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La révolution "française" avait commencé... en Corse !

samedi 3 décembre 2011, par Robert Paris

« Toute l’Europe est corse ! »

Voltaire

« Leurs blessés se mêlèrent parmi les morts pour raffermir le rempart. On trouve partout de la valeur, mais on ne trouve de telles actions que parmi les peuples libres. »

Voltaire dans "Précis du siècle de Louis XV" (parlant de la bataille de Ponte Novu)

« Il est encore en Europe un pays capable de législation, c’est l’île de Corse. La valeur et la constance avec laquelle ce brave peuple a su recouvrer et défendre sa liberté mériterait bien que quelque homme sage lui apprit à la conserver. J’ai quelque pressentiment qu’un jour,
cette petite île étonnera l’Europe. »

Jean-Jacques Rousseau, Du Contrat Social.

« Après une suite de mouvements, plus ou moins vite réprimés, les Corses s’ameutèrent de nouveau en 1729, par l’imprudence d’un collecteur des impôts Génois, qui voulut, pour être payé, saisir les effets d’une pauvre femme. Ils se choisirent deux chefs qui s’emparèrent de la capitale. Gènes, après bien des efforts, eut recours à l’empereur Charles VI, qui envoya d’abord des troupes insuffisantes. Leur mauvais succès détermina la cour de Vienne à y envoyer une plus forte armée. Les Corses se prêtèrent alors à un accommodement, dont l’empereur fut le garant, ce qui fut signé en 1733. Dès l’année suivante, les Corses reprirent les armes, soutenant que les Génois avaient violé le traité. Ce furent des combats continuels jusqu’à l’apparition du baron Théodore de Neuhoff, du comté de la Marck en Westphalie, qui fut proclamé roi de Corse en 1736. Il ne finit pas l’année sur son trône et, fugitif de lieu en lieu, arrêté à Londres pour dettes, il dut sa liberté au bénéfice de l’acte d’inviolabilité. Cependant, Gènes ne pouvant réduire les rebelles eut recours à la France, qui envoya en 1738, des troupes pour soutenir la médiation et pour combattre les Corses. Après plusieurs combats et beaucoup d’exécutions sévères, les Corses furent contraints de rendre les armes à la fin de 1739, et en 1740 toute l’île fut soumise à la France. A la fin de 1741, les troupes françaises remirent l’île aux Génois et se retirèrent. A peine furent-ils partis, les troubles recommencèrent… La guerre depuis 1748 continua sous différents chefs, jusqu’en 1755, où Pascal Paoli… fut élu général de l’île par le conseil général du royaume (de Corse). Il chassa les Génois de plusieurs villes de l’intérieur du pays ; il s’appliqua avec autant de sagesse à rétablir l’ordre et la sûreté partout. Il serait peut-être parvenu à chasser enfin les Génois, si, en 1764, la France n’avait fait un nouveau traité avec cette république pour envoyer des troupes… La République de Gènes fatiguée de commander à des sujets toujours mécontents, les a remis à la France en 1768, par un traité qui eut son effet par les armes victorieuses des Français. La Corse fut presque toute conquise l’année suivante par les armes de cette nation, sous les ordres du comte de Vaux. Cependant Paoli et ses compatriotes se défendirent avec un courage incroyable ; souvent ils emportèrent des avantages signalés sur les Français ; enfin ils furent obligés de céder à la force. Paoli, ne pouvant sauver sa patrie, prit le parti de la quitter. »

Article « Corse » de l’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert

Rousseau, Projet de constitution pour la Corse

Bustanico dans le Boziu : c’est ici que ça a commencé. En décembre 1729, la révolution paysanne, dirigée contre le paiement de l’impôt (il y avait eu une famine en 1729), éclate dans le Boziu et s’étend aux régions environnantes.

Bastia est mis à sac en février 1730.

D’abord réticent, les notables étaient plutôt du coté des Gênois, mais ils se rangent du coté des paysans corses lorsque le sang corse coule en mars 1730.

Trois notables sont proclamés Généraux de la Nation Corse en décembre 1730 : Luigi Giafferi, Andréa Ceccaldi, et l’abbé Raffaelli d’Orenza représentant les trois ordres de la nation (populaire, noblesse corse et clergé).

Luigi Gafferi Encadré par les notables, la jacquerie se transforme, dès 1730, en révolution politique. Gênes, dépassé par l’ampleur de la révolte, fait appel aux troupes de l’empereur Charles VI.
Vaincues en 1731, elles reçoivent des renforts et soumettent les rebelles en 1732.

Gênes accorde des concessions garanties par l’empereur.
Mais, dès 1733, après le départ des troupes impériales, les révoltes reprennent dans le Rustinu dirigées par Giacintu Paoli (pére de Pasquale). L’événement politique majeur de cette deuxième insurrection est la consulte nationale qui se tient à Orenza en janvier 1735.
L’avocat Sebastiano Costa rédige la Constitution Corse.

La convention franco-génoise de 1737 permet à la France de débarquer à Bastia en février 1738.
En juillet 1739, les Corses se rendent et leurs chefs sont exilés à Naples, dont Paoli qui emmène son fils Pascal.

En 1741, au départ des français de la Corse succède la troisième insurrection corse.
Le consulte de Boziu, en mars 1743, institue la régence pour le royaume de Corse. Mais, en novembre 1745, une alliance austro-sarde s’empare de Bastia repris par les génois en 1746.

Gian Pietro GafforiLes français interviennent pour la deuxième fois en Corse en mars 1748 jusqu’en 1753 laissant l’île entre les mains des insurgés dont le chef, Gian Pietro Gaffori, a été élu Général de la Nation lors du consulte d’Orezza en 1751.
Gaffori est assassiné à Corte le 3 octobre 1753.

La grande révolution "française" a commencé... en Corse !

La révolution démocratique a eu lieu en Corse de 1729 à 1769, soit soixante ans avant le continent...

7 au 14 décembre 1738, c’est la première victoire des Corses (de Giacinto Paoli et Luigi Giafferi à leur tête) à Borgo, contre les troupes françaises. Ensuite, le marquis de Maillebois débarque à Calvi le 21 mars 1739 à la tête d’un corps expéditionnaire de plus de 10 000 hommes.

Il parvient en moins de deux mois à pacifier l’île en utilisant bien souvent les moyens les plus violents : incendies, pillages, tortures… Les insulaires lui donnent un surnom : Magliaboia (boia signifiant bourreau).

Le 14 juillet 1755, à la cunsulta du couvent Sant’Antone di a Casabianca, Pasquale de’ Paoli est élu général (unique) de la Nation Corse.

Le lendemain, Paoli est accueilli en triomphe par la cunsulta. L’indépendance est proclamée, au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Celui qui deviendra u babbu di a patria est chargé de rédiger une constitution pour la Corse qui en fera la première démocratie de type moderne en Europe. Une démocratie qui fera l’admiration des philosophes français, et une constitution qui inspirera celle des Etat Unis d’Amérique de 1787.

Lors de cette cunsulta qui se terminera le 15 juillet 1755, il est décidé que " si des troupes de quelque puissance que ce soit, sans exception ", venaient en Corse pour combattre, il y serait opposé " la force à la force ", même au prix du sacrifice de toute la nation. De plus, la cunsulta décrète également " une guerre perpétuelle " à la République de Gênes et " à toute puissance qui l’assurerait de sa protection ", c’est-à-dire à la France entre autres.

Les Corses tinrent tête à l’armée française pendant près d’un an, jusqu’à la défaite de Ponte Novu, le 8 mai 1769. Lutte héroïque, selon Voltaire, où les Corses construisirent une barricade avec des cadavres de leurs morts tandis que les blessés se jetaient volontairement sur le tas.

A lire "La grande révolte des Corses"

Historique

En décembre 1729, révolution paysanne, dirigée contre le paiement de l’impôt (il y avait eu une famine en 1729), éclate dans le Boziu et s’étend aux régions environnantes.

Bastia est mis à sac en février 1730.

D’abord réticent, les notables étaient plutôt du coté des Gênois, mais ils se rangent du coté des paysans corses lorsque le sang corse coule en mars 1730.

Trois notables sont proclamés Généraux de la Nation Corse en décembre 1730 : Luigi Giafferi, Andréa Ceccaldi, et l’abbé Raffaelli d’Orenza représentant les trois ordres de la nation (populaire, noblesse corse et clergé).

Luigi Gafferi Encadré par les notables, la jacquerie se transforme, dès 1730, en révolution politique. Gênes, dépassé par l’ampleur de la révolte, fait appel aux troupes de l’empereur Charles VI.

Vaincues en 1731, elles reçoivent des renforts et soumettent les rebelles en 1732.

Gênes accorde des concessions garanties par l’empereur.
Mais, dès 1733, après le départ des troupes impériales, les révoltes reprennent dans le Rustinu dirigées par Giacintu Paoli (pére de Pasquale). L’événement politique majeur de cette deuxième insurrection est la consulte nationale qui se tient à Orenza en janvier 1735.

L’avocat Sebastiano Costa rédige la Constitution Corse.

Le Dio vi salvi Regina est adopté comme hymne national corse.
L’image de l’Immaculée Conception de la Vierge figure désormais sur les étendards des insurgés.

L’exécutif est confié à trois primats : Giafferi, Paoli et Ceccaldi.

En avril 1736, un aventurier allemand, le baron Von Neuhoff arrive en corse. Les primats se disent :"tiens ca ne serait pas mal si on en faisait un roi de celui là", et c’est ainsi que le baron Von Neuhoff devint Théodore Ier roi de Corse. Il quitta l’île dès novembre 1736.

La convention franco-génoise de 1737 permet à la France de débarquer à Bastia en février 1738.

En juillet 1739, les Corses se rendent et leurs chefs sont exilés à Naples, dont Paoli qui emmène son fils Pascal.

En 1741, au départ des français de la Corse succède la troisième insurrection corse.

Le consulte de Boziu, en mars 1743, institue la régence pour le royaume de Corse. Mais, en novembre 1745, une alliance austro-sarde s’empare de Bastia repris par les génois en 1746.

Gian Pietro GafforiLes français interviennent pour la deuxième fois en Corse en mars 1748 jusqu’en 1753 laissant l’île entre les mains des insurgés dont le chef, Gian Pietro Gaffori, a été élu Général de la Nation lors du consulte d’Orezza en 1751.

Gaffori est assassiné à Corte le 3 octobre 1753.

Clément Paoli, fils aîné de Giacintu Paoli, est nommé à la tête de la régence.

La révolution, qui commence comme révolte contre l’impôt, se structure progressivement. Aucun des deux camps ne peut obtenir seul de victoire militaire. Les insurgés se donnent un système étatique, avec sa constitution, son hymne et son drapeau : d’abord sous le roi allemand Théodore de Neuhoff, puis dans le cadre du régime que dirige Pasquale Paoli à partir de 1755. Celui-ci établit un pouvoir démocratique stable, qui contrôle presque tout le territoire, et lance une politique de développement économique (création d’une flotte et du port de l’Ile-Rousse) et culturel (création de l’Université). Il met fin aux excès de la vendetta traditionnelle et répand la notion d’intérêt public. La Constitution de 1755, qui affirme le droit des peuples à la liberté, apparaît comme un modèle à travers le monde.

En 1768, Gênes vendit, comme une vulgaire marchandise, la Corse au Roi de France qui la conquit manu militari l’année suivante. De nombreux patriotes corses cherchèrent des refuges et Pise fut l’un d’eux.

A partir de 1789, en Corse...

Dès le début de la Révolution en France, les Corses reprirent espoir de recouvrer leur liberté et, en août 1789, ils renversèrent le « despotisme militaire », réorganisèrent leurs communes démocratiques, leurs gardes nationales et se préparèrent aux élections de l’assemblée d’un département unique en Corse. En France, l’Assemblée constituante accepta ces prémices et autorisa les réfugiés corses à rentrer chez eux, sans excepter Pascal Paoli alors réfugié en Grande-Bretagne. Buonarroti arriva en Corse avec ses amis en décembre 1789 et fonda un journal, Giornale Patriottico di Corsica qui parut d’avril à novembre 1790.

Pendant son séjour en Corse, Buonarroti se trouva tiraillé entre son admiration pour Paoli et son amitié pour Salicetti, qui appartenait, comme les familles corses Arena ou Bonaparte, à la classe des collaborateurs privilégiés de la monarchie qui leur avait distribué, ou confirmé, l’appropriation privée de terres communales prises aux communautés villageoises.

Paoli rentra en Corse en 1790 et fut élu triomphalement président de l’Assemblée départementale. Il décida de restituer aux communes ces terres usurpées. Alors les familles privilégiées s’y opposèrent, dénoncèrent Paoli et cherchèrent à saboter sa politique, jusqu’à la rupture de juillet 1793 par laquelle les Corses reprirent leur indépendance, ce qui provoqua la fuite de ces familles privilégiées vers la France. Toutefois, l’indépendance de la Corse tourna court car Paoli fit appel aux Anglais, qui occupèrent l’île à nouveau et créèrent un Royaume anglo-corse : ce fut un échec pour la liberté corse !

Depuis 1796, les Français occupent de nouveau la Corse. Contrairement à la " libération " que certains historiens ont pendant longtemps annoncée, cette nouvelle occupation est mal vécue en Corse car elle s’accompagne de nombreuses exactions des fonctionnaires, d’une mauvaise gestion des deniers publics, de mesures fiscales considérées comme des extorsions arbitraires, d’une multiplication des perquisitions qui tournent aux pillages, et du retour d’un favoritisme dû au clientélisme. Cet ensemble de vexations entraîne en 1797 une révolte. L’abbé Charles Pierre Casalta de Prunelli di Casacconi prêche pratiquement une croisade !

La première réunion des révoltés se tient le 14 septembre 1797 au col de San Ghjorghju. Un manifeste présente cette " expédition patriotique (comme) une véritable croisade ou guerre de religion (motivée par) l’état de péril dans lequel se trouve la Nation, autrefois si chère à nos ancêtres, tant au temporel qu’au spirituel. "

Après avoir rallié plusieurs centaines de personnes à leur cause, les insurgés réclament au nom du peuple souverain " justice, tant pour la foi bafouée que pour les victimes de la dilapidation des fonds publiques.

Finalement, face à cette agitation, l’état de siège est décrété le 11 octobre. On ordonne l’arrestation de tous les révoltés. Plusieurs centaines de personnes sont jugées et condamnées à des peines légères pour tenter d’apaiser la situation.

Le Cismonte se révolte à son tour

Alors que la situation se calme en Pumonte, l’agitation commence dans le Cismonte. Le mouvement parti de la Castaniccia s’étend. Cette nouvelle révolte est appelée " A Crucetta ". On lui donne ce nom car les insurgés arborent à leur bonnet ou sur leur poitrine une petite croix blanche comme signe de ralliement.

Manquant de crédibilité, ce mouvement décide lors d’une cunsulta organisée au couvent Sant’Antone di a Casabianca de demander à Agustinu Giafferi, de prendre la tête de la révolte. Agustinu est le fils d’un des chefs révolutionnaires de 1735 Luiggi Giafferi. Agustinu Giafferi est un vieil homme de 80 ans, ancien général de brigade (on l’appelait d’ailleurs le brigadiere) qui été au service du roi de Naples. Il refuse dans un premier temps mais devant l’insistance des insurgés, il accepte de prendre le commandement. La Corse était écra sée d’impôts, les meilleurs de ses fils se trouvaient en exil, en 1798 comme par le passé, une République prévaricatrice opprimait un peuple sans défense. Le libre exercice de leur religion était la dernière parcelle des libertés insulaires. Fallait-il, sans combattre, accepter de la voir disparaître ? Un dernier argument réussi à convaincre le brigadiere, " Notre cause est juste, les prêtres sont avec nous, non seulement par leurs prières, mais les armes à la main ! " Giafferi accepte donc la charge de Président d’un Conseil de Régence.

A cette nouvelle, la révolte prend un aspect sérieux et plusieurs individus des pieve de Moriani, Tavagna, Casinca, Casacconi, et Ampugnani prennent les armes à ses côtés. Un manifeste est envoyé aux autorités républicaines du Golu réclamant la fin des persécutions religieuses et la libération des citoyens emprisonnés.

Plus d’un millier d’hommes armés sont avec Giafferi. Le général Belgrand, comte de Vaubois, aurait voulu parlementer, mais Lucien Bonaparte, alors Commissaire de la guerre à Bastia ordonne une répression énergique. Sous la direction compétente de Giafferi, les insurgés prennent rapidement le contrôle d’une partie de la Casinca et la Castagniccia (les pieve de Tavagna, A Porta, Casacconi et Verde). Ils menacent également U Viscuvatu, Corti et l’Isula. Cependant, ils échouent devant Borgu. A Muratu, le général Casalta envoyé par Lucien Bonaparte inflige une sévère défaite aux insurgés. Cette victoire est souillée par l’affreux supplice d’un malheureux prêtre fait prisonnier des troupes françaises. Sachant que de semblables sévices les attendaient, les insurgés défaits jettent leur Crucetta et se dispersent.

Quelle révolution ?

La révolution corse fut un mouvement de décolonisation, le premier dans les temps modernes si on excepte celui des Provinces-Unies. Il fut dirigé contre la République de Gênes qui avait régné sur l’île depuis près de quatre siècles. Comme vous le savez, ce furent les Corses eux-mêmes, excédés par l’oppression de leurs propres seigneurs féodaux, qui, en 1358, sollicitèrent la protection de Gênes, qui venait, chez elle, d’établir un gouvernement de caractère populaire. Les Génois achevèrent ce que les Corses avaient commencé : ils écrasèrent les seigneurs, non sans avoir à réprimer de nombreuses révoltes, parfois avec une extrême brutalité. Leur pratique de la destruction de villages, dont témoignent les chroniqueurs et qui a été récemment étudiée par Jean Cancellieri d’après des documents originaux, obligea des milliers de paysans à s’expatrier de l’île. A partir du milieu du XVIe siècle, après une brève intervention française (acceptée par la population comme préférable au gouvernement génois), il y eut accalmie. Les Génois, qui jusque-là n’avaient laissé d’empreinte sur l’île que des ouvrages d’architecture militaire (les six villes-forteresses du littoral) firent certains efforts pour mette en valeur la Corse. Ils encouragèrent la production agricole, en particulier celle des céréales : des emprunts étaient consentis à cet effet, l’argent provenant d’une augmentation de la taxe sur le sel. Ces mesures apportèrent quelques avantages à la Corse sans toutefois, qu’elle devienne véritablement prospère. Les Génois agissaient en tout dans leur propre intérêt, leur but essentiel étant d’obtenir un accroissement de céréale à bas prix pour leur consommation dans la métropole.

Ces conditions typiquement coloniales amenèrent le résultat auquel on pouvait s’attendre : tandis que la masse du peuple restait misérable, quelques notables, les " principali ", négociants et grands propriétaires terriens, accédèrent à une relative aisance. Certains d’entre eux, des villages de l’intérieur aussi bien que des villes côtières, fréquentèrent les universités italiennes. Ainsi nous assistons à l’évolution de ce que Francis Pomponi qualifie de " bourgeoisie libérale ", pratiquant les professions de juriste, d’ecclésiastique et de médecin, assez cultivée, et maîtrisant la langue toscane.

Bien que les notables aient bénéficié d’une certaine manière du régime génois, ils se sentaient lésés. Le contrôle sur le commerce exercé par Gênes freinait leurs possibilités de s’enrichir. De plus, le Génois interdisaient aux Corses l’accès aux fonctions publiques importantes. Je n’ai pas à vous rappeler que le reste de la population souffrait tout autant du gouvernement colonial. A tous les niveaux il y avait brimades et injustices, exacerbées par une corruption éhontée des magistrats. Comme vous le savez, à défaut d’un système de justice qui méritait ce nom, les Corses avaient recours à leur ancien code de justice populaire : la vendetta. Vers la fin du régime génois les meurtres atteignant le chiffre aberrant de plus de neuf cents par an, dans une population qui ne dépassait pas 130,000.

Dans ces conditions déplorables les communes rurales formaient le noyau de la résistance corse, de l’identité nationale. Agglomérés dans les villes côtières, les Génois intervenaient peu dans l’intérieur, sauf pour percevoir l’impôt. Les villages, unités territoriales autarciques, s’organisaient selon un système traditionnel avec des réunions plénières, auxquelles assistait toute la population adulte, y compris, en certains endroits, les femmes. A cette occasion on décidait de l’exploitation des terres communales, encore très importantes, et on faisait l’élection des officiers communaux : les podestats et les " patri del comune ". Au XVIe siècle cette organisation semble avoir été réellement démocratique ; par la suite, et à l’époque qui nous intéresse, les notables en vinrent à la dominer, en s’appropriant des terres communales et des postes d’autorité. Les notables étaient donc doublement puissants : par leur position de personnes instruites et aisées, ainsi que par le pouvoir qu’ils exerçaient au sein d’une structure traditionnelle et solidement établie.

Ce fut dans le Bozio que la Révolution corse éclata à la fin de 1729, quand la population, à la suite d’une mauvaise récolte, refusa de payer des impôts. En peu de temps une grande partie de l’île tomba sous le contrôle des insurgés. Le mouvement fut au début une insurrection paysanne, une jacquerie ; cependant les notables, d’abord hésitants, ne tardèrent pas à en prendre la direction. En décembre 1730 trois chefs furent acclamés : deux généraux – un notable, l’autre un soi-disant noble – auxquels fut adjoint un ecclésiastique. Il convient ici d’interrompre notre récit pour examiner le mouvement insurrectionnel par rapport à la structure de la société corse. La Révolution, rappelons-nous, était une révolte anti-coloniale, et non pas une révolte d’une classe contre une autre. Il n’y avait plus dans l’île de noblesse proprement dite : les quelques familles nobles encore en possession de leurs domaines, mais déchues de tout privilège, ne se distinguaient des notables que par quelques prétentions périmées. Comme la Révolution française, la Révolution corse était menée par des notables, et ces derniers ont su conduire le peuple jusqu’à sa libération. Nous ne devons cependant pas nous imaginer une population unie dès le commencement de la Révolution dans un seul élan vers l’indépendance nationale. Loin de là. La Révolution était inégalement suivie sur le plan géographique. Les habitants des villes côtières, Génois d’origine ou liés par intérêt avec eux, se sont toujours tenus à l’écart de l’insurrection. De même, les habitants des régions ayant des liens commerciaux plus ou moins fructueux avec Gênes, tel le Cap Corse, se sont montrés longtemps hésitants, tandis que les seigneurs conservateurs du sud de l’île étaient méfiants, voire hostiles. Ces clivages se doublaient d’inimitiés entre familles marquantes ; si la société corse ne connaissait guère de scissions horizontales entre classe, elle était divisée verticalement en divers groupes en forme de pyramide, chacun à sa tête, un chef, soutenu par sa famille et ses partisans ; le phénomène des clans qui n’a point disparu de l’île. Finalement, n’oublions pas, comme le souligne Fernand Ettori, que certains Corse ont combattu contre les insurgés tout au long de la Révolution dans des régiments de Gênes.

La Révolution, surtout à ses débuts, n’engageait donc qu’une partie de la population, et cette partie était scindée par des rivalités internes. Rien d’étonnant à ce que ses débuts soient demeurés longtemps fluctuants et imprécis. Selon le chroniqueur Rossi il y avait, en 1731, trois courants d’opinion chez les insurgés. Les uns voulaient déclarer la Corse république indépendante : c’était la solution extrémiste que la majorité considérait irréalisable. D’autres voulaient s’assurer de la protection de quelque prince étranger pour ne plus dépendre de Gênes. Et encore d’autres ne visaient qu’à obtenir des concessions de Gênes, au besoin par les armes.

Ces divergences dans la population ne doivent pas trop nous étonner : elles sont caractéristiques de révolutions de ce genre. Il nous manque malheureusement des études comparatives de la Révolution corse avec d’autres mouvements de décolonisation. Mais nous n’avons qu’à puiser dans nos propres mémoires pour trouver des analogies, des exemples d’hésitation, de contradictions, et de dissensions au sein d’un tel mouvement : n’oublions pas la guerre d’Algérie.

Ce qui est remarquable dans la Révolution corse n’est pas que de tels problèmes aient existé, mais que malgré eux, le mouvement révolutionnaire ait persisté, se soit amplifié, et finalement ait triomphé. La conscience nationale s’est développée sous le choc de déceptions répétées. Les diverses négociations entreprises avec Gênes ont échoue ; l’espoir de trouver une protection étrangère s’est avéré mal fondé : l’Espagne, sollicitée dans les premières années de la Révolution, s’est désintéressée de l’île. Face à ces obstacles, les insurgés ont réagi en prenant en main leur propre destin, pour réaliser finalement une véritable indépendance.

Les insurgés ont fait preuve d’un esprit audacieux et créatif dans leurs tentatives d’organisation politique, qui étaient très en avance sur leur temps. Tout au long de la Révolution le génie corse s’est exprimé par une série de systèmes politiques qu’on peut appeler des constitutions primitives, et qui ont abouti à la constitution de Paoli, véritable régime parlementaire. En cette évolution idéologique réside l’intérêt de la Révolution corse, phénomène sous-estimé et insuffisamment étudié, qui mérite une diffusion plus grande qu’il n’a connue. Dès le début de la Révolution, les insurgés étaient conscients de l’importance du consensus populaire. Les premiers chefs furent proclamés en 1730 par la voix du peuple. Ce fut encore par la volonté populaire que fut entreprise, en janvier 1735, la première tentative d’organisation nationale, lors d’une " consulta " à Corti par trois généraux, dont l’un Giacinto Paoli, père de Pasquale. Nous ne devons point sous-estimer le rôle qu’ont joué les " consulte " dans la Révolution corse. Institution coutumière, que ne consacrait aucune législation, elles furent convoquées dès le Moyen Age : la première dont nous possédons un témoignage documentaire est de 1264, quand Sinucello della Rocca fit accepter au pays un genre de constitution rudimentaire. Assemblées régionales ou insulaires, les " consulte " réunissaient des représentants désignés par leurs communautés ou leurs " pievi ". Elles se sont tenues par intervalles à travers l’histoire corse, en temps d’insécurité ou de guerre civile. La coutume survécut aux diverses dominations étrangères, comme un embryon de démocratie indestructible. Pendant la Révolution les " consulte " furent très nombreuses : Rossi en note soixante-dix pendant les vingt-six premières années de la Révolution jusqu’au moment, en 1755, où Paoli transforma la " consulta " en Diète, parlement nationale. Ce fut lors de " consulte " successives que furent prises les décisions qui donnèrent son originalité à la Révolution corse. Dans celle de 1735, toutes négociations avec la République ayant échoué, la Corse fut déclarée libre de Gênes. Libre, mais non pas nation indépendante : il y a là une nuance. En effet, certains espéraient toujours mettre le pays à l’abri d’une puissance étrangère protectrice. Un système de gouvernement fut adopté, propre à assurer l’organisation du territoire libéré. Le pouvoir central restait aux mains des trois généraux, qui étaient désignés " primait " ; une junte exécutive et une diète générale étaient prévues, composées de députes élus dans leurs communautés. Les " primati " avaient cependant le droit d’en nommer d’autres : le système donc moins que démocratique. Ce qui le particularise, c’est l’essor précoce d’une conscience nationale, et la volonté du peuple d’affirmer son identité à travers sa propre organisation : chose courante de nos jours mais pratiquement inconnue à l’époque. L’historien R.R. Palmer, dans son magistral ouvrage The Age of Democratic Revolution, qui ignore la Révolution corse, affirme que le peuple de l’Etat de Massachussets fut le premier, en 1780, à s’ériger en " pouvoir constituant ".

Cette constitution primitive corse fut suivie d’autres, adoptées selon les exigences de la situation politique. En 1736 les Corses accueillirent un aventurier allemand Théodore de Neuhoff qui, apportant munitions et vivres, se fit couronner roi de Corse avant de s’enfuir huit mois plus tard court d’argent. Théodore a été malmené par certains historiens : aventurier il l’était, mais il avait aussi un idéal : Margaret Jacob a révélé qu’il était soutenu par des groupes révolutionnaires anti-monarchistes en Hollande. Le peuple corse, de toute manière, n’était pas dupe de ses prétentions ; car il lui imposa un régime de monarchie constitutionnelle, conçu par l’avocat corse Sebastiano Costa, selon lequel il était conseillé par vingt quatre représentants des différentes régions de l’île et ne pouvait prendre aucune décision sans leur accord.

L’esprit d’invention politique des Corses, nous le voyons, ne fut jamais en défaut. En 1739 les patriotes sont vaincus par les forces françaises et leurs chefs partent en exil, y compris Giacinto Paoli, qui se retire à Naples, emmenant avec lui son fils Pasquale, âgé de quatorze ans. Pourtant les essais d’organisation politique reprennent après le départ des troupes françaises. Dans les années suivantes nous voyons un véritable foisonnement de constitutions, proclamées par des " consulte " et 1743, 1745, 1746 et 1747. Leurs institutions ne présentent que des variations mineures : la fonction de chef d’Etat est confiée à un collège de deux à quatre généraux ; ils sont assistés par des corps de magistrats désignés individuellement semble-t-il par des " consulte " qui en fait tiennent le pouvoir, bien qu’elles ne soient point intégrées aux systèmes de gouvernement. Chaque " cunsulta " édicte un nouveau système, avec de nouveaux membres ; il n’existe aucun mécanisme pour modifier ou renouveler les systèmes une fois édictés. Leur structure est d’ailleurs rudimentaire, avec confusion des pouvoirs militaires et judiciaires, tandis qu’il n’existe aucune autorité législative reconnue.

Pourtant, lorsqu’en 1752, à la fin d’une seconde intervention française, un autre système est adopté sous l’impulsion du puissant général Gaffori, celui-ci ne corrige pas les erreurs des précédents mais les reproduit à une plus forte échelle. Le pouvoir suprême est confié à un tribunal ne comprenant pas moins de cent trois membres qui exercent leur charge à tour de rôle : d’autres conseils sont également investis de pouvoirs à la fois judiciaires et exécutifs.

L’assassinat de Gaffori en 1753 ébranla la Révolution et amena en Corse Pasquale Paoli. Il était alors sous-lieutenant dans un régiment napolitain, le Royal Farnese, affecté à la garnison de Porto Longone, à l’île d’Elbe. Avant de se rendre en Corse, il prit la précaution de faire accepter par les chefs de l’insurrection un système de gouvernement qui fut adopté à une " cunsulta " peu après son débarquement dans l’île en avril 1755. Nous ne nous y attarderons pas, car il n’était que provisoire, et avait un caractère semblable au précédent.

Le 15 juillet, Pasquale Paoli était élu général en chef de la nation. Sa constitution, aboutissement de l’effort révolutionnaire, fut adoptée en novembre de cette année à une " cunsulta " tenue à Corti . Il n’est guère douteux qu’entre temps il ait étudié Montesquieu, dont il avait demandé à son père de lui envoyer les ouvrages. De cette application précoce des thèses de Montesquieu à une réalité concrète est sortie la constitution corse.

Cette révolution, quasi inconnue sur le continent, est reliée au nom fameux de Pascal Paoli qui fut à la fois un général corse, le chef de la Nation corse indépendante, un démocrate, un patriote et un homme des Lumières..

Pascal Paoli

En 1739, Hyacinthe Paoli, contraint par les Génois de quitter la Corse secouée par des troubles depuis 1729, choisit de se réfugier à Naples. Il emmène avec lui le plus jeune de ses fils, Pasquale, âgé de 14 ans. Le jeune Paoli est aussi un grand lecteur de Montesquieu, dont il se fait expédier De l’Esprit des lois par son père, et des penseurs britanniques de l’époque. Mais il fait également preuve de curiosité scientifique et suit les cours de l’Académie Royale d’Artillerie.

Lors de la consulte qui se réunit au couvent Saint-François de Caccia, le 20 avril 1755, il est appelé par les principaux chefs corses révoltés contre Gênes.

La guerre que la République de Gênes continuait de mener contre la Corse était à son apogée, et les représentants de la nation allaient délibérer sur les chefs qu’ils devaient nommer pour guider le pays dans cette lutte vitale. Paoli se rendit à l’Assemblée comme député de Morosaglia pour prendre la tête de l’insurrection pour l’indépendance de la Corse. Il y fut élu ce même 20 avril 1755 général en chef de la nation corse.

Mariu Emmanuele Matra qui était à la tête d’un parti important dans les pieve de Fiumorbu, Castellu, Rogna, Alisgiani, Serra et Verde, aspirait également au généralat. s’y oppose et propose sa candidature.

Au cours d’une consulte qui se tient au Couvent Saint-Antoine de la Casabianca (Sant’Antone di a Casabianca) les 13, 14 et 15 juillet suivants, l’élection de Paoli est confirmée le 14. Le lendemain de son élection, il est proclamé général en chef de la nation et général du « Royaume de Corse ».

Paoli reçoit la nouvelle chez lui à Morosaglia, où il avait préféré demeurer, s’abstenant de participer à la consulte pour laisser aux députés la liberté de parlementer hors de sa présence.

Écarté par la consulte, Mariu Emanuellu Matra se fait proclamer général à Alisgiani le 10 août 1755. Avec un corps de partisans, il marche contre Paoli.

Le 27 mars 1757, Pasquale Paoli, accompagné de peu de troupes, est surpris dans le Boziu par Matra. Il se réfugie dans le couvent d’Alandu. Le 28 mars, alors que les hommes de Matra forcent l’entrée du couvent, Clemente Paoli arrive au secours de son frère et oblige les assaillants à se retirer. Mariu Emanuellu Matra est tué.

En même temps, Pascal Paoli met en œuvre un plan réfléchi de modernisation de l’île en lui donnant une constitution (constitution corse), adoptée en 1755 au couvent de Caccia et retouchée à plusieurs reprises par la suite. Synthèse de traditions institutionnelles locales et des différents statuts que Gênes a appliqués à la Corse, l’acte constitutionnel y affirme la souveraineté populaire dans le préambule et reconnaît le droit de vote aux personnes de plus de 25 ans, dont les femmes (veuves ou célibataires), chargées d’élire, au niveau des Consultes communales, les délégués de la Diète, qui détient le pouvoir législatif et élit elle-même un conseil d’État, présidé par le général en chef, et un Sindaco chargé de veiller au bon fonctionnement de l’administration et de contrôler les magistrats.

Il s’agit d’une « démocratie de notables » pour Pierre Antonetti, d’une « dictature de salut public tempérée par l’influence des notables » pour Fernand Ettori, de l’œuvre « d’un homme d’action plus que d’un législateur » pour Francis Pomponi : le vote est en fait réservé aux seuls chefs de famille dans les communautés villageoises ; le suffrage universel est remplacé en 1764 par le suffrage indirect ; la souveraineté populaire est contrebalancée par les prérogatives de Paoli, qui peut convoquer aux séances de la Diète des personnes non élues et réunir des Consultes particuliers ; l’institution du généralat à vie restreint le système démocratique ; la Diète n’est réunie qu’une à deux fois par an pour des durées très courtes (deux à trois jours) ; au sein de cette Diète siègent, à côté des élus, des membres de droit : ecclésiastiques, anciens magistrats, frères et fils de ceux qui sont « morts pour la patrie » et « patriotes zélés et éclairés » ; un doit de veto suspensif est reconnu en 1764 au conseil d’État sur les décisions de la Diète ; les principali dominent la vie publique et concentrent la réalité du pouvoir (podestats, pères du commun, conseillers d’État, juges, etc.). Par ailleurs, en raison des importants pouvoirs détenus par le Conseil d’État et Paoli en matière de justice, la séparation entre exécutif et judiciaire laisse la place à une confusion.

Toutefois, la Corse apparaît alors, aux yeux des philosophes, notamment Rousseau et Voltaire, comme le premier État démocratique de l’Europe des lumières et, Paoli comme un « despote éclairé ».

Sur le plan économique, Paoli introduit en Corse la pomme de terre dès 1756, fonde L’Île-Rousse (1758-1765) dans le but de concurrencer les présides génois d’Algajola et de Calvi, et fait battre monnaie à l’effigie de la nation corse à Murato (1762).

Une « imprimerie nationale » est créée à Campoloro où sont publiés les Ragguagli dell’Isola di Corsica, sorte de journal officiel. Il crée une marine de guerre et fait de Corte la capitale de la Nation corse où siège le gouvernement. Il bat une monnaie saine, et interdit la vendetta.

La France, désirant, pour des raisons stratégiques, se positionner en Méditerranée, trouve l’opportunité politique de s’implanter en Corse lorsque la République de Gênes, chassée de Corse et criblée de dettes, vient demander l’aide de Louis XV.

Aux termes du traité de Versailles, signé le 15 mai 1768, la France prête deux millions de livres à Gênes, qui donne en garantie la Corse, qu’elle ne possède plus.

Ayant eu connaissance du traité de Versailles, Paoli réunit une consulte le 22 mai à Corte, à l’occasion de laquelle il déclare : « Jamais peuple n’a essuyé un outrage plus sanglant […] On ne sait pas trop qui l’on doit détester le plus de celui qui nous vend ou de celui qui nous achète […] Confondons les dans notre haine puisqu’ils nous traitent avec un égal mépris. »

Bien décidés à défendre leur indépendance, les forces paolistes remportent plusieurs victoires face aux troupes françaises, la plus célèbre étant celle de Borgu, le 5 octobre 1768, où les armées de France doivent battre en retraite devant les régiments corses. Mais, fortes de quelque 20 000 soldats, les troupes de Louis XV remportent une victoire décisive le 9 mai 1769 à Ponte Novu.

Les troupes corses mises en déroute, Paoli, contraint à l’exil, quitte la Corse. Il est successivement reçu par le grand-duc de Toscane, par l’Empereur, le stathouder des Pays Bas, avant d’être reçu et accueilli par le roi de Grande-Bretagne le 13 juin 1769. La Corse perd du même coup son indépendance et voit les citoyens de sa démocratie passer au rang de sujets de Louis XV.

La victoire militaire des Français et l’exil de Paoli ne signifient pas pour autant que la Corse soit conquise. Les nombreuses insurrections qui éclatent dans l’île sont réprimées.

Paoli part en exil avec 500 ou 600 de ses partisans. Embarqué à destination de la Grande-Bretagne, il se fait acclamer à son passage par ses admirateurs d’Italie et de Grande-Bretagne, en passant par l’Autriche ou encore les Pays-Bas. Son combat est en effet devenu célèbre à travers l’Europe grâce au récit de voyage du Britannique James Boswell, An account of Corsica : the journal of a tour to that island and memoirs of Pascal Paoli (1768).

Après un exil de vingt ans, il se rallie à la Révolution française. Rappelé en 1790 dans sa patrie, son voyage de Paris en Corse est une véritable marche triomphale ; il est accueilli en particulier par Lafayette. Il est reçu le 22 avril 1790 par l’Assemblée nationale puis, le 26, par le club des Jacobins, alors présidé par Robespierre, qui l’admet à l’unanimité en son sein. Louis XVI le nomme alors lieutenant-général et commandant de l’île. Il débarque le 14 juillet 1790 à Macinaggio pour son retour en Corse, où il est accueilli triomphalement par la population.

En 1793, Paoli reçoit Napoléon Bonaparte. Napoléon alla voir Paoli, qui accueillit avec franche amitié le fils de son ancien compagnon armes. Bonaparte accompagna dans ses courses le vieux général, qui, chemin faisant, lui montrait avec orgueil les lieux où il avait autrefois combattu pour l’indépendance de l’île, et lui racontait l’histoire de ces combats. Une fois, à Ponte-Novo, un cortège de 500 hommes à cheval accompagnait Paoli, Bonaparte marchait à ses côtés. Paoli lui désignait les positions, les lieux de résistance, de défaite et de triomphe des Corses dans la guerre de l’indépendance : il parlait avec feu, de cette lutte glorieuse a son jeune compatriote, qui l’écoutait avec une attention pleine d’intelligence, et lui soumettait de temps en temps des observations.

Cependant, les relations entre Paoli et la Convention se ternissent, notamment suite à l’échec de l’expédition de Sardaigne et les manigances de Pozzo di Borgo, homme lige de Paoli. Il contrôle de plus en plus le directoire de Corse et met des hommes qui lui sont proches. Suite à la défection de Dumouriez, la Convention ordonne le 2 avril 1793 l’arrestation de Paoli, dont le pouvoir était contesté et les tractations avec l’Angleterre suspectées, et le déclare « traître à la République française ».

En réponse, Paoli enclenche une épuration des opposants à son autorité (notamment la famille Bonaparte) et prend le contrôle d’une grande partie de l’île. Une Consulte générale se réunit à Corte le 10 juin 1794. Entièrement entre ses mains, celle-ci l’élève au rang de Babbu di a Patria (« Père de la Patrie »), et ses représentants jurent fidélité au roi de Grande-Bretagne et à la constitution que ce prince a offerte, qui établit un Parlement et un vice-roi. Le rapprochement avec la Grande-Bretagne s’accélère pour chasser les Français de Corse et fonder un royaume anglo-corse. Paoli s’adresse officiellement à la Grande-Bretagne, dont le gouvernement, saisissant avec empressement une semblable occasion d’augmenter ses possessions, envoie aussitôt dans la Méditerranée une flotte sous le commandement de l’amiral Hood, avec ordre de s’emparer de la Corse. Les forces françaises qui se trouvent dans l’île sont en trop petit nombre et désorganisées par les purges révolutionnaires pour pouvoir résister longtemps. Les villes maritimes ont beaucoup à souffrir. Calvi surtout se fait remarquer par sa résistance à l’occupation anglaise et est entièrement ruinée. Paoli use de tout son pouvoir pour imposer le passage de l’île sous domination britannique.

Écarté par les Britanniques du titre de vice-roi, Paoli, mécontent de la conduite que tiennent les Britanniques, se retire à Monticello. Toutefois, ses ennemis jugeant plus prudent de se débarrasser d’homme dont l’influence est encore assez grande pour faire perdre aux Britanniques tout ce qu’il leur a donné, le vice-roi, sir Guillaume Elliot, demande à son gouvernement de le rappeler en Grande-Bretagne.

Il quitte la Corse avec regret, mais résigné, et retourne à Londres pour un exil définitif, où il meurt le 5 février 1807, à l’âge de 81 ans.

Cet homme dont la vie privée est mal connue laisse, par son testament, une somme importante pour fonder à Corte une université, et à Morosaglia une École primaire supérieure.

Le mythe de Pasquale Paoli, « babbu di a Patria » (« père de la Patrie ») est encore très vivant et présent dans l’île. Ses cendres reposent aujourd’hui dans son village natal de Morosaglia. Son cénotaphe se trouve à l’abbaye de Westminster à Londres.

Messages

  • Quelle révolution ?

    La révolution corse fut un mouvement de décolonisation, le premier dans les temps modernes si on excepte celui des Provinces-Unies. Il fut dirigé contre la République de Gênes qui avait régné sur l’île depuis près de quatre siècles.

  • Toutefois, la Corse apparaît alors, aux yeux des philosophes, notamment Rousseau et Voltaire, comme le premier État démocratique de l’Europe des lumières

  • durant l’apogée de l’absolutisme en Europe le Gouvernement Corse était d’essence démocratique et populaire.
    En témoigne ces quelques mots :
    « La Corse se donne une constitution basée sur la souveraineté du peuple et la séparation des pouvoirs. Le pouvoir législatif reste confié aux consultes. L’exécutif est assuré par un Conseil d’Etat présidé par le Général et subdivisé en trois sections : politique, économique et militaire. Le pouvoir judiciaire est donné, suivant l’importance des délits, à des tribunaux situés au niveau de la paroisse, de la pieve, de la province ou de la Nation ».

    Cet État était pourvu de tous les attributs modernes de la Souveraineté puisqu’il levait l’impôt, battait monnaie, légiférait, était à la tête d’une armée régulière et d’une marine de guerre…..
L’enseignement dans la République était également gratuit et public, tandis qu’une Université avait été fondée à Corte. À noter que pour un peuple si souvent qualifié de barbare et de misogyne le droit de vote des femmes était inscrit dans la Constitution, faisant ainsi de l’État National Corse l’un des premiers à l’échelle planétaire à accorder ce droit aux femmes. La République de Corse était fondée sur des modèles qui influencèrent tous les révolutionnaires de ce siècle qu’ils soient anglais ou américains.
    À ce sujet on peut écrire que certains points de la constitution américaine sont inspirés par le modèle Corse ( la première constitution démocratique du monde moderne ). En témoigne la multitude des villes portant des noms Corses aux États-Unis, et notamment la villa de Thomas Jefferson appelée « Monticello ».
    Cet État qui avait si bien assimilé l’esprit des Lumières, qui avait su passé de la théorie à la pratique, devait à cause de la conquête française de 1769 retourner dans un mode de vie pour le moins archaïsant, et ici les mots d’Aimé Césaire résonnent.
La fermeture de l’Université de Corse en 1769 peut être considérée comme l’archétype même de ce désir de faire sombrer le peuple insulaire dans un certain obscurantisme en l’empêchant d’accéder à un savoir qui in fine pouvait être pour le moins subversif.
 Nous ne traiterons pas de l’ensemble de la conquête et de la « pacification » de l’île, pacification qui d’ailleurs dura plus de 50 ans, mais nous dirons simplement que malgré la défaite de Ponte Novu les Corses ne se résignèrent pas, mais qu’ils luttèrent pendant plus de cinq décennies pour retrouver leur liberté. Résistance confrontée à un certain barbarisme de l’occupant, à une époque où selon les mots d’un général français « on y fusille au moins un homme par jour ».
 Vingt ans après Ponte Novu la Corse devait être incorporée à la France par un décret voté par l’Assemblée constituante française.

  • Quel a été le rôle de Rousseau dans la révolution corse ?

  • En fait, quasiment aucun, à part pour la publicité, à la fois celle de Rousseau et celle, sur le continent, de la révolution corse. Rousseau a fait sa propre publicité avec l’affaire corse, en prétendant qu’elle en appelait à lui, mais son rôle y est beaucoup moins glorieux qu’il l’a prétendu. Ce n’est pas la révolution corse qui s’est tournée vers lui pour établir sa constitution ! Ce n’est pas Pascal Paoli qui lui a demandé d’écrire sur la révolution corse. Rousseau a reçu un message d’un Corse en 1764 : de la part de Matteo Buttafoco alors que la révolution corse a commencé en 1729, a pris un tour général et insurrectionnel en 1735, a pris le pouvoir sur l’île en 1755 et que son leader, Pascal Paoli, a immédiatement rédigé une constitution corse, sans avoir besoin d’un écrivain continental pour ce faire ! Rousseau s’avise donc de la révolution corse en 1764, mais celle-ci est écrasée définitivement de manière militaire en 1769 par cinquante bataillons armés d’une quantité de matériel d’artillerie !!! Si Buttafoco l’a invité à venir, Rousseau a décliné l’invitation, du fait des risques sérieux pour sa sécurité et des dangers de toutes sortes pour y parvenir.

    Il répond finalement aux invitations de Buttafoco :

    « Dans cette idée qui m’est venue, j’ai plus consulté mon cœur que mes forces ; car, dans l’état où je suis, il est peu apparent que je soutienne un si long voyage. »

    « Non, je n’oublierai pas un moment de ma vie que vos cœurs, vos bras, vos foyers m’ont été ouverts à l’instant qu’il ne me restait presque aucun autre asile en Europe… Si je n’ai point le bonheur de laisser mes cendres dans votre île, je tâcherai d’y laisser au moins quelque monument de ma reconnaissance, et je m’honorerai aux yeux de toute la terre de vous appeler mes hôtes et mes protecteurs. »

    Il s’en explique dans ses « Confessions » :

    « Je ne devais trouver en Corse, des plus simples commodités de la vie, que celles que j’y porterais : linge, habits, vaisselle, batterie de cuisine, papier, livres, il fallait tout porter avec soi… Les frais immenses, les fatigues, les risques d’un pareil voyage m’obligeaient d’en prévoir d’avance et d’en bien peser toutes les difficultés. L’idée de me retrouver enfin seul, sans ressource à mon âge, et loin de toutes mes connaissances, à la merci de ce peuple barbare et féroce tel que le peignait M. Dastier, était bien propre à me faire rêver sur une pareille résolution avant de l’exécuter. »

    On mesurera la différence entre ce « peuple barbare et féroce » et l’adresse de Rousseau aux Corses de mai 1765 qui débute par « Peuple brave et hospitalier… » !!!

    Rousseau révolutionnaire, c’est un véritable contresens ! Les quelques phrases qui le sont dans le « Contrat social » ont été influencées par Diderot et Rousseau lui en beaucoup voulu pour cela…

  • Brève chronologie de la révolution corse

    1729 : début de la révolte du peuple corse contre la domination de la république de Gènes, exercée au travers de l’intervention militaire autrichienne et bataille de Calenzara

    mai 1732 : victoire des Corses et signature de la paix de Corte

    1734 : nouvelle oppression et nouveau soulèvement à Castagniccia

    1735 : rébellion massive de la Corse derrière Giacinto Paoli et Luigi Giafferi

    novembre 1737 : envoi en Corse d’un corps expéditionnaire français de 8000 hommes qui rentre en France en 1741

    Juillet 1755 : guerre civile entre Pascal Paoli, représentant les Corses indépendantistes qui prend la tête de la Corse, et Matra. Pascal Paoli finit par l’emporter et il met en place une nouvelle constitution corse, anticipation des constitutions de la révolution française : « Le peuple corse, légitimement maître de lui-même, ayant reconquis sa liberté… ».

    Juillet 1767 : Gênes vend ses droits sur la Corse à Louis XV, roi de France, d’où le traité de Versailles du 15 mai 1768 entre Gênes et la France.

    1768 : l’armée française débarque en Corse un corps expéditionnaire de 20.000 hommes dirigé par De Vaux et Chauvelin qui ouvre les hostilités en juillet 1768. Elle est battue à Borgo.

    1769 : l’armée française est victorieuse, avec 50 bataillons et de l’artillerie lourde, à Neviu, Pontenovu et le Vecchio. Le nombre des victimes est considérable. Pascal Paoli, qui avait gouverné la Corse de 1755 à 1769, doit quitter l’île pour l’Angleterre. Trois cent cinquante dirigeants indépendantistes corses doivent aussi quitter la Corse.

    1789 : Mirabeau, député de la Révolution, demande à la révolution française de reconnaître les exilés corses comme des révolutionnaires victimes de la répression royale : « L’Assemblée nationale décrète que ceux des Corses qui, après avoir combattu pour la liberté, se sont expatriés par l’effet et la suite de la conquête de leur île… auront dès ce moment la faculté de rentrer dans leur pays pour y exercer tous les droits de citoyens français… » Il rajoute : « Il n’y a plus rebelles mais des hommes ayant combattu pour la liberté ».

    3 avril 1790 : Pascal Paoli arrive à Paris. Robespierre l’accueille au Club des Amis de la Constitution : « Vous avez défendu la liberté à une époque où nous n’osions même pas l’espérer. Vous avez souffert pour elle, vous triomphez avec elle. Pascal Paoli sont acceptés immédiatement sur les bancs de l’assemblée comme représentants du peuple corse.

    8 septembre 1790 : une consulta corse est organisée sous la présidence de Pascal Paoli qui est élu président du département et commandant en chef des gardes nationales.

    Février 1791 : Paoli dirige pour la première fois la totalité de la Corse.

    Mars 1838 : Paoli est encore élu député de la Corse plus de cent ans après les débuts révolutionnaires de la Corse...

    2 avril 1793 : sur les instances de Lucien Bonaparte, ennemi juré de Paoli, et du Club des Jacobins de Toulon, le 2 avril 1793 Pascal Paoli est décrété d’arrestation sur la base de calomnies sans fondement. Paoli regagne l’Angleterre…

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