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Les mathématiques obéissent-elles aux lois des contradictions dialectiques

29 janvier 2013, 07:48, par RP

Extrait du Cours de Physique de Richard Feynman :

Qu’est-ce que nous entendons par " comprendre " quelque chose ? Nous pouvons imaginer que ce réseau compliqué d’objets en mouvement, qui constitue " le monde ", est quelque chose d’analogue à une grande partie d’échecs jouée par les dieux, et que nous sommes des observateurs de ce jeu. Nous ne savons pas quelles sont les règles du jeu ; la seule chose que nous puissions faire, c’est de regarder le jeu. Bien sûr, si nous regardons suffisamment longtemps, nous pouvons finalement saisir quelques-unes des règles.

Les règles du jeu sont ce que nous appelons la physique fondamentale. Même si nous connaissions toutes les règles, il se pourrait que nous ne soyons pas capables de comprendre un mouvement particulier de la partie, simplement parce que c’est trop compliqué, et que nos facultés mentales sont limitées. Si vous jouez aux échecs vous devez savoir qu’il est facile d’apprendre toutes les règles, et cependant il est souvent très difficile de choisir le meilleur déplacement ou de comprendre pourquoi un joueur agit comme il le fait. Ainsi en est-il dans la nature à un degré supérieur ; mais nous devons au moins être capables de trouver toutes les règles. En fait, à l’heure actuelle, nous ne possédons pas toutes les règles. (De temps en temps, de même qu’un joueur d’échecs peut roquer, quelque chose de nouveau se passe que nous ne comprenons pas encore.) En dehors du fait que nous ne connaissons pas toutes les règles, ce que nous pouvons réellement expliquer à l’aide de ces règles est très limité, parce que pratiquement toutes les situations sont compliquées à un tel point que nous ne pouvons suivre la partie en utilisant ces règles, et encore moins prévoir ce qui va se passer.

Nous devons, de ce fait, nous limiter aux questions les plus fondamentales : la connaissance des règles du jeu. Si nous connaissons ces règles, nous considérerons que nous " comprenons " le monde. Comment pouvons-nous dire que les règles " supposées " sont effectivement exactes, si nous ne pouvons analyser le jeu très correctement ? Il y a, en gros, trois manières. D’abord il peut y avoir des situations que la nature a aménagées, ou bien alors nous aménageons la nature, de telle sorte que ces situations soient simples et qu’il y ait si peu de composantes que nous puissions prédire exactement ce qui va se passer, et qu’ainsi nous puissions vérifier comment nos règles fonctionnent. (Dans un coin de l’échiquier, il peut n’y avoir que quelques pièces à l’oeuvre et nous pouvons y voir complètement clair.) Une deuxième bonne manière de vérifier les règles se fait en fonction de règles plus générales, dérivées des premières. Par exemple, la règle du mouvement d’un fou sur un échiquier est de ne se déplacer qu’en diagonale. On peut en déduire qu’un certain fou se trouvera toujours sur un carré blanc, quel que soit le nombre de mouvements réalisés. Ainsi, sans être capable de suivre les détails, nous pouvons toujours vérifier nos prévisions à propos du mouvement du fou en contrôlant qu’il est toujours sur un carré blanc. Il y restera bien sûr pendant longtemps, jusqu’au moment où brusquement nous le trouverons sur un carré noir (ce qui s’est passé évidemment, c’est qu’entre-temps il a été capturé, un autre pion est allé à dame et s’est transformé en un fou sur un carré noir.) C’est de cette manière que les choses se passent en physique.

Pendant longtemps nous avons une règle qui s’applique excellemment et complètement, même lorsque nous ne pouvons suivre les détails, et puis il arrive que nous découvrions une nouvelle règle. Du point de vue de la physique fondamentale, les phénomènes les plus intéressants se trouvent bien sûr aux nouveaux endroits, où les règles ne sont pas suivies - et non ailleurs où elles le sont. C’est de cette manière que nous découvrons de nouvelles lois. La troisième manière de vérifier si nos conceptions sont justes est relativement grossière, mais probablement la plus puissante de toutes. C’est en utilisant une approximation assez large. Alors que nous ne sommes peut-être pas capables de dire pourquoi Alekhine déplace cette pièce particulière, peut-être pouvons-nous grossièrement comprendre qu’il est en train plus ou moins de rassembler ses pièces autour du roi, pour le protéger, puisque c’est la chose sensée à faire dans la circonstance. De la même manière, nous pouvons souvent plus ou moins comprendre la nature, en fonction de notre compréhension du jeu, sans être en mesure de voir ce que chaque petite pièce est en train de faire.

Au début, les phénomènes de la nature furent en gros divisés en catégories telles que la chaleur, l’électricité et la mécanique, le magnétisme, les propriétés des substances, les phénomènes chimiques, la lumière ou l’optique, les rayons, la physique nucléaire, la gravitation, les phénomènes des mésons, etc. Cependant le but est de voir la nature dans sa totalité comme différents aspects d’un seul ensemble de phénomènes. C’est-à-dire que le problème de la physique théorique de base aujourd’hui - est de trouver les lois derrière l’expérience ; d’unifier ces catégories. Historiquement, nous avons toujours été capables de les amalgamer, mais avec le temps on trouve de nouvelles choses. Cela allait très bien, lorsque soudainement les rayons X furent découverts. Nous avons continué d’unifier, et puis les mèsons furent trouvés. Ainsi, à chaque étape du jeu, cela paraît toujours assez embrouillé. L’unification a été menée assez loin, mais il y a toujours fils et ficelles qui pendent de toutes parts. C’est ainsi que se présente la situation aujourd’hui, et nous allons essayer de la décrire. Voici quelques exemples historiques de synthèses.

Prenons pour commencer la chaleur et la mécanique. Lorsque les atomes sont en mouvement, plus il y a de mouvement, plus le système contient de chaleur, et ainsi la chaleur et les effets liés à la température peuvent être décrits par les lois de la mécanique. Une autre synthèse très importante fut la découverte des relations entre l’électricité, le magnétisme et la lumière, aspects différents d’une même chose que nous appelons aujourd’hui le champ électromagnétique. Une autre synthèse fut l’unification des phénomènes chimiques c’est-à-dire les diverses propriétés des diverses substances avec le comportement des particules atomiques, synthèse réalisée dans la mécanique quantique de la chimie. La question est, bien sûr, de savoir s’il est possible de tout rassembler et de découvrir simplement que le monde représente différents aspects d’une seule chose.

Nul ne le sait. Tout ce que nous savons est que, lorsque nous avançons, nous pouvons rassembler les éléments, trouver ensuite certains éléments qui ne s’emboîtent pas, et essayer de compléter ce jeu de patience. Bien entendu, nous ne savons pas s’il y a un nombre fini d’éléments ou même une frontière au puzzle. Nul ne le saura jamais avant d’avoir terminé l’assemblage - si jamais on le termine. Ce que nous voulons faire ici est de voir jusqu’où ce processus de synthèse est arrivé, et quelle est la situation à présent dans la compréhension des phénomènes de base en fonction du plus petit ensemble de principes. Pour exprimer ceci d’une manière simple, de quoi les choses sont faites et quel est le plus petit nombre d’éléments différents ?

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