Accueil > 04 - HISTOIRE CONTEMPORAINE- CONTEMPORARY HISTORY > 06- Révolution bolivienne et luttes de classe en Amérique latine dans les (…) > La Bolivie sous le couperet

La Bolivie sous le couperet

mardi 27 octobre 2020, par Robert Paris

La Bolivie sous le couperet

Extraits de l’ouvrage "La Bolivie sous le couperet" de Théo Buss

Les quetchuaymaras ont des chefs qu’ils appellent Wilkas. Ce nom permet aux chefs des indiens de rester dans le clandestinité. A la tête de leurs troupes, ils harcèlent l’ennemi blanc : cette guérilla ne ralentit nullement pendant l’époque républicaine.La répression créole est aussi féroce que la coloniale.

"L’histoire officielle, avec une pudibonderie explicable, jette un voile discret sur des évènements aussi terribles que le massacre de 600 paysans le 28 juin 1869 à San Pedro, qu’une autre tuerie, celle de Guaycho, du 2 au 5 Janvier 1870, ou l’on fit couper la langue à un homme et l’on tortura et assassina la mère et la parenté de l’héroique Wilka, le leader de l’insurrection Aymara, que celle d’Ancoraimes, ou le 7 Aout 1871 on massacra 600 Aymaras. Avec la chute de Melgarejo, la vague répressive, au lieu de s’arrêter, s’amplifia. L’onde sanglante envahit quasi tout le pays. En 1887 on étouffa dans le sang et le feu le soulèvement des paysans du Beni ; en 1891, Gonzalez, le ’général exterminateur’ écrasa sauvagement l’insurrection des Chiriguanos.

Pablo Zarate est le plus connu et le plus craint des Wilkas. Sous sa conduite, une nouvelle fois , les Indiens s’insurgent dans de vastes régions à la fin du 19ème siècle. Sur cet affrontement séculaire entre blanc et Indiens se greffe une querelle entre Sucre et La Paz, qui à la fin du 19ème siècle se disputent la capital. Chuquisaca était le siège de l’Audience de Charcas au temps de la colonie. Tout naturellement, elle devient la capitale du Haut- Pérou lorsque celui ci proclama son indépendance, prenant le nom de Bolivie en l’honneur de Bolivar.

La ville de Chuquisaca reçut le nom de Sucre pour honorer José Antonio Sucre, lieutennt de Bolivar et commandant des armées libératrices qui donnèrent le coup de grâce à l’armée espagnole du Haut Pérou. Traditionnellement, Sucre est la ville des grands propriétaires terriens, tournée vers son passé colonial dont elle a gardé le cachet et, en partie, la mentalité. La Paz était plutôt la ville de l’industrie naissante, la métropole des mineurs, la cité qui monte. Elle revendiquait la capitale. Pour arriver à ses fins, elle se déclara fédéraliste et leva une armée.

Le général Pando, dirigeant les troupes ’fédéralistes’ de la Paz, fait des promesses au prestigieux chef Pablo Zarate willka : "Tu m’aides avec les Indiens dans cette guerre civile. Les blancs du sud, les k’aras (injure Quechua) de Chuquisaca, sont tes ennemis et sont mes ennemis ; nous lutterons contre eux ; et après la victoire je serai le Premier Président et tu seras le Second Président de Bolivie ; et nous restituerons aux indiens les terres que Melgarejo leur a arrachées".

Pando nomme Willka Général de Division de l’armée Bolivienne et Commandant en chef de la direction Suprême des Armées Indiennes, lui fait d’autres promesses fallacieuses : libération des indiens esclaves, participation des masses quechuaymaras au gouvernement. Evidemment, aucune ne sera tenue. Lorsque les fédéraux de la Paz, grâce à l’aide déterminante des indiens, ont battu ceux de Sucre. Ceux de La paz oublient leurs promesses à Wilka. Ils organisent les troupes républicaines de Sucre et des fédéraux pour la guerre frontale de génocide contre l’Indien. La société créole nationale massacre les communautés Quechuas et Aymars sous l’enseigne ’Bolivianiser la Bolivie’.

L’attitude de ceux de La Paz face à ceux de Sucre n’est pas faire play non plus : une fois qu’ils ont gagné la confrontation avec les ’républicains’, en évitant le plus possible de verser le sang ’blanc’, ils deviennent plus centralistes et unitaires que ceux de Sucre. En 1899, la capitale du pays est transférée de Sucre à La paz, qui devient la capitale de facto, même si les gens de Sucre, vivant de leur passé, continuent d’intituler leur ville "capitale de la République".

Ayant été trahis une nouvelle fois et se sentant menacés d’extermination, le 10 Avril 1899, les Indiens s’organisent de manière indépendante et proclament à Oruro le gouvernement du peuple. Ils se fixent 3 objectifs :

1. Destruction par le feu des haciendas et restitution des terres usurpées aux communautés.

2. Jugement des assassins et des spoliateurs des terres.

3. Châtiment des coupables des innombrables injustices commises à l’encontre des indiens.

Les propriétaires des mines et des haciendas, de La Paz et Sucre, forment le gouvernement minoritaire de la Bolivie. Ils sont incapables de songer à une solution démocratique. Tout autour d’Oruro, les terres communales arrachées aux indiens sont à nouveau occupées par ceux ci. Le mouvement fait tâche d’huile, menaçant tous les propriétaires terriens du pays. C’est l’affrontement violent. Les campagnes de Bolivie se vident des propriétaires créoles. Ceux qui ne sont pas arrêtés et remis à la justice populaire fuient vers les villes : La Paz, Potosi, Cochabamba, Sucre. D’autres quittent les Andes. Ils ne reviendront jamais. Ils se fixent dans les villes créoles de la côte, Buenos aires, Santiago, Lima ou se réfugient en Europe.

Dans une région du nord de Potosi, les femmes et les filles des propriétaires de haciendas sont punies selon leur cruauté envers leur domestiques. Les plus coupable sont violées par leur serfs. La société créole exige le pire châtiment pour les auteurs. Elle oublie le droit de cuissage, qui permet au patron de la Hacienda sous la république comme dans la colonie de déflorer les jeunes filles Quechuas et Aymaras la veille de leur mariage.

Mais les mitrailleuses et l’artillerie des créoles finissent par avoir raison des pierres, bâtons, frondes, couteaux et quelques vieux mousquetons des indiens : le siège du gouvernement à Oruro est investi, son président, Juan Lero, est arrêté le 23 Avril 1899. Il mourra en 1901, à 60 ans , des tortures qu’on lui a infligées en prison. Pablo Zarate Willka aussi est arrêté. On fait son procès à Oruro. Mais rapidement celui ci se retourne en jugement des atrocités commises par les blancs : Willka est acquitté. Onfeint alors de transférer à La Paz le "redoutable willka", comme il a été surnommé. Les soldats de l’escorte l’assassinent en route, en même temps que 30 chefs indiens.

De 1868 à 1900 s’écoulent 33 années de guerre ininterrompue. La nation Quechuaymara résiste les armes à la main à l’attaque de l’armée régulière.

La République pire que la Colonie A l’indépendance de la Colombie, du Chili, du Pérou, et de la Bolivie, les créoles encensent d’abord Bolivar, Sucre, San Martin et les nomment présidents à vie, ou protecteurs de leurs nouvelles républiques. Bientôt, cependant, ils déchanteront en voyant que les idéaux prônés par les libertadores entrent en conflit avec leurs propres intérêts. "Bolivar conscient de la douloureuse réalité laissée par la Colonie, chercha à transformer la société coloniale en une véritable société démocratique. Il dicta les décrets de Trujillo, Cusco et Pucan. Ces mesures révolutionnaires à l’époque éliminaient le travail gratuit à la campagne et obligeaient à rémunérer les services du paysan".

Leur application aurait signifié la fin du système féodal. Les propriétaires terriens, maîtres du gouvernement du nouvel Etat, n’en tinrent aucun compte : il fallut attendre 127 ans... Voyant que les chefs d’armées libératrices ont l’intention d’émanciper les Indiens, les créoles les accusent d’êtres dictatoriaux et arment des Caudillos de caserne contre eux. Ils seront reniés, maltraités, Sucre sera même assassiné. Bolivar commentera amèrement : " J’ai labouré la mer". Les Caudillos se défont des restes des armées libératrices ; surtout, ils massacrent les noyaux Quechuas et Aymaras qui résistent.

"Bientôt, la violence sera incontrôlable. Les premières décennies des républiques sont une guerre chaotique et effrénée. La seule chose permanente et intangible, c’est la domination de la minorité blanche sur la majorité indienne. Chaque Caudillo croit qu’il est né pour être dictateur. Coup d’état, mutinerie de caserne, tentatives de subversion, conspirations, assassinats, trahisons se succèdent rapidement. Sans trace de différence politique. Aucune histoire ne peut les classer en courants. A peine si l’on peut les affubler d’un "isme" ajouté au nom du traîneur de sabre en question. Les Caudillos combattent tout président de service et se combattent les uns les autres. Ils sont assassinés même par leur parenté. Le butin, c’est le pouvoir. En 150 ans, la Bolivie subit 187 coups d’état, la plupart sanglants et victorieux.

Bolivar, Sucre et San Martin, grâce ou plutôt à cause de la présence des armées Quechuas et Aymaras victorieuses, décrètent l’abolition de l’esclavage, des repartimientos, de la mita, du yanaconaje, du pongueaje et de tout travail obligatoire et gratuit. Le maréchal Andres de Santa Cruz, un autre de ces présidents boliviens issus des armées du roi, restaure par décret, le 15 Octobre 1829, la mita ( corvée dans la mine), l’impot colonial pour l’Indien, la servitude agraire ou yanaconaje et la servitude domestique ou pongueaje.

En Bolivie, le Pongueaje est une institution légale jusqu’au 2 Aout 1953. Le Pongo, en plus du travail gratuit sur la terre du patron, sert celui ci, gratuitement encore, dans sa maison en ville, en alternant avec d’autres pongos. Il y amène sa nourriture, dort sur le sol, à côté de la porte qui donne sur la rue. Le mythe raciste a encore de grandes répercussions sur la conscience et l’attitude des classes dominantes de la société bolivienne métisse, la thèse de l’infériorité des indiens étant devenue une catégorie de l’histoire. Cette attitude se reflète dans le principepaternaliste, contenu dans la législation républicaine, de "défense" des indigènes considérés comme citoyens de "seconde classe", sans droits politiques ni civils, asservis à une condition civile de minorité permanente et inextinguible.

La classe créole conquiert le pouvoir politique et s’attribue la représentation de toutes les autres classes sociales : c’est ce qu’on a appelé l’Etat Féodal-Créole. Jusqu’en 1899, le féodalisme fut le système social de la nouvelle République : la nouvelle entité hérita toutes les institutions et tous les services de la Colonie. La seule chose qu’elle élimina fut la bureaucratie hispanique. Comme il s’était agi d’une transformation éminemment politique, les bases sociales restèrent les mêmes : le lois espagnoles réglementent les relations entre les particuliers et l’Etat ; le système d’appropriation de la terre reste le même que durant le pouvoir colonial ; la situation des indiens est identique à l’odieuse servitude imposée par le Conquistador ; l’économie est basée sur l’exploitation des minerais. Le peuple ignorant et analphabète à 90%, fut condamné au même sort que celui imposé par le colonisateur.

(...)

La mafia de l’étain : un demi siècle de domination

On distingue trois phases dans l’histoire économique de la société Bolivienne :

a) Phase stationnaire (jusqu’en 1904) qui comprend l’époque de la domination espagnole et la « Révolution » de l’indépendance,

b) Phase de croissance simple : premier tiers du 20ème siècle,

c) Phase de croissance monopolistique : commence avec la crise mondiale de 1929-33 et s’étend jusqu’à 1952.

Au transfert de la capitale Sucre à la Paz correspond le passage du pouvoir du parti conservateur représentant les grands propriétaires de terres et les militaires malfaisants du 19ème siècle au parti libéral, incarnant les intérêts des grands mineurs.

« Le gouvernement libéral est historiquement et sociologiquement parlant, une dictature de l’étain. »

Cette dictature s’érigera peu à peu, consolidera progressivement ses mécanismes de contrôle de l’ensemble des appareils de l’Etat, de l’armée et de l’économie, et parviendra à exercer un pouvoir sans partage sur tout le pays, sous le parapluie de l’impérialisme capitaliste dont elle est partie intégrante.

Dans les années 20, les compagnies se réorganisent comme corporations étrangères. Simon Patiño établit des liens directs et étroits avec le monde capitaliste Anglo- Américain. La Patiño Mines Entreprises Consolidated and Incorporated nait à Dover (Delaware), Etats- Unis. Aramayo, pour sa part, inscrit son groupe industriel en Suisse, à Genève, sous le nom de Compagnie Aramayo de Mines de Bolivie. Le troisième groupe ploutocratique, dirigé par l’entrepreneur métallurgiste germano-argentin Mauricio Hochschild, adopte une attitude semblable. Le pays est organisé par les présidents Pando, Montes, Villazon et Gutierrez Guerra en fonction d’une zone d’exploitation étrangère, comme une enclave coloniale dans la région des mines, ou l’approvisionnement d’une matière première essentielle pour l’industrie lourde européenne et Nord- Américaine devient la priorité absolue.

Le terme d’ enclave coloniale n’est pas une simple formule. Ils ‘agissait bel et bien d’un territoire soustrait à la souveraineté nationale bolivienne, ou les patrons miniers régnaient en maîtres et d’où le minerai sortait directement pour quitter le continent via le port d’Arica. A l’occasion, les trois grands de la mine ne dédaignaient pas d’appeler l’armée pour rétablir un climat de « loi et d’ordre » propice au travail bestial et prohibant toute récrimination des infortunés mineurs.

« La première conclusion qui apparait avec une clarté accablante, est celle qui a trait à l’impressionnant degré de dépendance, de vulnérabilité vis-à-vis de l’extérieur et, en conséquence, d’exploitation dont la Bolivie souffre. La cause essentielle de la décomposition du pays est l’implantation de l’enclave coloniale par la grande industrie minière de l’étain.

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par les responsables.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.