien à voir avec le ministérialisme français ou belge, car il était le produit de circonstances très exceptionnelles, prévues par la résolution contre le ministérialisme du congrès d’Amsterdam (1904)2. Pourtant, ils ne faisaient que répéter comme des perroquets les arguments des ministérialistes français et belges, tout en continuant à invoquer constamment la « nature exceptionnelle des circonstances ». Kérensky, dont la théâtralité verbeuse cache néanmoins quelques traces de pertinence, classa quant à lui très correctement le ministérialisme russe dans la même catégorie que celui d’Europe occidentale et déclara dans son discours d’Helsingfors que c’était surtout grâce à lui, Kérensky, que les socialistes russes avaient en deux mois accompli un chemin que les socialistes d’Europe occidentale avaient mis dix ans à parcourir. Marx avait bien raison de dire que la révolution est la locomotive de l’histoire ! Le gouvernement de coalition était condamné par l’histoire avant même sa formation. S’il avait été constitué immédiatement après la chute du tsarisme, comme expression de l’« unité révolutionnaire de la nation », il aurait peut-être pu contenir, pour un temps, l’affrontement des forces de la révolution. Mais le premier gouvernement fut le ministère Goutchkov-Milioukov. Son existence ne dura que le temps de dévoiler l’inanité de l’« unité nationale » et d’éveiller la résistance révolutionnaire du prolétariat aux tentatives de la bourgeoisie pour prostituer la révolution aux intérêts impérialistes. Le gouvernement de coalition, qui apparaissait manifestement comme un pis-aller, ne pouvait dans ces conditions prévenir la catastrophe ; il était lui-même destiné à devenir la principale pomme de discorde, la principale source de conflit et de divergences dans les rangs de la « démocratie révolutionnaire ». Son existence politique – car nous ne parlerons pas de ses « activités » – n’est qu’une lente agonie, décemment enveloppée dans des flots de paroles.

Pour lutter contre la faillite complète dans le domaine économique, en particulier dans celui du ravitaillement, la commission économique du comité exécutif des soviets élabora un plan qui devait étendre la gestion étatique aux branches industrielles les plus importantes. Les mêmes de la commission économique diffèrent des leaders non pas tant par leurs tendances politiques que par une connaissance approfondie de la situation économique du pays. C’est justement pour cette raison qu’ils sont arrivés à des conclusions d’un caractère profondément révolutionnaire. La seule chose dont manque leur organisation, c’est de la force motrice d’une politique révolutionnaire. Le gouvernement, capitaliste dans sa majorité, ne pouvait évidemment pas donner naissance à un système diamétralement opposé aux intérêts égoïstes des classes possédantes. Si Skobelev, le ministre du Travail menchevique, ne le comprenait pas, cela fut en revanche très bien compris par le sérieux et efficace Konovalov, représentant du commerce et de l’industrie.

La démission de Konovalov 3 a porté un coup fatal au gouvernement de coalition. L’ensemble de la presse bourgeoise l’exprima nettement. On recommença alors à jouer sur la terreur panique des dirigeants du soviet : la bourgeoisie menaça d’abandonner le pouvoir nouveau-né devant leur porte. Les « dirigeants » répondirent en faisant croire que rien de spécial ne s’était passé. Puisque le représentant sérieux du capital nous a quittés, invitons M. Bourishkine. Mais Bourishkine refusa avec obstination de participer à des opérations chirurgicales sur la propriété privée. Alors commença la quête d’un ministre du Commerce et de l’Industrie « indépendant », un homme qui n’aurait derrière lui rien ni personne et qui pourrait servir de boîte aux lettres inoffensive pour les revendications contradictoires du travail et du capital. Pendant ce temps, les dépenses continuent sur leur lancée et l’activité gouvernementale consiste surtout à faire marcher la planche à billets, à imprimer des assignats.

Ayant pour collègues et aînés MM. Lvov et Chingariev, Tchernov n’a pas pu étaler, dans les questions agraires, ne serait-ce que le radicalisme verbal si caractéristique de ce représentant typique de la petite bourgeoisie. Pleinement conscient du rôle qui lui était assigné, Tchernov s’est présenté non pas comme le représentant de la révolution agraire, mais comme celui des statistiques agricoles ! Selon l’interprétation libérale bourgeoise, que les ministres ont également adoptée, les masses doivent suspendre le processus révolutionnaire et attendre passivement la convocation de l’Assemblée constituante et, dès que les socialistes-révolutionnaires entrent dans le gouvernement des propriétaires fonciers et des industriels, les attaques des paysans contre le système agricole féodal sont stigmatisées comme de l’anarchie.

En politique internationale, l’effondrement des « plans de paix » annoncés par le gouvernement de coalition s’est produit de façon beaucoup plus rapide et catastrophique qu’on aurait pu s’y attendre. M. Ribot, Premier ministre français, a non seulement rejeté catégoriquement et sans cérémonie le plan de paix russe, tout en réaffirmant solennellement l’absolue nécessité de poursuivre la guerre jusqu’à la « victoire totale », mais encore a refusé aux sociaux-patriotes français leurs passeports pour la conférence de Stockholm, qui avait pourtant été préparée avec la collaboration des collègues et alliés de M. Ribot, les ministres socialistes russes. Le gouvernement italien, dont la politique de conquête coloniale s’est toujours distinguée par un cynisme inouï, par un « égoïsme sacré », répliqua à la formule de « paix sans annexions » par l’annexion séparée de l’Albanie4. Notre gouvernement, ministres socialistes compris, a bloqué pendant deux semaines la publication de la réponse des Alliés, croyant évidemment à l’efficacité d’expédients aussi minables pour éviter la banqueroute de sa politique. En bref, le problème de la situation internationale de la Russie, le problème de savoir pour quelle cause le soldat russe devrait être prêt à se battre et à mourir, est toujours aussi aigu que le jour où le portefeuille des Affaires étrangères fut arraché à Milioukov.

Au ministère de l’Armée et de la Marine, qui continue à s’octroyer la part du lion dans les énergies et les ressources nationales, la politique du verbe et de la rhétorique règne sans partage. Mais les causes matérielles et psychologiques de l’état actuel de l’armée sont trop profondes pour être réglées par la prose et la poésie ministérielles. Le remplacement du général Alexeïev par le général Broussilov signifie sans aucun doute un changement pour ces deux officiers, mais aucun pour l’armée. La préparation du peuple et de l’armée à une « offensive », puis l’abandon soudain de ce slogan pour celui, moins précis, de « préparation à une offensive » montrent que le ministère de l’Armée et de la Marine est toujours aussi peu capable de conduire la nation à la victoire que le ministère de M. Terechtchenko l’était de la conduire à la paix.

L’image de l’impuissance du gouvernement provisoire atteint son apogée avec l’activité du ministère des Affaires étrangères qui, pour employer les termes des délégués les plus loyaux du soviet paysan, remplit « avec partialité » les bureaux des administrations locales de propriétaires féodaux. Les efforts de la partie active de la population qui arrive à obtenir des pouvoirs au niveau communal, par droit de conquête et sans attendre l’Assemblée constituante, sont aussitôt taxés, dans le jargon policier des Dan, d’« anarchie », et rencontrent l’opposition énergique du gouvernement qui, de par sa composition, est incapable de toute action énergique vraiment créatrice. Dans les tout derniers jours, cette politique banqueroutière a trouvé son expression la plus écœurante dans l’incident de Cronstadt5. La campagne infâme et malhonnête de la presse bourgeoise contre Cronstadt, qui est pour elle le symbole de l’internationalisme révolutionnaire et de la méfiance envers le gouvernement de coalition – et donc de la politique indépendante des larges masses populaires –, non seulement gagne le gouvernement et les leaders du soviet, mais a aussi transformé Tsérételli et Skobolev en chefs de file de la honteuse répression contre les marins, soldats et travailleurs de Cronstadt.

Au moment où l’internationalisme supplantait systématiquement le social-patriotisme dans les usines, les ateliers et parmi les soldats du front, les ministres socialistes, soumis envers leurs maîtres, se risquaient au jeu hasardeux de détruire d’un seul coup l’avant-garde prolétarienne révolutionnaire et de préparer ainsi le « moment psychologique » pour l’ouverture de la session du congrès panrusse des soviets. Rallier la démocratie paysanne petite-bourgeoise sous le drapeau du libéralisme bourgeois, allié et prisonnier du capital anglo-français et américain, pour isoler politiquement et « discipliner » le prolétariat : telle est désormais la tâche principale à laquelle le bloc gouvernemental des mencheviks et des social-révolutionnaires consacre toutes ses énergies. Les menaces cyniques de répression sanglante et les provocations à la violence ouverte constituent un élément essentiel de cette politique.

L’agonie du gouvernement de coalition a commencé e jour même de sa naissance. Les révolutionnaires doivent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour empêcher cette agonie de se terminer dans les convulsions de la guerre civile. La seule façon d’y arriver n’est pas dans une politique de soumission et d’esquive, qui ne fait qu’aiguiser l’appétit de politiciens aux dents longues, mais bien plutôt dans une politique offensive sur toute la ligne. Nous ne les laisserons pas nous isoler : nous devons les isoler, eux. Nous devons répondre aux initiatives minables et méprisables du gouvernement de coalition en faisant comprendre même aux secteurs les plus arriérés des masses laborieuses le sens de cette coalition qui parade publiquement sous le masque de la révolution. Aux méthodes des classes possédantes et de leur appendice mencheviks-social-révolutionnaire, que ce soit sur le problème du ravitaillement, nous devons opposer les méthodes du prolétariat. C’est seulement de cette façon qu’on peut isoler le libéralisme et gagner au prolétariat révolutionnaire une influence décisive sur les masses urbaines et rurales. En même temps que la chute inévitable de l’actuel gouvernement se produira celle des leaders actuels du soviet des délégués ouvriers et soldats. L’actuelle minorité du soviet a maintenant la possibilité de préserver l’autorité du soviet en tant que représentant de la révolution et de lui assurer la poursuite de ses fonctions en tant que pouvoir central. Cela deviendra plus clair chaque jour. La période de « double impuissance », avec un gouvernement qui ne peut pas et un soviet qui n’ose pas, doit inévitablement culminer dans une crise d’une gravité sans précédent. Il est de notre devoir de tendre toutes nos énergies en prévision de cette crise, de façon que le problème du pouvoir soit abordé dans toutes ses implications.

Izvestia, 3 juin 1917

Vperiod, 8 juin 1917

Notes

1 Du nom de deux villages suisses où se tinrent deux conférences internationales contre la guerre, les 5-8 septembre 1915 et 24-30 avril 1916. Après la création de la IIIe Internationale, l’union de Zimmerwald fut dissoute.

2 Ce congrès de la IIe Internationale se tint en août 1904. Les social-démocrates allemands, avec Bebel à leur tête, réussirent à faire passer une résolution condamnant l’acceptation par les socialistes français de portefeuilles dans le gouvernement bourgeois.

3 Konovalov était ministre du Commerce dans le premier gouvernement de coalition. Il démissionna le 31 mai 1917.

4 L’Albanie était devenue un État indépendant à la suite de la défaite de la Turquie dans la première guerre des Balkans (traité de Londres, 30 mai 1913). L’Italie envahit l’Albanie en 1914.

5 Début juin, les marins de la Baltique et les masses de Cronstadt se soulevèrent contre le gouvernement provisoire ; l’épithète la plus utilisée contre eux dans la presse russe et étrangère fut celle d’« anarchistes ». Le soviet de Cronstadt avait, par 210 voix contre 40, désavoué le gouvernement provisoire, déclarant qu’il ne reconnaissait que l’autorité du soviet de Petrograd. Cet acte fut déformé en tentative de sécession. Les marins de la Baltique furent une force révolutionnaire active à toutes les étapes de la révolution – contre le tsarisme, contre le gouvernement provisoire et dans le renversement de Kérensky par les bolcheviks. (Note de Luis C. Fraina, 1918.)

https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1917/06/farce.htm

Juillet 1917 - La crise de juillet

Le sang a coulé dans les rues de Petrograd. Un chapitre tragique s’est ajouté à la révolution russe. Qui est responsable ? « Les bolcheviks », répond l’homme de la rue, répétant ce que lui disent ses journaux. L’ensemble de ces tragiques événements se résume, pour la bourgeoisie et les politiciens opportunistes, dans ces mots : arrêtez les meneurs et désarmez les masses. Et l’objectif est d’établir l’« ordre révolutionnaire ». Les social-révolutionnaires et les mencheviks, en arrêtant et en désarmant les bolcheviks, sont prêts à rétablir l’« ordre ». Il n’y a qu’un problème : quel ordre, et pour qui ?

La révolution a soulevé d’immenses espoirs dans les masses. Parmi celles de Petrograd, qui ont joué un rôle dirigeant dans la révolution, ces espoirs, ces attentes étaient entretenues avec une ferveur particulière. C’était la tâche du parti social-démocrate que de transformer ces espoirs et ces attentes en programme politique clairement défini, de façon à diriger l’impatience révolutionnaire des masses vers une action politique organisée. La révolution était confrontée au problème du pouvoir. Nous étions, comme les bolcheviks1, partisans de la remise de tout le pouvoir au comité central des conseils de délégués ouvriers, soldats et paysans. Les classes supérieures, elles, et nous devons y inclure les social-révolutionnaires et les mencheviks, exhortaient les masses à soutenir le gouvernement Milioukov-Goutchkov. Jusqu’au dernier moment, c’est-à-dire jusqu’à la démission de ces personnages, les plus évidemment pro-impérialistes du premier gouvernement provisoire, les deux partis que nous avons mentionnés restèrent fermement solidaires du gouvernement provisoire, les deux partis que nous avons mentionnés restèrent fermement solidaires du gouvernement sur toute la ligne. C’est seulement après le remaniement gouvernemental que les masses apprirent par leurs propres journaux qu’on ne leur avait pas dit toute la vérité, qu’on les avait trompées. On leur avait dit alors qu’elles devaient avoir confiance dans le nouveau gouvernement « de coalition ». La social-démocratie révolutionnaire prédit que le nouveau gouvernement ne différait pas fondamentalement de l’ancien, qu’il ne ferait aucune concession à la révolution et trahirait une fois de plus les espoirs des masses. Et c’est bien ce qui arriva. Après deux mois de faiblesse, de demande de confiance, d’exhortations verbeuses, le gouvernement ne fut plus capable de dissimuler sa position qui consistait à embrouiller les problèmes : il devint évident que les masses, une fois de plus, avaient été trompées, et cette fois plus cruellement que jamais.

L’impatience et la méfiance de la majorité des ouvriers et soldats de Petrograd allaient croissant, non pas de jour en jour mais d’heure en heure. Ces sentiments, alimentés par la guerre qui se prolongeait sans espoir pour tous ceux qui y participaient, par la désorganisation économique, par la préparation occulte de la paralysie des principaux secteurs de la production, trouvèrent leur expression politique immédiate dans le mot d’ordre : « Tout le pouvoir aux soviets ! » La démission des cadets et la démonstration définitive de la faillite interne du gouvernement provisoire persuadèrent encore plus profondément les masses qu’elles avaient raison de s’opposer aux dirigeants officiels des soviets. Les hésitations des social-révolutionnaires et des mencheviks ne firent que mettre de l’huile sur le feu. Les exigences, les persécutions presque, envers la garnison de Petrograd, à laquelle on demandait de commencer une offensive, eurent le même effet. Une explosion devint inévitable.

Tous les partis, y compris les bolcheviks, ont tout fait pour empêcher les masses de manifester le 16 juillet ; mais les masses ont manifesté, et qui plus est, ont manifesté en armes. Tous les agitateurs, tous les représentants de district ont dit le soir du 16 que la manifestation du 17, tant que la question du pouvoir restait en suspens, aurait forcément lieu et qu’aucune mesure ne pourrait retenir le peuple. C’est la seule raison pour laquelle le parti bolchevique et, avec lui, notre organisation ont décidé de ne pas rester à l’écart en se lavant les mains, mais de faire tout ce qui était en leur pouvoir pour transformer le 17 juillet en une manifestation de masse pacifique. L’appel du 17 juillet n’avait pas d’autre signification. Il était bien sûr évident, étant donné l’intervention certaine de bandes contre-révolutionnaires, que des affrontements sanglants se produiraient. Il aurait été possible, il est vrai, de priver les masses de toute direction politique, de les décapiter politiquement pour ainsi dire et, en refusant de les diriger, de les abandonner à leur sort. Mais nous ne pouvions ni ne voulions, en tant que parti ouvrier, adopter cette tactique de Ponce Pilate : nous avons décidé de nous joindre aux masses et de faire corps avec elles, pour introduire dans leur agitation élémentaire le plus grand degré d’organisation possible étant donné les circonstances, et réduire ainsi au minimum le nombre des victimes probables. Les faits sont bien connus. Le sang a coulé. Et maintenant la presse « influente » de la bourgeoisie et d’autres journaux à son service essaient de nous faire porter l’entière responsabilité des conséquences – de la pauvreté, de l’épuisement, de la désaffection et de la rébellion des masses. Pour atteindre ce but, pour compléter ce travail de mobilisation contre-révolutionnaire, contre le parti du prolétariat, des racailles anonymes, semi-anonymes, ou déjà bien connues, se mettent à répandre des accusations de corruption : le sang a coulé à cause des bolcheviks, et les bolcheviks agissent sous les ordres de Guillaume II.

Nous connaissons aujourd’hui des jours d’épreuve. La fermeté des masses, leur sang-froid, la fidélité de leurs « amis », tout cela est soumis à un test. Nous aussi, nous sommes soumis à ce test, et nous en sortirons plus forts et plus unis que de toutes les épreuves précédentes. La vie est avec nous et lutte pour nous. Le nouveau remaniement gouvernemental, imposé par une situation inéluctable et par la misérable timidité des partis au pouvoir, ne changera rien et ne résoudra rien. Il faut un changement radical de tout le système. Il faut un pouvoir révolutionnaire.

La politique de Tsérételli, Kérensky vise directement à désarmer et à affaiblir l’aile gauche de la révolution. Si, avec ces méthodes, ils réussissent à rétablir l’« ordre », ils seront les premiers – après nous, bien sûr – à tomber victimes de cet « ordre ». Mais ils n’y réussiront pas. La contradiction est trop profonde, les problèmes sont trop énormes pour pouvoir être résolus par de simples mesures policières. Après les jours d’épreuve viendront les jours de progrès et de victoire.

Vperiod, juillet 1917

Notes

1 Trotsky était à l’époque membre de l’Organisation interrayons (Mezhrayontsi) qui fusionna avec les bolcheviks en juillet 1917. (N.d.T.)

https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1917/07/journees.htm

Août 1917 - Que s’est-il passé

Personne ne peut expliquer de façon satisfaisante pourquoi il doit y avoir une conférence à Moscou. Mieux : tous ceux qui doivent y participer déclarent (sincèrement ou pas) qu’ils ignorent le but de leur invitation à Moscou. Et presque tous manifestent méfiance et mépris en parlant de la conférence. Mais malgré tout ils y vont tous. Pourquoi ?

Si nous laissons de côté le prolétariat, qui occupe une position spécifique, les participants à la conférence de Moscou peuvent être divisés en trois groupes : les représentants des classes capitalistes, les organisations petites-bourgeoises et le gouvernement.

Les classes possédantes trouvent leur représentation la plus achevée dans le parti constitutionnel-démocrate, les cadets. Derrière eux, il y a les grands propriétaires terriens, les organisations du capital commercial et industriel, les cliques financières, les universités ? Chacun de ces groupes a ses intérêts propres et ses perspectives politiques propres. Mais le danger commun, qui les menace tous, vient des masses de travailleurs, de paysans et de soldats, et ce danger entraîne toutes les classes capitalistes à former une seule et vaste union contre-révolutionnaire. Sans suspendre leurs intrigues monarchiques et leurs conspirations, les cercles de la cour, de la bureautique et de l’état-major général considèrent cependant qu’il est absolument nécessaire en ce moment de soutenir les cadets. Et les libéraux bourgeois, tout en jetant des regards soupçonneux du côté de la clique monarchiste, accordent en ce moment une très grande valeur à son soutien contre la révolution. En ce sens, le parti cadet devient une sorte de représentant général de toutes les variétés d’intérêts de la grande et petite propriété. Toutes les exigences des classes possédantes, toutes les exactions des exploiteurs fusionnent aujourd’hui dans le cynisme capitaliste et l’insolence impérialiste de Milioukov. Sa politique est la suivante : rester à l’affût de tous les faux pas du régime révolutionnaire de toutes ses fautes et de tous ses échecs, en profitant pour le moment de la « collaboration » des mencheviks et des socialistes-révolutionnaires, les mencheviks et des socialistes-révolutionnaires, les compromettre par cette collaboration et attendre son heure. Et, derrière Milioukov, c’est le tsariste Gourko qui attend son heure à lui.

La pseudo-démocratie des socialistes-révolutionnaires et des mencheviks s’appuie sur les masses paysannes, la petite bourgeoisie urbaine et les ouvriers les plus arriérés. À ce propos, il faut noter que, plus on avance, plus il devient clair que la force de l’association réside dans les socialistes-révolutionnaires et que les mencheviks sont la cinquième roue du carrosse. Sous la conduite de ces deux partis, les soviets d’ouvriers et de soldats, qui ont été portés à une hauteur extraordinaire par les convulsions cataclysmiques des masses, perdent rapidement leur importance et retombent dans l’oubli. Pourquoi ? Marx a souligné que, quand l’histoire administre un coup sévère sur le nez des philistins, ils ne cherchent jamais la cause de leur échec dans leur propre incapacité, mais découvrent invariablement la malveillance ou l’intrigue de quelqu’un d’autre.

C’est pourquoi Tsérételli s’empresse de voir dans le « complot » des 16-18 juillet la « paille » qui explique le lamentable échec de toute sa politique. Quand les Lieber, les Gotz et les Voitinsky S.R. et mencheviks ont sauvé l’ordre face à l’« anarchie » (ordre qui, soit dit en passant, n’était pas menacé), ces messieurs ont cru fermement que, comme les oies qui sauvèrent le Capitole, ils méritaient une récompense. Et quand ils se sont aperçus que le mépris de la bourgeoisie envers eux augmentait proportionnellement à leur zèle conciliateur envers le prolétariat, ils ont été stupéfiés. Tsérételli, ce même Tsérételli qui savait si bien jongler avec les lieux communs rebattus, s’est vu liquider comme » un révolutionnaire par trop encombrant. C’était limpide : le régiment de mitrailleur 1 avait « gâché la révolution (en refusant d’obéir, sauf sous certaines conditions, à Kérensky qui leur ordonnait d’aller au front et en participant aux événements des 16-17 juillet).

Et si Tsérételli, avec son parti, s’est retrouvé dans les rangs de la contre-révolution, de Polovtsev et des cadets militaires, pour les aider à désarmer les travailleurs dans l’intérêt de la contre-révolution, ce n’est pas la faute de Tsérételli et de son jeu politique, mais celle du régiment de mitrailleurs égaré par les bolcheviks. Telle est la philosophie de l’histoire professée par les banquiers politiques des philistins !

En réalité, les journées des 16, 17 et 18 juillet ont marqué un tournant dans le cours de la révolution, en démontrant l’incapacité totale des partis dirigeants de la démocratie petite-bourgeoise à prendre en main le pouvoir. Après l’effondrement lamentable du gouvernement de coalition, il est devenu évident qu’il n’y avait pas d’autre solution que la prise du pouvoir par les soviets. Mais les mencheviks et les S.R. ont hésité. Prendre le pouvoir, se sont-ils dit, signifierait rompre avec les banquiers et les diplomates : politique dangereuse. Et quand, malgré le sombre présage des 16-18 juillet, les leaders du soviet ont continué à courir après Efimov, les classes possédantes n’ont pu comprendre que les politiciens du soviet étaient à leur service, tout comme un petit boutiquier est au service est au service d’un banquier, c’est-à-dire chapeau bas. Et c’est ce qui a encouragé la contre-révolution.

Toute l’histoire antérieure de la révolution réside dans ce qu’on appelle le « double pouvoir ». Cette expression, qui vient des libéraux, est à vrai dire très superficielle. On n’a pas épuisé le problème quand on a dit qu’à côté du gouvernement il y avait le soviet, qui s’acquittait d’un nombre considérable de fonctions gouvernementales ; car les Dan et les Tsérételli ont fait tout leur possible pour supprimer, « sans douleur », cette division du pouvoir, en le remettant tout entier au gouvernement. La vérité, c’est que derrière le soviet et derrière le gouvernement il y aurait deux systèmes différents, reposant sur des intérêts de classe différents.

Derrière le soviet, il y avait les organisations de travailleurs qui supplantaient, dans chaque usine l’autocratie des capitalistes et établissaient dans l’industrie un régime républicain incompatible avec l’anarchie capitaliste et exigeant un contrôle d’État irrévocable sur la production. Pour défendre leurs droits de propriété, les capitalistes ont cherché du secours en haut, auprès du gouvernement, l’ont poussé avec une énergie toujours accrue contre les soviets et l’ont forcé à accepter la conclusion qu’il ne possédait pas d’appareil indépendant, c’est-à-dire pas d’instrument de répression contre les masses travailleuses. D’où les lamentations sur le « double pouvoir ».

Derrière le soviet, il y avait l’organisation électorale de l’armée et toute l’administration de la démocratie des soldats. Le gouvernement provisoire, qui s’alignait sur Lloyd George, Ribot et Wilson, reconnaissait les anciennes obligations du tsarisme et pratiquait les anciennes méthodes de la diplomatie secrète, ne pouvait que se heurter à l’hostilité active du nouveau régime de l’armée. L’opposition venue d’en haut avait perdu presque tout son effet au moment où elle atteignait le soviet. D’où les plaintes sur le « double pouvoir », surtout de la part de l’état major-général.

Enfin, le soviet paysan lui aussi, malgré l’opportunisme lamentable et le chauvinisme grossier de ses leaders, était soumis à une pression accrue de la base, où la confiscation de la terre prenait une allure d’autant plus menaçante que le gouvernement s’y opposait plus fortement. On voit jusqu’à quel point ce dernier jouait le rôle de représentant du grand capital dans le fait que la dernière ordonnance policière de Tsérételli ne différait en rien des ordonnances du prince Lvov. Et, partout dans les provinces où les soviets et les comités de paysans tentaient d’instaurer un nouveau régime agraire, ils se trouvaient en conflit aigu avec l’autorité « révolutionnaire » du gouvernement provisoire, qui se transformait de plus en plus en chien de garde de la propriété privée.

La poursuite de la révolution rendait nécessaire le passage de tout le pouvoir aux mains du soviet et son utilisation dans l’intérêt des travailleurs contre les possédants. Et l’approfondissement de la lutte contre les classes capitalistes exige l’attribution du rôle dirigeant, dans les masses laborieuses, à leur fraction la plus résolue, c’est-à-dire au prolétariat industriel. Pour introduire le contrôle sur la production et la distribution, le prolétariat pourrait se réclamer de précédents très importants en Europe occidentale, notamment le prétendu « socialisme de guerre » en Allemagne. Mais comme, en Russie, ce travail d’organisation ne pourrait s’accomplir que sur la base d’une révolution agraire et sous la direction d’un pouvoir réellement révolutionnaire, et le contrôle sur la production et l’organisation progressive de ce pouvoir révolutionnaire prendraient forcément une direction hostile aux intérêts capitalistes. À un moment où les classes possédantes s’efforçaient, à travers le gouvernement provisoire, d’établir une république capitaliste « forte », le passage de tout le pouvoir aux soviets, bien que n’étant absolument pas synonyme de « socialisme », aurait en tout cas brisé l’opposition de la bourgeoisie et, en liaison avec les forces productives existantes et la situation en Europe occidentale, aurait imposé une direction et une transformation de l’organisation économique qui seraient allées dans le sens des intérêts des masses laborieuses. Rejetant les chaînes du pouvoir capitaliste, la révolution serait devenue permanente, c’est-à-dire continue ; elle aurait utilisé son pouvoir non pas pour perpétuer la loi de l’exploitation capitaliste, mais, au contraire, pour la détruire. Ses réalisations ultimes dans ce domaine auraient dépendu des succès de la révolution prolétarienne en Europe. D’un autre côté, la révolution en Russie pourrait donner à la révolution en Europe occidentale un élan d’autant plus grand qu’elle mettrait plus de résolution et de courage à abattre l’opposition de sa propre bourgeoisie. Telle était, et reste, la seule et unique perspective réelle pour la poursuite de la révolution.

Mais, pour les idéologues philistins, cette perspective était « utopique ». Que voulaient-ils, eux ? Ils n’ont jamais été capables de le dire eux-mêmes. Tsérételli a abondamment parlé de « démocratie révolutionnaire », sans comprendre ce que cela signifie réellement. Les social-révolutionnaires ne sont pas les seuls à avoir pris l’habitude de naviguer dans les vagues de la phraséologie démocratique ; les mencheviks, eux aussi, ont abandonné leurs critères de classe dès que ceux-ci ont révélé trop clairement le caractère petit-bourgeois de leur politique. La règle de la « démocratie révolutionnaire » explique tout et justifie tout. Et, quand les Cent-Noirs 2 mettent leurs mains sales dans les poches des bolcheviks, ils le font au nom d’une autorité qui n’est rien moins que celle de la « démocratie révolutionnaire ». Mais n’anticipons pas.

En représentant, comme elle l’a fait, le pouvoir de la bourgeoisie, ou plutôt la neutralisation du pouvoir par la coalition, la démocratie S.R. et menchevique a en effet décapité la révolution. D’un autre côté, en défendant les soviets comme son organe, la démocratie petite-bourgeoise a en fait empêché le gouvernement de créer un appareil administratif quelconque dans les provinces.

Le gouvernement était non seulement impuissant à mal faire. Les soviets, débordant de plans ambitieux, ne pouvaient en réaliser aucun. La république capitaliste, implantée d’en haut, et la démocratie ouvrière, formée par en bas, se paralysant mutuellement. Partout où elles se heurtaient, surgissaient d’innombrables querelles. Le ministre et les commissaires supprimaient l’organe d’auto-gouvernement révolutionnaire, les commandants fulminaient contre les comités de soldats, les soviets allaient et venaient entre les masses et le gouvernement. Les crises se succédaient, les ministres arrivaient et partaient. Plus les mesures d’autorité répressive devenaient inopérantes et incohérentes, plus le mécontentement des masses augmentaient. Vue d’en haut, toute la vie devait avoir l’allure d’un torrent écumeux d’« anarchie ».

Il était évident que le timide dualisme de la « démocratie » petite-bourgeoise portait en lui-même sa faillite. Et plus les problèmes de la révolution s’approfondissaient, plus cette faillite devenait douloureusement évidente. L’État tout entier marchait sur la tête, ou plutôt sur ses deux ou trois têtes. Un geste inconsidéré de la part de Milioukov, Kérensky ou Tsérételli menaçait de renverser tout l’édifice. Et de jour en jour l’alternative apparaissait plus inéluctable : ou le soviet doit assumer le pouvoir, ou le gouvernement capitaliste balaiera le soviet. Il suffisait d’un choc extérieur pour détruire l’équilibre de l’organisation tout entière. Ce choc extérieur donné à un système déjà condamné de l’intérieur prit la forme des événements de s 16-18 juillet. L’« idylle » petite-bourgeoise, bâtie sur l’union « amicale » de deux systèmes qui s’excluent mutuellement, reçut le coup de grâce. Et Tsérételli put consigner dans ses mémoires que son plan pour le salut de la Russie avait été saboté par le régiment des tirailleurs.

Proletarii, n° 1, 13 août 1917

Notes

1 Le premier régiment de mitrailleurs, plus actif que le deuxième, avait soutenu la révolution dès le début et s’était installé à Vyborg, quartier ouvrier de Petrograd. Il fut à la tête des manifestations de juillet.

2 Bandes semi-légales qui écumaient le pays depuis la révolution de 1905, appuyant la répression officielle par le terrorisme. Elles organisaient des pogroms et avaient à leur actif près de 50 000 victimes juives.

https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1917/08/que.htm

Août 1917 - Et maintenant ?

Il est quasiment certain que le gouvernement actuel, qui est l’incarnation même de l’incompétence indécise et malveillante, ne soutiendra pas le choc de l’attaque subie à Moscou et connaîtra de nouveaux remaniements. Ce n’est pas en vain que le général Kornilov explique qu’il ne faut pas craindre une nouvelle crise politique. Une telle crise, à l’heure actuelle, peut être très rapidement surmontée par un nouveau glissement à droite. Savoir si Kérensky obtiendra ou non, dans ces circonstance par rapport au contrôle organisé de la démocratie, qui sera remplacé par rapport au contrôle organisé de la démocratie, qui sera remplacé par un « gouvernement invisible » (et d’autant plus réel) des cliques impérialistes ; savoir si le nouveau gouvernement entretiendra des relations précises avec l’état-major des classes possédantes qui sera sans aucun doute créé par la conférence de Moscou ; savoir quelle sera la place des bonapartistes « socialistes » dans la nouvelle combinaison gouvernementale : tout cela est secondaire. Mais, même si l’attaque de la bourgeoisie devait aboutir à une nouvelle sortie des cadets du gouvernement, le pouvoir usurpé de la « démocratie révolutionnaire » ne serait en aucune façon un pouvoir réellement révolutionnaire et démocratique. Complètement ligotés par leurs compromis contre les travailleurs et les soldats de réserve, les leaders officiels du soviet seraient contraints de poursuivre leur politique de double jeu et d’opportunisme. En quittant le ministère, Konovalov n’a fait que transférer sa mission sur les épaules de Skobelev1. Le ministère Kérensky-Tsérételli, même sans les cadets, continuerait à appliquer un programme semi-cadet. L’élimination des cadets n’est qu’une goutte d’eau dans la mer ; ce qu’il faut, c’est du sang neuf et des méthodes nouvelles.

La conférence de Moscou, en tout cas, clôt et résume toute la phase de la révolution pendant laquelle le rôle dirigeant était tenu par la tactique S.R. et menchevique de coopération avec la bourgeoisie, coopération fondée sur la renonciation aux buts propres de la révolution et leur subordination à l’idée d’une coalition avec les ennemis de la révolution.

La révolution russe est un produit de la guerre. Celle-ci lui a fourni l’instrument nécessaire d’une organisation à l’échelle nationale, c’est-à-dire l’armée. La paysannerie, qui constitue la majeure partie de la population, a été, au moment de la révolution, organisée de force. Les soviets de délégués de soldats ont obligé l’armée à désigner ses représentants politiques, et les masses paysannes ont automatiquement envoyé au soviet les intellectuels semi-libéraux, qui traduisaient le vague de leurs espoirs et de leurs aspirations dans le langage de l’opportunisme mesquin et chicaneur le plus méprisable. L’intelligentsia petite-bourgeoise, qui est, à tous les points de vue, sous la dépendance de la grande bourgeoisie, a pris la direction de la paysannerie. Les soviets de délégués de soldats-paysans ont obtenu une nette majorité sur les représentants des travailleurs. L’avant-garde prolétarienne de Petrograd fut décrétée masse ignorante. La fine fleur de la révolution se révéla, en la personne des S.R. et mencheviks de février, des intellectuels « provinciaux », appuyés sur les paysans. Sur cette base s’éleva, par l’intermédiaire d’élections à deux et trois niveaux, le comité exécutif central. Le soviet de Petrograd, qui, au cours de la première période, remplissait des fonctions à l’échelle de la nation, était soumis depuis le début à l’influence directe des masses révolutionnaires. Le comité central, au contraire, planait dans les nuages des cimes bureaucratiques révolutionnaires, coupé des ouvriers et soldats de Petrograd et hostile à leur égard.

Il suffit de rappeler que le comité central a jugé nécessaire de rappeler des troupes du front pour briser les manifestations de Petrograd qui, au moment de l’arrivée des troupes, avaient déjà été stoppées par les manifestants eux-mêmes. Les dirigeants philistins ont commis un suicide politique quand ils ont refusé de voir autre chose que chaos, anarchie et émeutes dans la tendance – qui était la conséquence naturelle de toute l’orientation du pays – à équiper, à armer la révolution de tout l’appareil de l’autorité. En désarmant les ouvriers et les soldats de Petrograd, les Tsérételli, les Dan, les Tchernov ont désarmé l’avant-garde de la révolution et causé un préjudice irréparable à l’influence de leur propre comité exécutif.

Aujourd’hui, confrontés aux empiétements de la contre-révolution, ces politiciens parlent de rétablir l’autorité et l’importance des soviets. Leur mot d’ordre abstrait de poser la question constitue déjà un procédé profondément réactionnaire. Sous un prétendu appel à l’organisation, c’est une tentative de contourner la question des buts politiques et des méthodes de lutte. Organiser les masses pour « relever l’autorité » des soviets est une entreprise lamentable et inutile. Les masses avaient confiance dans les soviets, elles les suivaient, elles les ont élevés à une hauteur extraordinaire. Et le résultat qu’elles ont pu constater, c’est la reddition des soviets devant les pires ennemis des masses. Il serait puéril de supposer que les masses pourraient ou voudraient recommencer une expérience historique déjà tranchée. Pour que les masses, après avoir perdu confiance dans le centre aujourd’hui dominant de la démocratie, ne perdent pas aussi confiance dans la révolution elle-même, il faut leur fournir un jugement critique sur tout le travail politique accompli jusqu’ici au cours de la révolution, et cela équivaut à une condamnation sans appel de tous les « efforts » des leaders S.R. et mencheviks.

Nous, nous dirons aux masses : ils rejettent toute la responsabilité sur le dos des bolcheviks, mais pourquoi ont-ils été incapables de battre les bolcheviks ? Ils avaient pour eux non seulement la majorité des soviets, mais aussi toute l’autorité du gouvernement, et ils ont quand même trouvé le moyen de se faire battre par un « complot » de ceux qu’ils appellent une bande infime de bolcheviks.

Après les événements des 16-18 juillet, les S.R. et les mencheviks, à Petrograd, n’ont cessé de s’affaiblir, tandis que les bolcheviks se renforçaient. Même chose à Moscou. Cela démontre clairement que la révolution à mesure qu’elle développe, fait que la politique des bolcheviks exprime les exigences tandis que la « majorité » S.R. et menchevique ne fait que perpétuer l’impuissance et l’arriération antérieures des masses. Mais, aujourd’hui cet immobilisme n’est plus de mise ; il doit donc être imposé et renforcé par la répression la plus féroce. Ces gens se battent contre la logique la plus féroce. Ces gens se battent contre la logique même de la révolution, et c’est pourquoi on les trouve dans le même camp que les ennemis de classe conscients de la révolution. Et c’est justement pour cette raison que nous avons le devoir d’affaiblir la confiance qu’on a envers eux, au nom du jour de la révolution qui est notre avenir.

Le caractère absolument vide du mot d’ordre « renforcement des soviets » ressort le plus clairement du monde des relations entre le comité exécutif central et le soviet, appuyé sur les rangs avancés du prolétariat et des soldats qui sont passés de leur côté, marchait de plus en plus résolument vers les positions du socialisme révolutionnaire, le comité exécutif central a systématiquement sapé l’autorité et l’importance du soviet de Petrograd. Pendant des mois entiers, celui-ci n’a pas été convoqué. On lui a, de fait, enlevé son journal, les Izvestia, où les pensées et la vie du prolétariat de Petrograd ne trouvent plus aucune expression. Quand la presse bourgeoise en fureur calomnie et diffame les dirigeants du prolétariat de Petrograd, les Izvestia ne voient rien et n’entendent rien. Dans ces circonstances, quel peut bien être le sens du mot d’ordre « renforcement des soviets » ? Une seule réponse est possible. Il veut dire renforcer le soviet de Petrograd contre le comité exécutif central, qui s’est bureaucratisé et dont la composition est demeurée inchangée. Nous devons obtenir pour le soviet de Petrograd l’indépendance complète d’organisation, de protection et de fonctionnement politique.

C’est là le problème le plus important, et sa résolution est le premier point à l’ordre du jour. Le soviet de Petrograd doit devenir le centre d’une nouvelle mobilisation révolutionnaire des masses de travailleurs, de soldats et de paysans, dans une nouvelle lutte pour le pouvoir. Nous devons soutenir de toutes nos forces l’initiative prise par la conférence des comités d’ouvriers d’usine, pour la convocation du congrès panrusse des délégués ouvriers. Pour que le prolétariat puisse rallier les masses appauvries de soldats et de paysans, sa politique doit être radicale et inexorablement opposée à la tactique du comité exécutif central. Il est clair, d’après la Novaia Zin d’une union entre mencheviks et nous est vaine, réactionnaire et utopique. Ce résultat ne peut être obtenu que si le prolétariat en tant que classe restructure son organisation centrale à l’échelle du pays. Il nous est impossible de prédire tous les tours et détours du cheminement de l’histoire. En tant que parti politique, nous ne pouvons pas être tenus pour responsables du cours de l’histoire. Mais nous n’en sommes que plus responsables devant notre classe : la rendre capable de mener à bien sa mission à travers toutes les déviations du cheminement historique, voilà notre devoir fondamental.

Les classes dirigeantes, avec le « gouvernement de salut 2 », font tout ce qui est en leur pouvoir pour imposer les problèmes politiques de la révolution à l’attention non seulement des travailleurs, mais aussi de l’armée et des provinces, et sous une forme aussi aiguë que possible. Les S.R. et les mencheviks ont fait et font encore tout ce qu’ils peuvent pour étaler devant les secteurs les plus larges des masses laborieuses du pays la faillite complète de leur tactique. Il appartient maintenant à notre parti, avec énergie, vigilance et insistance, de tirer toutes les conclusions inévitables de la situation actuelle et de se mettre la tête des masses déshéritées et épuisées pour livrer une bataille résolue en faveur de leur dictature révolutionnaire.

Proletarii, n° 4, 17 août 1917

Notes

1 Konovalov, ministre du Commerce dans le gouvernement provisoire du prince Lvov, démissionna le 31 mai 1917.

2 Cf. chap. 2, note 5.

https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1917/08/maintenant.htm

Août 1917 - Le caractère de la révolution russe

Les scribes et politiciens libéraux et S.R.-mencheviques se soucient beaucoup de la signification sociologique de la révolution russe. Est-ce une révolution bourgeoise, ou quelque autre type de révolution bourgeoise, ou quelque autre type de révolution ? À première vue, cette théorisation académique peut paraître un peu énigmatique. Les libéraux n’ont rien à gagner à révéler les intérêts de la classe qui sont derrière « leur » révolution. Quant aux « socialistes » petits-bourgeois, ils n’utilisent pas, en général, mais préfèrent invoquer le « sens commun », autrement dit médiocrité et l’absence de principes. Le fait est que le jugement de Milioukov-Dan, inspiré par Plékhanov, sur le caractère bourgeois de la révolution russe ne contient pas une once de théorie. Ni Yedinstvo, ni Rietch, ni Dieu, ni la Rabotchaia Gazeta ne se cassent la tête pour préciser ce qu’ils entendent par révolution bourgeoise. Le but de leurs manœuvres est purement pratique : il s’agit de démontrer le « droit » de la révolution bourgeoise à exercer le pouvoir. Même si les soviets représentent la majorité de la population politiquement formée, même si dans toutes les élections démocratiques, à la ville comme à la campagne, les partis capitalistes ont été balayés avec éclat, « puisque la révolution a un caractère bourgeois », il est nécessaire de préserver les privilèges de la bourgeoisie et de lui accorder au gouvernement un rôle auquel la configuration des groupes politiques dans le pays ne lui donne absolument pas droit. Si nous devons agir conformément aux principes du parlementarisme démocratique, il est clair que le pouvoir appartient aux sociaux-révolutionnaires, soit seuls, soit alliés aux mencheviks. Mais, comme « notre révolution est une révolution bourgeoise », les principes de la démocratie sont suspendus et les représentants de l’écrasante majorité du peuple reçoivent cinq sièges au ministère, alors que les représentants d’une infime minorité en obtiennent deux fois plus. Au diable la démocratie ! Et vive la sociologie de Plékhanov !

« Je suppose que vous voudriez une révolution bourgeoise sans la bourgeoisie ? », demande finement Plékhanov, appelant à la rescousse Engels et la dialectique.

« C’est exactement ça, interrompt Milioukov. Nous, les cadets, nous serions prêts à abandonner le pouvoir que le peuple, de toute évidence, ne veut pas nous donner. Mais nous ne pouvons pas nous dérober devant la science. » Et il se réfère au « marxisme » de Plékhanov comme autorité.

Puisque notre révolution est une révolution bourgeoise, expliquent Plékhanov, Dan et Potressov, nous devons former une alliance politique entre les travailleurs et les exploiteurs. Et, à la lumière de cette sociologie, la pitrerie de la poignée de mains entre Boublikov et Tsérételli se révèle dans toute sa signification historique.

Il n’y a qu’un ennui, c’est que ce même caractère bourgeois de la révolution, qui sert maintenant à justifier la coalition entre les socialistes et les capitalistes, a, pendant un bon nombre d’années, été considéré par ces mêmes mencheviks comme menant à des conclusions diamétralement opposées.

Puisque dans une révolution bourgeoise, avaient-ils l’habitude de dire, le gouvernement au pouvoir ne peut avoir d’autre fonction que de sauvegarder la domination de la bourgeoisie, il est clair que le socialisme n’a rien à faire avec lui, que sa place n’est pas au gouvernement mais dans l’opposition. Plékhanov considérait que les socialistes ne pouvaient à aucune condition participer à un gouvernement bourgeois, et il attaqué violemment Kautsky, dont la fermeté admettait, sur ce point, certaines exception. « Tempora legesque mutantur 1 », disaient les gentlemen de l’ancien régime. Et il semble que ce soit le cas pour les « lois » de la sociologie de Plékhanov, peu importe la contradiction entre les opinions des mencheviks et de leur leader Plékhanov, car, quand on compare leurs déclarations d’avant la révolution et celles d’aujourd’hui, une pensée unique domine les deux formules : c’est qu’on ne peut pas faire une révolution bourgeoise « sans la bourgeoisie ». À première vue, cela peut paraître une évidence. Mais c’est seulement une sottise.

L’histoire de l’humanité n’a pas commencé avec la conférence de Moscou. Il y a eu des révolutions avant. À la fin du xviiie siècle, il y eut en France une révolution, qu’on appelle, et à juste titre, la « Grande Révolution ». C’était une révolution bourgeoise. Au cours d’une de ses phases, le pouvoir tomba aux mains des jacobins, qui étaient soutenus par les « sans-culottes », c’est-à-dire les travailleurs semi-prolétaires des villes, et qui interposèrent entre eux et les Girondins, le parti libéral de la bourgeoisie, les cadets de l’époque, le rectangle net de la guillotine. C’est seulement la dictature des jacobins qui a donné à la Révolution française son importance historique, qui a fait d’elle la « Grande Révolution ». Et pourtant cette dictature fut instaurée non seulement sans la bourgeoisie, mais encore contre elle et malgré elle. Robespierre, à qui il ne fut pas donné de s’initier aux idées de Plékhanov, renversa toutes les lois de la sociologie et, au lieu de serrer la main des Girondins, il leur coupa la tête. C’était cruel, sans aucun doute. Mais cette cruauté n’a pas empêché la Révolution française de devenir « Grande », dans les limites de son caractère bourgeois. Marx, au nom duquel on commet aujourd’hui tant de méfaits dans notre pays, a dit que « toute la Terreur en France ne fut rien d’autre qu’une méthode plébéienne d’en finir avec les ennemis de la bourgeoisie2 » Et, comme cette bourgeoisie avait très peur de ces méthodes plébéiennes pour en finir avec les ennemis du peuple, les Jacobins non seulement privèrent la bourgeoisie du pouvoir, mais encore lui appliquèrent une loi de fer et de sang chaque fois qu’elle faisait une tentative quelconque pour arrêter ou « modérer » le travail des Jacobins. Il est clair par conséquent que les jacobins ont accompli une révolution bourgeoise sans la bourgeoisie.

À propos de la révolution anglaise de 1648, Engels a écrit : « Pour que la bourgeoisie puisse récolter tous les fruits parvenus à maturité, il fallait que la révolution dépasse de loin ses buts premiers, comme ce fut à nouveau le cas en France en 1793 et en Allemagne en 1848. C’est là certainement une des lois de l’évolution de la société bourgeoise3. » On voit que la loi d’Engels est diamétralement opposée à la construction ingénieuse de Plékhanov que les mencheviks ont adoptée et répandue partout comme étant du marxisme.

On peut bien sûr objecter que les Jacobins appartenaient eux-mêmes à la bourgeoisie, la petite bourgeoisie. C’est tout à fait vrai. Mais n’est-ce pas aussi le cas de la prétendue « démocratie révolutionnaire » dirigée par les S.R. et les mencheviks ? Entre le parti cadet, qui représente les intérêts des propriétaires plus ou moins grands, et les sociaux-révolutionnaires, il n’y a eu aucun parti intermédiaire, dans aucune élection que ce soit, à la ville ou à la campagne. Il s’ensuit avec une certitude mathématique que la petite bourgeoisie doit avoir trouvé sa représentation politique dans les rangs des sociaux-révolutionnaires. Les mencheviks, dont la politique ne diffère pas d’un cheveu de celle des S.R., reflètent les mêmes intérêts de classe. Cela n’est pas contradictoire avec le fait qu’ils sont aussi soutenus par une fraction des travailleurs les plus arriérés et les plus conservateurs et privilégiés. Pourquoi les S.R. ont-ils été incapables d’assumer le pouvoir ? Dans quel sens et pourquoi le caractère « bourgeois » de la révolution russe (si on suppose que tel est le cas) obligerait-il les S.R. et les mencheviks à remplacer les méthodes plébéiennes des Jacobins par le procédé bien élevé d’un accord avec la bourgeoisie contre-révolutionnaire ? Il faut évidemment en chercher la raison non dans le caractère lamentable de notre démocratie petite-bourgeoise. Au lieu d’utiliser le pouvoir qu’elle a en main comme organe de la réalisation des exigences essentielles de l’histoire, notre démocratie frauduleuse a respectueusement repassé tout le pouvoir réel à la clique contre-révolutionnaire et militaro-impérialiste, et Tsérételli, à la conférence de Moscou, a même pu se glorifier de ce que les soviets n’avaient pas abandonné le pouvoir de force, après une défaite dans une lutte courageuse, mais de son plein gré, comme preuve d’auto-effacement politique. Ce n’est pas avec la douceur du veau qui tend le cou au couteau du boucher qu’on peut conquérir de nouveaux mondes.

La différence entre les terroristes de la Convention et les capitulards de Moscou, c’est la différence entre des tigres et des veaux : une différence de courage. Mais cette différence n’est pas fondamentale. Elle ne fait que masquer une différence décisive dans le personnel de la démocratie lui-même. Les Jacobins trouvaient leur base dans le classes de petits possédants ou les non-possédants, incluant l’embryon de prolétariat industriel est sorti de la démocratie imprécise pour occuper dans l’histoire une position où il exerce une influence de première importance. La démocratie petite-bourgeoise perdait ses qualités révolutionnaires les plus précieuses à mesure que ces qualités se développaient dans le prolétariat qui se dégageait de la tutelle petite-bourgeoise. Ce phénomène à son tour est dû au degré incomparablement plus élevé de développement capitaliste en Russie par rapport à la France de la fin du xviiie siècle. Le pouvoir révolutionnaire du prolétariat russe, qui ne peut absolument pas être mesuré d’après son importance numérique, est fondé sur son pouvoir productif immense, qui apparaît plus clairement que jamais en temps de guerre. La menace d’une grève des chemins de fer nous rappelle à nouveau, aujourd’hui, combien tout le pays dépend du travail concentré du prolétariat. Le parti petit-bourgeois-paysan, au tout début de la révolution, était soumis au feu croisé des groupes puissants formés par les classes impérialistes d’un côté et le prolétariat révolutionnaire et internationaliste de l’autre. Dans sa lutte pour exercer une influence propre sur les travailleurs, la petite bourgeoisie n’a cessé de se vanter de son « talent à gérer l’État », de son « patriotisme », et elle est ainsi tombée dans une dépendance servile par rapport aux groupes capitalistes contre-révolutionnaires. En même temps, elle a perdu toute possibilité de liquider ne serait-ce que l’ancienne barbarie qui imprégnait les secteurs de la population qui lui étaient encore attachés. La lutte des S.R. et des mencheviks pour influencer le prolétariat cédait de plus en plus la place à une lutte du parti prolétarien pour obtenir la direction des masses semi-prolétariennes des villes et des villages. Parce qu’ils ont « de leur plein gré » transmis leur pouvoir aux cliques bourgeoises, les S.R. et les mencheviks ont été obligés de transmettre intégralement la mission révolutionnaire au parti du prolétariat. Cela seul suffit à montrer que la tentative pour trancher les questions tactiques fondamentales par une simple référence au caractère « bourgeois » de notre révolution peut seulement réussir à semer la confusion dans l’esprit des travailleurs arriérés et à tromper les paysans.

Au cours de la révolution de 1848 en France, le prolétariat fait déjà des efforts héroïques pour agir de façon autonome. Mais il n’a encore ni théorie révolutionnaire claire ni organisation de classe reconnue. Son importance dans la production est infiniment moindre que la fonction économique actuelle du prolétariat russe. De plus, derrière 1848 il y avait une autre grande révolution, qui avait résolu à sa manière la question agraire, et il en résulta un isolement très net du prolétariat, surtout à Paris, par rapport aux masses paysannes. Notre situation à cet égard est infiniment plus favorable. Les hypothèques sur la terre, les obligations vexatoires en tout genre et l’exploitation rapace de l’Église s’imposent à la révolution comme des problèmes inéluctables, qui exigent des mesures courageuses et sans compromis. L’« isolement » de notre parti par rapport aux S.R. et aux mencheviks ne signifierait pas du tout un isolement du prolétariat par rapport aux masses opprimées des villes et des campagnes. Au contraire, une opposition politique résolue du prolétariat révolutionnaire à la défection perfide des leaders actuels du soviet ne peut qu’entraîner une différenciation salutaire parmi les millions de paysans, arracher les paysans pauvres à l’influence traîtresse des puissants moujiks social-révolutionnaires, et faire du prolétariat socialiste le leader véritable de la révolution populaire, « plébéienne ».

Enfin, une simple référence vide de sens au caractère bourgeois de la révolution russe ne nous dit absolument rien sur le caractère international de son milieu. Et c’est là un facteur de première importance. La grande révolution jacobine se trouva confrontée à une Europe arriérée, féodale et monarchiste. Le régime jacobin tomba, laissant la place au régime bonapartiste, sous le poids de l’effort surhumain qu’il dut fournir pour subsister contre les forces unies du Moyen Age. La révolution russe, au contraire, trouve devant elle une Europe qui l’a distancée de beaucoup et qui est parvenue au degré le plus élevé du développement capitaliste. Le massacre actuel montre que l’Europe a atteint le point de saturation capitaliste, qu’elle ne peut plus continuer à vivre et croître sur la base de la propriété privée des moyens de production. Ce chaos de sang et de ruines est l’insurrection furieuse des forces muettes et sombres de la production, c’est la révolte du fer et de l’acier contre la domination du profit, contre l’esclavage salarié, contre la misérable impasse de nos relations humaines. Le capitalisme, pris dans l’incendie d’une guerre qu’il a lui-même déclenchée, crie à l’humanité par la bouche de ses canons : « Sois victorieuse, ou je t’ensevelirai sous mes ruine quand je tomberai ! »

Toute l’évolution passée, les milliers d’années d’histoire humaine, de lutte des classes, d’accumulation culturelle sont concentrées maintenant dans l’unique problème de la révolution prolétarienne. Il n’y a pas d’autre réponse et pas d’autre issue. Et c’est là ce qui fait la force formidable de la révolution russe. Ce n’est pas une révolution « nationale », dans le royaume des hallucinations des xviiie et xixe siècles. Notre patrie dans le temps, c’est le xxe siècle. Le sort futur de la révolution russe dépend directement du cours et du résultat de la guerre, c’est-à-dire de l’évolution des contradictions de classes en Europe, auxquelles cette guerre impérialiste donne une nature catastrophique.

Les Kérensky et les Kornilov ont commencé trop tôt à parler le langage de dictateurs rivaux. Les Kaledine ont montré les dents trop tôt. Le renégat Tsérételli a saisi trop tôt le doigt méprisant que lui tendait la contre-révolution. Jusqu’à présent, la révolution n’a dit que son premier mot. Elle a encore des réserves formidables en Europe occidentale. Au lieu de la poignée de mains des chefs de gang réactionnaires et des bons à rien de la petite bourgeoisie viendra la grande étreinte du prolétariat russe et du prolétariat d’Europe.

Proletarii, n° 8, 22 août 1917

Notes

1 Les temps et les lois changent.

2 Marx, La bourgeoisie et la contre-révolution.

3 Engels, Socialisme utopique et Socialisme scientifique, Éditions sociales, Paris, 1951, p. 99. (N.d.T.)

https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1917/08/caractere.htm

Septembre 1917 - Discours à la conférence démocratique

Camarades et citoyens ! Nous ne voulons pas entendre de bons conseils, nous voulons un rapport. Même Peschekonov, en guise de rapport, nous a lu une sorte de poème en prose sur les avantages de la coalition. Il a dit que les ministres cadets, dans le gouvernement de coalition, ne s’étaient livrés (Dieu merci !) à aucun sabotage ; ils n’ont fait que rester assis et attendre en disant : « Nous allons simplement voir comment vous, socialistes, vous nous trahissez. » J’ai dit que c’est du sabotage de la part d’un parti politique, un parti capitaliste, i-un parti très influent, que d’entrer dans le gouvernement, à un moment des plus critiques de l’histoire, uniquement pour pouvoir observer de l’intérieur comment les représentants de la démocratie se trahissent, quand de l’extérieur, ce même parti aide Kornilov. Le citoyen Peschekonov a promis alors de m’expliquer la différence entre sabotage et politique. Mais il a oublié de tenir sa promesse. Un autre ministre d’un autre parti, un cadet, a tiré certaines conclusions de son expérience de ministre, mais dans un sens politique plus précis. Je veux parler de Kolochkine. Il a justifié sa démission en disant que les pouvoirs extraordinaires attribués à Kérensky ont réduit les autres ministres à n’être que les exécutants des ordres du ministre-président, et qu’il n’était pas prêt, quant à lui, à accepter cette situation.

Je le dis franchement : en lisant ces mots, j’ai été tenté d’applaudir notre ennemi Kolochkine. Il a parlé ici avec dignité politique et avec dignité humaine. Il y a actuellement de grandes divergences d’opinion parmi nous sur le ministère de coalition démissionnaire, aussi bien que sur celui à venir1. Mais, je vous le demande, y a-t-il une divergence quelconque sur le gouvernement en place aujourd’hui, et qui parle aujourd’hui au nom de la Russie ? Je n’ai pas entendu ici un seul orateur revendiquer l’honneur peu enviable de défendre ce monstre) cinq têtes qu’est le directoire, ou son président Kérensky. (Désordre, applaudissements et protestations de « Vive Kérensky ! ».)

Vous vous souvenez peut-être comment, de cette même tribune, un autre ancien ministre, Tsérételli, a parlé de sa propre expérience, en homme très clairvoyant en-t en diplomate ; il a dit que toute la faute en était au peuple lui-même, car c’était lui qui avait élevé un individu à une j-hauteur telle qu’il ne pouvait que le décevoir. Il n’a pas nommé cet individu, mais vous me croirez tous si je vous affirme qu’il ne pensait pas à Terechtchenko.

Dans le discours qu’il a fait ici, Kérensky a répondu à nos remarques sur la peine de mort 2 en disant : « Vous pouvez me condamner si jamais je signe un seul arrêt de mort. »

Si la peine de mort, peine que Kérensky lui-même a abolie jadis, était nécessaire, alors, je vous le demande, comment Kérensky peut-il dire à la conférence démocratique qu’il n’utilisera jamais la peine de mort ? Et s’il nous dit qu’il juge possible de s’engager à ne pas utiliser la peine de mort contre le peuple, alors je dis qu’en parlant ainsi il a fait de l’introduction de la peine de mort une e chose si futile que c’en est presque criminel. (Cris de « C’est vrai ! ».)

Ce fait reflète la totale dégradation actuelle de la république russe. Cette république n’a ni représentation nationale reconnue ni gouvernement responsable. Et si tous, divisés sur tant d’autres questions, nous sommes d’accord sur un point, c’est bien celui-ci : il est indigne d’un grand peuple, et encore plus d’un peuple qui a accompli une grande révolution, de tolérer que le pouvoir soit concentré dans les mains d’une seule personne, et d’une personne qui n’est pas responsable devant le peuple. (Applaudissements.)

Camarade, de nombreux orateurs ont souligné que, dans la période actuelle, le fardeau du pouvoir est lourd et tyrannique, et ils déconseillent à la démocratie russe, jeune et inexpérimentée, d’assumer ce fardeau ; que peut-on dire alors, je vous le demande, s’il est assumé par une seule personne, qui n’a en aucune occasion montré de talent particulier, ni comme chef d’armée ni comme législateur ? (Cris : « Ça suffit ! » et « continuez ! ».)

Camarades, je regrette infiniment que le point de vue qui s’exprime maintenant avec tant d’énergie dans ces cris de protestation n’ait jusqu’à présent trouvé aucune expression articulée à cette tribune (Désordre et applaudissements.)

Pas un orateur n’est monté à cette tribune pour nous dire : « Pourquoi vous quereller à propos de l’ancienne coalition, pourquoi discuter de la future coalition ? Vous avez Alexandre Kérensky, et cela doit vous suffire ! » Personne n’a dit cela. (Ces mots soulèvent une nouvelle tempête de protestations. « Je me tairai jusqu’à ce que l’ordre soit rétabli dans cette salle », déclare Trotsky d’une voix ferme et décidée. Le président réussit à rétablir l’ordre.)

Notre parti n’a jamais attribué la responsabilité du régime actuel à la mauvaise volonté d’un individu quelconque. Au mois de mai, quand j’ai parlé au soviet des délégués ouvriers et soldats de Petrograd, j’ai dit : « C’est vous, les partis en lutte, qui créez vous-mêmes un régime dans lequel la personne qui portera la plus lourde responsabilité sera obligée, indépendamment de sa propre volonté, de devenir le futur Bonaparte russe.. » (Désordre, cris : « Mensonges ! Démagogie ! »)

Camarades, il ne peut y avoir ici de démagogie, car ce qui est dit ici en fait, c’est simplement que certaines circonstances politiques engendrent inévitablement une tendance vers un régime autocratique.

Quelles sont ces circonstances ? Nous les énonçons comme suit : il se déroule dans la société moderne une lutte grave et acharnée. Ici en Russie, dans une période de révolution, quand les masses, émergeant des profondeur, prennent pour la première fois conscience d’elles-mêmes en tant que classe, classe cruellement blessée à travers des siècles d’oppression, quand elles se conçoivent pour la première fois comme sujets politiques, comme personnes légales, comme classe qui commence à attaquer les fondements de la propriété privée, alors, dans une telle période, la lutte de classe prend une forme des plus intenses et des plus ardentes. La démocratie – ce que nous appelons la démocratie –, c’est l’expression politique de ces masses travailleuses, des ouvriers, des paysans et des soldats. La bureaucratie et la noblesse défendent les droits de la propriété privée. La lutte entre ces deux partis est maintenant inévitable, camarades, car la révolution a, pour parler comme les classes possédantes, libéré les couches inférieures du peuple. La lutte entre ces deux partis, qu’elle prenne une forme ou une autre, s’intensifie et évolue suivant son cours naturel de développement, auquel aucune éloquence et aucun programme ne peuvent résister. Maintenant que les forces motrices de la révolution se sont révélées dans leur séparation, un gouvernement de coalition signifie soit le stade ultime de la stupidité politique, et cela ne peut durer, soit le plus haut degré d’imposture de la part des classes possédantes qui tentent de priver les masses de direction en séduisant les chefs les meilleurs et les plus influents pour les attirer dans un piège, dans le but soit d’abandonner les masses (ou, comme ils disent, les « éléments libérés ») à leurs propre ressources, soit de les noyer dans leur propre sang.

Camarades ! Les défenseurs de la coalition disent qu’un gouvernement purement capitaliste est impossible. Pourquoi un tel gouvernement est-il impossible ? Le populiste Minor a soutenu qu’un ministère socialiste serait aussi éphémère qu’un gouvernement de coalition. Ce n’est un compliment ni pour le ministère de coalition ni pour un ministère socialiste. Je vous le demande : pourquoi ne pourrait-on pas laisser le gouvernement entièrement aux mains des capitalistes ? On nous dit que c’est impossible. Camarades, Tsérételli a soutenu tout à fait justement que cela provoquerait une guerre civile. Donc les relations entre les masses et les classes possédantes sont si tendues que la prise en main du gouvernement par les classes possédantes donnerait le signal de la guerre civile. Tant les contradictions sont aiguës, tendues et fortes, tout à fait indépendamment des projets des bolcheviks !

À un tel moment d’interrègne historique, où les classes possédantes ne peuvent se saisir complètement du pouvoir et où les organes du peuple n’osent pas encore s’en saisir, l’idée d’un arbitre, d’un dictateur, d’un Bonaparte, d’un Napoléon, est née. Voilà pourquoi Kérensky a pu occuper la position qu’il détient maintenant. Ce sont la faiblesse et l’indécision de la démocratie révolutionnaire qui ont créé la position de Kérensky. (Applaudissements.)

Si, une fois de plus, vous répétez l’expérience d’une coalition, alors qu’elle a fait son temps, alors que les cadets sont entrés deux fois dans la coalition et l’ont quittée deux fois 3 – et sur ce point, camarades, il faut noter que leur but dans les deux cas, dans leur entrée comme dans leur sortie, était le même, à savoir saboter le travail du gouvernement révolutionnaire –, alors que vous avez été témoins de l’affaire Kornilov 4, ce faisant vous inviteriez les cadets, j’en suis fermement convaincu, à faire plus que répéter l’expérience précédente.

Bien sûr, on a dit qu’on ne peut accuser le parti cadet tout entier d’avoir participé à la rébellion de Kornilov. Si je ne me trompe, c’est le camarade Znamensky qui nous a dit, à nous les bolcheviks (et ce n’était pas la première fois que nous l’entendions) : « Vous avez protesté quand nous avons rendu responsable l’ensemble de votre parti, en tant que parti, du mouvement du 18 juillet. Alors ne répétez pas l’erreur qu’ont commise quelques-uns d’entre nous, et ne rendez pas tous les cadets responsables de la rébellion de Kornilov. » Cette comparaison est, à mon avis, quelque peu inadéquate, car, si on a accusé (à tort ou à raison, c’est un autre problème) les bolcheviks d’avoir lancé, ou même provoqué, le mouvement des 16-18 juillet, ce ne fut pas pour les inviter à entrer au gouvernement, mais pour les inviter à entrer à la prison Kresty5. (Rires.)

C’est là, camarades, une petite différence que même le citoyen Zaroudny, j’espère, ne contestera pas. Nous vous disons : si vous voulez emprisonner les cadets à cause de la rébellion de Kornilov, alors ne le faites pas sans réfléchir, mais examinez le cas de chaque cadet un à un, et sous tous les angles. (Rires et cris : « Bravo ! »)

Mais, camarades, si vous invitez un parti à entrer au gouvernement, disons par exemple à titre de paradoxe (et seulement à ce titre), le parti bolchevique… (Rires.)

Bien. Si vous voulez un ministère dont le travail consisterai à désarmer les travailleurs, à éloigner la garnison révolutionnaire ou à rappeler le troisième corps de cavalerie, alors je dirai que les bolcheviks, qui sont, en tout ou en partie, liés au mouvement des 16-18 juillet, sont dans leur ensemble, en tant que parti, totalement inaptes à la tâche de désarmer Petrograd, sa garnison et ses ouvriers. (Rires.) Car, camarades, bien que les 16-18 juillet nous n’ayons pas appelé les travailleurs à descendre dans la rue, toutes nos sympathies allaient aux soldats et aux travailleurs qu’on a par la suite désarmés et dispersés ; nous étions en complet accord avec leurs revendications, nous haïssons ce qu’ils haïssaient, nus aimions ce qu’ils aimaient…

(« Vous avez arrêté Tchernov », crie une voix dans la salle ; L’orateur répond.) Si je ne me trompe, Tchernov est ici, et il peut confirmer (Tchernov approuve de la tête) que la violence faite à Tchernov n’a pas été commise par les manifestants, mais par un petit groupe de gens visiblement criminels dont j’ai à nouveau rencontré le chef, qui était prisonnier de droit commun, à la prison Kresty6.

Mais, camarades, la question n’est pas là. S’il s’agissait seulement du parti cadet et de son entrée au gouvernement, le fait qu’un membre ou l’autre de ce parti se cache dans la coulisse avec Kornilov, le fait que Maklakov était au téléphone était au téléphone quand Savinkov négociait avec Kornilov, le fait que Roditchev est allé dans le district du Don pour conclure un accord politique avec Kaledine, tout cela importe peu ; mais ce qui est important, c’est que toute la presse capitaliste de tous les pays a propagé les mensonges, les pensées, les sentiments et les souhaits de la classe capitaliste. Voilà pourquoi je dis qu’il nous est absolument impossible d’envisager la question d’une coalition.

Victor Tchernov, bien sûr, est très optimiste et dit : « Attendons » ; mais, premièrement, la question du pouvoir est une question d’aujourd’hui et, deuxièmement, il affirme, en s’appuyant sur la théorie marxiste (le marxisme de Lieber et Dan, devenu maintenant – ironie de l’histoire – une arme adaptée aux besoins des S.R.), il affirme donc, sur la base de la théorie marxiste : « Il faut attendre, peut-être un nouveau parti démocratique naîtra-t-il au cours de la révolution. » Personnellement, j’ai appris du marxisme que, quand les travailleurs entrent en scène comme force indépendante, chacun de leurs pas, loin de renforcer la démocratie bourgeoise l’affaiblit, en libérant la masse des travailleurs de l’influence capitaliste.

On nous a suggéré d’attendre la renaissance et le renforcement de la démocratie capitaliste et de former alors avec elle un front uni. C’est là la plus grande illusion que l’on puisse se faire. Nous ne voulons pas, camarades, fonder nos espoirs sur l’idée que la démocratie bourgeoise, sous la forme qu’elle avait dans le système capitaliste, peut ressusciter parmi nous.

(Le camarade Trotsky lit la déclaration de la fraction bolchevique7. Pendant sa lecture, des cris : « Pourquoi ? Pourquoi ? », éclatent sur le côté droit de la salle, à propos des clauses sur la nécessité immédiate d’armer les travailleurs. L’orateur répond à ces cris par l’intervention suivante.)

Notes

1 Le 6 août, le deuxième gouvernement de coalition, formé quinze jours auparavant, fut dissous, et un troisième fut formé, qui dura jusqu’à l’insurrection d’octobre.

2 La peine capitale, abolie le 25 mars, fut réintroduite par le gouvernement provisoire le 25 juillet 1917 pour les délits militaires.

3 Première démission des cadets : celle de Milioukov le 15 mai. Deuxième démission : celle des cinq ministres cadets du premier gouvernement de coalition, les 15-16 juillet. Les cadets réintègrent la nouvelle coalition formée par Kérensky le 6 août, avec Nekrassov (Premier ministre adjoint et ministre des Finances).

4 Le commandant en chef Kornilov se rebella contre le gouvernement provisoire et les soviets le 6 septembre, et fit marcher la cavalerie (avec la « Division sauvage » des cosaques du Caucase) contre Petrograd. Les masses révolutionnaires eurent raison de la révolte qui ne dura que cinq jours, et Kornilov fut arrêté le 14 septembre.

5 La prison Kresty fut construite à Petrograd en 1893 sur le modèle américain ; elle pouvait loger plus de mille prisonniers. Trotsky y fut emprisonné du 4 août au 17 septembre.

6 Tchernov échappa au lynchage grâce à l’intervention personnelle de Trotsky le 17 juillet 1917.

7 Cf. supra, 7. Discours à la conférence démocratique, note 1.

https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1917/09/conference.htm

5 Octobre 1917 - Résolution du Soviet de Petrograd sur la Conférence démocratique.

Le Soviet des députés ouvriers et soldats de Petrograd, après avoir discuté de la situation critique lors d’une réunion d’urgence, considère :

1) Le pays est sous la menace d’une nouvelle attaque de la contre-révolution. L’impérialisme international, en étroite alliance avec la bourgeoisie russe, prépare des mesures communes pour étrangler les ouvriers, les soldats et les paysans révolutionnaires. Les organisations contre-révolutionnaires du capital existent toujours, et même maintenant la soi-disant Conférence des personnalités publiques siège à Moscou, qui était le centre organisateur du discours de Kornilov. La Conférence démocratique artificiellement constituée, convoquée dans le but de parvenir à un accord avec les éléments qualifiés, s’est révélée totalement impuissante ; tandis que ses sections de droite lancent des ultimatums et vont en rupture directe avec la démocratie révolutionnaire, pour soutenir le gouvernement dans ses démarches contre-révolutionnaires. Le Gouvernement provisoire, par nombre de ses ordres, s’efforce manifestement de désorganiser les forces de la révolution. Il dissout les organisations révolutionnaires démocratiques de la flotte, a l’intention d’introduire les conspirateurs Kornilov-Cadet dans le gouvernement, nomme le Kornilovite Klembovsky exposé au conseil militaire, etc. Tout cela crée une tension extrême dans la situation et met devant le prolétariat, la paysannerie et les soldats la question de repousser ce qui pourrait arriver dans des actions contre-révolutionnaires dans un proche avenir.

2) La conférence démocratique artificiellement bricolée n’améliore en rien la situation enchevêtrée. Au contraire, incapable, précisément à cause de cette sélection artificielle, de résoudre la question du pouvoir révolutionnaire, elle crée l’apparence de l’impuissance de la démocratie révolutionnaire. En même temps, il fédère en son sein une droite essentiellement antidémocratique, qui lance des ultimatums à la démocratie révolutionnaire et est prête à tout moment à passer dans le camp de la contre-révolution ouverte, en consolidant les positions des encensoirs et des ouvrant ainsi le champ à toutes sortes d’aventures contre-révolutionnaires. Ainsi, la politique de conciliation et d’indécision, au lieu de renforcer l’influence de la démocratie, désorganise ses forces et doit être définitivement abandonnée. Le soi-disant pré-parlement est en train de se transformer en une organisation où les parties les plus conservatrices de la démocratie se voient accorder une place décisive au détriment des organisations révolutionnaires d’ouvriers, de soldats et de paysans. Un tel pré-parlement menace de se transformer en une couverture pour de nouveaux accords avec la bourgeoisie, pour de nouveaux retards de l’Assemblée constituante, pour prolonger davantage la politique impérialiste et, par conséquent, pour aggraver davantage la ruine du pays.

3) Par conséquent, la contre-révolution ne peut être repoussée que par des centres organisés de démocratie révolutionnaire - les Soviets des députés ouvriers, soldats et paysans et leurs organes subsidiaires, qui à l’époque de Kornilov avaient déjà prouvé leur puissance dans la lutte contre l’assaut des ennemis de la révolution - les propriétaires terriens, les capitalistes et les généraux. Seuls les Soviets, représentant la force des masses révolutionnaires prêtes à l’action, ont pu écraser la rébellion armée du général Kornilov et de la bourgeoisie cadette, et eux seuls peuvent sauver la révolution.

4) Les Soviétiques doivent maintenant mobiliser toutes leurs forces pour se préparer à une nouvelle vague de contre-révolution et ne pas se laisser surprendre par elle. Partout où se trouve entre leurs mains la plénitude du pouvoir, ils ne doivent en aucun cas le perdre. Les comités révolutionnaires qu’ils ont créés à l’époque de Kornilov doivent avoir tout leur appareil prêt. Là où les Soviets ne possèdent pas cette pleine puissance, ils doivent renforcer leurs positions de toutes les manières possibles, maintenir leurs organisations en pleine préparation, créer, si nécessaire, des corps spéciaux pour la lutte contre la contre-révolution et surveiller avec vigilance l’organisation des forces ennemies.

5) Afin d’unir et de coordonner les actions de tous les Soviets dans leur lutte contre le danger imminent et de résoudre la question de l’organisation du pouvoir révolutionnaire, la convocation immédiate du Congrès des Soviets des députés ouvriers, soldats et paysans est nécessaire.

https://translate.google.fr/translate?u=https://iskra-research.org/Trotsky/sochineniia/1917/19171005-2.html

Le "trotskysme" en 1917

Depuis 1904, j’étais en dehors des deux fractions de la social-démocratie. J’avais vécu les années de la première révolution, 1905-1907, côte à côte avec les bolcheviks. Pendant les années de la réaction, je défendis les méthodes de la révolution contre les menchéviks dans la presse marxiste internationale. Je ne perdais cependant pas l’espoir de voir les menchéviks s’orienter vers la gauche et je fis une série de tentatives d’unification. C’est seulement pendant la guerre que je compris que ces tentatives seraient inutiles. A New-York, au début de mars, j’écrivis une série d’articles consacrés à l’étude des forces de classes et des perspectives de la révolution russe. En ce même temps, Lénine envoyait de Genève à Pétrograd ses Lettres de loin. Ecrits sur deux points du monde que sépare l’océan, ces articles donnent une analyse identique de la situation et expriment des prévisions toutes pareilles. Toutes les formules essentielles —sur l’attitude à prendre à l’égard des paysans, de la bourgeoisie, du gouvernement provisoire, de la guerre, de la révolution internationale, sont absolument identiques. Sur la pierre à aiguiser de l’histoire, vérification fut faite alors des rapports du « trotskysme » et du léninisme. Cette vérification eut lieu dans les conditions d’une expérience de chimie pure. Je ne connaissais pas le jugement de Lénine. Je partais de mes propres prémisses et de ma propre expérience révolutionnaire. Et j’indiquais les mêmes perspectives, la même ligne stratégique que donnait Lénine.

Mais, peut-être, à cette époque, la question était-elle claire pour tout le monde et la solution tout aussi bien prévue pour tous. Non ! Au contraire ! Le jugement de Lénine fut en cette période —jusqu’au 4 avril 1917, c’est-à-dire jusqu’à son apparition sur l’arène de Pétrograd,— un jugement personnel, individuel. Pas un des dirigeants du parti se trouvant alors en Russie, —pas un !— n’avait même l’idée de gouverner vers la dictature du prolétariat, vers la révolution socialiste. La conférence du parti qui avait réuni, à la veille de l’arrivée de Lénine, quelques dizaines de bolcheviks, avait montré qu’aucun d’eux n’allait en pensée au-delà de la démocratie. Ce n’est pas sans intention que les procès-verbaux de cette conférence restent cachés jusqu’à ce jour. Staline était d’avis de soutenir le gouvernement provisoire de Goutchkov-Milioukov et d’arriver à une fusion des bolcheviks avec les menchéviks. La même attitude fut prise (ou bien une attitude encore plus opportuniste) par Rykov, Kaménev, Molotov, Tomsky, Kalinine et tous autres dirigeants ou à demi dirigeants actuels. Iaroslavsky, Ordjonikidzé, le président du comité exécutif central de l’Ukraine, Pétrovsky, et d’autres, publiaient, pendant la révolution de février, à Iakoutsk, en commun avec les menchéviks, un journal appelé le Social-Démocrate, dans lequel ils développaient les idées les plus vulgaires de l’opportunisme provincial. Si l’on reproduisait actuellement certains articles du Social-Démocrate d’Iakoutsk dont Iaroslavsky était le rédacteur en chef, on tuerait idéologiquement cet homme, en admettant toutefois qu’il soit possible de l’exécuter idéologiquement.

Telle est la garde actuelle du « léninisme ». Qu’en diverses occasions, ces hommes aient répété les paroles et imité les gestes de Lénine, cela, je le sais. Mais, au début de 1917, ils étaient livrés à eux-mêmes. La situation était difficile. C’est alors qu’ils auraient dû montrer ce qu’ils avaient appris à l’école de Lénine et ce dont ils étaient capables sans Lénine. Qu’ils désignent seulement, parmi eux, un seul qui de lui-même ait su aborder la position qui fut identiquement formulée par Lénine à Genève et par moi à New-York. Ils ne trouveront pas un nom. La Pravda de Pétrograd, dont les rédacteurs en chef, avant l’arrivée de Lénine, étaient Staline et Kaménev, est restée à tout jamais un monument d’esprit borné, d’aveuglement et d’opportunisme. Cependant la masse du parti, comme la classe ouvrière dans son ensemble, se dirigeait spontanément vers la lutte pour le pouvoir. Il n’y avait pas en somme d’autre voie, ni pour le parti ni pour le pays.

Pour défendre, pendant les années de la réaction, la perspective de la révolution permanente, il fallait des prévisions théoriques. Pour lancer, en mars 1917, le mot d’ordre de la lutte pour le pouvoir, il suffisait, ce me semble, du flair politique. Les facultés de prévision et même de flair ne se sont révélées chez aucun —pas un !— des dirigeants actuels. Pas un d’entre eux, en mars 1917, n’avait dépassé la position du petit bourgeois démocrate de gauche. Aucun d’entre eux n’a passé convenablement l’examen de l’histoire.

J’arrivai à Pétrograd un mois après Lénine. Exactement le temps pendant lequel j’avais été retenu au Canada par Lloyd George. Je trouvai la situation dans le parti essentiellement modifiée. Lénine avait fait appel à la masse des partisans contre leurs tristes leaders. Il mena une lutte systématique contre ces « vieux bolcheviks —écrivait-il— qui ont déjà joué plus d’une fois un triste rôle dans l’histoire de notre parti, répétant sans y rien comprendre une formule apprise par coeur, au lieu d’étudier les particularités de la nouvelle et vivante situation ».

Kaménev et Rykov tentèrent de résister. Staline, en silence, se mit à l’écart. Il n’existe pas, pour l’époque, un seul article où celui-ci ait fait effort pour juger sa politique de la veille et s’ouvrir un chemin dans le sens de la position léniniste. Il se tut tout simplement. Il s’était trop compromis par la désastreuse direction qu’il avait donnée pendant le premier mois de la révolution. Il préféra se retirer dans l’ombre. Il ne prit publiquement nulle part la défense des idées de Lénine. Il éludait et attendait. Durant les mois où se fit la préparation théorique et politique d’Octobre, où s’engagèrent le plus sérieusement les responsabilités, Staline n’eut tout simplement pas d’existence politique.

Lorsque j’arrivai dans le pays, un bon nombre d’organisations social-démocrates groupaient encore des menchéviks et des bolcheviks. C’était la conséquence naturelle de la position que Staline, Kaménev et d’autres avaient prise non seulement au début de la révolution, mais aussi pendant la guerre, bien que, il faut en convenir, l’attitude de Staline en temps de guerre soit restée inconnue de tous : il n’a pas écrit une seule ligne sur cette question qui n’est pas d’une mince importance.

Actuellement, les manuels de l’Internationale communiste, dans le monde entier —pour les Jeunesses communistes en Scandinavie et les pionniers en Australie— répètent à satiété que Trotsky, en août 1912, fit une tentative pour unifier les bolcheviks avec les menchéviks. En revanche, il n’est dit nulle part que Staline, en mars 1917, prêchait une alliance avec le parti de Tsérételli et qu’en fait, jusqu’au milieu de 1917, Lénine ne parvint pas à dégager le parti du marais où l’avaient entraîné les dirigeants temporaires d’alors, actuellement devenus les épigones. Le fait que pas un d’entre eux ne comprit, au début de la révolution, le sens et la direction de celle-ci est maintenant interprété comme procédant de vues dialectiques particulièrement profondes, s’opposant à l’hérésie du trotskysme qui osa non seulement comprendre les faits de la veille, mais aussi prévoir ceux du lendemain.

Quand, arrivé à Pétersbourg, je déclarai à Kaménev que je n’objectais rien aux fameuses « thèses d’avril » de Lénine, qui déterminaient le cours nouveau du parti, Kaménev me répondit seulement :
— Je crois bien !...

Avant même d’avoir adhéré en bonne et due forme au parti, je contribuai à l’élaboration des plus importants documents du bolchevisme. Il ne vint à l’esprit de personne de demander si j’avais renoncé au « trotskysme » comme l’ont voulu savoir, à mille reprises, depuis, dans la période de décadence des épigones, les Cachin, les Thaelmann et autres parasites de la révolution d’Octobre. Si, à cette époque, on a pu voir le trotskysme opposé au léninisme, ce fut seulement en ce sens que, dans les sphères supérieures du parti, pendant avril, Lénine fut accusé de trotskysme. Kaménev en parlait ainsi, ouvertement et avec persistance. D’autres disaient de même, mais d’une façon plus circonspecte, dans les coulisses. Des dizaines de « vieux bolcheviks » me déclarèrent, après mon arrivée en Russie :

— Maintenant, c’est fête dans votre rue !...

Je fus forcé de démontrer que Lénine n’avait pas adopté ma position, qu’il avait simplement étendu la sienne et que, par la suite de cette évolution, où l’algèbre se simplifiait en arithmétique, l’identité de nos idées s’était manifestée. Il en fut bien ainsi.

Dès nos premières rencontres, et plus encore après les Journées de juillet, Lénine donnait l’impression d’une extrême concentration intérieure, d’un ramassement sur lui-même poussé au dernier degré —sous des apparences de calme et de simplicité prosaïque. Le régime kérenskyste semblait, en ces jours-là, tout-puissant. Le bolchevisme n’était représenté que par une « petite bande insignifiante ». C’est ainsi qu’il était traité officiellement. Le parti lui-même ne se rendait pas encore compte de la force qu’il allait avoir le lendemain. Et, cependant, Lénine le conduisait, en toute assurance, vers les plus hautes tâches. Je m’attelai au travail et aidai Lénine.

Deux mois avant Octobre, j’écrivais :

« Pour nous, l’internationalisme n’est pas une idée abstraite, n’existant seulement que pour être trahie à la première occasion (ce qu’elle est pour un Tsérételli ou un Tchernov) ; c’est un principe qui nous dirige immédiatement et est profondément pratique. Un succès durable, décisif, n’est pas concevable pour nous en dehors d’une révolution européenne. »

A côté des noms de Tsérételli et de Tchernov, je ne pouvais pas alors encore ranger celui de Staline, philosophe du socialisme dans un seul pays. Je terminais mon article par ces mots :

« La révolution permanente contre le carnage permanent ! Telle est la lutte dont l’enjeu est le sort de l’humanité. »

Ce fut imprimé dans l’organe central de notre parti, le 7 septembre et reproduit en brochure. Pourquoi mes critiques actuels gardèrent-ils alors le silence sur le mot d’ordre hérétique d’une révolution permanente ? Où étaient-ils ? Les uns, comme Staline, attendaient les événements en regardant de côté et d’autre ; les autres, comme Zinoviev, se cachaient sous la table.

Mais la plus grosse question est celle-ci : comment Lénine a-t-il pu tolérer ma propagande hérétique ? Quand il était question de théorie, il ne connaissait ni condescendance ni indulgence. Comment a-t-il pu supporter que le « trotskysme » fût prêché dans l’organe central du parti ?

Le 1er novembre 1917, à une séance du comité de Pétrograd (le procès-verbal de cette séance, historique sous tous rapports, est tenu secret jusqu’à présent), Lénine déclara que depuis que Trotsky s’était convaincu de l’impossibilité d’une alliance avec les menchéviks, « il n’y avait pas de meilleur bolchevik que lui ». Il montra par là clairement, et non pour la première fois, que si quelque chose nous séparait, ce n’était pas la théorie de la révolution permanente, c’était une question plus restreinte, quoique très importante, sur les rapports à garder envers le menchévisme.

Jetant un coup d’oeil rétrospectif, deux ans après la révolution d’Octobre, Lénine écrivait :

« Au moment de la conquête du pouvoir, lorsque fut créée la république des soviets, le bolchevisme avait attiré à lui tout ce qu’il y avait de meilleur dans les tendances de la pensée socialiste proches de lui. »

Peut-il y avoir l’ombre d’un doute qu’en parlant d’une façon aussi marquée des tendances de la pensée socialiste les plus proches du bolchevisme, Lénine avait en vue tout d’abord ce que l’on appelle maintenant le « trotskysme historique » ? En effet, quelle autre tendance pouvait être plus proche du bolchevisme que celle que je représentais ? Qui donc Lénine pouvait-il avoir en Vue ? Marcel Cachin ? Thaelmann ? Pour Lénine, lorsqu’il passait en revue l’évolution du parti dans son ensemble, le trotskysme n’était pas quelque chose d’étranger ou d’hostile ; c’était, au contraire, le courant de la pensée socialiste le plus proche du bolchevisme.

La véritable marche des idées n’eut, on le voit, rien de commun avec la caricature mensongère qu’en ont faite, profitant de la mort de Lénine et de la vague de réaction, les épigones.

https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/mavie/mv30.htm

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