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Les mathématiques obéissent-elles aux lois des contradictions dialectiques

28 janvier 2013, 16:36, par Robert

« Le nombre est la détermination quantitative la plus pure que nous connaissions. Mais il est plein de différences qualitatives. (…) Dès que les mathématiques parlent d’infiniment grand et d’infiniment petit, elles introduisent une différence qualitative qui se présente même comme une opposition qualitative inconciliable : il s’agit de quantités dont la différence entre elles est si énorme que cessent tout rapport rationnel, toute comparaison entre elles, qu’elles deviennent incommensurables quantitativement. L’incommensurabilité ordinaire, par exemple celle du cercle et de la droite, est elle aussi une différence qualitative dialectique ; mais, ici 4, c’est la différence entre quantité de grandeurs de même nature qui intensifie la différence de qualité jusqu’à les rendre incommensurables. (…) La dialectique a été conçue comme la science des lois les plus universelles de tout mouvement. Cela inclut que ses lois doivent être valables aussi bien pour le mouvement dans la nature et dans l’histoire humaine que pour le mouvement de la pensée. (…)De tous les progrès théoriques, aucun ne passe sans doute pour un triomphe aussi élevé de l’esprit humain que l’invention du calcul infinitésimal dans la deuxième moitié du XVIIe siècle. Plus que n’importe où, nous avons là un exploit pur et exclusif de l’esprit humain. Le mystère qui entoure, aujourd’hui encore, les grandeurs employées dans le calcul infinitésimal, différentielles et infinis de différents degrés, est la meilleure preuve de la persistance de cette illusion qu’on a ici affaire à de pures « créations et imaginations libres » de l’esprit humain, auxquelles rien ne répondrait dans le monde objectif. Et c’est pourtant le contraire qui est vrai. Pour toutes ces grandeurs imaginaires, la nature offre les modèles. Notre géométrie part de relations spatiales, notre arithmétique et notre algèbre partent de grandeurs numériques, qui correspondent à nos conditions terrestres, qui correspondent donc aux grandeurs corporelles que la mécanique appelle des masses, - masses telles qu’on les trouve sur terre et qu’elles sont mises en mouvement par les hommes. Par rapport à ces masses, la masse de la terre apparaît infiniment grande, et elle est aussi traitée comme infiniment grande par la mécanique terrestre. Rayon de la terre = R, principe fondamental de toute mécanique dans la loi de la chute des corps. Pourtant non seulement la terre, mais aussi tout le système solaire et les distances qu’on y rencontre apparaissent à leur tour comme infiniment petits dès que nous nous occupons du système stellaire visible pour nous au télescope avec ses distances qu’il faut estimer en années-lumière. Nous avons donc ici déjà un infini non seulement du premier, mais du deuxième ordre, et nous pouvons laisser à l’imagination de nos lecteurs le soin de se construire encore d’autres infinis d’ordres plus élevés dans l’infinité de l’espace, s’ils en ressentent l’envie. Or les masses terrestres, les corps avec lesquels la. mécanique opère, se composent, d’après l’opinion qui prévaut aujourd’hui en physique et en chimie, de molécules, particules très petites, qui ne peuvent continuer à être divisées sans qu’on supprime l’identité physique et chimique du corps en question. D’après les calculs de W. Thomson, le diamètre de la plus petite de ces molécules ne peut pas être inférieur à 1 /50.000.000 de millimètre. Mais admettons également que la molécule la plus grosse elle-même atteigne un diamètre de 1 / 25.000.000 de millimètre ; cela reste encore une grandeur infiniment petite par rapport à la masse la plus petite avec laquelle opèrent la mécanique, la physique et même la chimie. Cependant elle est douée de toutes les qualités propres à la masse en question, elle peut représenter la masse physiquement et chimiquement et la représente réellement dans toutes les équations chimiques. Bref, elle a exactement les mêmes propriétés vis-à-vis de la masse en question que la différentielle mathématique vis-à-vis de ses variables. A cela près que ce qui, dans la différentielle, dans l’abstraction mathématique, nous apparaît mystérieux et inexplicable, devient ici évident, et pour ainsi dire apparent. (…) Mais, dès que les mathématiciens se retirent dans leur citadelle imprenable de l’abstraction, ce qu’on appelle la mathématique pure, toutes ces analogies sont oubliées, l’infini devient quelque chose de totalement mystérieux et la manière dont on s’en sert en analyse apparaît comme quelque chose de purement inconcevable, qui contredit toute expérience et toute raison. Les folies et : les absurdités avec lesquelles les mathématiciens ont plutôt excusé qu’expliqué cette méthode qui est la leur et qui, chose curieuse, conduit toujours à des résultats justes, surpassent les pires fantaisies apparentes et réelles de la Philosophie de la nature de Hegel par exemple, au sujet desquelles les mathématiciens et les savants ne sauraient exprimer assez d’horreur. Ce qu’ils reprochent à Hegel, de pousser les abstractions à leur comble, ils le font euxmêmes à une bien plus large échelle. Ils oublient que tout ce qu’on nomme mathématiques pures s’occupe d’abstractions, que toutes leurs grandeurs, rigoureusement parlant, sont des grandeurs imaginaires et que toutes les abstractions poussées à leur comble se convertissent en absurdité, en leur contraire. L’infini mathématique est emprunté à la réalité, même si c’est inconsciemment, et c’est pourquoi il ne peut être expliqué que par la réalité et non par lui-même, par l’abstraction mathématique. Et si nous étudions la réalité sur ce point, nous trouvons aussi, comme nous l’avons vu, les relations réelles auxquelles est emprunté le rapport d’infini mathématique, et même les analogues naturels de la façon mathématique de faire agir ce rapport. Voilà donc la chose expliquée. »

Engels dans « Dialectique de la nature »

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