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Haïti, terre rouge
mardi 2 octobre 2012, par
C’est avec plaisir que nous vous communiquons cet écrit, dans lequel les vrais noms sont bien sûr cachés, rapportant la vie dans l’île de la révolte des esclaves et où la révolte est loin d’être éteinte. Nous vous communiquerons au fur et à mesure la suite, réelle, anticipée ou romancée de cette histoire…
Haïti, terre rouge
ou
Kouve you zè istorik
(Ce qui couve là sera historique)
Courrier du 18/08/2012 adressé par Anatole du camp de tentes Saint-Louis Gonzague de Port-au-Prince (capitale d’Haïti) à Achille émigré à Fort de France (Martinique)
Cher Achille,
Je choisis de t’écrire longuement aujourd’hui car j’aimerais ainsi que ce qui a fait notre vie de ces dernières années en Haïti ne soit pas perdu dans les mémoires. Et j’ai de bonnes raisons de penser qu’il serait facile, d’un moment à l’autre, que des forces occultes choisissent de m’éliminer, ayant repéré que, malgré mes airs innocents, j’étais un des participants de la mobilisation des plus opprimés de Port-au-Prince et un contact avec les provinces d’Haïti. Une épine dans le pied du pouvoir en somme et un adversaire déclaré des classes dirigeantes locales comme des forces d’occupation internationales qui sont toujours présentes alors qu’elles prétendaient n’intervenir que dans l’urgence du séisme qui a frappé Haïti le 12 janvier 2010. Tu te rends compte : plus de deux ans déjà et toujours rien de sérieux n’a été fait pour aider la population !
Je ne voudrais pas que notre histoire disparaisse dans un mitraillage, chose tellement courante ici que personne ne cherchera pourquoi notre île aurait perdu un inconnu, misérable en surplus et habitant un camp de tentes.
Nous avons souvent correspondu de loin en loin et tu connais nos malheurs. Alors que la date du séisme s’éloigne lentement, nous en sommes toujours à dormir dehors sans un véritable toit sur nos têtes, et, alors que nos maisons se sont effondrées il y a de nombreux mois et années, lors du fameux tremblement de terre qui a frappé l’île et particulièrement la capitale, Port-au-Prince, rien n’indique que nous allons enfin trouver un toit sur nos têtes dans des jours, des mois ou des années.
Comment la solidarité bâtit un camp de fortune
Je vais commencer par te rapporter la matinée d’hier afin que tu mesures l’ambiance chez nous, au camp Saint-Louis Gonzague dans la capitale. Tu n’as pas vu nos camps de tentes, dans l’émigration où tu vis, et il est peut-être difficile pour toi d’imaginer le camp où nous vivons. Ce n’est pas du tout pareil que les bidonvilles que tu avais connus avant ton départ. En effet, ces camps ont été mis en place par les habitants eux-mêmes, sont des produits de la solidarité et du travail des habitants qui recherchaient un moyen de survivre après les disparitions de maisons et ne voulaient plus rentrer dans des maisons délabrées qui menaçaient de s’effondrer à tout moment. Tout le monde a mis la main à la pâte pour les construire et ces camps de tentes se sont constitués sans aucune aide des pouvoirs publics ni des forces occupantes. Ce qui fait que ces camps, pour misérables qu’ils soient, et plus encore pour ceux qui auparavant avaient comme moi une véritable maison, sont vraiment les nôtres. Les relations que nous y avons, nous les avons également construites laborieusement. Nous avons constitué des comités de contrôle, de sécurité. Nous avons institué nos règles intérieures et nos services d’hygiène et de nettoyage. Personne n’était là pour nous dire ce qu’il fallait faire et toutes les compétences se sont proposées pour résoudre des milliers de problèmes pratiques et organisationnels apparemment insolubles. Il a fallu trouver les terrains, les déblayer, les nettoyer, les installer et les partager. Rien n’a été évident et il en est sorti une solidarité de camp en un moment où chacun était livré à ses pensées, à sa tristesse, à la mort de ses proches, à l’effondrement de son monde. Tu ne peux pas imaginer, du coup, combien la reconstitution d’un petit univers un tout petit peu protégé nous est apparu comme extraordinaire, combien nous avons été fiers de notre réalisation et combien elle nous a semblé prouver que l’avenir n’était pas forcément sombre. Combien aussi nous avons été ulcérés d’apprendre que le pouvoir, à peine sorti de sa léthargie silencieuse des jours qui avaient suivi le tremblement de terre, n’a eu de cesse que de nous faire déguerpir sous tous les prétextes.
A peine des autorités ont-elles été reconstituées après l’effondrement politique et social causé par l’événement brutal mais aussi par l’incompétence, la gabegie, la corruption et l’incapacité sociale, elles ont cherché tous les prétextes pour nous faire partir des terrains que nous occupions, illégalement nous ont-elles dit. Les propriétaires, nous ont-elles dit, voulaient récupérer au plus vite leurs terrains pour bâtir, pour faire des écoles, des terrains de foot, pour nous virer plus exactement.
Rien d’étonnant, les propriétaires de Port-au-Prince n’ont jamais été connus pour une propension particulière de se préoccuper des démunis. Je n’ai pas besoin de te le dire. Tu en avais vécu la réalité dans ta propre chair, toi qui avait subi très jeune l’oppression arrogante d’un de ces grandons, lorsque tu n’étais qu’un ouvrier agricole de 14 ans, traité pire qu’un esclave ! Tu te souviens dans ta chair des coups de fouet. Tu n’as pas oublié qu’un seigneur du coin t’as obligé sous peine de mort de manger de l’herbe…
Donc, quand ces saigneurs ont voulu nous faire déguerpir, un vrai cri a enflé dans notre camp. Et ce cri a été entendu jusqu’à la présidence. On a donc cessé de nous menacer. On a commencé à vouloir nous aider... pour entamer notre force.
L’aide a consisté en une nuée de personnes chargées de nous dire ce qui était bon pour notre santé, pour notre hygiène, pour nos enfants, et j’en passe…
Et toujours cela se terminait par la nécessité de quitter le camp, de quitter la capitale pour trouver, disaient-ils, des conditions de vie tellement plus confortables, loin en province où un camp magnifique avec tout ce qu’il faut avaient paraît-il été construit pour nous. On n’avait qu’à accepter de partir pour en bénéficier. Mais nous étions plusieurs milliers dans un seul camp, nous avions pris l’habitude de tout discuter entre nous. Personne ne nous avait jamais rien donné et nous ne pouvions croire qu’on allait nous donner un vrai logement ni que, loin de la capitale, nous trouverions des moyens de vivre, de travailler, de faire vivre nos familles… On n’a pas marché dans leur baratin !
Ils ont bien sûr affirmé qu’on gênait le redémarrage du collège Saint-Louis de Gonzague dont nous occupions les terrains ! Selon eux, nous empêchions la rentrée des scolaires...
Donc, essaie d’imaginer notre état d’esprit, hier matin, lorsque nous avons réuni notre comité de camp au petit déjeuner. Les soirées, c’est plutôt le moment d’essayer de travailler de petits boulots ici ou là et on se réunit donc les matins pour examiner tous les problèmes de la gestion du camp. Mais nos réunions pourraient sembler de véritables forums politiques à quelqu’un venu d’ailleurs… Toutes les classe sociales sont présentes ici et toutes les tendances politiques aussi. Chacun accepte ce mixage car il est une condition même de la construction et du maintien de notre camp. Nous avons pactisé ensemble envers et contre tous et cela a cimenté une unité que nous-mêmes n’aurions pu autrefois imaginer entre personnes et tendances aussi dissemblables. Je ne veux pas dire par là que nous nous entendons bien et que nous nous faisons confiance mais le pacte non dit et non écrit consiste à ne pas mettre en cause personnellement un seul membre du camp et à tout baser sur l’union des forces. C’est fondé sur un sentiment qui a été tellement violent après le séisme : celui selon lequel nous étions abandonnés de toutes les sortes possibles d’autorités et livrés à nous-mêmes que ce sentiment de notre unité n’est pas prêt de retomber des mois après.
Petit déjeuner en plein air
Comme je te l’écrivais, c’est donc un petit déjeuner en commun que nous prenons à 6 heures dans un petit coin du camp qui surplombe l’ensemble. Un lieu sale, sans entretien, sans sièges, sans tables, sans rien mais qui profite d’un point de vue incroyable au lever du soleil. Assis les uns sur des bidons vides, les autres sur des gros morceaux de bois ou encore sur des caisses, nous dégustons ensemble un infect breuvage qui est appelé par nous tous café et dont la chaleur nous pénètre doucement. L’instant est précieux. Il fait encore frais. Ici ou là, une toile de tente claque au coup de vent. Un chien errant passe, content lui aussi d’avoir survécu. Une femme surchargée de sacs se hâte vers le centre-ville pour qui sait quelle activité.
Chacun fait mine d’être impassible aux propos des autres et la méfiance est de rigueur car ici nous ne sommes pas en présence d’enfants de cœur. Certains de ces hommes et de ces femmes ont tué pour survivre, ont volé, ont participé ou participent à des milices plus ou moins occultes. Il y a parmi nous des fascistes et des révolutionnaires, des bandits et des hommes et des femmes de cœur, mais il est très difficile dans les conditions du moment de savoir qui est qui. Le séisme a fait basculer tout notre monde dans le cauchemar et il a rebattu les cartes. Il a mêlé d’anciens militaires, d’anciens chefs d’escadrons de la mort, d’anciens hommes de main des grandons avec des ouvriers, des domestiques, des prolétaires comme nous et d’autres issus de la petite bourgeoisie ayant perdu leur maison et tous leurs biens. Certains ont visiblement fait de la politique dans les divers partis et factions qui ont conquis momentanément le pouvoir ou qui ont cherché à le conquérir. Certains autres font partie de bandes occultes beaucoup plus clandestines, depuis d’anciens macoutes de l’époque Bébé doc, d’anciens révolutionnaires, d’anciens lavalas, d’anciens miliciens, d’anciens militaires, d’anciens ouvriers, d’anciens des groupes vaudouisants qui ont tenté de prendre le pouvoir à la faveur du séisme, etc...
Partout, les plaies sont béantes. Mais le séisme a tout changé et il a comme interrompu brutalement le film. On ne peut pas reprendre comme avant, même si les haines et les frustrations ressortent à tout moment, dans chaque conversation. Chacun se souvient que ces hommes et ces femmes qui habitent avec eux aujourd’hui, qui organisent ensemble la dure vie quotidienne, pouvaient hier diriger une arme contre eux ou les menacer et pourront demain le refaire. Du coup, chacun tient sa langue et ne s’engage pas trop pour ne pas trop se dévoiler et préserver l’avenir…
La relation est donc extraordinaire et chacun le sait. Il a fallu l’étonnante conjonction des événements pour précipiter toutes ces personnes dans le même chaudron et demander aux uns et aux autres de touiller cette soupe incroyable.
Dans le comité du camp, où nous sommes une trentaine de participants élus, il y en a un grand nombre dont nous ne connaissons ni l’origine, ni le passé, ni l’ancien métier, ni les dangers. Nous sommes déjà bien contents d’avoir pu trouver le moyen de survivre dans des conditions où la mort est si proche et où le simple fait de dormir en sécurité est un trésor.
Tu te souviens que nous avons réussi à nous y installer à deux, Georges et moi, et le fait d’être là tous les deux, de pouvoir nous informer, confronter nos points de vue, assurer mutuellement notre sécurité, nous aider est déjà un tel bienfait !
Les représentants aux comités sont tous des personnalités du camp qui ont un certain poids mais parfois on ne sait pas ce qui leur donne cette autorité. Nous sommes certains qu’il y a des groupes de miliciens qui se cachent dans le camp et ont élu leurs pairs. Comme tu te doutes, personne n’évoque en clair son passé et personne ne peut te dire la vérité sur d’autres habitants du camp. Nous savons, de source sure cette fois, qu’un groupe révolutionnaire clandestin vaudouisant en fait aussi partie, de même que nous sommes aussi organisés politiquement dans un groupe révolutionnaire prolétarien, Georges et moi, comme nous l’étions avec toi avant ton départ pour l’étranger.
D’autres sont des travailleurs, des pauvres, des misérables même. Marie-Jeanne, que tout le monde appelle familièrement Marisa, a été élue parce qu’elle n’a pas sa langue dans sa poche, sait toujours dire tout haut ce que chacun pense tout bas et qu’on la sait attachée à une seule chance : à ses deux petites filles pour lesquelles elle se dépense sans compter du matin au soir.
Les circonstances d’exception qui ont contraint des profiteurs du marché noir à vivre avec des ouvriers ou des domestiques, des mafieux avec des braves gens, ont également amené chacun à penser que tous avaient besoin des autres, que les hiérarchies sociales passées n’étaient pas prêt de revenir et qu’il fallait prendre la vie comme elle venait et avec qui elle venait.
Les maisons ne sont pas les seules à s’être effondrées dans le tremblement de terre. Toute confiance dans les autorités s’est également effondrée. Toutes les institutions de la société ont également disparu momentanément, incapables de réagir et encore moins d’aider la population face à la catastrophe. Toutes les convictions qu’on croyait fermement établies sur les frontières sociales et politiques ont valsé également. La seule survie immédiate requiert la capacité à admettre que rien n’est plus comme hier. Je te dis tout cela, Achille, pour que tu mesures à quel point il est étonnant de nous retrouver à discuter dans une réunion matinale où on trouve des Lavalas comme TiJean et des anciens macoutes comme Pérotte, des vaudouisants comme Théophile, des syndicalistes comme Edouard Junior et des pasteurs comme le père Olier. Bien des gens du comité appuient ce dernier comme Jacques, Fritz et René de la Pastorale.
La réunion a commencé par l’information par Olier selon laquelle les autorités sanitaires haïtiennes prenaient le relai de la présidence pour exiger qu’on déguerpisse de ce camp « occupé illégalement ».
Marisa a immédiatement réagi violemment :
– Illégalement ! C’est n’importe quoi ! C’est légal un tremblement de terre… Est-ce que cela suit les lois et décrets et les limites de la propriété privée ! Le séisme a-t-il été enregistré au cadastre. De toutes les manières, c’est quoi la légalité d’Haïti ? Où est le cadastre ? Dans les coffres-forts de grandons ? Dans ceux des banques ?
– Tous les camps de tente sont comme nous, a répliqué Olier. Tous ont occupé des terrains privés comme ils ont pu, pour tenter de sauver leurs vies. Tous sont menacés également d’être déguerpis. A nous de montrer qu’on ne se laissera pas faire. Cette fois, on nous annonce que c’est contraire à notre santé, à notre hygiène de rester ici, au centre-ville de Port-aux-Princes, mais nous savons bien que c’est surtout contraire à la tranquillité et à la bonne image des autorités. Ils préfèrent que les camps soient à la campagne, en province ou, au moins, en banlieue. En ville, cela signifie que chacun peut voir dans quel état nous sommes, y compris les média internationaux dès qu’ils débarquent en Haïti pour célébrer les bienfaits de l’aide internationale. Ils voient tout de suite que rien n’a été fait.
– Il faut qu’on se défende et pas seulement palabrer. La menace est sérieuse. Un de ces jours, ils vont trouver des bulldozers qu’ils n’avaient pas pour retrouver des survivants ni pour aider les secours, ni pour reconstruire. Ils les auront pour détruire notre camp en quelques minutes et écraser toutes nos petites affaires. Si on se laisse faire… Il est temps de cesser de palabrer avec ce gouvernement de m…
– Tu as raison Théophile, mais, pour cela, il faut construire un rapport de forces. Il nous faut des soutiens. Il faut faire appel aux associations, aux ti-églises, aux syndicats, aux partis, aux groupes, aux média. Il faut éclabousser la politique du gouvernement qui ne parle d’hygiène que pour nous expulser et pas pour nous fournir des médicaments et des soins !
– Ce n’est pas inutile de faire appel à l’opinion publique, ai-je dis, mais il y a urgence et il faut d’abord lier davantage les camps de tente de la capitale entre eux. Il faut un appel des camps qui fédère tous les camps et adresse un avertissement au gouvernement : en cas d’intervention contre un camp, tous les camps vont se liguer pour le défendre !
– Je propose de former une garde de défense du camp, organisée militairement et prête à intervenir avec des moyens de fortune contre les forces de l’ordre qui seraient envoyées contre nous. J’ai une certaine expérience en la matière et je peux en prendre la direction, a avancé Pérotte.
– Nous ne devons pas donner la primauté à l’intervention milicienne ou militaire sur le rapport de forces construit avec les autres démunis comme nous, a contredit Marisa. On nous a trop souvent fait le coup de nous défendre et les bandes armées qui en sont sorties n’ont jamais fait autre chose ensuite que nous rançonner, nous. On se souvient de toutes les sortes de bandes armées qui ont parcouru le pays ces dernières années, des macoutes aux milices de tous bords et même à l’armée haïtienne. Ils nous ont tué, dévalisé, escroqué et violé, mais jamais protégé. Si on doit mettre en place une garde du camp, cette garde ce doit être nous-mêmes à tour de rôle et c’est tout.
– L’armée haïtienne, elle ne s’est jamais préoccupée de défendre le peuple a dit Théophile. Les Namphy, les Jean-Claude Paul, les Avril et les Cédras ont successivement démontré leur mépris des besoins des plus démunis et leur violence contre les pauvres. Ce n’est pas de nouveaux généraux, de nouveaux capitaines, méprisants et arrogants dont le peuple a besoin. D’ailleurs, s’ils nous en fabriquent d’autres, ils seront certainement du côté des forces d’occupation étrangère et pas leur adversaire.
– Ce n’est pas vrai, a clamé Pérotte, toutes les forces armées n’ont pas été contre le peuple. C’est les Lavalas qui ont fait le mal et personne d’autre ! En tout cas, je ne propose pas de recommencer avec les anciennes milices comme les Chimères ou comme les bandits de la cité Soleil ! Il y a des fois où je me demande si le peuple réalise ce qu’on a perdu le 7 février 1986. Facile de mettre toute la faute sur Bébé doc mais maintenant qu’on voit tous ceux qui ont prétendu le remplacer, le peuple peut réfléchir pour répondre s’il estime que notre sort s’est amélioré. Aujourd’hui, il ne s’agit pas d’attendre du pouvoir la reconstitution de l’armée mais de la lui imposer comme, ici au camp, on peut imposer notre milice de défense sans demander leur avis aux autorités.
– N’essaie pas de nous refaire passer ta camelotte, Pérotte, a répliqué TiJean. Le peuple ne regrette pas Béb doc ! Et Lavalas a bon dos, ici, comme si c’était Lavalas qui gouvernait, comme si on avait jamais opprimé le peuple, nous ! En tout cas, cette discussion ne mène à rien. La question n’est pas là ! Un dispositif de sécurité du camp est déjà en place et il est sous le contrôle du comité élu. Il ne faut pas nous opposer comme cela en repartant sur les anciens affrontements. Cela ne nous apporterait rien.
– Cela ne nous apporterait rien non plus de nous retrouver sans moyens face à des bulldozers protégés par des fusils, a répliqué Pérotte.
– Se défendre militairement, je n’y crois pas. On ne va faire que mobiliser contre nous les soldats des forces internationales et la police haïtienne. La force n’est pas de notre côté. C’est encore nos enfants qui vont ramasser des balles, a dit Marisa. On ferait mieux de manifester en ville pour faire connaitre notre situation et dévoiler leurs sales plans.
– Ils s’en moquent bien de nos manifestations. La dernière fois, ils nous ont chargés et gazés. Pourtant, on avait profité de la présence de la presse internationale, venue féliciter l’ex président américain Clinton venu inaugurer quelques baraques de fortunes construites avec l’agent de l’aide internationale et jouer les jolis cœurs avec le président Martelly.
– Celui-là, il ne vaut pas plus cher que les précédents et roule toujours pour les mêmes.
– Il n’y avait aucune illusion à avoir. Les loups aux dents longues ne s’en vont pas par un bulletin de vote ! Ce n’est pas par des votes qu’on va cesser de vivre en plein vent, en pleine pluie ou en pleine canicule.
– Faut pas les laisser tranquilles, les riches, les pourris ! Faut pas seulement se plaindre et revendiquer ! Qu’on se donne les moyens de les déranger dans leurs magouilles ! J’en ai assez d’être traité comme un moins que rien par ses bandits ! Il n’y a pas d’autre solution que des balles et des hommes et des femmes qui se défendent !
– Quand tu penses qu’il y en a qui roulent en 4x4, vivent dans des palais comme avant, ramassent tout l’argent de l’aide internationale et l’investissent à l’étranger, à commencer par Saint-Domingue où nos frères sont traités comme à la pire époque esclavagiste, exploités, violentés, violés, volés, arrêtés, battus…. Quand tu penses qu’on croupit ici dans la merde et la boue, dans le froid et la pluie et qu’on veut encore nous en faire partir sous prétexte qu’ils ont d’autres projets immobilier privés sur ce terrain, qu’on gêne leurs investissements !
– On a juste à attendre de crever de faim et de froid, aucun espoir de vrai travail, de relogement décent, juste à attendre d’être tué par quelque voleur ou par une maffia et nos enfants n’ont aucune chance de s’en sortir, rajouta Marisa.
– Tu as raison, il y en a marre ! Pas un vrai morceau de pain, pas un vrai café à se mettre en bouche, dit cet autre participant au conseil en crachant au sol.
Pérotte renchérit :
– On ne nous respectera que quand on aura des fusils. C’est vrai qu’il y aura des morts, mais la liberté est à ce prix.
Deux autres membres de milices du conseil, Grégoire et Antoine, lui ont donné raison, car ils sont eux aussi des « militaristes », même s’ils ne font pas partie du tout du même groupe. Ces deux là nous semblent plutôt appartenir aux groupes qui veulent reconstituer l’armée haïtienne et occupent les anciennes casernes. Grégoire a même affirmé qu’il allait proposer publiquement lors de l’assemblée générale la constitution d’une milice du camp et qu’il mettait quiconque a défit de l’en empêcher…
– Ce qui urge, c’est de rendre publique la menace contre nous et notre refus de partir en organisant une nouvelle manifestation sous les fenêtres de la présidence, a répliqué Olier, plutôt que d’étaler nos divergences en public. D’ailleurs, il n’y a pas de raison de refuser en soi l’idée de se défendre par tous les moyens physiques. Il faut seulement que le camp tout entier y soit associé et les autres camps aussi.
– Ben voilà ! Dans ces conditions, on est d’accord, a conclue Pérotte. Passons alors aux autres questions. Comment allons-nous faire pour lancer l’appel des camps et le propager dans la capitale mais aussi en province. Est-ce qu’un texte a déjà été rédigé et que dit-il ?
– Oui, a dit Olier, il y a un texte qui circule déjà, signé de nombreux syndicats et associations. On pourra le récupérer pour le relire au conseil avant de le lire et l’adopter en assemblée générale.
– Un appel, c’est bien, a rajouté Georges, mais il faudrait aussi construire un comité de tous les comités qui les unisse tous. Il faudrait que chaque camp élise deux délégués pour une assemblée unissant les camps. Tant qu’on n’a que des organisations locales, on est plus faible que le gouvernement.
Olier rappelle :
– Les occupants du Stade Sylvio Cator qui occupent une pelouse que lorgne la Fédération haïtienne de foot sont encore plus rapidement menacés d’être expulsés par la force. Ils sont deux fois moins nombreux que nous et les autorités les accusent d’empêcher le redémarrage du foot en Haïti ! Il faut appeler les habitants de Saint-Louis Gonzague à se mobiliser en cas de tentative d’expulsion du camp de Sylvio Cator.
– C’est juste ! Allons nombreux les soutenir. C’est comme cela qu’on construira un véritable rapport de force des camps à Port-au-Prince.
– Pas si simple ! On risque de se disperser et, quand ils auront échoué là-bas, ils s’en prendront à nous. Ils peuvent aussi arrêter nos leaders à Sylvio Cator et on se retrouvera démunis.
– Il faut poser le problème aux habitants et leur montrer l’intérêt de s’unir. Le deuxième point de l’ordre du jour, a rappelé Olier, c’est les inondations. Nous sommes sans cesse menacés par chaque tempête, chaque ouragan. L’eau pénètre partout, menace de tout enlever. Il y a des gros travaux de protection du camp à mettre en œuvre. Il faut récupérer du matériel et demander que les habitants se mobilisent pour empêcher des torrents d’eau et de boue de menacer le camp.
– Pour cela, il faut plus que des matériaux de récupération comme on en a utilisé jusqu’ici. Il faut du ciment, du sable, des canalisations. Si on ne nous fournit pas, il faut en voler !
– Il faut poser le problème à tous les habitants. A nous tous, on peut trouver les compétences en travaux de chantier et les matériaux.
– Le troisième point de l’ordre du jour, c’est qu’on revendique le départ des forces armées internationales. Ils sont venus nous occuper militairement sous le prétexte de nous sauver du séisme ! Ils nous ont refilé le choléra. Ils tuent ou arrêtent nos frères. Ils ne cessent de nous menacer ! Tout l’argent de l’aide sert à cette force d’intimidation du peuple haïtien sans laquelle on ne ferait qu’une bouchée du nouveau pouvoir.
– Martelly prétend qu’ils vont partir quand on aura reconstitué notre armée, mais c’est faux ! Il ne veut pas refaire l’armée haïtienne, celle de l’indépendance, celle de Toussaint ! Il faut revendiquer l’ouverture des recrutements, la remise en place des casernes. Assez de l’occupation étrangère !
C’est Antoine qui vient de prendre la parole et la connait sa ritournelle. Comme si l’époque où il y avait une armée haïtienne était une époque bénie pour le peuple ! Mais tous les participants, cette fois, se gardent de donner leur opinion, méfiant dans ces futurs militaires qui peuvent devenir de dangereux galonnés, capables d’éliminer physiquement leurs ennemis, comme à l’époque où Avril était au pouvoir…
Un grand silence suit.
Marisa s’ébroue.
– Il faut que j’y aille. J’ai un ménage à faire chez les riches. Un peu de monnaie à gagner. On reprendra demain matin.
La réunion se lève, on se salue et chacun vaque à ses occupations. Georges et moi allons nous installer dans un coin plus tranquille de la colline afin de prolonger cette réunion et de décider ce que nous allons faire maintenant.
– Tu vois, je te l’avais dit, les deux officiers, ils ont montré le bout de leur nez !
– Cette fois, effectivement, on l’a tous vu, je crois.
– Ils essaient depuis longtemps de voir quel jeune ils vont pouvoir embarquer dans leurs opérations militaires.
– Et ils font une campagne active pour rétablir l’armée dans ses casernes.
– Et les forces armées internationales, elles sont pour ou contre cette reconstitution de l’armée haïtienne ?
– Bien difficile de le dire ! Cela dépend sans doute dans quelle mesure ils seraient capables de vraiment la contrôler et les dernières tentatives en ce sens ne les ont pas rassurés sur ce point.
– Ne serait-ce pas qu’ils veulent tout simplement finir par recoloniser Haïti pour en refaire un paradis pour milliardaires avec un tout petit nombre d’habitants transformés en domestiques, garçon de courses et prostituées pour grands hôtels et résidences de luxe ?
– C’est possible, mais ils en sont encore loin. Pour le moment, l’occupation vise à casser tout risque de révolte. Tu sais qu’au lendemain du séisme, ils ont échappé de justesse à une tentative de révolution des adeptes d’un groupe vaudou, organisés pour faire un coup de main à la Blanqui contre le pouvoir.
– Est-ce que ce n’était pas un peu du folklore et ont-ils vraiment eu des raisons de craindre une révolution ?
– C’est bien avant le séisme que leurs estimations sur la situation d’Haïti étaient alarmistes du point de vue des classes dirigeantes et les dirigeants militaires et politiques de l’ancienne force d’occupation militaire d’Haïti, la Minustah, ainsi que la PNH estimaient la situation sociale et politique dangereuse avec des risques révolutionnaires… C’est à ce moment là, bien avant le tremblement de terre, que des forces armées américaines ont commencé à croiser au large de notre île, prêtes à intervenir, ce qui explique que, le jour venu, il leur a suffi de quelques heures pour débarquer au grand étonnement des Haïtiens. Ces derniers ont vu des troupes américaines, bien avant de voir un pompier ou un policier haïtien !!! Et, ensuite, pour camoufler l’opération américaine, on en a fait une opération de sauvetage internationale sans que ces troupes viennent pour sauver qui que ce soit, et se contentent de nous amener le choléra !
– Du coup, cela pose le problème de l’attitude à avoir envers ceux qui proposent de constituer une nouvelle armée nationale, et ceux qui veulent nous voir constituer des milices armées, même si on les connait et si on sait que ce n’est pas une armée qui va nous sauver ni de la misère, ni de l’occupation étrangère.
– Non, ce qui se poserait c’est effectivement le peuple en armes et c’est assez difficile pour le moment de concevoir dans quelles circonstances le peuple travailleur pourrait être décidé au point de s’armer et de déborder pour cela toutes les forces adverses. Mais il en est toujours ainsi : personne n’a jamais pu imaginer par avance que le peuple travailleur allait être capable de cela et cependant il l’a été plusieurs fois dans le monde, comme en Angleterre et en France en 1848, en France en 1871, en Russie en 1905 et 1917, en Allemagne en 1918, en Chine en 1925, etc… En Haïti, il en a été de même. Les exploités ont pris les armes avec Toussaint et ils ont aussi réussi à renverser Bébé doc. Notre problème n’est pas de concevoir à l’avance les circonstances dans lesquelles ce serait possible, mais de nous y préparer politiquement en construisant un groupe politique prolétarien.
– Est-ce que notre petit groupe peut faire de la propagande ouvertement en ce moment ?
– Cela me semble très difficile car il n’y a aucune difficulté pour nos adversaires politiques directs – et on en a juste à côté de nous, dans le camp – de nous dénoncer aux autorités comme prêts à fomenter un coup communiste et ainsi de nous éliminer en se gagnant des faveurs au sein du pouvoir. Il faut donc faire un travail sur des bases larges de défense des intérêts prolétariens et détecter discrètement des éléments intéressants qui réfléchissent et ne sont dupes de personne. En même temps, on peut se lier à des groupes qui souhaitent la révolution, même s’ils ne sont pas d’accord avec nous sur tout, sur le communisme par exemple.
– Que dirais-tu de discussions avec les Lavalas, avec d’anciens du parti communiste haïtien, du syndicat CATH ou avec des vaudouisants ?
– Oui, bien sûr, c’est possible si on y va plus que prudemment, sans dévoiler directement nos idées et l’existence de notre groupe.
– Peut-on penser qu’on va faire la révolution aux côtés, en front unique avec les uns ou les autres.
– C’est possible qu’on agisse aux côtés de militants ou de groupes mais à une condition expresse.
– Laquelle ?
– Que ces individus ou ces groupes admettent et défendent réellement l’organisation indépendante des masses.
– Mais peut-on accepter de s’unir avec eux si les uns suivent la sorcellerie vaudou et les autres sont réformistes et ne veulent pas renverser le capitalisme comme les démocrates, les catholiques, les syndicalistes ?
– Bien sûr, ce sont des obstacles non négligeables s’il s’agit de tomber d’accord sur les buts fondamentaux, mais cela n’empêche pas de s’unir pour défendre les camps, pour mener la lutte pour des revendications sociales, pour combattre les forces d’occupation internationales ou pour combattre le pouvoir. Ensuite, même la lutte révolutionnaire comprendra forcément des gens qui suivent le vaudou ou les catholiques, qui suivent les syndicats ou les démocrates. Ce sera la force de la révolution et la manière dont elle entraînera les masses qui comptera et nous donnera les moyens de nous lier à des gens issus d’horizons politiques et sociaux différents.
– Mais, dans la situation actuelle pouvons-nous tenter de dialoguer avec ces courants ?
– En fait, on ne s’en rend pas compte mais on n’arrête pas de faire ça, que ce soit comme ce matin au comité du camp, tout à l’heure au comité de coordination des syndicats et associations ou ce soir à notre rendez-vous avec les amis vaudouisants de Théophile.
– Justement, c’est cela qui me préoccupe. J’avoue que je ne vois pas comment cela va se passer et en quoi nous pouvons converger avec des types pareils.
– On ne sait pas d’avance. Tout dépend des événements. Bien sûr, ils ont l’air beaucoup plus loin de nous que tous les autres. Mais, si ça chauffe vraiment, si la situation devient explosive, c’est eux qui, plus que tous, voudront que le peuple renverse le pouvoir. Il faut donc garder des liens avec les courants radicaux, même s’ils semblent très éloignés de nous. Il faut échanger avec nos autres camarades du groupe, pour voir si eux ont pu ou pas entretenir des liens avec des courants radicaux parmi les vaudouisants.
Nous nous sommes quittés là-dessus afin de vaquer à nos occupations journalières consistant à tenter ici ou là de trouver des petits boulots, de récupérer des nourritures ou des vêtements auprès des organismes d’aide humanitaire internationaux ou haïtiens qui sévissent là.
Dans mon prochain courrier, tu verras comment les événements ont tourné ensuite pour nous.
Dès que je peux, je reprends la plume pour te rapporter la suite de notre affaire… Tu vas voir que nous n’imaginions pas nous-mêmes à quel point les situations peuvent se renverser brutalement !
A bientôt et je compte sur ton courrier : raconte moi comment cela se passe aux Antilles colonisées par la France !
Anatole
Deuxième courrier du 30/08/2012 d’Anatole à son copain Achille, parti s’exiler aux Antilles
Cher Achille,
Comme tu le vois, le jour qui vient nous trouve toujours en vie et toujours prêts à lutter, mais rien que cette remarque te montre que chaque jour compte pour nous, chaque jour est un combat pour survivre, pour se faire respecter, pour continuer de nous comporter comme des êtres humains alors que les circonstances se multiplient où on ne peut plus vivre comme des êtres humains, ici en Haïti !
Je t’avais rapporté, dans mon dernier courrier, nos projets de renforcer notre combat en entrant en contacts avec d’autres groupes et courants et je n’ai pas eu la disponibilité de t’écrire la suite de ces péripéties et le mot n’est pas trop fort. On en a vu, en effet, des vertes et des pas mures en termes de relations avec les organisations, et pourtant il ne s’agit là que des plus proches. Certains de leurs militants, voyant que l’on comptait rester indépendants, ont cessé de la jouer fraternels et soit nous ont battu froid, soit ont commencé des manœuvres d’intimidation ou de menace. Bizarrement, ce sont qui pourraient paraître les plus loin philosophiquement, voir humainement qui ont accepté le débat et les échanges. Un courant vaudouisant révolutionnaire nous a en effet semble-t-il fait confiance. Autant te dire qu’on y a été plus que prudemment… Il ne s’agissait que d’une toute petite fraction de ce vaste mouvement, très présent en Haïti, celle qui a déjà tenté de renverser le pouvoir par une révolte en se servant du séisme pour déborder les forces de l’ordre. Ce courant est resté favorable au renversement de l’Etat bourgeois et la constitution du peuple organisé en comités de base en classe dirigeante. Ils n’ont aucun opportunisme à l’égard des classes dirigeantes ni des puissances occupantes. Bien entendu, nous ne les avons pas titillés sur leurs croyances et ils ne nous ont pas cherché non plus sur nos conceptions philosophiques. Apparemment, les Chrétiens militants sont davantage leurs ennemis sur le terrain que les non-croyants et même les athées militants, comme nous autres marxistes révolutionnaires. Notre existence clandestine aussi n’était pas un handicap, au contraire, car eux aussi souhaitent rester complètement occultes et, pas plus que nous, ne recherchent ni soutien financier du gouvernement et des humanitaires, ni reconnaissance de quelconques autorités.
Nos discussions ont surtout porté sur l’interprétation des événements et la réponse politique et sociale à y apporter. Ils nous ont posé un nombre incroyable de questions et étaient insatiables de discussions dans lesquelles ils n’ont nullement caché leurs propres réponses ce qui, tu t’en doutes, nous a parfaitement convenu. Est-ce que nous croyions à la démocratie électorale ? Est-ce que nous étions partisans de la domination du capitalisme américain ou occidental ? Est-ce que nous estimons que les masses ont le droit de s’armer ? Est-ce que nous sommes pour reprendre les terres aux grands propriétaires ? Est-ce que nous sommes pour la destruction de l’Etat ? Est-ce que nous sommes pour que le pouvoir revienne aux comités de quartiers et de villages ? Etc, etc…
Sur tous ces points, ils étaient plutôt contents des convergences entre nous. Nous aussi, même si les différences de formulations étaient bien plus que des traditions différentes, mais aussi des divergences sur l’avenir de la société. On a bien senti que sur bien des points, ils étaient plutôt pour une espèce de retour à un passé mythique, mais ce n’était pas directement formulé. On n’a pas pu aller plus loin dans l’échange parce qu’on a été interrompus par des grands cris de gens arrivant dans le camp vers l’entrée. On a dû lever la réunion pour s’y précipiter.
Ces gens arrivaient à bout de souffle et criaient aussi forts qu’ils le pouvaient : « Expulsion ! Expulsion ! » Dès qu’on a pu les approcher, ils nous ont expliqué qu’on était en train de les expulser manu militari du camp du stade, qui n’est pas très loin du nôtre mais environ cinq fois moins peuplé que le nôtre. Les autorités ont sans doute estimé qu’il était plus facile à expulser que le nôtre. Et elles avaient livré durant des semaines une campagne féroce de propagande contre le camp du stade, prétendant qu’il empêchait le redémarrage de la jeunesse de Port-au-Prince, en bloquant le stade et la mise en place d’un terrain de foot pour la Fédération de football.
Et, effectivement, quand nous sommes arrivés avec une centaine d’habitants de notre camp, nous avons constaté qu’il y avait une véritable guerre au camp du stade. Il y avait une somme de plusieurs forces armées qui agissaient avec rapidité et efficacité contre les habitants du camp : forces de l’ONU, forces policières haïtiennes, forces policières de la mairie de la capitale, milices privées des grands propriétaires, tout ce beau monde s’était joint à des engins de travaux pour mettre à plat le camp du stade et n’en laisser que des décombres !
Les habitants qui étaient sur place, à cette heure de l’après-midi, étaient une petite minorité des occupants du camp et ils tentaient, comme ils pouvaient de leurs petites forces, de mettre obstacle au rouleau compresseur des forces de répression et aux casseurs qui avançaient cependant à grande vitesse, se frayant un chemin à coups de matraque, de grenades lacrymogènes et à la vitesse des engins de chantier.
– Des engins de chantier ! s’écriait mon voisin. On n’en avait pas quand on voulait sauver des personnes prises sous les décombres du séisme…
La rage sortait de tous les propos.
Notre arrivée venant en renfort des effectifs du camp et avec l’arrivée aussi de quelques soutiens arrivant du centre-ville, mis au courant de l’expulsion a momentanément redonné espoir aux habitants qui ont redoublé d’efforts pour bloquer le raz de marée destructeur.
Cependant, la force et le courage ne suffisaient pas face à l’armada qui avait été mise en place par les autorités et à la préparation de celles-ci alors que nous n’étions nullement préparés à y faire face. Malgré notre arrivée en nombre, le rapport des forces n’a pas été renversé. L’action d’expulsion était suffisamment étayée pour l’emporter rapidement et ne pas craindre l’arrivée des soutiens venus du reste de la ville. L’heure et le lieu avaient été bien choisis. Ce camp n’était pas dans les plus nombreux de la capitale et la plupart des occupants vaquaient à des activités en ville pour ramener de quoi vivre, soit en travaillant, soit en effectuant des démarches administratives, soit en se présentant aux diverses associations humanitaires et églises.
On a eu beau s’égosiller en hurlant : « Le camp est à nous ! », « Non aux casseurs ! », « Martelly menteur, Martelly voleur ! » et aussi « Dehors les forces étrangères » à chaque fois que nous faisions face aux militaires de l’ONU. On a eu beau leur envoyer tout ce qu’on a trouvé à terre : des restes du tremblement de terre, des morceaux de bois ou de béton. Ils nous ont balayés sans trop de difficulté. Manque d’expérience du combat, manque de forces, manque d’organisation, manque de préparation, tout se liguait contre nous et nous n’avons que retardé très peu les destructeurs. Ces derniers savaient que si on les retardait suffisamment, d’autres forces auraient le temps d’arriver et la destruction du camp serait un échec. Ils ont donc accéléré les opérations.
Des centaines de tentes, de cabanes, de petites cases en tous matériaux se sont retrouvés à terre, écrasées, piétinées, massacrées, des quantités de petites affaires qui représentaient un trésor pour les occupants se retrouvaient définitivement détruits et les efforts de mois pour reconstituer un tout petit pécule ainsi volatilisés !
Nous avons la rage et elle nous mord au ventre, plus fort que la faim, plus fort que la tristesse des disparitions, des morts, plus fort que la misère, plus fort que tout. Tu ne peux pas savoir comme on a honte de ne pas pouvoir nous libérer de cette chaîne que nos ennemis ont rivée à nos pieds.
Comment est-il possible que nous qui avons autrefois renversé plusieurs fois l’esclavage et la tyrannie, que le peuple dont les esclaves révoltés qui ont battu l’armée du colonisateur, le peuple qui a le premier dans l’Histoire mis en place un pouvoir indépendant des esclaves noirs, le peuple qui a renversé le dictateur pro-américain Bébé doc, qui ne s’est laissé faire par aucun dictateur militaire, comment est-il possible que ce peuple-là se retrouve aujourd’hui à nouveau dans la boue, la misère et la honte de la domination des mêmes maîtres ? Comment se fait-il que ces derniers se permettent en plus de faire mine d’être là pour nous aider, pour nous sauver ?
Insupportable, en plus de souffrir le manque de tout, de logement, de santé, d’éducation, de les entendre clamer à tous vents qu’ils font tout pour nous, qu’ils construisent pour nous reloger, qu’ils dépensent pour nous soigner, pour éduquer nos enfants. Alors que nous savons qu’ils se contentent de ramasser les sommes issues de l’aide internationale pour payer leurs propres maisons, leurs propres 4x4, leurs propres vêtements de luxe, pour remplir leurs coffres-forts et relancer leur exploitation du pays…
Plus ils font de discours, plus notre haine devient blanche et féroce. Comme si les termes mêmes des discours des autorités étaient autant de brulures sur notre peau !
L’expulsion s’est achevée sous nos regards. Nous avions été balayés un peu plus loin par les forces de répression et assistions impuissants à la catastrophe. Cette fois, on ne pouvait pas dire que c’était une catastrophe naturelle !!!
Une partie des expulsés du stade vont grandir le nombre des occupants de notre camp, rendant la vie collective un peu plus compliquée, mais renforçant aussi le rapport de forces au cas où on voudrait nous expulser aussi. Mais nous savions aussi que cela allait dépendre avant tout de notre capacité à nous organiser et des perspectives à donner à notre combat.
Il allait falloir tirer les leçons de notre défaite au camp du stade. Nous savions tous que cela allait relancer le débat, au comité de notre camp et aux assemblées générales, sur la constitution ou pas d’une milice.
La nuit qui a suivi, je ne pouvais pas dormir et je ressassais les arguments pour ou contre cette milice et la manière dont on pouvait contrôler une telle milice pour ne pas refaire les mêmes erreurs que les années précédentes, quand on avait subi les exactions de telles milices issues du peuple mais se retournant contre lui comme les Chimères, sans parler des milices instrumentalisées par nos ennemis comme l’étaient autrefois les Macoutes …
Nous allons, bien sûr, devoir resserrer les liens avec les autres camps de tentes de la capitale, les moyens de nous contacter en cas d’urgence, les liens avec toutes les organisations et associations populaires, partis et syndicats, les moyens de faire pression sur les autorités…
Mais rien de tout cela n’est suffisant, nous le savons, face aux forces qui nous sont opposées et qui nous dépassent largement car toutes les puissances étrangères se sont liguées pour battre. Tu te rends compte que l’on été chercher des soldats au Népal pour les emmener chez nous et que ces soldats nous ont apporté le choléra !!! Nous ne savons même pas si le reste du monde sait cela ou si nous sommes abandonnés à notre malheur dans un complet silence mondial ! Peut-être que les autres peuples qui ont donné aux collectes dans le monde après le séisme croient que nous sommes aujourd’hui à l’abri et sauvés alors que nous sommes livrés aux tempêtes, sans toit, sans emploi, sans ressources, plus abandonnés que jamais à la misère et au désespoir que si l’ensemble des Etats du monde n’avaient pas fait débarquer leurs forces internationales dans notre île…
Quelles solutions pour changer notre sort alors que tant de forces aussi importantes sont coalisées contre nous et lorsqu’elles interviennent soi-disant pour nous aider, nous sauver, nous libérer, nous soigner et nous loger ! C’est l’oppresseur qui se bat sous le drapeau de la liberté et l’opprimé qui est accusé de banditisme, de vol, de viol, de violences, de refus du changement, de refus de la reconstruction !
Mais, tu t’imagines : au nom de la reconstruction, on prétend nous enlever les tentes ou les petites baraques qui sont notre seule et fragile sécurité !
Je t’envoie un des tracts diffusés parmi nous :
« Entre les discours vides du gouvernement et les actes concrets d’imposition par les impérialistes, le peuple reste assommé... Le chaos, la désolation générale, la douleur et surtout la tristesse sont indicibles. De ce tremblement de terre du 12 janvier 2010 il restera des images qui tortureront pendant longtemps l’esprit et les souvenirs inaccessibles, images de morts si chers, de villes devenues fantômes, de rires engloutis. Il faudra malgré tout conserver la tête froide ; il est indispensable de poser les problèmes réels pour chercher une issue.
Tout d’abord il est nécessaire d’écarter cette interprétation qui veut faire croire qu’il s’agit d’une action divine, d’une « malédiction ». Cette manière de voir, fortement implantée dans ce peuple si croyant, empêche d’identifier les véritables causes de la catastrophe, qui sont pourtant totalement naturelles et qui, dans une certaine mesure, ont même été prévues par des spécialistes. Cette interprétation contribue à augmenter la résignation devant un tel « acte divin », en nous laissant désarmés, ce qui entraîne une attitude attentiste et l’aliénation. Par ailleurs, elle occulte l’absence et l’irresponsabilité de l’Etat, lequel a été dûment averti, et qui aurait pu faire son possible, même avec ses faibles capacités, pour tenter de résoudre au moins certaines des conséquences. Or, il n’a rien fait du tout.
Il faut donc garder la tête froide et, dans la mesure du possible, poser les vrais problèmes, pour pouvoir trouver de réelles solutions. Trois axes nous aideront à clarifier la situation : • le contexte et le moment auquel nous avons subi la secousse du tremblement de terre ; • quelques dangers qui nous guettent ; • que faire pour faire face au défi, et dans l’intérêt de quelle classe sociale ?
Le contexte et le moment auquel nous avons subi la secousse du tremblement de terre
Il y a quelque temps, le gouvernement, avec la bourgeoisie et ses technocrates, parlaient d’une « réactivation de l’économie du pays ». En réalité, ce sont les mêmes qui, dans les années 1980 sous Jean-Claude Duvalier, critiquaient à tout va le « Plan Américain pour Haïti », qui le présentent aujourd’hui comme étant salvateur et qui parlent de l’appliquer sans y changer une virgule.
Concernant ce « plan », il faut savoir que non seulement il a totalement échoué (c’est lui qui nous a conduits là où nous sommes aujourd’hui) mais qu’en outre, dans leur monumentale désagrégation, les classes dominantes et leur Etat réactionnaire n’ont même pas réussi à l’appliquer comme il faut.
Actuellement, avec l’approfondissement de la crise, la situation s’est encore empirée. Ce marasme économique s’est encore aggravé lors la dernière saison de cyclones de 2008 : non seulement la construction d’infrastructures annoncée n’a jamais été réalisée, mais en outre le gouvernement n’a pas pu expliquer la disparition d’un montant substantiel d’argent qui avait été récolté dans ce but.
Une autre caractéristique du moment était la conjoncture politique : nous étions dans une crise globale à la fois de la représentativité et de la légitimité de la tête de l’Etat. Les élections sénatoriales d’avril 2009 et le taux ridiculement bas de participation (autour du 5%) le prouvent amplement. D’autres élections, très démagogiques, de députés et de maires, allaient avoir lieu fin février. Aujourd’hui elles ont été annulées au « bon moment ». Mais il y avait déjà toute une série de conflits autour de l’exécutif, qui tentait d’obtenir une majorité presque absolue dans les deux chambres pour assurer sa permanence et pouvoir ensuite préparer les élections présidentielles qui étaient prévues à la fin de l’année avec un appareil entièrement gagné à sa cause. Un parti appelé « Unité », composé des plus vils représentants de la canaille mafieuse et criminelle, voilà l’outil choisi par René Preval [le Président] pour confirmer la « continuité » de ce processus de défaite totale devant le projet néolibéral le plus abjecte de l’impérialisme, dont un salaire minimum cruel (moins de deux dollars par jour !), un taux de chômage catastrophique et une domination-répression extrême sont les caractéristiques les plus évidentes.
Pour défendre ce projet et assurer son application au vu de l’incapacité chronique des classes dominantes haïtiennes et de leur Etat réactionnaire, ce projet impérialiste était soutenu ouvertement par les forces militaires de l’ONU [Minustah], qui occupaient déjà concrètement le pays depuis six ans sous prétexte d’avoir été « appelées » par ces mêmes dirigeants haïtiens. Six ans durant lesquels la répression avait augmenté sans cesse et le rôle de ces forces d’occupation était devenu de plus en plus clair.
Cette « continuité » assurée par Preval arrivait à un moment où l’antagonisme de politiciens bourgeois défendant différentes fractions dominantes était à son comble, à tel point que plusieurs de ces organisations, partis et regroupements d’ « opposition » avaient décidé de ne pas participer aux prochains scrutins de février 2010 en invoquant des fraudes dès le début du processus électoral. Le principal et véritable « chef » de ce processus dominant, l’impérialisme (notamment américain), avait certainement quelques contradictions avec l’Etat mafieux et criminel dans lequel s’était immergé l’exécutif de Préval, et avec le fait qu’il visait à le devenir encore davantage.
Mais au moment dont nous parlons, l’impérialisme le soutenait encore clairement, rassuré par la présence des militaires internationaux et par la soumission tacite du commandement brésilien.
Tout ceci nous rappelle que nous étions à un moment réellement explosif d’une véritable bataille politique entre les factions dominantes. Le tremblement de terre du 12 janvier a d’une certaine manière démasqué ces contradictions, mais en aucun cas il ne les a éliminées. Plusieurs de ces regroupements d’ « opposition » demandent déjà, de fait, la démission de Preval, ou du moins l’ « élargissement du gouvernement ».
Voilà la situation devant laquelle se trouvaient les masses populaires. A plusieurs reprises, elles ont montré que ce qui se tramait au pouvoir ou autour de lui ne les intéressait pas. Leur absence dédaigneuse et forte lors des dernières élections en avril 2009 était très explicite. Elles ont ainsi démontré leur compréhension des différents « jeux » des dominants et s’en sont tenues éloignées. Peu avant le 12 janvier, à part quelques opportunistes qui soutenaient le processus dominant, la grande majorité des travailleurs et des masses populaires en général se préparait, en silence, à le boycotter comme elle l’avait déjà fait.
Cependant cette attitude comportait quelques contradictions de taille. D’une part on voyait clairement que l’exécutif ne pouvait continuer à gouverner ainsi, mais que l’engrenage dans lequel il se trouvait ne lui permettait pas de s’en sortir. Il n’avait donc pas d’issu, il était à bout. Le pourrissement devenait définitif. Mais en ce qui les concernait, les masses se rendaient également compte que ce pourrissement était en train d’entraîner le pays et d’abord elles-mêmes dans l’abîme. Le manque d’une capacité subjective des masses à s’opposer à ce processus est alors devenu évident.
Malgré cela, dans la mesure où elles le pouvaient, d’une manière certainement partielle et atomisée mais résolue, elles se battaient. Et c’est là une des caractéristiques les plus importantes de ce moment : le renouvellement de la mobilisation. Il y a eu la brutale mobilisation des émeutes de faim en avril 2008, la forte mobilisation des ouvriers du textile qui revendiquaient une augmentation du salaire minimum à 200 gourdes, la mobilisation de ceux qui avaient perdu de l’argent et des biens à cause de ces coopératives frauduleuses, la mobilisation des employés des services publics pour obtenir les salaires qui ne leur avaient pas été versés depuis des mois, les mobilisations résolues des étudiants et les fortes mobilisations d’ensemble aussi bien face au processus de privatisation des services publics que contre l’occupation...
Face à toutes ces revendications aussi légitimes que justes, le pouvoir a réagi comme il l’a toujours fait, par la répression. Que ce soit par l’intermédiaire de la police nationale ou par la Minustah, sa seule réponse a été la répression. Ce qui a mis une fois de plus mis en évidence le degré de décrépitude complet auquel s’agrippe ce pouvoir, devenu complètement réactionnaire. Et du coup on est à nouveau entré dans la période d’assassinats rappelant l’époque duvaliériste : des assassinats politiques de militants progressistes qui dirigeaient les différentes luttes mentionnées.
Nous devons nous rappeler clairement ce contexte dans lequel se trouvait la formation sociale haïtienne lorsque s’est déclenché le tremblement de terre du 12 janvier. Et comprendre que cette réalité n’a pas disparu, même si pour le moment la douleur, la tristesse, le chaos, nous empêchent en tant que peuple de le voir ou même de l’entrevoir.
En même temps, nous devons être clairs sur les contradictions dans le flanc ennemi. Nous devons être conscients qu’ils vont utiliser à nouveau ces contradictions pour, une fois de plus, essayer de nous mystifier. Nous mystifier pour, justement, tenter d’occulter les contradictions fondamentales qui nous différencient fondamentalement d’eux. La contradiction Lavalas-GNP avait presque complètement disparu, et celle de Lavalas-Lespwa était en train de se dissiper, l’ « opposition » bourgeoise a perdu de sa vigueur face à cette catastrophe « commune », et dans la situation actuelles d’autres contradictions pourraient avoir des difficultés à se construire... Néanmoins, ils tenteront toujours d’en construire une nouvelle pour nous diviser. Et le populisme, par nature, continuera à faire fonctionner ses tares.
Malgré la déviation objective introduite par le tremblement de terre, les contradictions entre les masses populaires et leurs ennemis de classe restent explosives dans la formation sociale haïtienne, et un soulèvement est à tout moment possible.
Dans ce contexte une alternative politique doit absolument être développée, sans quoi, tout comme le tremblement de terre a aplati le terrain en se développant, la pourriture emportera la formation sociale haïtienne que nous connaissons dans un abîme infini. Un retard peut être fatal.
C’est dans ce contexte, si complexe et compliqué, qu’en un instant s’est déclenché le tremblement de terre, suivi d’une profonde dévastation. Il s’agit donc d’une double situation.
Dans le cadre de la situation générale que nous avons rappelée ci-dessus, dans le cadre du projet de domination et d’exploitation illimitée de l’impérialisme et des classes dominantes, et malgré tous les types d’ « aide » qu’ils sont en train de fournir, la misère va augmenter. Par exemple, les quelques fabriques de textiles qui ont rouvert leurs portes, continuent à pratiquer le même salaire, alors même que les tarifs de production ont doublé, car, disent les propriétaires, « il y a du retard » ! De même, certains commerces, services et entreprises locales profitent de la situation pour ne pas verser le salaire minimum qui leur échoit, en alléguant « ne pas être en mesure de le faire ».
Entre-temps, l’impérialisme envahit chaque jour avec plus de force. Notamment sous le couvert inespéré de l’ « aide humanitaire ». Il est vrai que vu les conditions dans lesquelles se trouve le pays, nous avons besoin d’une « aide humanitaire ». Néanmoins, ce dont nous aurions vraiment besoin, c’est d’une réelle solidarité. Aujourd’hui, tel qu’il est, le monde ne peut se permettre de se manifester à un degré élevé – et aussi naturel – d’humanité, mais cette solidarité existe bel et bien. Plusieurs camarades de notre classe, de notre camp, se mobilisent et continuent de se mobiliser dans le cadre de cette solidarité dont nous parlons. Cela se fait sur des positions politiques claires sur ce qui est en train de se passer globalement, sur la manière dont les choses se passent, et en tenant compte, participent activement à les clarifier encore davantage.
L ’« aide humanitaire » que nous connaissons actuellement est celle qui rend possible de retrouver les morts, de traiter dans l’immédiat les malades, de soigner les enfants... c’est ainsi qu’ils envoient des médecins avec des médicaments, de l’eau, des tentes... Mais il y a là une sorte de paravent. Plus sérieusement et à long terme, ils utilisent cette « aide » pour consolider leur domination et l’approfondir encore davantage. Les Etatsuniens, par exemple, qui sont les principaux protagonistes de ce déploiement « humanitaire », sont arrivés avec une force militaire disproportionnée : ils ont déployé plus de 16’000 combattants qui sont arrivés par terre ou dans des navires de guerre, avec du matériel de guerre. Ils arrivent même dans des porte-avions ! Autrement dit, ils pourraient à tout moment procéder à des bombardements... Ils patrouillent de nuit comme de jour, et sous prétexte de « sécurité » ils contrôlent tout rassemblement dans des lieux publics, et surtout dans des quartiers populaires.
En même temps, il est évident que cette « aide » – autrement dit l’implantation de ce contrôle territorial – correspond aux objectifs géopolitiques de ces impérialistes dans le cadre de leur projet de contrôle de la région. C’est ce que montrent clairement aussi bien la permanence des différentes bases en Amérique latine que la réactivation de la Quatrième flotte et les derniers accords en date signés par Obama avec Uribe en Colombie. Dans ce projet global, Haïti devient un point clé central inespéré (même s’il a été longtemps désiré). Les impérialistes sont en train de développer la dépendance dans le peuple à travers ce processus, en fin de compte si déshumanisant, et de transformer ouvertement l’occupation en une tutelle qu’ils voudraient définitive (maintenant ils disent qu’ils resteront « le temps utile »). En ce sens, les paroles du premier ministre fantoche (Bellerive) qui admettait « il est vrai, nous sommes en train de perdre « une partie » de notre souveraineté » sont un pur mensonge. Aujourd’hui, Haïti a perdu toute sa souveraineté !
Or il faut se rappeler que cette domination a déjà complètement échoué. C’est précisément elle qui nous a conduits dans la situation chaotique qui règne actuellement. C’est la raison pour laquelle nous devons nous demander dans l’intérêt de qui, de quelles personnes, de quelle classe, se fera la « reconstruction » dont ils parlent. Et il faut comprendre qu’elle se fera contre nous. Pour commencer, comme le font déjà les bourgeois-gérants ici, qui sont des représentants inconditionnels des intérêts des multinationales, les salaires de misère que nous connaissons seront maintenus. Clinton lui-même s’est récemment démasqué lorsqu’il a expliqué aux capitalistes : « le moment est venu de gagner de l’argent à Haïti ». Et il est clair que cet argent sera gagné grâce aux véritables salaires de misère que nous connaissons et au pillage des dernières ressources naturelles qui restent dans ce territoire malmené.
Parallèlement, les forces impérialistes auront soutenu ce sordide appareil d’Etat en place. Grâce au renforcement de leur puissance militaire, ils vont s’appuyer sur cet édifice pourri, tout en organisant son rapide remplacement par des coordinations internationales. Tout en manifestant une préoccupation morale qui prend appui sur une propagande hautement mystificatrice, ils continuent à avancer dans ce projet historique qu’ils portent par nature.
Compte tenu des contradictions qu’ils ont avec l’Etat mafieux et criminel qu’ils soutenaient, on peut se demander quels arrangements concrets ils envisagent, quels intérêts précis sont en train de s’articuler actuellement ?
Cette « aide », avec l’agressivité si évidente des Etatsuniens, soulève également des contradictions entre les différents pays impérialistes. Il est certain que l’hégémonie étatsunienne tend à diminuer les contradictions en cours. Mais nous ne devons pas nous laisser distraire pas cet aspect. Il faut les prendre pour ce qu’ils sont, et rester vigilants à leur égard. Un autre danger, tout aussi important, est qu’en passant par-dessus les décisions des Haïtiens, les impérialistes vont tenter de prendre les décisions entre eux, même s’ils disent tous qu’ils le feront « dans le cadre des institutions légales en place ».
A côté de l’Etat pourri qui est justement « en place », ceci nous conduit directement aux pratiques des ONG. Ces dernières ont toujours détourné les masses populaires de leurs mobilisations de lutte, elles ont toujours conservé une différentiation de salaire avec leurs employés locaux, ce qui contribuait à les éloigner graduellement de leurs origines de classe ; elles ont toujours imposé leurs décisions en matière de santé, d’éducation, et plus largement dans le domaine social, et aujourd’hui ces ONG représentent une des formes que prendra la tutelle.
Pour pouvoir relever cet énorme défi, nous devrons tenir compte de tous ces différents dangers.
Que faire pour relever ce défi, à partir de quels intérêts de classe ?
Depuis le début de la période historique qui a débuté avec le départ de Jean-Claude Duvalier en 1986, les masses populaires, les travailleurs et la classe ouvrière se sont trouvés devant un défi très important. Maintenant il l’est devenu encore davantage. Il est indispensable que nous fassions preuve de tout notre courage pour y faire face. Nous avons déjà mentionné quelques dangers importants qui nous guettent. Pour les affronter nous devons faire en sorte qu’ils soient rapidement et correctement compris. Et ce ne sera pas facile en ce moment, avec les terribles conséquences du tremblement de terre.
Nous devrons chercher la meilleure manière de communiquer notre message en l’articulant avec la réalité concrète vécue dans chaque lieu et à chaque instant. Il faudra également articuler la compréhension de la situation avec l’obligation d’y faire face. Aujourd’hui plus que jamais, il s’agira d’articuler le mieux possible l’agitation et la propagande. La meilleure forme trouvée devra trouver le moyen pour amener les masses à comprendre la situation, pour qu’elles puissent se préparer à l’affronter.
C’est par notre présence directe auprès des masses, la présence directe de tous les travailleurs, des ouvriers les plus conscients, de chaque personne progressiste conséquente, que nous pourrons avancer vers cet objectif. Il ne s’agira pas d’ « attendre » passivement la soi-disant « aide », ni de sombrer dans le découragement. L’ennemi compte justement sur notre découragement, il compte sur le fait que nous contenterons d’attendre, il compte sur la dépendance des masses à leur égard, dépendance qui augmentera effectivement si nous laissons le contrôle de ce processus nous échapper.
Il faut évidemment que nous continuions à vivre, d’autant plus après cette catastrophe si terrible. Mais notre vie en tant que travailleur, en tant que peuple, est également une bataille. Surtout depuis cette catastrophe. Dans notre stratégie de vie, dans notre stratégie pour appliquer la ligne correcte du moment, nous devons accorder une grande importance aux dangers que nous avons mentionnés précédemment. Nous devons aider à comprendre ce qui se « joue » réellement, et ce de toutes les manières possibles, par notre présence directe dans les quartiers qui sont encore debout, dans les places publiques occupées, dans les usines et les industries qui fonctionnent déjà, dans la presse, dans nos propres familles... Partout nous devons faire connaître et dénoncer cette terrible catastrophe qui nous attend et qui projette de détruire ce qui reste de notre pays.
Comme déjà dit, il se trame beaucoup de choses négatives. Pour y faire face, il est nécessaire de maintenir les intérêts des travailleurs en tant qu’axe central, d’une manière positive. Il faudra transformer les aspects négatifs en positifs. Pour cela, une fois de plus, ce sont les intérêts des travailleurs qui doivent être mis en avant. Pour cela nous devons réfléchir et comprendre comment ces intérêts vont être affectés par la catastrophe, ce qui exige à son tour de calculer les conséquences matérielles, économiques et politiques du tremblement de terre, mais aussi d’évaluer comment les classes ennemies prétendent s’organiser pour en profiter. Notre présence militante doit enfin apparaître rapidement parmi les masses et vigoureusement sur la scène politique elle-même.
En attendant, à tout moment et sous toutes les formes possibles, il doit exister et se développer entre nous et les masses encore davantage de solidarité. Cela implique que nous prenions des initiatives, aussi bien dans le pays lui-même qu’à l’extérieur. Cela implique aussi que nous puissions recevoir la solidarité en provenance de nos camarades, amis et alliés. Nous devons nous organiser dans ce sens. Encore une fois, nous établissons une claire distinction entre cette solidarité et l’ « aide » que laissent les impérialistes. Il est clair que cette solidarité représentera très peu face à l’ « aide » qui arrive, mais elle est fondamentale. Nous devons la considérer dans un esprit de lutte, avec l’objectif de construire le Camp du peuple, seul camp qui peut sortir le pays de l’abîme où il se trouve, le seul qui puisse sortir l’humanité de la tragédie qui est la sienne aujourd’hui.
Néanmoins, et tout en étant conscients de tous les problèmes et des déviances que comporte cette « aide », il faudra trouver un moyen pour qu’elle soit rentable pour nous, les masses populaires. Pour commencer, il faut se battre pour qu’elle arrive là où nous sommes, là où on en a besoin. Ensuite, lorsqu’elle arrive, nous devons être prêts à la recevoir, à la distribuer. Il faut qu’il y ait des comités qui se chargent de cela. Ceux-ci doivent être autonomes, laissant ainsi les bases pour la construction-développement d’organisations autonomes des masses populaires. Là aussi nous devrons lutter contre ceux qui s’organisent uniquement pour en tirer un profit personnel, ceux qui ont toujours été caractérisés comme des pillards, des malfrats. Dans une situation aussi terrible, il faut, dans la mesure du possible, convaincre ceux d’entre eux qui ont quelque conscience d’agir de manière incorrecte et tenter de les intégrer dans notre processus. En ce qui concerne ceux qui insistent, il faudra lutter de manière adéquate contre leurs agissements. Nos comités doivent être honnêtes, sérieux, clairs, collectifs, bien organisés, fermes, dynamiques et combatifs. Combatifs, puisqu’en plus des difficultés qui peuvent surgir entre des gens aliénés des masses, nous devrons surtout faire face à l’offensive des classes dominantes, dans le cadre de leur projet de domination-exploitation qui encore – et peut-être plus que jamais – d’actualité. C’est la raison pour laquelle nos comités de réception de l’ « aide » doivent se transformer consciemment en comités de lutte. Soit en tant que brigade de résistance face aux pillards, soit, encore une fois et surtout, face aux manœuvres des classes dominantes et leur Etat réactionnaire.
Nous savons en effet par exemple que ces derniers ont des projets de nous déplacer dans des « camps de sinistrés », loin de la ville, loin de nos lieux de vie, sans se préoccuper de comment et où nous travaillerons, sans écoles, sans parler d’université ou d’autres centres sociaux qui pourraient nous convenir. Bref, sans se préoccuper le moins du monde de comment nous allons vivre.
A cause de tout cela, il faudra non seulement mettre sur pied le plus rapidement possible nos comités, mais aussi nommer une coordination effective entre eux, dans le cadre de notre bataille actuelle, mais aussi pour la suite. Les principaux responsables, dûment élus par tous, doivent déjà s’atteler à centraliser et synthétiser les demandes, les souhaits et les revendications de tous et les retourner de nouveau à tous d’une manière organisée, sous une forme plus avancée, en tant que projets. C’est ainsi que nous rendrons notre pratique interne plus dynamique, de manière à ce que, une fois mieux organisés et forts, nous puissions faire face correctement à l’ennemi et à son projet mortifère.
Il faut également savoir que dans leur logique rachitique, les classes dominantes ont conclu que puisque Port-au-Prince était détruit, le pays l’était également. Il ne faut pas accepter cette logique ! Outre le fait qu’elle se base sur l’incapacité de l’Etat, elle tend à favoriser encore davantage leur désir de centraliser le pouvoir, de le maintenir, grâce aux forces armées étrangères de tout genre qui sont plus concentrées dans la capitale. Il ne faut pas accepter cela. Nous devons diffuser et appliquer notre compréhension de la situation et notre conception de l’action dans tout le pays, sur tout le territoire. Les militants et les travailleurs conscients doivent profiter du mouvement centrifuge de grandes masses pour diffuser partout la compréhension et la mobilisation qui s’impose.
En plus de tout cela, nous devons le plus tôt possible avancer dans les luttes globales qui nous touchent et qui sont plus que jamais à l’ordre du jour. Contre la privatisation, contre la domination... et contre l’occupation !. Parallèlement et en même temps, il faudra revenir au plus vite avec les principales revendications de chaque classe de notre Camp, de chaque secteur des masses populaires. De fait, la réforme agraire doit déjà être appliquée, fermement ; les écoles doivent évoluer de manière totalement positive pour nous, de même en ce qui concerne l’Université, nos quartiers, nos salaires, les services publics... Et pour commencer, tout le monde qui le peut devrait être en train de travailler ! Et tous ceux qui le peuvent devraient avoir un avenir assuré, dans le cadre d’un plan bien articulé entre travail agricole, industriel, de services et technique. Un projet général assurant les intérêts des travailleurs, et dûment sous le contrôle des travailleurs, sous notre contrôle.
Nous devons être clairs sur le fait que l’Etat actuel ne pourra pas faire tout cela, ne voudra pas le faire, ce n’est pas notre Etat, ni un Etat des travailleurs. Cet Etat est un Etat bourgeois, un Etat des classes dominantes, un Etat pro-impérialiste, un Etat contre les travailleurs et contre le peuple. Le contexte qui existait lorsque le tremblement de terre a frappé et que nous avons rappelé plus haut nous le prouve abondamment. Cet Etat n’est pas là pour réaliser nos intérêts, pour nous permettre d’atteindre nos objectifs, même très partiellement. Si nous voulons pouvoir réaliser concrètement nos intérêts à court, à moyen et à long terme, nous avons besoin d’un autre Etat !
On peut aisément comprendre que tout cela nécessitera une lutte. La « reconstruction » dont ils parlent se fera sur un terrain politique national concret. Comme nous l’avons déjà mentionné, les classes dominantes travaillent de pair avec l’impérialisme pour créer les conditions pour consolider leur propre politique. Ils ne sont nullement intéressés à ce que la « reconstruction » se fasse en dehors de ce projet, avec une priorité donnée à nos propres intérêts. Ce sont eux qui, depuis déjà plus de 200 ans, ont « construit » cette situation d’ordure que nous avons actuellement.
Nous devrons procéder à la construction de notre pays en mettant en avant nos propres intérêts, les intérêts des masses populaires, des travailleurs. Cela n’a jamais été fait ici, et c’est l’unique solution pour sortir le pays de l’abîme dans lequel ils l’ont précipité.
C’est la raison pour laquelle nous devons avoir et développer notre propre ligne stratégique et tactique. Elaborer des revendications immédiates, en notant nos objectifs à long terme, avec une ligne tactique et une articulation précises. Par exemple, si nous voulons viser le contrôle des travailleurs dont nous parlons et que nous souhaitons tous, comment pourrions-nous, après cette terrible catastrophe, accepter à nouveau les misérables 125 gourdes qui nous ont été infligées dans le textile ? Et pour les autres travailleurs, comment pourraient-ils accepter à nouveau les misérables 200 gourdes ? Non ! On ne peut accepter des salaires de misères comme avant ! Et pour pouvoir nous en sortir nous-mêmes de cette situation calamiteuse dans laquelle nous nous trouvons, nous devrons lutter. Lutter pour nous en sortir nous-mêmes, sans attendre toujours qu’on vienne nous « aider ».
Même si nous pouvons nous trouver dans la situation, par nécessité extrême, d’accepter qu’on nous vienne en aide aujourd’hui, nous devons trouver une autre manière de sortir de cette éternelle situation dans laquelle ils nous ont eux-mêmes plongés. Sortir de cette situation dans laquelle les bourgeois font toujours de nous ce qu’ils veulent, et où l’Etat ne fait que soutenir ces individus sanguinaires.
C’est en luttant pour nos revendications immédiates que nous nous organiserons pour la suite.
Les ouvriers, les travailleurs et les progressistes conséquents doivent travailler sans relâche pour que l’ensemble des masses populaires s’intéressent à ces questions fondamentales, et s’engagent de manière résolue pour les résoudre. Cela contribuera à les sortir d’une logique qui nous fait d’attendre qu’on fasse pour nous. Car nous savons très bien, puisque nous l’avons expérimenté au cours la période précédant le tremblement de terre, que leur plan, qu’il soit partiel ou global, n’est pas le nôtre.
Si nous posons clairement d’emblée que notre véritable construction-reconstruction s’articule d’abord dans notre plan stratégique, nous devrons aussi être présents sur cette question dès maintenant, au lieu de laisser simplement les impérialistes et l’Etat pourri se charger de cette question seuls et ainsi de manière facile poursuivre leurs propres intérêts.
D’emblée nous devons poser que cette reconstruction n’est pas seulement physique (infrastructures, services qu’ils doivent nous rendre, logements corrects, transports adéquats et bien étudiés, établissant des relations fluides entre les différentes parties de la ville qui nous concernent...).
Il s’agit aussi et surtout de relations sociales : le projet de reconstruction est avant tout un projet social. Avec une nouvelle conception du développement agricole et industriel et de ses articulations, où un Etat fort et compétent décidera de manière autonome des formes concrètes de mobilisation des ressources, avec une politique étrangère totalement et radicalement différente, en commençant par la « désoccupation » du pays, lequel récupérerait son entière souveraineté dans le cadre de nos décisions fondamentales... Une souveraineté politique !
Pour accomplir tout cela, il faudra établir de nouveaux rapports sociaux dans la production et dans la vie en général. Si ce nouvel Etat continue à avoir besoin d’une « aide », ce qui ’être le cas, cela se fera selon une nouvelle conception, dans laquelle la pratique en cours sera, comme nous l’avons déjà dit, une véritable solidarité, celle qui existe entre travailleurs, entre peuples naturellement frères.
Sans cette lutte, l’Etat « en place » continuera à être un Etat laquais et vil. Avec cet Etat-là, la « reconstruction » se fera au prix d’une dépendance fatale, sous une occupation effective qui se transformera en une tutelle objective qui augmentera de jour en jour, malgré tous discours mystificateurs des « gouvernants », qui expriment simplement le fait qu’ils n’ont pas encore reçu le montant espéré pour remplir leurs poches.
En donnant toujours la priorité aux intérêts des travailleurs, nous, du Camp du peuple, réaliserons ensemble la construction nécessaire. Dans Batay Ouvriye nous travaillons dans ce sens. Notre pratique face à la catastrophe doit nous conduire ensemble sur la scène politique. De même, nos pratiques face à la catastrophe doivent s’intégrer dans celles que nous avons toujours eues, alors qu’elles-mêmes doivent surgir à nouveau : il s’agit d’un double mouvement, et c’est la seule manière d’envahir cette scène politique de manière réellement autonome. Il s’agit de prendre l’ennemi dans un mouvement de tenaille.
Avec la même conception dialectique, la pratique de la lutte doit également être menée sur le plan international. Bien articulées, les deux doivent prendre le rythme d’une nouvelle phase. Toutes les organisations progressistes du pays devaient étudier cette proposition transitoire, et, dans la mesure du possible, commencer à l’appliquer tout de suite chaque fois qu’elles la trouvent appropriée. Une coordination effective sera alors nécessaire, qui respecte l’autonomie de chacun, mais clairement en tant qu’un pas supplémentaire, très important, dans la formation du Camp du Peuple.
Nous devons dire qu’une telle pratique est déjà en cours, non seulement sur le terrain mais également sur le plan international. La véritable solidarité est en marche en Amérique latine, en Europe, en Afrique... et même aux Etats-Unis. Cela se fait en incluant à la fois des rapprochements politiques, soit initiaux, soit qui confirment ceux qui étaient déjà établis. Ensemble, avec nos camarades solidaires, nous continuons à avancer fermement.
Pendant ce temps, à l’intérieur du pays, nous les ouvriers, les travailleurs de tout genre, progressistes conséquents, nous devons continuer à avancer. Dans la lutte actuelle et vers nos objectifs les plus profonds. L’ennemi détient aujourd’hui une capacité répressive beaucoup plus importante grâce à toutes les forces armées qui ont débarqué sans demander la permission, sous le prétexte d’ « aide humanitaire ». Mais, justement, pour pouvoir continuer à vivre au plan politique, il faut que nous continuions à avancer.
• Sans trêve et avec force nous devons rendre clair pour tous ce contre quoi nous sommes.
• Sans trêve et avec force, nous devons rendre clair pour tous ce pour quoi nous luttons.
• Sans trêve et avec force, nous devons le faire de suite, maintenant.
• Rapidement et sans cesse nous devons rendre clair pour tous ce que nous sommes en train de faire.
• En même temps, nous devons faire que plus de gens s’unissent sur ces objectifs.
• De manière structurée, bien organisé, sans trêve et avec force, jusqu’à la victoire. »
Voilà le tract que nous diffusons.
N’hésites pas à me donner ton avis là dessus.
Je t’envoie mes meilleures salutations et je compte bien t’écrire prochainement avec de meilleures nouvelles…
Anatole
Courrier envoyé à Anatole en Martinique
Cher Achille
Comme je te le disais, les derniers combats se sont soldés par un décompte du rapport de forces tellement défavorable pour nous que nos efforts d’organisation semblaient voués à l’échec. Nous nous sommes heurtés à des tentatives de détourner l’auto-organisation dans le sens de groupes miliciens voulant profiter de la situation pour remettre sur notre dos une armée, des milices de bandits et de profiteurs. Difficile dans ces conditions ceux qui veulent organiser un véritable changement de ceux qui veulent seulement tirer leur épingle du jeu pour profiter du désordre et du chaos…
J’étais en train de repenser au dernier combat des occupants de camps de tentes. Il s’était soldé, comme je te l’ai rapporté, par un échec au camp du stade qui venait d’être retransformé en terrain de foot pour la Fédération haïtienne de foot avec déjà un grand match très médiatisé et ayant reçu une audience populaire vue l’effort des autorités nationales et internationales quand je me suis finalement assoupi entrant dans un sommeil heurté et violent dû à trop de soucis et de lourdes responsabilités face aux événements.
Quand j’ai pris conscience qu’il se passait quelque chose d’anormal, que le bruit n’était pas celui des événements courants, je me suis aperçu qu’une foule énorme manifestait, joyeuse, exubérante. L’équipe de foot de Port-au-Prince venait en effet, m’a-t-on dit, de gagner le match international qui avait été programmé pour lancer le nouveau stade.
Le besoin de joie, de défoulement, de bonnes nouvelles était tel dans la population de la capitale que la nouvelle avait eu un effet extraordinaire, inattendu des organisateurs de l’événement eux-mêmes. L’enthousiasme avait pris en tour si expansif qu’il avait fait brutalement tomber toutes les barrières et hommes, femmes et enfants s’étaient joints dans une incroyable marée humaine qui avait déferlé dans les rues de la capitale, une foule majoritairement marquée par la misère mais entrainant aussi tous les milieux par sa masse, son élan, son dynamisme et son allure joyeuse et bon enfant. Impossible à quiconque de s’y soustraire dès qu’elle passait à portée, comme il est impossible à un arbuste de ne pas être emporté par le courant du fleuve sorti de son lit ayant grossi sous la tempête. Impossible à quiconque était atteint par la vague de s’en soustraire, qu’il soit simple passant ou officiel, riche ou pauvre, policier, fonctionnaire, militaire étranger ou fonctionnaire. On ne pouvait pas refuser de suivre le cours de ce tsunami humain qui emportait tout sur son passage. La bienveillance de cette foule bigarrée et remuante n’enlevait rien à sa force et à son inflexible détermination. Aucun barrage n’était laissé en place. Tous les contrôles que comporte la capitale étaient balayés, toutes les grilles forcées, toutes les guérites enlevées. Résister ou suivre de bon gré était du pareil au même.Il semblait que cette vague humaine ne pourrait jamais s’étaler tant elle recélait d’énergie et de gaieté.
Mais le défilé se transformait progressivement et de manière inattendu par de multiples transformations d’abord imperceptibles et qui brutalement lui donnaient un tour nouveau. La danse avait ainsi succédé à la marche. Elle transformait d’autant plus les participants que des costumes trépidants s’étaient infiltrés. Un peu comme au carnaval, ils donnaient une ambiance survoltée, avec masques, costumes, ambiance devenue survoltée, électrique, fiévreuse, chargée d’une fièvre électrique. Des personnages tout couverts de poudre blanche s’étaient mêlés à la foule, dansant de manière quasi mystique et donnant au cortège une allure nouvelle et impressionnante. Impossible de savoir si tout cela était spontané ou organisé. Et, dans ce cas, par qui ?
Un autre tour des événements était l’apparition brusque et étonnante des tambours. Tu ne peux pas savoir à quel point des tambours, au sein d’une masse dansante, dans une ambiance déjà chargée de fièvre peut donner un caractère extraordinaire à la foule. Je ne sais si cela est propre à Haïti, mais je suis certain qu’ici ce phénomène est bien réel. Les tambours, heurtés à un rythme spécial, avaient commencé à prendre entre leurs mains nos cœurs et nos esprits. Où voulaient-ils nous mener, ces tambours, eux qui avaient contribué brutalement à donner un caractère beaucoup plus heurté à notre manifestation, plus violent, plus radical. Désormais, la révolte devenait une force qui s’exprimait dans les masses rassemblées.
D’un seul coup, on a vu se transmettre de mains en mains des centaines de bidons de rhum venus d’on ne sait où. Et aucun participant ou passant qui côtoyait la manifestation ne pouvait se refuser à participer à la joyeuse libation, qu’il s’agisse d’un citoyen quelconque ou d’un uniforme, policier ou militaire. Le réfractaire était immédiatement entouré et abandonné seulement quand il avait été bel et bien gorgé de liquide alcoolisé.
Nul n’aurait pu oser refuser de trinquer et de retrinquer à la victoire de Port-au-Prince et à la victoire d’Haïti ! Mais au fait, qui se souciait à ce moment de quelle victoire il s’agissait ? Quel combat avait donné un tel attroupement, une telle joie ? Plus personne ne s’en souciait ! Il suffisait qu’elle soit là et que l’on puisse enfin s’y livrer… C’était enfin le peuple haïtien dans son extraordinaire élan qui venait de se retrouver, de se recréer, de s’inventer à nouveau avec son courage, sa ferveur, son enthousiasme, sa solidarité et aussi… sa révolte.
Pas une seule garnison militaire, pas un seul groupe policier, pas un seul site officiel, pas un seul bureau de fonctionnaires qui était visité par les manifestants n’a pu résister à la pénétration, se refuser à l’enthousiasme communicatif, refuser les libations, les danses, les cris. Les casernes, les guérites, les postes de surveillance, les camps militaires et même les prisons allaient recevoir cette masse chantante, hurlante, criante et dansante, sans pouvoir jamais s’y soustraire. Tout le monde était désormais aux mains de la marche, de ses rythmes, de son alcool, sans même savoir comment tout cela avait été possible.
Georges et moi, en collant au plus près aux tambours, étions parvenus à rester ensemble par miracle et à garder la tête de la marche où nous avions fini par retrouver nombres de camarades de notre groupe ainsi que ceux du groupe vaudouisant révolutionnaire. On aurait dit un coup monté alors que cela ressemblait en même temps à un heureux hasard. Qu’allait-il sortir de cette situation et qui l’avait préparée ?
Un des membres du groupe vaudouisant révolutionnaire m’avait cligné de l’œil, comme un signe entendu :
– Bien joué, le coup du rhum et des tambours, comme si c’était nous qui avions manigancé cela !
Il avait rajouté :
– On a pris quelques armes au passage dans une armurerie de caserne. On tourne vers la présidence et on va l’envahir. Au passage, il faut désarmer le groupe de militaires des forces internationales de gré ou de force. On fonce tant que l’effet de surprise permet d’agir sans réaction possible.
C’est seulement quand notre groupe, bien armé, s’est retrouvé face aux soldats des forces internationales, prêt à tirer que… je me suis brutalement réveillé.
J’étais tout en sueur, encore plein de mon rêve, nullement prêt à l’effacer ou à y renoncer. Et, d’un seul coup, j’ai réalisé à quel point ce rêve me montrait que je n’avais jamais renoncé à ma confiance dans la transformation brutale de la situation, au passage de la révolte et du désespoir extrême à l’action et à l’espoir extrême. Combien je me préparais, même en dormant, à de tels renversements de situation, comme je restais joyeux à l’idée de combats à venir et confiant dans les capacités du peuple travailleur de renverser toutes les chaînes dont on avait voulu l’affubler.
Tu vois à mon récit que rien n’est perdu tant qu’on garde confiance dans l’élan des masses et qu’on n’est pas intoxiqué par le désespoir qui veut faire de nous des mendiants et des esclaves obéissants.
Compte sur moi pour te donner des nouvelles de nos combats. Mais, comme tu le vois, si de tels rêves peuvent être un jour ceux de milliers de gens, alors la réalité ressemblera bientôt à mon récit…
Racontes moi ce que tu en penses et comment tu imagines toi aussi les suites…
Anatole
Messages
1. Haïti, terre rouge, 2 octobre 2012, 04:59
« Le Choléra est en train de nous exterminer. Il nous faut 3 heures de route pour transporter un malade sur une porte avant de trouver une structure d’accueil », déplore Dieuseul Charles de l’organisation Fòs pou defann dwa peyizan Ayisyen (Force de défense des droits des paysans haïtiens, Fddpa).
Au début de la dernière semaine du mois de septembre 2012, pas moins de 10 personnes ont péri de l’épidémie de choléra par manque de soins.
« Certes, il y a un centre de santé. Mais, il ne reçoit pas des cas de contamination du choléra. Les autorités doivent installer rapidement un Ctc dans la zone », recommande Charles.
Le Choléra est sous contrôle en Haïti, déclarait, pourtant, le premier ministre haïtien Laurent Salvador Lamothe, dans les colonnes d’une agence de presse étrangère.
Très décrié, depuis qu’il a accusé de « mercenaires » des manifestantes et manifestants dénonçant le pouvoir, Lamothe a passé, sous un silence quasi-complet, l’introduction du vibrio cholerae en Haïti par la mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti (Minustah) en octobre 2010.
Au 23 septembre 2012, plus de 7,600 personnes ont péri du choléra, alors que plus de 324,000 ont été hospitalisés depuis l’apparition de la maladie, selon un rapport du ministère de la santé publique et de la population (Mspp).
2. Haïti, terre rouge, 2 octobre 2012, 05:03
Les représentants des camps Marassa (sis à Tabarre, à proximité de la rivière grise) et Garage (situé à Delmas 31 ) exigent du gouvernement des logements décents pour les familles déplacées qui vivent encore dans de mauvaises conditions sous des tentes dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince, lors d’une conférence de presse. Ils réclament, en faveur de toutes les familles déplacées, l’accès à des logements décents, contrairement au projet 16/6, à travers lequel il leur est accordé un montant de vingt mille gourdes (US $ 1.00 = 43.00 gourdes ; 1 euro = 58.00 gourdes aujourd’hui) pour louer un logement durant un an.
Se faisant le porte parole de ces familles déplacées, le vice-président du comité du camp « Garage », Mackendy Sergit, souligne divers manquements auxquels font face, jusqu’à présent, des milliers de personnes logeant dans vingt trois (23) camps d’hébergement de la capitale.
Environ 32 mois depuis le tremblement de terre du 12 janvier 2010, ces personnes déplacées se retrouvent encore dans la crasse, dans plusieurs tentes sales et déchirées, sous le poids des intempéries, déplore Sergit.
Les conditions d’hygiène dans ces camps représentent une réelle menace pour ces gensl.
Aucune visite des autorités de l’État n’est observée dans le camp « Garage », critique-t-il.
Les familles déplacées subissent, sans cesse, dans le Camp "Garage" des menaces d’expulsions, ajoute Sergit qui appelle le gouvernement à réagir en leur faveur.
Mettre un terme aux expulsions forcées dans les camps, créer d’autres hôpitaux publics ainsi que des emplois pour la population, rendre concret le programme de scolarisation universelle gratuite de Michel Martelly, figurent au nombre des recommandations formulées par le vice-président du comité du camp « Garage ».
3. Haïti, terre rouge, 2 octobre 2012, 20:06
Ils sont le choléra du monde
La nuit est mauve dans mon cœur
Les troncs noirs sur le soleil couchant
Il pleut dans mon âme
Les branches mortes gouttent
Sur la terre rouge
L’heure est tendre et triste
Mon corps git au sol
Jeté par les soldats
Des forces internationales
Venues de partout
Pour nous sauver de la vie
Pour nous assassiner
Pas de sépulture
Pas de pitié
Pas de regrets
Ne m’oublie pas mon ami
Mon camarade
Prolétaire du monde
Mais, surtout, n’oublie pas
Que ces soldats sont là aussi
Pour préparer ta mort
Comme ils ont organisé la mienne
Pas de haine, pas de regrets
Mais n’oublie rien
N’aie pas de pitié pour cet ordre inique
Qui opprime et qui tue....
Poète haïtien anonyme
1. Haïti, terre rouge, 21 août 2015, 07:48
Du même auteur :
Cette nuit, je dormirai
Cette nuit, je dormirai
Et définitivement.
Cela faisait des centaines de nuits
Que je ne pouvais pas dormir.
Parce que nous sommes en esclavage,
Parce que nous devons réfléchir,
Parce qu’il faut nous libérer,
Parce que les hommes ne sont pas des bêtes
Parce qu’on ne peut pas donner naissance à des enfants esclaves
Et dormir sur ses deux oreilles.
Mais ce combat n’a pas abouti.
Et, une fois de plus, nous sommes battus
Par des armées de tous les pays du monde
Venues prétendument nous sauver
D’un tremblement de terre…
N’ont fait que sauver les classes dirigeantes !
Le seul tremblement que ces gens-là craignent
C’est le tremblement des peuples
Et c’est bien cela qu’Haïti leur a toujours donné
Et leur donnera toujours
Tant qu’il y aura des opprimés dans notre île rouge
Rouge du sang des opprimés
Rouge du sang des exploités
Mais aussi rouge de colère
Rouge comme la révolution…
Les armées internationales m’ont mis en terre
Et je repose
Je me repose pour la première fois
Mais mon combat n’aura pas de repos
Celui qui me lit est déjà son futur combattant.
Les nouvelles injustices, les nouvelles oppressions
Ont déjà affermi son cœur
Et je peux reposer tranquillement
Car le combat continue.
4. Haïti, terre rouge, 7 février 2013, 07:19
Les militants qui ont préparé et rendu possible 1986 semblent maintenant condamnés à assister en spectateurs impuissants à l’ultime descente aux enfers de la nation. Pourront-ils jamais inverser la tendance ?
5. Haïti, terre rouge, 7 février 2013, 07:21
on pense aux massacres effectués lors des élections du 29 novembre 1987, à la tuerie perpétrée à l’église Saint Jean Bosco le 11 septembre 1988, à la répression exercée sur les militants Marino Etienne, Evans Paul, et Jean Auguste Mesyeux lors de la Toussaint en novembre 1989 et sur Serge Gilles en janvier 1990. Cette floraison d’actes barbares par l’ossature militaire a fait éclater en plein jour les répressions brutales vécues par le peuple haïtien.
6. Haïti, terre rouge, 7 février 2013, 07:25
e droit à la liberté d’association étant retrouvé, à la chute de la dictature des Duvalier en 1986, en plus des dizaines d’organisations exclusivement de femmes qui s’identifiaient comme féministes, des groupements de femmes communément appelés « fanm vanyan » (femmes vaillantes) pullulaient sur tout le territoire. Si les premières insistaient sur les revendications relatives aux violences faites aux femmes, à la santé génésique ou aux droits des femmes à disposer de leur corps, les secondes se réunissaient pour la plupart autour de petits projets de développement communautaires, générateurs de revenus, ou plus directement de simple survie. Cette différence de perception et de conception du féminisme n’a pas constitué un obstacle à la grande mobilisation qui devait regrouper les femmes de toutes les couches sociales confondues.
En effet, le 3 avril 1986, quand « Fanm d’Ayiti » qui se proposait de suivre la trace des femmes de la Ligue Féminine d’Action Sociale de 1934 a lancé un appel à la manifestation, plus de trois cent mille (300,000) femmes [3] ont participé à l’action la plus importante en termes de mobilisation de masse, réalisée durant cette période. Les revendications fondamentales s’articulaient autour de l’intégration des femmes dans tous les mécanismes de construction de la démocratie tout en réclamant un égal accès aux droits fondamentaux, à l’emploi et à la santé. Ces revendications sont l’expression d’une détermination des femmes à s’impliquer et à participer qualitativement et quantitativement aux affaires du pays et aux instances décisionnelles. La forme utilisée pour porter ces revendications, traduit la volonté des femmes de se positionner pour pouvoir jouir du droit à l’association et à l’expression pour lequel plusieurs femmes sont tombées pendant la dictature. Nous pensons plus spécifiquement à Laurette Badette, Marie Thérèse Féval ou encore Yanick Rigaud, toutes exécutées sous le régime de Duvalier pour leur engagement en faveur de la liberté.
Les féministes veulent rendre irréversible la nouvelle situation créée avec la chute de la dictature. C’est dans ce sens que l’on peut comprendre leur importante participation d’une part aux élections de 1990 en tant que militantes dans les communautés ecclésiales de base et d’autre part à la résistance constante menée au cours des trois ans du coup d’état (1991-1994) sanglant, orchestré par l’armée, dirigée par le Général Raoul Cédras, et le colonel Michel Francois ainsi que l’oligarchie haïtienne et les pays impérialistes, notamment les Etats Unis.
Il est important de souligner que le coup d’état est survenu à un moment crucial de la vie des organisations féministes et de femmes qui se définissaient et se structuraient. C’était le moment où les organisations féministes et de femmes faisaient de l’animation, la formation et la conscientisation autour des problèmes liés à la condition des femmes en vue d’encourager ces dernières à intégrer des structures organisationnelles pour transformer leurs conditions. Convaincues que les inégalités ne sont pas une fatalité, que nous pouvons par l’action militante transformer le quotidien de chacun et chacune, l’éducation populaire était au cœur de notre action militante pour le changement des mentalités. Des rassemblements importants se réalisaient à différents échelons territoriaux (Section Communale, Commune et département). Ces derniers se réalisaient pour susciter une réflexion sur le sexisme ordinaire, une prise de conscience de la nécessité du combat féministe et pour trouver, entre autres, des alliés hommes à la cause des femmes.
C’est durant cette période que la campagne de sensibilisation contre les violences faites aux femmes a été lancée par la Solidarite Fanm Ayisyèn (Solidarité des Femmes Haitiennes - SOFA) en novembre 1987. Ce faisant, la SOFA voulait attirer l’attention sur l’existence de ce phénomène qui est l’expression la plus sauvage et la plus cruelle de la domination masculine. Elle voulait interpeller la conscience de toutes et tous pour que l’intolérable ne soit plus socialement toléré. Elle voulait faire reconnaitre à tous et toutes le droit des femmes à disposer de leur corps. Cette lutte a pris une autre dimension à partir de la fin de l’année 1991.
Pendant la période du coup d’état du 30 septembre 1991, le viol servait systématiquement de tactique de guerre pour humilier et terroriser les femmes dont le vote au cours des élections de 1990 avait marqué un poids important dans la balance. Le viol a été utilisé tant par des criminels notoires que par des partisans inconditionnels des secteurs politiques au pouvoir tendant à imposer silence aux femmes qui se montraient actives dans la sauvegarde du processus démocratique naissant.
Les agressions sexuelles contre les femmes pendant le coup d’état militaire étaient donc commises à des fins politiques. Le viol constituait une arme politique, un instrument pour intimider et punir les femmes à cause de leur lien direct ou indirect avec l’opposition au coup d’État. L’identité des auteurs de ces crimes est venue confirmer le caractère politique du viol. Les agresseurs étaient en effet des officiels ou des individus appartenant à l’appareil d’État (membres de l’armée, attachés, chefs de sections, macoutes, membres du corps paramilitaire FRAPH [4], zenglendos) qui tous opéraient à l’instigation de l’armée ou bénéficiaient de son soutien ou de son consentement.
Devant cette guerre acharnée contre les femmes, les organisations féministes dont SOFA, Kay Fanm, Enfo Fanm et d’autres féministes [5] n’appartenant à aucune organisation, ont habilement conduit une résistance qui a pris des formes diverses. Elle va - en dépit des interdits - des rencontres d’échanges autour de la conjoncture et de la résistance avec des femmes de tout le pays, à la constitution de documentation sur les cas de violations des droits des femmes pour les porter par devant les institutions internationales spécialisées en la matière. Parallèlement, elles se sont organisées conjointement avec des institutions d’accompagnement dont la section femme du Centre de Recherche et d’Action pour le Développement (CRAD) à fournir un service d’appui et d’accompagnement psycho-social en solidarité aux femmes victimes du coup d’état notamment celles vivant dans des quartiers populaires de la Capitale.
En clair, le coup d’État, dont l’un des objectifs a été de décapiter les mouvements sociaux, n’a pas réussi à démanteler le mouvement féministe haïtien. La jeunesse de ce dernier ne l’a pas empêchée de trouver la meilleure stratégie pour faire échec au coup d’État et contribuer ainsi à la lutte pour le rétablissement de l’ordre constitutionnel.
7. Haïti, terre rouge, 14 décembre 2014, 19:13
Contre le gouvernement : affrontements à Port-au-Prince – 12 décembre 2014 : Lire ici
8. Haïti, terre rouge, 14 décembre 2014, 19:18
Un homme d’une trentaine d’années a été tué par balles, samedi, alors que de nouvelles manifestations anti-gouvernementales se tenaient à Port-au-Prince, au cours desquelles plusieurs incidents ont éclaté entre forces de l’ordre et protestataires.
9. Haïti, terre rouge, 30 avril 2015, 08:29
Au Népal aussi, les autorités étatiques démontrent leur totale incapacité à faire face au tremblement de terre et le peuple se révolte...
La police anti-émeute ne parvient pas à ramener le calme parmi les milliers de survivants du séisme au Népal en colère faute de secours, faute d’aide des autorités et notamment faute de trouver un bus leur permettant de quitter Katmandou.
La police a été déployée à la gare routière, près du parlement, où la foule s’était rassemblée dès avant l’aube dans l’espoir de pouvoir monter à bord d’un bus spécial promis par le gouvernement.
Des échauffourées ont éclaté entre la foule et les autorités lorsque les survivants ont perdu patience devant l’absence de ces bus. « Nous attendons depuis l’aube. Ils nous ont dit qu’il y aurait 250 bus mais aucun n’est encore arrivé », explique Kishor Kavre, étudiant de 25 ans venu dans l’espoir de partir de la capitale en ruines.
10. Haïti, terre rouge, 19 août 2015, 08:26
La Croix-Rouge a récolté un demi-milliard de dollars pour Haïti — et construit six maisons…
LE QUARTIER DE CAMPÊCHE s’étend sur un flanc de colline escarpé dans la capitale de Port-au-Prince. Des chèvres fouillent dans les ordures qui n’ont pas été ramassées depuis des lustres. Des enfants frappent dans un ballon de volley à moitié dégonflé, au milieu d’un terrain poussiéreux bordé par un mur où s’affiche le logo peint à la main de la Croix-Rouge américaine.
Fin 2011, la Croix-Rouge a lancé une campagne de plusieurs millions de dollars destinée à réhabiliter cette zone désespérément pauvre, durement frappée par le tremblement de terre qui avait secoué Haïti l’année précédente. Ce programme – intitulé LAMIKA, acronyme de Lavi Nan Miyò Katye Pam ou « Une meilleure vie dans mon quartier » en créole – avait pour but principal la construction de plusieurs centaines de maisons permanentes.
À ce jour, aucune n’est encore sortie de terre. De nombreux résidents vivent dans des cabanes de tôle rouillée, sans accès à l’eau potable, à l’électricité ou à des installations sanitaires de base. Lorsqu’il pleut, leurs abris sont inondés et ils se retrouvent contraints d’écoper l’eau et la boue.
Après le séisme, la Croix-Rouge a reçu une avalanche de dons dont le total s’élevait à près d’un demi-milliard de dollars.