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Les mathématiques obéissent-elles aux lois des contradictions dialectiques

24 mai 2013, 05:02, par RP

Que les mathématiques pures soient valables indépendamment de l’expérience particulière de chaque individu est certes exact, et cela est vrai de tous les faits établis de toutes les sciences, et même de tous les faits en général. Les pôles magnétiques, le fait que l’eau se compose d’hydrogène et d’oxygène, le fait que Hegel est mort et M. Dühring vivant sont valables indépendamment de mon expérience personnelle ou de celle d’autres individus, indépendamment même de celle de M. Dühring dès qu’il dort du sommeil du juste. Mais il n’est nullement vrai que, dans les mathématiques pures, l’entendement s’occupe exclusivement de ses propres créations et imaginations ; les concepts de nombre et de figure ne sont venus de nulle part ailleurs que du monde réel. Les dix doigts sur lesquels les hommes ont appris à compter, donc à effectuer la première opération arithmétique, sont tout ce qu’on voudra, sauf une libre création de l’entendement. Pour compter, il ne suffit pas d’objets qui se comptent, mais il faut aussi déjà la faculté de considérer ces objets, en faisant abstraction de toutes leurs autres qualités sauf leur nombre, - et cette faculté est le résultat d’un long développement historique, fondé sur l’expérience. De même que le concept de nombre, le concept de figure est exclusivement emprunté au monde extérieur et non pas jailli dans le cerveau en produit de la pensée pure. Il a fallu qu’il y eût des choses ayant figure et dont on comparât les figures avant qu’on pût en venir au concept de figure. La mathématique pure a pour objet les formes spatiales et les rapports quantitatifs du monde réel, donc une matière très concrète. Que cette matière apparaisse sous une forme extrêmement abstraite, ce fait ne peut masquer que d’un voile superficiel son origine située dans le monde extérieur. Ce qui est vrai, c’est que pour pouvoir étudier ces formes et ces rapports dans leur pureté, il faut les séparer totalement de leur contenu, écarter ce contenu comme indifférent ; c’est ainsi qu’on obtient les points sans dimension, les lignes sans épaisseur ni largeur, les a, les b, les x et les y, les constantes et les variables et qu’à la fin seulement, on arrive aux propres créations et imaginations libres de l’entendement, à savoir les grandeurs imaginaires. Même si, apparemment, les grandeurs mathématiques se déduisent les unes des autres, cela ne prouve pas leur origine a priori, mais seulement leur enchaînement rationnel. Avant d’en venir à l’idée de déduire la forme d’un cylindre de la rotation d’un rectangle autour de l’un de ses côtés, il faut avoir étudié une série de rectangles et de cylindres réels, si imparfaite que soit leur forme. Comme toutes les autres sciences, la mathématique est issue des besoins des hommes, de l’arpentage et de la mesure de la capacité des récipients, de la chronologie et de la mécanique. Mais comme dans tous les domaines de la pensée, à un certain degré de développement, les lois tirées par abstraction du monde réel sont séparées du monde réel, elles lui sont opposées comme quelque chose d’autonome, comme des lois venant de l’extérieur, auxquelles le monde doit se conformer. C’est ainsi que les choses se sont passées dans la société et l’État ; c’est ainsi et non autrement que la mathématique pure est, après coup, appliquée au monde, bien qu’elle en soit précisément tirée et ne représente qu’une partie des formes qui le composent - ce qui est la seule raison pour laquelle elle est applicable.

Engels dans l’Anti-Dühring

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