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Quel travail théorique pour les militants révolutionnaires ?
samedi 2 février 2013, par
Quel travail théorique pour les militants révolutionnaires ?
Pour nombre de militants révolutionnaires, la théorie est d’une importance très secondaire et certains considèrent même qu’elle ne sert que d’ornement et mène à des absurdités qu’il faudrait éviter, nous disent-ils, en restant proches des gens, proches des réalités. En somme, dans le domaine de l’activité des révolutionnaires, on en est encore bien souvent à opposer action et théorie. Cette situation est bien particulière puisque dans nombre d’activités, cette attitude a été dépassée, au moins partiellement. Personne n’imagine un bon avocat ou un bon chirurgien qui n’ait pas étudié à fond la théorie. Par contre, certains bons militants de la classe ouvrière, qu’ils soient ouvriers ou pas, considèrent que la théorie est à respecter en gardant ses distances. De temps en temps, la théorie mérite un petit stage pour avoir quelques connaissances mais l’activité n’est pas directement liée à la théorie… Et le militant ne se considère pas comme en train de construire lui aussi … la théorie. Elle n’est pas vivante. C’est celle de Marx, Lénine ou Trotsky. Certains y ajoutent tel ou tel penseur plus récent mais peu considèrent qu’il faut toujours la faire évoluer en connexion avec la réalité.
Il s’y rajoute aussi un facteur social. Dans la société capitaliste, la séparation des tâches, des rôles sociaux, des pouvoirs, des classes amène à penser que tout ce qui est lié à la classe ouvrière ne serait pas du domaine de l’étude théorique mais pratique. Les milieux syndicalistes jouent un grand rôle dans cette déformation de la pensée politique et ils ont une grande influence dans la mesure où la plupart des militants révolutionnaires ont une importante activité syndicale qui leur prend une grande partie de leur temps et de leurs préoccupations, pour ne pas dire la plus grande partie de leur temps et de leurs préoccupations. La théorie passe pour être « en chambre », « en labo », réalisée par des « savants cosinus » qui planent au-dessus de la réalité et dont les véritables militants auraient intérêt à se défier. Ce genre de situation existe mais ce n’est pas une raison pour se détourner de la théorie. Il y a certes bien des faux docteurs mais cela ne suffit pas à penser que le médecin ne doit apprendre la théorie de son domaine… Il y a aussi de pragmatistes, des activistes qui envoient les luttes dans le mur, et même les révolutions, parce qu’ils ont refusé de prendre le soin d’étudier la théorie, l’histoire mais aussi la philosophie…
La base de toute intervention militante révolutionnaire devrait être :
– pour transformer le monde, il faut le comprendre car cette transformation, pour réussir devra être consciente et cette conscience ne devra pas seulement être une révolte, un sens de classe, mais aussi un sens des nécessités objectives, un sens de la dynamique de l’Histoire, un sens des intérêts aussi des classes adverses.
– la volonté individuelle et collective n’est pas seule en cause : il y a des lois du réel qui ne sont pas visibles à l’œil nu et qui nécessitent, pour être appréhendées, d’un matériel théorique perfectionné aussi développé que dans d’autres types d’activité.
Le stalinisme et le réformisme ont certes leur responsabilité dans le fait que les travailleurs et les militants se détournent des théories. Ces dernières ont trop servi à tromper, à justifier l’injustifiable. Mais, pas plus que les dérives de certains courants néo-darwiniens ne doivent détourner de Darwin et donc empêcher de développer un darwinisme moderne, les dérives de prétendus adeptes de Marx ne doivent détourner du marxisme, c’est-à-dire détourner de bâtir un édifice conceptuel pour répondre au monde tel que nous le comprenons à notre époque.
Il ne peut suffire de référer à Marx et encore moins de le révérer. Il n’y a que trop de militants qui le lisent mais ne veulent pas faire le même travail que lui. Et je ne cite là Marx qu’à titre d’exemple parmi d’autres. Il existe de nombreux groupes d’extrême-gauche qui se revendiquent pleinement des Marx, Engels, Lénine, Trotsky ou Rosa Luxemburg mais se détournent de la philosophie de Hegel alors que tous ces auteurs et militants pensaient qu’on devait absolument, de manière vitale, étudier Hegel et se pénétrer de sa dialectique.
Bien sûr, rien n’oblige à faire exactement comme les « maîtres » et nous sommes les premiers à penser que quiconque pense par lui-même s’autorise à se détacher de toute appréciation des anciens qui ne lui semblerait plus fondée. Mais encore faut-il le justifier. Encore faut-il le dire même, ce que ces militants et ces courants ne font nullement. Bien des dirigeants de groupes ont affirmé : « nous ne sommes pas des théoriciens et il nous suffit d’étudier et d’appliquer la théorie marxiste ». Mais peut-on étudier la théorie marxiste comme des textes anciens sans se poser la question d’écrire nous-mêmes théoriquement ce que le monde nous paraît être aujourd’hui. Le simple fait d’étudier Marx comme s’il écrivait pour aujourd’hui me semble un parfait non-sens. C’est une manière d’en faire une icône et donc de le rendre inoffensif, de le transformer en pensée morte.
Non, nous ne disposons pas de la théorie de Marx (ou d’autres) comme d’un point de vue sur le monde actuel et il ne peut nous suffire de produire des textes d’actualité, de dénonciation, de prises de position, d’intervention politique et sociale. Inversement, il ne peut nous suffire de prises de positions théoriques, la théorie ne pouvant être séparée de la pratique, de l’expérience des masses, de l’intervention parmi elles, de la confrontation avec la réalité actuelle des classes en lutte, des actes et intérêts des classes dirigeantes en particulier. Or l’essentiel des groupes font l’un ou l’autre mais pas les deux…
Marx n’a pas analysé une fois pour toutes les crises du capitalisme. Il a aussi étudié chaque crise, une par une, montré ses spécificités, approfondi dans chacune ses points de vue, contredit ses idées précédentes, etc… La théorie ainsi conçue est dynamique. Elle ne peut consister en une attitude de révérence envers le marxisme, sensé expliquer le monde, sans changement, jusqu’à nos jours !
Ceux qui ont peur du changement en théorie sont aussi dangereux que ceux qui ont peur du changement en pratique. Il n’y a pas de voie assurée pour les militants révolutionnaires. Ceux qui veulent absolument des chemins tranquilles risquent fort de se détourner du bon…
Quant à la conscience de classe, elle ne peut s’extraire des luttes de classe actuelles que si on parvient en même temps à transmettre la compréhension des enjeux, les buts des classes dirigeantes et la situation de leur système. Sans quoi, les travailleurs se battront mais avec un bandeau sur les yeux...
Contre la conception religieuse de l’idéologie des révolutionnaires, de leur activité militante et de leur conception de l’organisation
Et tout d’abord qu’appelle-t-on conception religieuse ? C’est une vision noir et blanc fondée sur un moralisme qui distingue, dans ce qui se passe dans le monde, le bien du mal, le progrès et la réaction, et les oppose diamétralement, qui considère que l’idéologie a un rôle premier, qui houspille la pingrerie des riches, qui dénonce les injustices et promeut la justice, qui pleure sur les pauvres, qui se penche sur les opprimés, qui commisère sans cesse, qui oppose sans cesse une norme morale au monde réel sans jamais vouloir chercher la base matérielle et politique des faits dénoncés. La religion peut très bien dénoncer la cupidité des classes dirigeantes et livrer leur amoralisme à la vindicte publique. Elle ne veut pas en décrypter les buts sociaux et politiques. Elle peut dénoncer l’exploitation mais jamais elle ne montre où sont les forces et les faiblesses des opprimés.
L’idéologie religieuse assimile l’émancipation au recrutement des émancipateurs et évangélistes et non à l’action autonome des opprimés qu’il s’agirait d’étudier afin de permettre aux opprimés de connaître leur propre histoire, les leçons de ses échecs et victoires, la stratégie de leurs adversaires.
Un autre point est à souligner : la distance grandissante entre discours sur le futur et pratique dans l’immédiat. Par exemple, le discours religieux des révolutionnaires consistera à dire qu’au jour du jugement dernier, les prolétaires se dirigeront eux-mêmes par des soviets mais ce n’est nullement d’actualité puisque, pour le moment, le plus important est d’être nombreux à la promenade organisée par des bureaucraties syndicales dont on se garde de dire à quel point elles sont liées à nos pires adversaires…
Remplacer l’arme de la critique par celle de la dénonciation morale, ériger la théorie en dogme, former les nouveaux à l’obéissance aveugle, considérer la discussion critique comme une opposition stérile, refuser l’étude systématique de la philosophie, prétendre que l’activisme est la base de activité du révolutionnaire, oublier l’existence du travail théorique, prétendre que le travail essentiel est le recrutement de nouveaux missionnaires, présenter le communisme comme une société future qu’il s’agit d’annoncer comme le messie, parler du parti comme d’un but fantasmagorique, refuser de dénoncer les illusions des masses sous prétexte que ce n’est pas possible vu le niveau actuel de conscience de celles-ci, tenir un double discours intérieur et extérieur et présenter l’activité des révolutionnaires comme un élitisme qui nous place au dessus des masses, voilà quelques unes des caractéristiques de la conception religieuse de l’activité révolutionnaire.
L’inverse de la conception religieuse des révolutionnaires :
– l’étude théorique et philosophique est à la base de l’activité militante des révolutionnaires. En 1908, au plus bas de l’activité des militants ouvriers révolutionnaires suite à la défaite de la révolution de 1905, Lénine estimait que la tâche numéro un était de réarmer en étudiant la philosophie de la matière liée aux crises de la physique, en écrivant « Matérialisme et empiriocriticisme », un ouvrage que les adeptes de la conception religieuse de l’activité révolutionnaire détestent comme ils détestent « La dialectique de la nature » d’Engels et comme ils prétendent aimer « Le capital » de Marx qu’ils présentent comme un ouvrage d’économie alors que son auteur affirmait que c’était de la dialectique de Hegel à toutes les pages…
– jamais de double langage
– ne jamais présenter des victoires quand ce sont des défaites
– ne jamais cultiver ce qui nuit à l’auto-organisation des masses, à leurs possibilités de prendre en compte leur propre rôle dans les événements
– ne jamais présenter des ennemis comme des alliés, à commencer par les directions syndicales
– ne jamais effacer le caractère de classe de l’Etat ni « oublier » d’insister sur le fait que nous ne pourrons pas le laisser en place et que nous, prolétaires révolutionnaires, devront le détruire de fond en comble. Nous ne lui reprochons par exemple jamais de manière morale de ne pas œuvrer pour l’intérêt général….
Messages
1. Quel travail théorique pour les militants révolutionnaires ?, 2 février 2013, 09:44, par RP
Sans théorie révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire On ne saurait trop insister sur cette idée à une époque où l’engouement pour les formes les plus étroites de l’action pratique va de pair avec la propagande à la mode de l’opportunisme.
Lénine - Que faire ?
2. Quel travail théorique pour les militants révolutionnaires ?, 2 février 2013, 09:45, par RP
Le signe distinctif de l’opportunisme, c’est d’abord l’hostilité à la " théorie ". C’est tout naturel, puisque notre " théorie " - c’est-à-dire les principes du socialisme scientifique - pose des limites très fermes à l’action pratique à la fois quant aux objectifs visés, aux moyens de lutte, et enfin au mode de lutte lui-même.
Aussi ceux qui ne recherchent que les succès pratiques ont-ils tout naturellement tendance à réclamer la liberté de manœuvre, c’est-à-dire à séparer la pratique de la " théorie ", à s’en rendre indépendants.
Rosa Luxemburg - Réforme et révolution
3. Quel travail théorique pour les militants révolutionnaires ?, 20 décembre 2013, 01:37
« On ne saurait insulter plus grossièrement, mépriser plus totalement la classe ouvrière, qu’en prétendant que : « les controverses théoriques sont uniquement l’affaire des intellectuels ». […] Toute la puissance du mouvement ouvrier moderne repose sur la connaissance théorique »
(Rosa Luxemburg, Avant-propos à la Ière édition de Réforme sociale ou révolution, 1899).
4. Quel travail théorique pour les militants révolutionnaires ?, 25 octobre 2018, 07:55, par Will
Pourquoi l’expérience des exploités ne pourrait pas, seule, suffire à ceux-ci pour se libérer et faut-il un travail théorique ?
5. Quel travail théorique pour les militants révolutionnaires ?, 25 octobre 2018, 07:58, par Robert Paris
Tout d’abord, nous ne percevons que la réalité momentanée, d’un un petit coin de la planète et pas sa totalité ni son histoire. Subir le capitalisme, ce n’est pas le connaître. Le mécanisme de la question du pouvoir est caché et celui de la révolution est trop lointain pour que l’expérience nous en soit transmise autrement que théoriquement.
Marx dans Le Capital Livre III :
« Toute science serait superflue s’il y avait coïncidence immédiate entre la forme phénoménale et l’essence des choses. »