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Un débat - D’un côté des intégristes islamistes qui instrumentalisent la question religieuse pour prendre barre sur une population et de l’autre une extrême droite islamophobe qui instrumentalise une autre partie de la population pour faire croire que les Musulmans sont le principal danger : quelle position prendre entre ces deux écueils sur l’épineuse question du voile islamique ?

vendredi 13 septembre 2013, par Robert Paris

Samuel

D’un côté des intégristes islamistes qui instrumentalisent la question religieuse pour prendre barre sur une population et de l’autre une extrême droite islamophobe qui instrumentalise une autre partie de la population pour faire croire que les Musulmans sont le principal danger : quelle position prendre entre ces deux écueils sur l’épineuse question du voile islamique ? Soulever le problème, même localement, c’est déjà aller à l’affrontement inter-communautaire puisque tous les intervenants sont déjà mobilisés dans un sens ou dans l’autre. Et, sur cette question, nous ne risquons d’avoir comme gens actifs et militants, que des adversaires radicaux, nullement prêts au débat, nullement accessibles à nos arguments et qui souhaitent des deux côtés en découdre !

D’un côté, choisir de laisser faire sans rien dire, n’est-ce pas céder à la pression des milieux islamistes radicaux alors que la majorité des Musulmans ne les suit pas fatalement en France et ne souhaite pas nécessairement voir ses filles tomber sous le diktat ? Ces islamistes radicaux n’ont pas encore barre sur tout le milieu musulman mais si personne ne les combat, ils risquent d’y parvenir. Mais intervenir contre le voile, n’est-ce pas favoriser une autre extrême droite qui prétend que le combat contre l’ensemble de la communauté musulmane est le combat essentiel pour préserver la société française ? Dans un cas, on laisse une extrême droite mettre la main sur une fraction des milieux populaires et s’imposer aux femmes musulmanes, dans l’autre on laisse une autre extrême droite mettre la main sur l’autre fraction de la population et instaurer la guerre de religion… En période de crise économique et sociale profonde, une telle division violente des milieux populaires ne peut que profiter aux classes dirigeantes.

Robert

Tout à fait d’accord avec toi sur les risques politiques et sociaux de l’affaire du voile islamique. Mais je voudrais d’abord rajouter un point au piège en question : c’est la question de l’Etat considéré comme force neutre censée partager entre les différents camps et s’imposer ensuite à tous. Ces illusions communes sur le rôle de l’Etat sont un piège très dangereux aussi. Ce dernier, présenté couramment comme une démocratie, une république laïque, égale pour tous, neutre sur les questions de religion tout en les protégeant toutes est un élément important de la situation. Cette illusion mène les gens à considérer que leur seule intervention politique doit consister à bien voter pour les équipes gouvernementales qui devront ensuite, en participant à la gestion des affaires de l’Etat, résoudre toutes les questions en lieu et place des citoyens. Du coup, sur la question du voile comme sur toutes les autres, la question nous est posée sur le thème : quelle intervention demandez-vous à l’Etat et le peuple travailleur n’aurait nullement à se poser la question de ses propres positions et de sa propre intervention indépendante de l’Etat et des classes dirigeantes.

Eh oui, sur le voile comme sur toute autre question économique, sociale ou politique, intervient la question fondamentale des classes sociales ! Et, dans la lutte des classes, l’Etat n’est pas neutre, n’est pas un organe d’équilibre entre les classes mais un appareil entièrement au service des possédants et des capitalistes. Nos idées ne consistent pas à proposer à l’Etat de faire ceci ou cela, de décider ceci ou cela. Nous n’avons aucune proposition à faire aux gouvernants et aux Etats.

Samuel
Comment faut-il relier cette nature de classe de l’Etat à celle de voile islamique ? Ne risque-t-on pas de nous rétorquer que nous, révolutionnaires, ne voulons pas nous mouiller sur ce problème épineux, en nous cachant derrière le fait que, quoiqu’il fasse, nous ne reconnaissons pas cet Etat. Nous ne le reconnaissons pas mais nous revendiquons à son égard des droits, des revendications sociales et politiques. Par exemple, nous exigeons qu’il donne des papiers aux sans-papiers, qu’il maintienne les services publics et les retraites, qu’il satisfasse aux exigences de la santé et de l’éducation et sur ces questions nous n’attendons pas que le prolétariat fasse la révolution et renverse l’Etat bourgeois pour amener nos points de vue et revendications.

Robert

Sur ces questions comme sur les autres, nous ne devons pas semer des illusions sur ce que pourrait être l’intervention d’un Etat bourgeois ni minimiser le caractère fondamental de l’intervention directe, sociale et politique, du peuple travailleur et de toute la population. Ce n’est pas la démocratie bourgeoise, ce ne sont pas les institutions qui peuvent régler ce type de problèmes.

Samuel

Pas de problème pour ne pas compter sur les institutions de la bourgeoisie et pour agir par nous-mêmes sur tous les problèmes qui se posent à nous dans la vie sociale, sans attendre la révolution. Ceci dit, les Etats interviennent qu’on le veuille ou pas et nous sommes amenés à prendre position à propos de leur intervention, les islamistes et les extrêmes droites interviennent politiquement et les sentiments communautaristes sont exacerbés et nous ne pouvons que nous y confronter. Intervenir sans compter sur aucune institution, sur aucun pouvoir, c’est compter sur les gens autour de soi et c’est très difficile sur des questions où nous avons plutôt de tous côtés du monde contre nous et très peu de monde de notre côté…

Robert

Ce n’est effectivement pas évident mais cela ne l’est pas non plus sur toutes les autres questions sociales. Que la population travailleuse et que les milieux populaires comptent d’abord sur eux-mêmes, cela n’est jamais facile, et cela ne l’est même pas dans les mouvements grévistes où, quelque soit le niveau de mobilisation, l’idée que les travailleurs doivent décider eux-mêmes est loin d’être acquise. Ne pas se contenter des décisions des centrales syndicales n’a rien d’évident. Et pourtant les centrales syndicales sont des institutions de la société bourgeoise même s’ils s’appuient sur des militants ouvriers honnêtes. Nous n’y arrivons pas davantage sur toutes les questions des milieux populaires en termes de chômage, de logement, de papiers pour les sans papiers et j’en passe. La population a été éduquée à se placer derrière les institutions et à compter sur elles pour intervenir à leur place. Bien sûr, dès que l’on intervient de cette manière, on peut facilement non seulement se heurter aux institutions mais à la population elle-même. Cependant, sur la question du voile comme sur d’autres questions, c’est la seule manière valable de traiter les questions.

Samuel
Effectivement, la plupart des gens se plaignent de l’Etat mais comptent quand même sur lui pour prendre les décisions et mettre en pratique ces décisions et ne comptent que très rarement sur eux-mêmes pour cela. Ils estiment même que les catastrophes dont on entend parler dans certains pays comme la Syrie, la Libye, l’Egypte ou la Tunisie proviendraient de l’affaiblissement de l’Etat. Comment leur répondre sur ce point et comment répondre aussi à leur question : êtes-vous pour ou contre l’interdiction du voile islamique dans les lieux publics ? Considérez-vous le voile comme une atteinte au droit des femmes et à la démocratie ? Reconnaissez-vous le voile comme un droit des religions ou comme une atteinte au droit des citoyens, comme une base indiscutable de la société française, que tous ceux qui y vivent devraient respecter…

Robert

On en arrive là aux questions pièges liées à toutes les interrogations auxquelles il faudrait répondre uniquement par oui ou par non, sans tenir compte des différences entre les situations, sans réfléchir aux conséquences suivant les cas, sans prendre de position nuancée permettant de discuter, de convaincre, de prendre le temps d’intervenir… Ce n’est pas seulement sur la question du voile que nous ne pouvons pas répondre « simplement » par oui ou par non. Oui ou non pensons-nous que la fameuse école de la République n’est rien d’autre que l’école de la bourgeoisie et auquel cas, oui ou non, sommes-nous encore pour revendiquer que tout jeunes puisse y faire des études ? Contre l’école bourgeoise ? Oui et non ! De même, oui ou non les Etats, les nationalités, les papiers d’identité sont à combattre ou bien faut-il revendiquer des papiers pour les sans papiers ? Oui ou non, pensons-nous que la Justice actuelle est au service des possédants et pourtant, oui ou non, sommes-nous pour que chacun ait le droit d’aller en justice pour obtenir satisfaction ? Il n’y a aucune réponse par oui ou par non à de vraies questions. Par exemple, nous soutenons le droit des peuples d’avoir un Etat national mais nous ne sommes pas pour les Etats nationaux qui sont actuellement partout des Etats au service des exploiteurs. Ceux qui récusent les contradictions dialectiques ne comprennent pas ce type de positions… Nous sommes pour les services publics et pas pour l’Etat patron. Nous sommes pour la défense des emplois et des salaires et favorables à la suppression de l’exploitation et du salariat. Ce n’est inconciliable que pour la logique formelle.

Bien sûr, nous sommes contre l’idée que la femme sans voile est une putain, qu’elle ira en enfer, qu’elle aguiche les hommes, qu’elle ne devrait pas alors se plaindre si elle est violée ! Bien sûr, nous souhaitons que les femmes de toutes origines, de toutes régions du monde, de toutes origines de religion se battent contre l’oppression et notamment le voile. Mais que les femmes, et les hommes qui les soutiennent, se battent contre n’est pas identique au fait que les Etats imposent aux femmes de ne pas mettre de voile…

Bien sûr, nous n’estimons pas que voiler la femme soit un droit des femmes ni un droit des communautés, un droit des religions. Cependant, même si cela peut sembler contradictoire, nous estimons que c’est le droit individuel d’une femme de porter un voile. Nous n’estimons pas que les religions soient nécessairement des droits imprescriptibles : le droit individuels des femmes, des hommes et des enfants sont plus importants pour nous que les droits des communautés, des traditions, des religions. Tout droit démocratique a pour limite d’autres droits démocratiques ou d’autres droits sociaux. Et surtout il a pour limite les intérêts des classes sociales.

Samuel

Justement, je voulais y venir : quel lien entre la question du voile et celle des classes sociales et de la lutte des classes. La plupart des gens ne voient aucun rapport entre les deux !

Robert

Le premier rapport entre les deux provient de l’intérêt pour les classes dirigeantes d’agiter cette question. C’est parce que la crise du système fait monter des dangers de révolte et de révolution contre les classes dirigeantes que celles-ci cherchent tout ce qui peut opposer les travailleurs, les pauvres entre eux : les Roms, les banlieues, les Musulmans, l’insécurité. Ainsi, ils essaient de démontrer aux travailleurs que le plus grand danger pour eux proviendrait d’abord de plus pauvre qu’eux, de jeunes des quartiers pauvres, des immigrés, des Musulmans… Et, bien entendu, c’est complètement faux.

Il est faux que le plus grand danger social provienne des pauvres : c’est la société des plus riches qui a basculé en 2007-2008 dans le pays le plus riche du monde et nullement dans les pays musulmans ou parmi les plus pauvres. Ce sont les choix des plus riches capitalistes qui menacent les emplois, les salaires, la sécurité de la vie de l’ensemble des peuples de la planète. C’est cet effondrement de l’économie mondiale qui a fait à nouveau planer sur le monde le risque de guerre mondiale pouvant éclater du jour au lendemain à partir de la Syrie, l’Iran ou la Corée du Nord, par exemple et opposer entre eux les pays les plus puissants du monde. Or aucun de ces pays très puissants, ni les anciennes grandes puissances, USA, Japon ou Europe, ni les nouvelles comme la Chine, la Russie, le Brésil ou l’Inde, n’est un pays musulman et ce n’est donc nullement l’islam qui entraîne un danger de guerre mondiale, une nouvelle catastrophe planétaire… Si la planète est de plus en plus à feu et à sang, avec des guerres aux quatre coins du monde, c’est du fait des limites du système capitaliste et non de l’opposition entre Musulmans et anti-Musulmans. Même des Etats comme les USA qui ont prétendu mener la croisade contre l’istégrisme musulman s’entendent partout dans le monde musulman pour aider à la mise en place de régimes islamistes, que ce soit en aidant les insurgés islamistes en Libye ou en Syrie ou en faisant revenir les Talibans au pouvoir en Afghanistan ou en soutenant le retour des islamistes au pouvoir en Egypte et en aidant ceux-ci à rester au pouvoir en Turquie. Leur prétention à combattre les islamistes n’est qu’une démagogie pour faire croire aux milieux populaires qu’ils devraient s’appuyer sur les Etats contre des Musulmans qui menaceraient leurs existences alors que ce sont leurs propres Etats nationaux et leurs classes dirigeantes qui menacent leurs vies… Ce n’est pas des questions de civilisation, de défense des libertés qui ont motivé des guerres comme celle d’Irak ou d’Afghanistan, de Côte d’Ivoire ou du Mali : ce sont des intérêts politiques et économiques ! Jamais la défense des droits des peuples n’a motivé les intervention des Etats et jamais ceux-ci n’ont eu à cœur la réelle défense de la démocratie, pas plus sur la question du voile que sur une autre.

En faisant comme si la question du voile était une menace mortelle pour un pays comme la France, les démagogues s’en donnent à cœur joie avec les préjugés de la population qui se croit bien pensante et parviennent ainsi aisément à soulever des haines au sein de la classe travailleuse. Il n’est pas vrai que la viande hallal ou le voile islamique ou même quelques prières dans les rues soient des signes d’une colonisation islamique de la France. Il n’est pas vrai que les musulmans radicaux soient plus menaçants en France pour les libertés que les catholiques radicaux. Il n’est pas vrai que la défense de la sécurité des citoyens passe par un combat contre les Musulmans.

Samuel

Tout à fait d’accord avec toi sur le fait qu’il s’agit d’une opposition fabriquée, cultivée, dans le but de diviser les exploités et les opprimés mais cela ne signifie pas que notre position soit claire une fois cela dit. Comment prendre position publiquement sur le voile et comment intervenir localement devant une situation précise ?

Robert

Effectivement, ce sont deux points différents. Développer une position politique (ou syndicale) publique est une chose et intervenir localement devant le problème en est une autre. Politiquement, notre intervention consiste à démasquer les positions bourgeoises des diverses forces que nous avons en face de nous, y compris celles des bourgeois soi-disant laïques. Nous développons l’idée de l’unité de classe contre tous les camps de la bourgeoisie et contre son idéologie.

Dans l’intervention locale d’un camarade, nous pouvons être amenés à chercher à convaincre une femme de ne pas mettre le voile ou à convaincre d’autres femmes de son milieu d’intervenir auprès d’elle. Nous discutons, nous cherchons à convaincre, à entraîner, à créer un rapport de forces, à développer une conscience des réalités. Nous essayons de stimuler des gens passifs ou qui n’osent pas donner leur point de vue à intervenir pour appuyer une femme qui n’oserait pas affronter un milieu la poussant à mettre le voile. Bien sûr, il ne faut pas se cacher que ce n’est pas un combat facile. Mettre de notre côté des gens autour de nous est indispensable car nos adversaires de toutes sortes, islamistes et extrême droite mais aussi institutions dites démocratiques, tâchent de faire des pressions sur l’opinion et nous devons exercer des contre-pressions en s’appuyant sur des jeunes, des travailleurs, des élèves, des étudiants, des femmes, etc…

Il n’y a pas de solution facile et définitive à de telles questions, pas de réponse simple, pas d’autre moyen que le combat des opprimés eux-mêmes, et d’abord du combat des femmes elles-mêmes, comme on le voit avec le combat des femmes indiennes contre le viol. Qui aurait pu imaginer que ce pays allait être le siège de telles mobilisations populaires massives ! Demain, les femmes du monde musulman peuvent exploser elles aussi et c’est la seule solution pour ces femmes. Personne ne sauvera les opprimés à leur place.
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