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Souvenirs d’une communarde de 1871

vendredi 30 décembre 2022, par Robert Paris

Victorine B. « Souvenirs d’une morte vivante »

Avant l’entrée des Prussiens à Paris, le peuple avait transporté ses canons sur la butte Montmartre, car il était décidé à ne pas permettre qu’ils tombassent entre les mains de l’ennemi. Je laisse aux historiens à raconter l’histoire officielle de la Commune, comme je l’ai fait pour le premier siège. Je limite mon récit à ce qui m’est personnel.

Le 17 mars une grande agitation régnait dans Paris, on pressentait un danger, le peuple voulait se tenir sur ses gardes, mais Thiers préparait dans l’ombre un coup fourré ; renard, il pensait qu’au jeu, la première mise a presque toujours l’avantage sur l’adversaire.

L’assemblée de Bordeaux sentait bien que sa place était dans la capitale historique, mais elle avait peur des 400 000 fusils restés, entre les mains des combattants. Elle savait aussi qu’il fallait payer 5 milliards aux Allemands. Où les prendre, si ce n’est dans la poche du travailleur ? Il fallait absolument taper les Parisiens. Ainsi, d’un côté la peur, de l’autre nécessité d’argent. Il fallait donc aller au plus pressé. Désarmer Paris ; puis on pourrait lui faire suer son argent pour la rançon par de nouveaux impôts indispensables. On tuerait des citadins,
Mais qu’importe qu’un sang vil soit versé ?

Tuer, pioupious, canaille, sotte espèce ? Est-ce un péché ?… Non ! Non !…

Vous leur ferez, Seigneur
En les tuant beaucoup d’honneur.

La société sera sauvée.

Le plan machiavélique était fait, il restait à l’exécuter. Comment ? Il aurait fallu du temps, mais les Prussiens voulaient de l’or. Il fallait agir.

Tandis que Thiers préparait son attaque clandestine sur les batteries prolétariennes, le comité central de la Garde Nationale, en prévision d’un coup d’État, cherchait à former une fédération des gardes nationaux de Paris.

Le comité central n’avait encore que 23 membres, dont les pouvoirs étaient vérifiés ; à 1 heure du matin, ils se séparaient, ne se doutant pas de ce qui se tramait contre Paris.

À 4 heures du matin, le 18 mars, le général Susbeille s’empara, sans coup férir, de la position de Montmartre, un factionnaire tué reste seul sur le carreau, les autres, cinquante tout au plus, sont faits prisonniers. Les canons pris, point de chevaux pour les emmener. Le temps s’écoule dans l’inaction voulue ; ce n’était pas seulement pour les canons qu’on avait fait ce guet-apens, on désirait une petite émeute, pour effrayer la Garde Nationale et pouvoir saigner le peuple ; enfin à leur tour quelques gardes nationaux rassemblés en hâte donnent l’assaut à la butte, s’emparent du général Lecomte, et fraternisent avec les troupes ; le général Susbeille et sa suite, fuient, laissant aux mains de l’insurrection un otage, qui par la force des choses est devenu fatalement une victime. Le premier coup fut donc porté par Thiers et une sentinelle fut tuée ; homme pour homme.

Depuis le 15 mars, tout était prêt pour déménager à la minute, caisses et archives.

Vers les 10 heures du matin nous entendîmes des marchands de journaux crier dans les rues : « Surprise, Montmartre attaqué, canons pris, la Garde Nationale fraternise avec l’armée, les soldats mettent la crosse en l’air, le général Lecomte est prisonnier ! »

Mon mari et moi nous allâmes pour savoir ce qu’il y avait de vrai dans ces racontars. Le faubourg St-Germain semblait si éloigné de la vie active des autres faubourgs.

Nous passâmes sur la Place de l’Hôtel de Ville, où il y avait une grande animation. Les vendeurs de journaux avaient dit vrai.

Le comité central au complet était réuni à l’Hôtel de Ville. Ils étaient tous, trop heureux, le soleil s’était mis de la partie une journée splendide. Le Paris qui voulait son affranchissement semblait respirer une atmosphère plus salutaire, nous pensions en effet qu’une ère nouvelle allait s’ouvrir. Mais il ne suffit pas d’avoir triomphé, il faut savoir garder le terrain conquis.

Le peuple et le comité central ne pensaient même pas à prendre des mesures nécessaires pour continuer leur victoire et assurer son succès. Il était 2 heures environ, lorsque nous étions à la place de l’Hôtel de Ville, tout le monde avait l’air en fête, et ce pauvre Paris qui a toujours besoin de clinquant, nous donnait le spectacle d’un magnifique défilé militaire de la ligne, des gendarmes allant à Versailles, qui, avec des caisses, des malles, des paquets sur leurs épaules, emportant avec eux argent et archives ; et qui plus est, tous ces gaillards allaient renforcer les bataillons des Thiers & Cie, lesquels en réalité étaient en désarroi, en ce moment-là.

On dit que le peuple est méchant et cruel, moi je dis qu’il est bête, c’est toujours le pauvre oiseau qui se laisse plumer, et cette fois vraiment, il le fit bêtement, stupidement.

Les citoyens étaient si naïfs qu’ils croyaient sincèrement faire œuvre de gloire en se hissant sur l’impériale des omnibus, lançant des programmes en profusion, en faveur du mouvement communaliste. Car il ne faut pas s’y tromper, ce que le peuple réclamait alors c’était ses franchises municipales ; il pensait qu’ayant son libre arbitre, sans autorité gouvernementale, il arriverait à une transformation sociale ; les plus avancés espéraient se fédérer dans un temps plus ou moins proche.

Je vois encore ce brillant défilé ; quelques pauvres diables de lignards se retournaient, attrapaient au vol ces morceaux de papier insignifiants, quelques-uns avaient eu l’idée d’entonner un couplet de la Marseillaise, lorsque des officiers se mirent à crier : « Sacré nom de D…, marcherez-vous espèce de brutes ! » La foule se contenta de rire et de siffler les galonnés.

La journée du 18 mars, si belle à son aurore était vaincue d’ores et déjà au déclin du jour. L’insuccès de la révolution est tout entier dans cette journée qui promettait tant.

Si au premier moment d’effervescence on avait fermé les portes de la capitale et empêché de dévaliser Archives et Monnaie et fait bonne justice de ces gens-là, je ne dis pas en les tuant, mais en les faisant simplement prisonniers, jusqu’à ce que la force morale eût vaincu la force brutale, Thiers n’aurait pas eu le temps de tromper l’opinion publique de la Province par ses mensonges et ses corruptions.

Depuis assez longtemps il avait préparé des professionnels, agents de police, gendarmes transformés en mobiles, voire même gardes nationaux, pour le coup de main prémédité. Il était décidé à tout plutôt qu’à maintenir la République. Il espérait établir sur le trône un prince d’Orléans, au risque de travailler plus tard à le renverser, son rôle principal en tout temps ayant été de faire et de défaire les gouvernements.

Ses agents et autres soudoyés par Versailles, se seraient rendus à merci, car dans le fond ce ne sont que des mercenaires, ils auraient accepté d’être avec le maître qui les aurait payés, ils n’avaient pas d’opinion en propre.

Le 20 mars dans l’après midi nous eûmes la visite d’un compagnon d’armes de mon mari, le Garibaldien duquel j’ai déjà parlé. Il nous dit qu’on fait un appel à tous les corps francs qui sont de retour à Paris et aux soldats de l’armée régulière, qui n’ont pu être réincorporés dans leur régiment respectif, pour former un bataillon pour la défense de la République. Il demanda à mon mari et à moi, de la part de quelques compagnons de combats si nous voulions faire partie de leur bataillon en formation, on nous faisait demander si nous consentirions à tenir le mess des officiers.

Nous étions un peu hésitants, mon mari m’engagea de dire oui. Il pensait que cela serait mieux que de rester avec nos tristes souvenirs, dans l’inactivité.

Nous avons accepté. Nous fîmes de l’ordre dans notre maison et trois jours après, nous étions installés à la Caserne Nationale, maintenant caserne de la République, à l’angle de la rue de Rivoli et de la place, près de l’Hôtel de Ville.

Une vie nouvelle commençait pour nous, là nous avions une chambre à nous, une magnifique cuisine, une grande salle à manger et une petite cuisine pour le service du personnel, la salle était très propre, il y avait une grande table au milieu, recouverte d’une toile cirée blanche, des tabourets paillés, un dressoir, une sorte de comptoir, une grande glace pendue au mur, sur une console, un buste de la République (en plâtre), lequel était coiffé d’un bonnet phrygien et entouré de drapeaux rouges. C’était tout.

Nous avions alors comme chefs le commandant Naze et les capitaines Martin, Letoux et plusieurs autres officiers et sous-officiers. On m’adjoignit un cuisinier et deux garçons de service, dont un se nommait Adrien Brouiller. Je m’occupais du service général, mon mari s’occupait aussi de la surveillance des garçons ; tout allait assez bien.

Un jour, je demandai au commandant Naze si l’on voulait m’autoriser à tenir table ouverte deux heures par jour, à 9 heures du matin pour donner à manger aux pauvres diables qui avaient faim (il n’en manquait pas dans Paris dans ces moments-là.) Ayant été autorisée, je donnais une bonne assiettée de soupe à chacun, une tranche de bœuf, des légumes, du pain à discrétion et un demi-verre de vin. Nous acceptions hommes, femmes et enfants, par groupes de six ; lorsque chaque groupe avait fini, six autres individus entraient. Je ne demandais pas d’où ils venaient, ni qui ils étaient ; s’ils avaient faim, cela me suffisait.

Nous avons vu défiler des types de bien différentes conditions. J’étais heureuse d’avoir pu calmer pour quelques instants la faim de ces malheureux.

Notre bataillon n’était encore ni organisé, ni habillé, ni équipé, ni armé ; parmi nous il y avait des zouaves, des spahis, des turcos ; j’avais dans mon service un nègre, il était très bon garçon.

Quoiqu’en disent les mal intentionnés, chez nous je n’ai jamais vu un homme ivre, dans notre salle et dans notre service tout le monde s’est conduit dignement et respectueusement.

Le 26 mars, le comité central, fidèle à ses engagements, déposa entre les mains du peuple son mandat, ayant fini son rôle. Le peuple était sorti de la légalité pour rentrer dans la révolution ; c’était son droit, et ce droit lui était contesté par la presse officieuse, qui accusait l’Hôtel de Ville, de l’assassinat des deux généraux, quoiqu’il n’y fût pour rien.

La presse soudoyée rendait aussi le comité central responsable de l’affaire de la rue de la Paix. Elle était payée sans doute pour faire échouer les élections, et continua sa campagne diffamatoire, mais le coup a manqué !

Plus de 200 000 bulletins affirmèrent les pouvoirs de la Commune ; ils n’avaient pas usurpé les pouvoirs comme l’avaient dit les Thiers, J. Favre & Cie.

Le suffrage universel avait légalisé le drapeau rouge de l’émeute. Les membres de la municipalité parisienne allaient siéger pour la première fois depuis 1793.

Cette fois nous avions la Commune !

Toute la population donnait la bienvenue à la révolution. Après tant de défaites, de misères et de deuils, il y eut une détente, tous étaient joyeux. Toutes les maisons étaient ornées de drapeaux rouges et de drapeaux tricolores. Sur la place, devant l’Hôtel de Ville, canons, mitrailleuses couchés sur leurs affûts reluisaient au soleil. Au front des bataillons de marche, comme aux fenêtres, les drapeaux rouges flottaient et se mêlaient aux drapeaux tricolores.

Devant l’Hôtel de Ville, une estrade avait été dressée pour les membres de la Commune, au milieu de la foule endimanchée qui les acclamait, les bataillons défilaient, descendant musique en tête. Au premier rang, les élus des arrondissements, conduits à l’Hôtel de Ville par les électeurs fédérés.

Cette fête était magnifique, grandiose. Nous eûmes quelques heures d’émotion ; à la tête des bataillons au repos, des cantinières en costumes différents, s’accoudent aux mitrailleuses, la foule est compacte, silencieuse, recueillie devant l’estrade, autel de la Patrie, adossé au temple de la révolution ! Trois coups de canon tirés à blanc retentissent.

Le silence se fait. Un membre de la Commune proclame les noms des élus du peuple, un cri s’élève, unanime :

Vive la Commune !…

Les tambours battent au champ, la Marseillaise, le Chant du départ retentissent. Les drapeaux viennent se ranger autour de l’estrade communale, la voix grave et sonore du canon répétée par les échos annonçait aux quatre coins de Paris la grande nouvelle :

La Commune est proclamée !…

Paris, abandonné par ses représentants, livré à lui-même avait le droit de constituer un conseil communal.

La Commune n’a jamais eu l’intention de gouverner la France, elle était une nécessité du moment, elle fut élue librement, elle voulait Paris libre dans la France libre.

Elle voulait affirmer la République et par elle arriver à une amélioration, non pas sociale, (une minorité seulement pensait ainsi) mais gouvernementale.

Enfin elle voulait une République plus équitable, plus humaine. La Commune s’occupera de ce qui est local.

Les départements, de ce qui est régional.

Le gouvernement, de ce qui est national, celui-ci ne pourra plus être que le mandataire et le gardien de la République, qui aurait probablement sauvé la France.

Les hommes du 4 septembre ne l’ont pas voulu, ils ont préféré s’imposer au pays. Qu’ont-ils fait ? Ils ont mieux aimé sacrifier la nation que d’accepter franchement la République.

Les hommes de la Commune, inconnus la veille, seraient devenus les rédempteurs du lendemain s’ils avaient pu réaliser leur idéal.

La bourgeoisie reproche à la Commune, qu’il y avait parmi eux des hommes tarés. En manquait-il parmi les hommes du 4 septembre ? Avaient-ils tous la conscience pure ? Ces Messieurs se permettent bien de juger le peuple sans le connaître. Nous qui les connaissons, les ayant vus à l’œuvre, nous avons le même droit.

Quel que soit le jugement de nos contemporains, les hommes de la défense nationale, dont M. Thiers était le chef suprême auront au front la tache sanglante d’avoir laissé l’ennemi écraser la France. Pour se venger d’un tel affront, résultat de leur maladresse et de leur incapacité, ces hommes se ruèrent comme des bêtes fauves sur les Parisiens, qui voulaient sauver l’honneur de la France outragée. Car ce n’est pas seulement à la Commune que Versailles a fait la guerre ; c’est à Paris !
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Après cinq mois de siège, de famine et une honteuse capitulation, avec les dettes à payer, les ateliers encore fermés et pas de travaux d’aucun genre, le peuple acceptait encore de prolonger sa misère ; il ne voulait pas faiblir devant l’ennemi, c’était le mot d’ordre ; la Prusse nous regarde, elle est à nos portes ; soyons sages ! Et il le fut, trop même, car quelques folies qu’il eût pu faire, il n’aurait jamais égalé ce qu’a fait le gouvernement dont M. Thiers était le chef et qui supprima d’abord les 1 fr. 50 de la Garde Nationale, seule ressource de ces pauvres diables.

Cela ne pouvait encore le satisfaire ; il avait besoin d’une tuerie, de faire une saignée à ce Paris qu’il détestait tant ! Il la fit naître, l’affaire des Buttes Montmartre. Il ne fut pas encore satisfait ; plus la persévérance et le courage du peuple se maintenait, plus sa haine et sa férocité s’augmentaient dans des proportions effrayantes. On tuait pour tuer, femmes, enfants, vieillards, bourgeois paisibles et indifférents, le premier passant venu, tout y passait.

Le dimanche 3 avril, sans avertissement, sans sommations légales, à 1 heure de l’après-midi les Versaillais ouvraient le feu et jetaient des obus dans Paris. 6 à 700 cavaliers, le général Gallifet en tête, appuyaient le mouvement.

Les fédérés surpris n’étaient pas en nombre, cependant ils ripostèrent ; les Versaillais, les croyant plus nombreux, prirent la fuite, abandonnant sur la route canons et officiers.

À Paris personne ne croyait à une attaque, depuis février on n’avait plus entendu le son du canon, depuis le 28 mars on semblait vivre avec plus de sécurité, dans une atmosphère de confiance et d’espoir ; la surprise fut donc grande, d’entendre la voix du canon. On croyait à un malentendu ou à un anniversaire historique quelconque.

Mais lorsqu’on vit les voitures d’ambulances, quand le mot courut : Le siège recommence, il n’y avait plus à douter. Un même cri part de tous les quartiers : Aux barricades, on traîne des canons dans la direction de la porte Maillot et des Ternes, à 3 heures 50 000 hommes criaient : à Versailles, un grand nombre de femmes voulaient marcher en avant.

Tout à coup une mitraille des plus nourrie assaille les fédérés, ils criaient à la trahison ; une panique affreuse s’en suivit. Ils avaient espéré que le Mont Valérien ne tirerait pas.

La plus grande partie des fédérés fuient à travers champ et regagnent Paris. Le 91me seulement et quelques débris, 12 000 hommes environ gagnent Rueil, peu après Flourens arrive par la porte d’Asnières avec 1 000 hommes à peine.

Les Versaillais surpris par cette sortie n’entrent en ligne que vers les 10 heures du soir. 10 000 hommes furent envoyés dans la direction de Bougival. Des batteries placées sur le côté de Jonchère, Rueil, deux brigades de cavalerie à droite, celle de Gallifet ; à gauche, vers l’aile droite l’avant garde parisienne, une poignée d’hommes firent résistance.

Flourens fut surpris dans Rueil. Las et découragé, il se coucha sur la berge et s’endormit. Cipriani, le premier découvert veut se défendre, il est assommé. Flourens reconnu à une dépêche trouvée sur lui, est conduit sur les bords de la Seine, où il se tient debout, tête nue, les bras croisés. Un capitaine de Gendarmerie, Desmarets, se dressant sur les étriers, lui fend le crâne d’un coup de sabre, si furieux, qu’il lui fit deux épaulettes, dit un gendarme.

Cipriani, encore vivant, fut jeté avec le mort dans un petit tombereau de fumier et roulé à Versailles[1].

À l’extrême gauche Duval avait passé la nuit du 2 avril avec 6 ou 7 000 hommes. Le 3, vers 7 heures, il forme une colonne d’élite, s’avance jusqu’au petit Bicêtre, disperse les avant-postes du général du Barail ; il envoie un officier en reconnaissance, lequel annonce que les chemins sont libres, les fédérés avancent sans crainte près du hameau, mais ils se croient déjà cernés.

Les envoyés de Duval prient, menacent ; ils ne peuvent obtenir ni renforts, ni munitions, un officier ordonne la retraite. Duval abandonné est assailli par la brigade Derroja.

Le 4, à 5 heures le plateau et les villages voisins sont enveloppés par la brigade Derroja et la division Pellé :

— Rendez-vous, vous aurez la vie sauve ! Les fédérés se rendent. Aussitôt les Versaillais saisirent les soldats qui combattaient dans les rangs fédérés et les fusillent, les autres sont emmenés à Versailles, leurs officiers, tête nue, marchent en tête du convoi au petit Bicêtre, la colonne rencontre Vinoy :

— Y a-t-il un chef ?

— Moi, dit Duval qui sort des rangs.

Un autre s’avance :

— Je suis le chef d’état-major de Duval.

Le commandant des volontaires de Montrouge vint se mettre à côté d’eux.

— Vous êtes d’affreuses canailles, dit Vinoy, se tournant vers ces officiers : qu’on les fusille !

Duval et ses camarades dédaignent de répondre, franchissent le fossé, viennent s’adosser contre un mur, se serrent la main, crient : « Vive la Commune ! » Ils meurent pour elle. Un cavalier arrache les bottes de Duval étalés promène comme un trophée[2].

Le général qui appelle les combattants parisiens des bandits, qui donne l’exemple de trois assassinats, n’est autre que le chenapan du Mexique.

Rien n’est plus édifiant dans cette guerre civile, que les porte-drapeaux des honnêtes gens. Leur bande accourut dans l’avenue de Paris pour recevoir les prisonniers de Châtillon, fonctionnaires, élégantes filles du monde, demi-mondaines et les filles publiques ; vinrent frapper les captifs des poings, des cannes, des ombrelles, arrachant képis et couvertures, criant : « L’assassin à la guillotine ! » Parmi les assassins marchaient Élysée Reclus pris avec Duval. Ils furent jetés dans les hangards de Satory et de-là, dirigés sur Brest en vagon à bestiaux[3].

Lorsque nous apprîmes ce qui s’était passé dans la journée et dans la nuit du 3 au 4, nous étions très surexcités, tous voulaient marcher au combat, malheureusement nous n’étions pas encore en état de défense, cependant le commandant Naze voyait l’impatience de ses soldats commanda : « Ceux d’entre vous qui sont à peu près équipés, qu’ils sortent des rangs, alors je vous compterai et j’irai à l’Hôtel de Ville demander des fusils. Une trentaine se proposèrent pour aller en reconnaissance. Le commandant obtint assez de fusils et nos amis partirent, ils allèrent ainsi jusqu’à Neuilly. Ils arrivèrent au moment d’une déroute, la panique qui s’était produite était terrible ; tous voulurent se servir de leurs fusils, à l’Hôtel de Ville on avait trouvé que des fusils à pierre (de vieux calibre), ils voulurent faire marcher la détente, elle ne fonctionnait pas tant les fusils étaient rouillés. Ils furent obligés de revenir, mais cette fois ils étaient furieux.

Notre bataillon n’était encore qu’en formation, malheureusement dans cette année de malheur, tout conspirait à ne réussir en rien et à faire échouer l’action.

La Commune, confiante en son rôle, n’avait pas l’air de prendre au sérieux l’attaque des Versaillais. Elle perdait un temps précieux en vains discours, en paroles inutiles.

L’organisation militaire était absolument défectueuse, pas d’ordre dans les administrations, on ne savait jamais à qui s’adresser, on ne pouvait rien obtenir en son temps, tout cela paralysait le mouvement ; la patience des plus braves et des plus dévoués à la cause s’usait en pure perte.

Ce jour-là le bataillon entier protesta, ils étaient tous furieux.

Que de courage et d’énergie perdus en cette terrible et désastreuse année.

Tous nos volontaires étaient impatients, ils voulaient partir dans la nuit, coûte que coûte. Ils dirent au commandant Naze : « Si à 10 heures du soir nous ne sommes pas en état de combattre, nous irons ensemble faire tapage à l’Hôtel de Ville ; on égorge nos frères, ils sont pris dans un guet-apens sans même pouvoir se défendre ; on doit aller à leur secours, car Flourens n’a pas été tué en combattant, il a été assassiné, Duval et ses amis également ont été assassinés. »

« Mettez bas les armes disaient les Versaillais, il ne vous sera rien fait. » Puis on les postait le long d’un mur, ils étaient fusillés sans jugement ; la vie de ces hommes était entre les mains de la première brute venue.

Pendant ce temps là, on pérorait au comité.

« Allons-nous être aussi lâches que les hommes de la défense nationale ? Disaient nos volontaires. Maintenant nous ne combattons pas seulement pour le territoire, mais pour sauver la République, nous voulons la France libre ! »

Notre commandant alla à l’Hôtel de Ville. N’ayant pas prévu qu’ils auraient à se défendre les délégués à la Commune étaient dans l’impuissance de satisfaire à tous les besoins immédiats. De tous côtés l’Hôtel de Ville était envahi par des hommes qui réclamaient des armes nécessaires au combat.

Enfin le 7, nous nous mîmes en marche du côté de Neuilly où une lutte violente se livrait.

Les Versaillais étaient à quelques pas des fortifications, tout semblait si calme qu’on ne s’en serait pas douté.

Dans la soirée nous prîmes nos positions dans le contre-fort des remparts, nos officiers nous recommandèrent le silence absolu, disant que l’ennemi nous guettait et qu’il fallait nous préparer à combattre

Nous étions installés tant bien que mal ; nos volontaires attendaient l’arme au pied avec courage le signal.

J’avais préparé tout ce qui est nécessaire en pareille circonstances pour nos blessés.

La nuit était sombre, il avait plu légèrement dans la soirée, le ciel avait un aspect assez étrange, tout semblait mystérieux autour de nous ; dans ce silence de mort on apercevait à l’horizon des lueurs d’incendie, on aurait entendu le froissement le plus léger.

Par maladresse un de nos amis, sans le vouloir, fit partir son fusil, ce fut le signal de la lutte, d’une lutte sauvage, il nous tomba une grêle de balles la fumée de la poudre nous aveuglait, les obus labouraient la terre. Tous furent courageux, le combat dura assez longtemps, nous allions à la mort avec conviction profonde du devoir accompli. Oh ! comme on est fort quand on a la foi, la conviction, la conscience heureuse et la gaité au cœur. Nous vengions notre chère France, outragée et vendue, nous donnions notre sang, notre vie pour la liberté ; à chaque étape sanglante nous criions : Vive la République ! Nous n’ignorions pas qu’on voulait écraser Paris pour tuer la République.

Après deux heures de lutte le feu cessa, au loin nous aperçûmes des flammes s’élevant graduellement et avec une plus grande impétuosité ; dans ce lieu presque désert, la nuit cela avait une grandeur sauvage.

La pluie avait cessé, les nuages avaient disparu, les étincelles se projetaient dans le ciel étoilé. C’était la porte de Neuilly qui brûlait, à 3 heures du matin elle était démantelée, il ne restait plus debout qu’un pan de mur, se soutenant à peine ; la flamme était si intense, éclairant l’espace d’un cercle lumineux, ce qui nous permit de voir, non à la lueur des flambeaux, mais aux reflets de l’incendie, nos désastres, et quel désastre, nos blessés et nos morts. Cette lumière fantastique se projetait sur les remparts, d’où l’on voyait nos silhouettes s’agiter sans cesse comme dans un tableau magique.

Nous attendions le jour avec impatience.

Malgré nos malheurs nous avions toujours un mot heureux pour soutenir notre courage.

Nous nous occupions de nos blessés et de nos morts que nous fîmes transporter à la mairie de Neuilly, laquelle était transformée en ambulance.

Après le devoir accompli vint le jour ; nous prîmes quelque nourriture, nous fîmes du café pour nous réchauffer, car quoi qu’on en ait dit, il n’y avait que peu de buveurs au bataillon. J’avais du cognac que ce qu’il me fallait pour ranimer nos blessés et nos mourants.

Enfin dans l’après-midi, nous prîmes un peu de repos, autour de nous tout semblait calme, nous nous couchâmes sur la terre pour y dormir. Moi-même je m’y suis installée tant bien que mal, un camarade me prêta son sac pour oreiller, pour m’élever la tête et un autre me couvrit de sa couverture.

J’étais si fatiguée que je m’endormis profondément. Les sentinelles montaient leur faction sur le rempart.

Le capitaine Letoux demanda des hommes de bonne volonté pour aller en reconnaissance ; une quinzaine d’entre eux voulurent l’accompagner. Ils explorèrent les environs immédiats, mais ne firent aucune découverte. Les autres, à leur tour, veillaient les endormis.

De nouveau une canonnade bien nourrie éclata soudain et vint nous assaillir.

Dans mon sommeil je ressentis une violente secousse semblable à un tremblement de terre. Tous mes amis me crièrent : « Ne vous relevez pas ou vous êtes morte. » Sans me rendre compte de ce qu’on me disait, à demi endormie, je me soulève légèrement, instantanément je suis recouverte de terre, je ressens une forte vibration partout le corps, mes amis me croyant tuée, arrivent en hâte pour me relever ; je n’étais qu’évanouie. Un trou immense était creusé à mes pieds ; l’obus était entré en terre à quelques mètres ; ce qui me préserva de la mort, l’obus avait éclaté trop près de moi, les éclats se sont projetés de tous côtés, et comme par miracle, personne ne fut atteint, je fus épargnée. Quand je fus revenue à moi, mes compagnons m’entourèrent, inquiets ; je les rassurai ; là, je vis toute l’affection de frères qu’ils avaient pour moi ; cela me rendait heureuse. Ces chers amis avaient tous, sans exception, le plus profond respect, je les en aimai davantage.

Le repos fini, nous nous occupâmes de nos blessés. Après, nous prîmes une légère collation. Nous mîmes notre couvert sur un tapis vert aux places où l’herbe commençait à pousser. Notre service de table se composait : d’une gamelle, d’une cuillère et d’une fourchette jumelle, d’un couteau et d’un gobelet, le tout acheté au bazar à treize sous, rue de Rivoli. Quand tout fut fini, nous partîmes pour la caserne, en chantant, quoique nous eussions la mort dans l’âme, nous pensions à nos pauvres amis que nous laissions sur ce sol labouré par des obus versaillais. « Si nous mourons, disions-nous, mieux vaut mourir en chantant. » Nous narguions la mort qui n’avait pas voulu de nous.

Lorsque nous quittâmes les tranchées, il faisait nuit. Nous arrivâmes à une passerelle qu’on avait jetée sur le fossé des fortifications, mais lorsque nous fûmes engagés sur cette passerelle, elle cassa et un grand nombre d’entre nous (et moi parmi eux) tombèrent dans le fossé ; plusieurs furent blessés légèrement, un officier eut trois côtes enfoncées en tombant sur les fusils des camarades ; il ne faisait pas clair, il était difficile de se tirer de là ; enfin on alluma des fanaux et encore une fois nous dûmes nous extriquer, personne ne fut gravement atteint, moi j’eus le bonheur de tomber un des derniers, je ne me fis aucun mal. C’est ainsi que nous rentrâmes à Paris.

1- Lissagaray. Histoire de la Révolution de 1871. Page 182.

2- Vinoy écrivit : Les insurgés jettent leurs armes et se rendent à discrétion. Le nommé Duval est tué dans l’affaire.

3- Histoire de la Révolution de 1871 par Lissagaray. Page 184.

De retour à la caserne, où nous ne sommes restés que quelques jours pour nous réorganiser, les défenseurs de la République étaient impatients ; ils voulaient repartir au plus vite pour les remparts, car les nouvelles étaient toujours tristes.

Les Versaillais, fiers de leurs exploits, faisaient publier par voie d’affiches cette notice :

« Nous avons bombardé tout un quartier de Paris. Force restera à la loi.
Signé : Thiers, J. Favre &

Tous ces récits excitaient les esprits, chacun voulait repartir immédiatement. Enfin sur la demande du commandant Naze, le 25 à minuit, nous reçûmes l’ordre de partir pour le champs de Mars, de là nous devions être dirigés sur un point quelconque.

On nous promit qu’on nous donnerait des chassepots et des munitions en quantité suffisante, que rien ne nous manquerait.

Nous partîmes, non sans quelque confusion, plusieurs d’entre nous tâchaient d’effrayer les faibles et de répandre la panique ; aussi y en avait-il qui hésitaient. Naze s’en aperçut : « Citoyens, leur dit-il, si quelques-uns parmi vous n’ont pas le courage de la tâche que nous allons entreprendre, qu’ils se retirent des rangs, il vaut mieux avoir 10 convaincus que 20 hésitants. Nous agirons envers ceux qui ne veulent pas nous suivre comme il sera jugé utile, pour la cause que nous avons le devoir de défendre. » Personne n’osa reculer.

— Colonel, tous nous irons si vous nous accompagnez !

— Je vous accompagnerai !…

Naze n’était pas un traitre comme plusieurs l’ont prétendu, il était doux de caractère, assez joli garçon, poseur, pas très brave, mais il était honnête et bon.

Le commandant alla de nouveau à l’Hôtel de Ville ; nous attendions, montre en main, son retour. Dix heures et demie du soir, personne encore, on commençait à s’impatienter ; enfin il arriva triomphant avec un ordre de départ pour minuit.

Le commandant Naze fut nommé colonel ce soir-là. Le capitaine Martin fut nommé commandant. Les capitaines et les officiers, sous-officiers Berjaud, Lantara, Sebire, Letoux, Napier, Ménard, Derigny, les sergents-majors Fabre, Laurent, etc., furent mis en possession de leur compagnie respective. Il y avait un vrai remue-ménage dans la caserne ; malgré leur enthousiasme à l’idée de partir, les gradés avaient peine à coudre et à faire coudre à leur képi et sur leurs manches leurs galons. Le colonel Naze me demanda si je voulais lui coudre ses galons, qu’il m’en serait bien reconnaissant, ce que je fis en hâte, car le temps était court.

Ceux qui n’avaient rien à coudre s’impatientaient, ils disaient : Partons ; on pourra coudre ces insignes un autre jour, ce n’est pas indispensable pour se battre.

Enfin, à minuit ils étaient tous prêts, on fit l’appel et ils se mirent en rangs ; mais il nous manquait encore beaucoup de choses au moment du départ, quelques membres de la Commune vinrent nous remettre notre drapeau, sur lequel était inscrit en lettres dorées : « Défenseurs de la République » Ils nous firent un petit discours de circonstance et nous partîmes. Le colonel et le commandant me prièrent de les accompagner, tout le bataillon témoigna le même désir.

Mon mari, gravement blessé par une immense marmite pleine d’eau bouillante qui lui était tombée sur les pieds, ce qui l’avait obligé de garder le lit assez longtemps, s’était levé, mais il ne pouvait encore supporter la marche, il resta à la caserne avec ses employés, il me conseilla d’accompagner le bataillon. Je partis donc avec eux ; de la caserne on nous dirigea au Champ de Mars, dans les baraquements où nous allions être organisés par section. Dans la matinée nous devions recevoir ce qui nous manquait, ensuite partir pour un point stratégique qu’on nous indiquerait.

Le temps nous paraissait long, à midi nous nous mîmes à manger et à nous compter. À deux heures nous n’avions encore rien vu, ni rien reçu, chaque instant d’attente nous paraissait un siècle. Enfin sur les deux heures et demie je vis apparaître notre nègre, qui conduisait Mot d’ordre, notre cheval par la bride, lequel m’apportait à moi particulièrement différentes choses pour me couvrir que m’envoyait mon mari. Il nous annonçait aussi qu’une voiture pleine de couvertures et de différents articles de campement allait être distribuée dans quelques instants ; à l’économat on nous préparait une voiture de vivres, après toutes ces tergiversations, au déclin du jour, nous avons reçu nos couvertures et nos objets de campement, mais nous n’avions pas encore d’armes en suffisante quantité. Là j’eus une surprise, on m’avait fait faire une magnifique capote en drap bleu clair, avec des galons dorés, on aimait les choses artistiques dans notre bataillon, cette capote avait surtout le mérite pour moi, de bien m’abriter contre le froid, j’étais heureuse des bonnes intentions que mes amis ont eu pour moi ; pour la dernière fois j’aurai l’occasion de parler du côté décoratif de notre bataillon.

Les défenseurs de la République avaient des tuniques bleu clair, un pantalon large de même couleur avec molletières, mais moins large que ceux des Zouaves, les officiers avaient des tuniques avec revers à la Robespierre sabre au côté et képi rouge avec galons dorés, trois, quatre ou cinq selon le grade. Le costume ne manquait pas d’élégance et il était pratique. Moi, j’avais le costume de drap fin, bleu clair, jupe courte, à mi-jambe, (car on ne peut aller au combat avec des jupes longues, c’est absolument impossible, on ne pourrait pas se mouvoir), corsage ajusté avec revers à la Robespierre, un chapeau mou tyrolien et une écharpe rouge en soie, avec franges dorées en sautoir, un brassard de la convention des ambulances.

Je suivais mes amis, je leur donnais mes soins.

En marche tous étaient joyeux ; nous arrivâmes au Champ de Mars, on nous installa dans les baraquements où nous devions recevoir tout ce qui nous était nécessaire. Cette journée du 26 fut longue, quoique le temps fut magnifique, on ne voulait pas rester dans l’inaction ; d’heures en heures nous attendions ce qu’on nous avait promis, enfin dans la soirée nous vîmes apparaître des fourgons qui nous apportaient les choses promises, on nous en fit la distribution ; (il y avait une telle confusion à l’Hôtel de Ville qu’il était difficile d’obtenir en bloc les choses nécessaires.) Les chassepots manquaient encore, nos hommes étaient furieux, ils ne voulaient pas marcher au combat, avec des fusils à tabatière, ils savaient par expérience ce qu’ils valaient, ces fusils, plusieurs des nôtres avaient été blessés. C’étaient des fusils de rebut, rouillés, fonctionnant mal.

Enfin dans l’après-midi, nous reçûmes une certaine quantité de chassepots, mais pas assez pour tout le monde. Le 27 à 3 heures du matin, nous reçûmes l’ordre de nous diriger sur Issy, où nous devions prendre nos positions.

Nous quittâmes le Champ de Mars avec plaisir, tous étaient joyeux et entonnèrent le Chant du départ pour soutenir la marche. Ils étaient heureux, espérant faire payer aux Versaillais de tout acabit les souffrances du siège de Paris et de toutes les hontes de la défaite.

En arrivant près de la porte, dite de Versailles, on nous fit faire halte pour nous reconnaître, nous restâmes environ 40 minutes, il y eut un moment de désordre, beaucoup se souvenaient de leurs souffrances, de leur manque de nourriture pendant la campagne contre les Prussiens, ils ne voulaient pas franchir les remparts sans avoir les armes nécessaires pour combattre.

Le commandant Martin les encouragea en leur promettant que dès leur arrivée à Issy ils auraient ce qu’il leur faudrait[1].

Le colonel Naze avait été obligé de rester à Paris pour parfaire l’organisation et faire expédier tout ce qui nous manquait.

Le calme rétabli, on abaissa le pont levis ; le défilé passa triste et silencieux, la nuit était sombre, on ne pouvait rien distinguer autour de soi, on entendait au loin le bruit du canon résonnant à nos oreilles, on sentait que la lutte serait terrible.

Quand j’entendis le bruissement des chaînes du pont levis, lorsqu’il s’abaissa, un serrement de cœur oppressa ma poitrine ; il me semblait que nous entrions dans un immense tombeau. Lorsque nous fûmes séparés de la grande cité, on entendait de ça et de là le bruit sourd de quelques coups de fusils.

Je pressentais que beaucoup d’entre nous ne franchiraient plus ce pont, dont l’écho sinistre retentissait en mon cœur comme un glas funèbre ; à peine si nous avions marché un quart d’heure lorsque nous entendîmes une fusillade des plus nourries. Tout le monde se ranima, la tristesse qui planait un moment sur les esprits disparut complètement, pour faire place à l’enthousiasme, on ne pensait même plus à la défectuosité de l’armement. « Nous allons donc venger nos frères qui ont déjà succombé, » s’écrient-ils tous ensemble !

Chemin faisant nous rencontrâmes quatre individus à l’air suspect qui se dirigeaient du côté de Paris, un de nos capitaines leur demanda à quel bataillon ils appartenaient.

— Nous sommes neutres, répondirent-ils.

— Si vous êtes neutres, pourquoi vous dirigez-vous de ce côté et ne restez-vous pas en sûreté ? Où demeurez-vous ?

Ils ne voulurent pas répondre à cette question. Ils furent arrêtés, on supposa que c’étaient des espions. Quelques heures plus tard, ils furent mis en liberté.

Nous arrivâmes à la rue d’Issy criblée d’obus, nous prîmes place au grand séminaire. Il pouvait être 3 heures et demie de l’après-midi, nos vivres n’étaient pas encore arrivés et nous avions faim. Dès que nous fûmes à peu près installés, quelques-uns d’entre nous se mirent en route pour acheter quelque chose pour manger, car nous n’avions rien pris avant de quitter Paris ; il fut difficile de se procurer quelque nourriture, les habitants du village nous étaient hostiles ; même avec de l’argent, on ne pouvait rien se procurer, quelques-uns cependant avaient trouvé des denrées.

Le sergent Laurent et deux autres étaient allés cueillir quelques feuilles d’oseille pour faire une soupe ; dès leur retour ils se mirent en devoir de la préparer. Au moment où on allait la manger, un obus éclate et renverse la marmite, le repas fut achevé avant d’avoir commencé. Le 30, à 10 heures nous reçûmes l’ordre d’aller au feu. Joyeusement, gamelles et le reste furent abandonnés.

Le général Cluseret devait distribuer des cartouches à la tranchée, où il était en observation aux abords du parc d’Issy.

Il n’y avait pas de temps à perdre, la lutte s’annonçait terrible, on conseilla tout d’abord de ne pas trop s’avancer, disant qu’il vaudrait mieux choisir une habitation rapprochée, d’où l’on pourrait tirer ; on trouva que le petit séminaire serait propice et nous y entrâmes, mais la position était mauvaise, elle aurait fait perdre trop de munitions, l’idée fut abandonnée.

Le colonel Naze et quelques chefs de l’état-major, choisirent une propriété sur la droite comme camp d’observation. Naze donna l’ordre d’aller en avant. Le commandant Martin se mit carrément à la tête de ses hommes, il était sublime d’élan.

Je voulais partir avec eux, mais on m’empêcha de franchir la barricade du Parc, toute désolée, je me rapprochai du colonel et du capitaine Letoux :

— Dans quelques instants vous nous serez nécessaire, ne vous exposez pas inutilement.

À peine sommes-nous arrivés qu’on nous annonce que cinq des nôtres sont tués, parmi lesquels trois sergents. Voici ce qui s’était passé.

Les défenseurs de la République avaient reçu l’ordre d’aller fouiller le Parc qui avait été abandonné depuis la veille par un bataillon de la Garde Nationale et était en ce moment, au pouvoir de l’ennemi.

Une fusillade indiquait qu’on attaquait le Parc sur la gauche et la barricade qui gardait la grand’rue.

Le commandant Naze lançait sa 1re, 2me, 3me compagnies et gardait la 4me en réserve, en la plaçant à l’extrême droite, laquelle était appuyée par un détachement du 234me et du 67me bataillon de la Garde Nationale ; les deux compagnies s’élancèrent, tête baissée, dans le Parc et reprirent les positions perdues la veille, sur la barricade fut arboré le drapeau des défenseurs de la République, déjà percé par deux balles, il y resta jusqu’à la fin du combat, en le plaçant, deux officiers furent tués.

La première compagnie, sous les ordres du lieutenant Lantara, se dirigeait, par ordre du colonel Naze du côté du fort d’Issy, et en prenait possession ; le fort semblait abandonné.

Lantara reçut un parlementaire qui lui ordonnait de rendre le fort dans les 15 minutes, ou qu’il serait passé par les armes. Quoiqu’il ne restât que 23 hommes pour le défendre, le lieutenant ne tint pas compte de cet ordre de reddition, l’ennemi fut repoussé sur toute la ligne.

À la sommation de rendre le fort, le commandant Martin avait répondu aux Versaillais : « Nous ferons plutôt sauter le fort que de le rendre aux royalistes. »

Dans cette reprise du fort et du Parc d’Issy, il y a eu des actes de bravoure et d’héroïsme exécutés par notre bataillon. Le lieutenant Berjaud, plusieurs fois sous une grêle de mitraille, est allé chercher des munitions pour ses hommes qui en manquaient. Sebire, nommé capitaine sur le champ de bataille, ainsi que le capitaine Marseille ont, avec une grande énergie, défendu le drapeau qui a été à nouveau percé de trois balles. Le capitaine adjudant major Martin, commandant du fort d’Issy, les capitaines Letoux, Napied se sont particulièrement distingués, ainsi que Ménard, sous-lieutenant et Devrigny, qui ont montré un grand sang froid et un grand courage. Le sergent Laurent de la première compagnie qui a été tué, fut mis à l’ordre du jour. Fabre, blessé mortellement, également. Ces deux derniers étaient les bons amis qui, le matin, tout joyeux, étaient revenus de la cueillette d’oseille pour la soupe qu’ils avaient faite avec tant de plaisir, et qui ne fut mangée par personne.

Ces deux bons garçons sont morts dans l’ardeur du combat, ils sont morts heureux. Le sergent de la 2me compagnie fut aussi grièvement blessé.

À 4 heures on sonna la retraite. Le drapeau des ambulances fut hissé ; ordre fut donné de cesser le feu ; en hâte je m’approche de la tranchée, j’eus un moment de terrible angoisse et de rage. Tous ces pauvres enfants, qui le matin étaient encore si gais, remplis d’enthousiasme et d’amour pour la liberté, ont donné si généreusement leur vie pour sauver la République, espérant encore sauver la France.

Nous relevâmes nos blessés et nos morts sous les balles ennemies. Quoique le drapeau de la Croix-Rouge fut levé, les Versaillais tiraient toujours isolément, plus d’une fois il fallut nous coucher en tenant dans nos bras notre précieux fardeau, pour le garantir d’être tué une seconde fois. (Ces malheureux avaient beaucoup de courage pour tuer leurs frères, ils avaient été chauffés à blanc, on leur avait dit tant de mal et de mensonges de ces pauvres Parisiens.

Les Versaillais n’étaient pas nombreux à la prise du Fort, mais ils se déployaient en tirailleurs, ce qui était un grand avantage sur les nôtres, qui combattaient en ligne, képi rouge sur la tête, point de mire à une distance aussi rapprochée.

La lutte avait été terrible, trois fois notre drapeau tomba, la troisième fois il se releva et cette troisième fois il fut vainqueur. Les Versaillais abandonnèrent le terrain et fuyaient de toute part.

Lorsque nous allâmes au château, quel horrible tableau nous avions sous les yeux, étendus pêle-mêle, les morts et les blessés avaient été déposés dans les chambres au rez-de-chaussée, il y avait des nôtres, des gardes nationaux, des Vengeurs. Cela faisait mal à voir, au milieu de cette tuerie nous étions trois femmes, la cantinière des Vengeurs et une de la Garde Nationale, laquelle fut grièvement blessée. Ces deux vaillantes citoyennes ont bien mérité de l’humanité, elles eurent un grand courage et furent admirables de dévouement. Moi, j’étais la troisième, le hasard m’a épargnée.

Nous avons puisé des forces nouvelles pour soutenir et aider nos malheureux amis, pour les transporter, et d’abord leur faire le premier pansement avant de les déposer dans les voitures d’ambulances ou sur des civières[2].

Malheureusement tout nous manquait, nous n’avions pas de bandes pour les pansements, nous étions obligées de faire boire ces malheureux dans de petites boîtes à cartouches. Malgré tout, ces mutilés ne proféraient pas une plainte, pas un regret ; ils souffraient, mais ils avaient l’air contents d’avoir repris le fort ; heureux de donner leur vie pour fonder une société plus juste et plus équitable. Pour nous tous, République était un mot magique qui allait faire accomplir de grandes et bonnes choses pour le bonheur de l’humanité. Vainqueurs d’un jour, ils entrevoyaient l’aurore nouvelle qui allait se lever sur la France pour le bonheur de chacun.

En revenant de l’ambulance nous trouvons enfin dans la rue notre fourgon qui était abandonné, il contenait toutes les choses promises, il était arrivé dans l’après midi. Au grand séminaire où se tenait l’état-major on n’avait pu remiser la voiture parce qu’il y avait des marches à monter.

Ayant remarqué la bienveillance des moines du petit séminaire, le commandant Martin et un capitaine sont allés demander la permission de faire entrer la voiture dans la cour, un moine de service, n’avait pas l’air d’y consentir, « Parce que, disait-il, le fourgon est lourd, cela abîmera les pavés. » Le capitaine Letoux demanda à voir le directeur, qui vint ; le capitaine fit sa requête, le directeur était un peu hésitant, cependant, après avoir fait ses recommandations, il accepta. Notre voiture fut remisée dans une cour couverte, elle était en sûreté et nous sortîmes.

Quelle ne fut pas ma surprise de trouver ma mère, qui me cherchait dans la rue d’Issy.

— Mais, maman, que venez-vous faire ici ? vous ne pouvez pas rester, lui dis-je.

— J’étais inquiète et ton mari aussi, on dit des choses terribles à Paris sur ce qui se passe ici, je voulais savoir la vérité et s’il n’était pas arrivé quelque malheur.

— Vous voyez que tout va bien, lui répondis-je.

Je ne voulais pas lui raconter tout ce qui s’était passé naturellement, mais je lui conseillai de ne pas rester, sachant que la porte des remparts se fermerait à 7 heures et qu’après on ne passerait plus qu’avec un laisser-passer. La porte d’Issy étant close, elle ne pourrait plus repartir. Elle vint avec moi au petit séminaire, je lui fis prendre un peu de nourriture.

À ce moment-là, il y avait un grand tumulte, le général en chef Cluseret venait de donner ordre de se hâter et de se mettre en ligne, les Versaillais recommençaient l’attaque, mais on refusa de lui obéir pour deux raisons, la première, qu’il avait trop exposé ses hommes dans la journée, ce n’était pas un combat qu’ils avaient eu à subir, mais un vrai massacre. La seconde, c’est qu’ils refusaient obéissance à un général qui se présentait en civil ; il était vêtu d’un habillement gris foncé et d’un chapeau mou ; à cette objection, il ouvrit son vêtement, fit voir son écharpe et sa carte de général. Il lui fut répondu que tous ici étaient à découvert, que la vie des hommes était tout aussi sacrée que celle de leurs chefs, qu’un général en chef devait être dans les mêmes conditions qu’eux. On avait assez eu à se plaindre dans cette triste journée.

Le général Cluseret quitta Issy, il fut remplacé par le général La Cécilia. En réalité, nous n’avions pas de généraux au moment de la reprise des hostilités. L’un était parti, l’autre n’était pas encore arrivé.

On sonna le clairon, tous les fragments de bataillons se réunissaient, les nôtres avaient maintenant ce qui leur fallait pour être en état de défense. Nous étions tous en rang dans la rue ; ma mère n’ayant pas voulu partir, s’était faufilée près de moi, elle ne voulait pas me quitter, mais à l’inspection, un officier s’aperçut de sa présence, l’obligea de sortir des rangs, je la suivis, le capitaine Letoux et notre commandant la conduisirent d’autorité à l’ambulance où étaient nos blessés, ils la recommandèrent. Ils voulurent que les religieuses répondissent de sa vie, le cas échéant ; nous nous embrassâmes et je repartis rejoindre les nôtres.

Notre bataillon ayant été très éprouvé dans la journée nos amis avaient été mis en réserve ; les survivants qui avaient pris part au combat, n’allèrent pas au feu ce soir-là.

Nous sommes retournés au petit séminaire, cette fois nous y avons été très bien reçus, l’état-major était revenu là, j’étais toujours avec eux. Nous préparâmes le souper, on nous permit de manger dans le réfectoire, les pères nous avaient prêté la vaisselle nécessaire pour notre dîner, ils nous avaient même préparé des lits pour nous reposer si nous le désirions, pour moi, ils m’offrirent pour dormir, une petite chambre au rez-de-chaussée, très propre, que j’ai acceptée avec plaisir, car j’étais bien sale, j’avais grand besoin de faire ma toilette.

Quelle que soit leur opinion, ils ont été bienveillants pour nous ; malheureusement, nous n’avons pas pu profiter de leur offre. Lorsque nous étions en train de manger, nous reçûmes une décharge bien nourrie, toutes les vitres se brisèrent avec un fracas terrible, nous étions bombardés presqu’à bout portant, le séminaire tremblait sur sa base, c’était effrayant, les moines étaient épouvantés ; deux heures durant, nous avons été assaillis de toute part. Les Versaillais avaient eu connaissance de notre présence au petit séminaire, ils n’épargnèrent pas le couvent espérant nous atteindre. Nous pensions avoir été trahis. Il était environ 11 heures du soir lorsque nous descendîmes dans le jardin, presque tous les murs étaient ébranlés, criblés par les obus. Nous avions déjà bien des morts, soudain une décharge épouvantable vint nous assaillir, cette fois nous pensions que c’en était fait de nous. Nous allâmes voir au dehors, il y avait une terrible panique, dans la rue c’était un sauve qui peut, les balles atteignaient les soldats qui fuyaient, puis tout à coup, le calme se fit. À trois nous en profitâmes pour aller jusqu’à l’asile, voir nos blessés.

Il était alors minuit. Nous frappâmes à la porte de l’asile, on nous ouvrit avec assez de difficulté ; enfin nous entrâmes, dans une grande salle il y avait des lits sur lesquels nos blessés gisaient, plusieurs avaient déjà succombé, d’autres avaient des mouvements étranges, un autre avait reçu une balle entre les deux yeux, il n’avait pas repris connaissance, tout son corps était inerte, il avait la tête toute enveloppée de ouate, ses yeux seuls semblaient vivre, ils faisaient un mouvement continuel, c’était pénible à voir ; ils étaient tous horriblement blessés ; ceux qui avaient leur connaissance paraissaient heureux de nous voir, mais ils savaient qu’ils étaient perdus, malgré cela ils n’étaient pas tristes, ils acceptaient stoïquement la fin de leur existence, ils considéraient que c’était un sacrifice naturel, offert à la liberté. Nous étions vraiment plus tristes qu’eux. Lorsque nous les quittâmes, ils nous serrèrent la main bien affectueusement, je leur dis au revoir.

— Non, pas au-revoir, c’est adieu qu’il faut dire, il y a encore loin d’ici au lever du soleil. Alors nous aurons cessé de vivre, nous mourons avec confiance dans l’avenir, nous mourons heureux ! Rappelez-vous, petite sœur que les balles mâchées ne pardonnent pas.

— Dans la matinée nous reviendrons, leur dis-je, puis nous les quittâmes.

Je voulais voir ma mère, mais une religieuse me fit comprendre qu’elle se reposait, qu’il valait mieux la laisser tranquille jusqu’au matin, que je pouvais être sans inquiétude, qu’elle était très bien. Nous sommes donc partis.

Nous retournâmes au petit séminaire. Dans le village tout était calme. Nous pûmes constater tous les dégâts produits par les obus versaillais, le séminaire n’avait point été épargné.

Nous passâmes le reste de la nuit à mettre de l’ordre dans nos affaires, nous allions aux nouvelles, nous apprîmes que la défense avait faibli, cependant le fort tenait bon.

Dès l’aurore nous reçûmes l’ordre d’établir un campement dans la grand’rue d’Issy pour protéger la retraite, le cas échéant, et préserver l’entrée de Paris.

Le général La Cécilia venait d’arriver, le colonel Lisbonne avec ses Lascars prit notre place au séminaire.

Dans la matinée du 1er mai, nous sommes allés avec le capitaine Letoux et le sergent Louvel à l’ambulance pour voir nos camarades. En arrivant on nous apprit que pas un seul n’avait survécu, ils étaient tous morts dans la nuit. Nous allâmes dans la salle, tous ces pauvres amis semblaient dormir. Quelle sinistre vision ! Vivrais-je cent ans que je ne pourrais oublier cette effroyable hécatombe.

Nous avons eu 72 hommes hors de combat, ils étaient tous morts.

Enfin nous quittâmes l’ambulance, le cœur navré. Ma mère revint avec nous, elle s’était beaucoup ennuyée cette nuit-là. Des obus avaient aussi atteint l’asile.

Dans le milieu du jour mon mari vint nous voir à Issy, où il est resté quelques heures.

Le 2 et le 3 mai l’occupation ne m’a pas manqué. Je soignais les blessés isolés, de pauvres gardes nationaux atteints dans la fuite, abandonnés au bord d’un talus ou d’un fossé. Dans ces conditions, j’ai trouvé un pauvre garde national qui avait eu la force de se traîner depuis le parc jusqu’à un chemin isolé, pas très éloigné des fortifications, retenant avec ses mains sa mâchoire qui avait été brisée par un éclat d’obus et qui tombait sur le haut de sa poitrine. Il était affreux de voir cet homme dans un tel état, ne pouvant parler, tandis que d’une main il tenait son menton, il eut le courage d’écrire de l’autre main son adresse, pour qu’on le conduisît chez lui.

Je n’avais rien pour le bander, je parvins à déchirer en morceaux mon mouchoir avec lequel je fis une bande, je lui ai relevé la partie inférieure de la mâchoire, je la lui ai bandée fortement et je l’ai couché sur le bord du chemin.

Au village où je suis retournée, je retrouvai mon mari qui n’était pas encore parti, il attela Mot d’ordre (notre cheval) et nous retournâmes chercher notre blessé. Mon mari voulut bien le conduire à sa famille ; tous trois dans la voiture, mon mari, ma mère et le blessé retournèrent à Paris.

Le 4 mai dans la matinée, nous quittâmes Issy pour retourner à Paris. Lorsque nous défilâmes, notre drapeau en tête, percé par plusieurs balles et entouré d’un crêpe noir en signe de deuil, notre tristesse enthousiasma la foule, dans les rues, sur les boulevards et particulièrement dans la rue de Rivoli, on nous jeta des fleurs et des branches de feuillage.

Cette manifestation était vraiment imposante, grandiose, je sentais en mon cœur vibrer la grande âme de Paris ; cette sensation sublime qui pénètre et vous transporte comme un rêve sur les ailes d’un avenir meilleur.

Paris fut grand pendant la guerre, il fut héroïque dans sa défaite.

En arrivant à la caserne on nous présenta les armes. Nous comptions 72 morts, le vide était grand. Nous parlâmes beaucoup du courage des absents, lesquels ne reviendront jamais !

Les cadavres de nos morts seront l’humus qui enrichira notre ample domaine, et nos neveux récolteront le fruit de nos sacrifices.

Le lendemain nous devions les enterrer.

1- Le commandant Martin était un homme actif, plein de courage et d’énergie. Il était très aimé.

2- La plupart d’entre eux furent atteints par des balles mâchées pour ma part j’en ai extrait quatre, elles avaient pénétré dans les chairs ; on ne pouvait détacher l’étoffe ni de la balle, ni de la plaie ; la fièvre se propageait rapidement et le blessé mourait vite. Les balles mâchées sont presque toujours mortelles. Lorsque nos blessés furent déposés dans les voitures nous les conduisîmes à l’ambulance d’Issy (asile des vieillards) dirigée par des religieuses, nous les laissâmes et nous leur promîmes de venir les voir dans la soirée.

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