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Le point de vue de Matière et Révolution sur le fascisme italien : quand le fascisme était indispensable à la bourgeoisie pour détruire le mouvement ouvrier

lundi 22 juillet 2013, par Robert Paris

Le point de vue de Matière et Révolution sur le fascisme italien

Les arditi, chemises noires ou escadrons de Mussolini

Quand le fascisme italien détruisait le mouvement ouvrier

Le fascisme n’a pas attendu la venue de Mussolini au pouvoir en 1922 pour entamer son œuvre de destruction. Il intervient aux différentes étapes, contre les grèves, contre les mobilisations ouvrières, contre les locaux et organismes sociaux, pour impressionner, pour terroriser, pour démoraliser, pour diviser, pour assassiner…

Au départ, la situation est tout ce qu’il y a de moins favorable à la bourgeoisie en 1919-1920 dans une Europe où montent les révolutions prolétariennes. L’Italie a participé à la guerre dans le camp des vainqueurs mais elle est traitée en vaincue par les alliés anglo-franco-américain d’où un violent sentiment national. La situation économique et sociale n’est pas plus brillante. Si les alliés se paient sur le dos de l’Allemagne, l’Italie bourgeoise ne touche rien, ne gagne rien.

La démobilisation des soldats dans un climat économique dégradé entraîne le chômage massif et des manifestations de révolte liées essentiellement à la hausse brutale du coût de la vie et la pénurie en produits de première nécessité. Au milieu de 1919, les grèves se multiplient : 200.000 métallurgistes du nord et 200.000 ouvriers agricoles dans les provinces de Novare et de Pavie, les typographes de Rome et Parme, les ouvriers du textile de Côme, les marins de Trieste et bien d’autres sont en même temps en grève. La mobilisation touche les consommateurs qui attaquent les magasins, agissent contre les receleurs et spéculateurs.

Le gouvernement laisse faire. Alors qu’aucune force sociale ou politique n’organise les manifestations et débordements, l’ampleur des mouvements est tel que le gouvernement estime être incapable de réprimer à l’aide des forces classiques de répression.

Tittoni, ministre du cabinet Nitti, déclare que « pour réunir la force publique suffisante à contenir les troubles, il aurait fallu dégarnir de carabiniers et de gendarmes les autres régions de l’Italie. Plusieurs fois, je me suis demandé ce qu’aurait pu faire le gouvernement si un mouvement de révolte avait éclaté au même moment dans toute la péninsule. »

Ni le parti socialiste italien ni la confédération des syndicats n’avaient la moindre idée de mettre cela en place. Bien que sans aucune coordination syndicale ni politique, le mouvement contre la cherté de la vie a pris un caractère national, sans aucune structure de coordination cependant.

Les plus radicaux du parti socialiste affirment que ce mouvement est économique et que tout cela finira par mener à la « révolution prochaine » et qu’en attendant « il ne faut pas semer d’illusions ».

Les formes d’organisation locales dans lesquelles les habitants se protègent contre les hausses de prix ne semblent pas au révolutionnaires italiens ressembler à des soviets d’autant qu’ils ont un but apparemment exclusivement économique. Pour les maximalistes, cela n’a rien à voir avec les soviets qu’ils appellent de leurs voeurx.

L’ambiance dans la classe ouvrière est extrêmement favorable à la révolution russe, acclamée dans tous les rassemblements, au point que les syndicats eux-mêmes, tout ce qu’il y a de réformistes, choisissent d’organiser les 20 et 21 juillet 1919 une grève générale de solidarité avec les révolutions russe et hongroise…

Les organisateurs ne relient en rien cette manifestation de solidarité avec les grèves et luttes contre les hausses des prix. C’est une courbette envers la révolution qui manifeste de l’absence totale de désir de préparer une quelconque révolution dans une Italie pourtant en ébullition dans laquelle les grèves et manifestations s’accompagnent d’occupations de grandes terres par les paysans anciens combattants. Ces occupations s’élargissent dans le pays au mois d’août 1919. Le lien entre les mouvements urbains et ruraux n’est nullement fait. Les partis et les syndicats n’organisent en rien les mouvements de révolte de l’année 1919 qui restent sans porte-paroles politiques et sans organisation.

En l’absence des organisations du mouvement ouvrier, c’est la démagogie de l’extrême droite de Mussolini qui s’est faite entendre sous le slogan « faire payer les riches ! »

Le 10 juin 1919, Mussolini déclare : « Ou les possédants s’exproprient eux-mêmes, ou bien nous convions la masse des anciens combattants à marcher sur ces obstacles et à les culbuter. »

Il a déjà fait feu de tout bois nationaliste, se servant de toutes les atteintes aux aspirations nationales suite à la guerre mondiale. Il réclame, contre les décisions de la conférence des grandes puissances à Paris, l’annexion du Tyrol, de la Dalmatie et de Fiume.

La campagne politique et sociale de Mussolini vise les officiers démobilisés, les boutiquiers mécontents des impôts, les commerçants et les industriels. Il propose que les services publics soient confiés au privé et dénonce sous toutes les coutures les incapacités de l’Etat.

Cela concorde avec les préoccupations de la bourgeoisie italienne qui se coordonne à Gênes début avril 1919 en concluant un pacte d’alliance contre les monopoles d’Etat, contre les survivances étatiques de l’économie de guerre, contre « le bolchevisme ». Mussolini salue l’alliance du patronat industriel et des grands propriétaires terriens et leur offre son concours. Il obtient un soutien financier et organisationnel pour l’organisation des « faisceaux » dont la première conférence a eu lieu le 23 mars 1919 à Milan. La salle a été prêtée par le Cercle des Intérêts industriels et commerciaux. Il sort de cette réunion le lancement de l’organisation de combat des Faisceaux italiens, appelé aussi rassemblement du 23 mars, qui démarre sur des bases très radicales socialement et politiquement.

Loin du parti politique, Mussolini lance les groupes d’action. Le premier véritable congrès a lieu à Florence en octobre. Dans son discours, il déclare : « Nous, les fascistes, nous n’avons pas de doctrine préétablie. »

Mussolini est alors très loin d’avoir une importante popularité politique. Sa liste recueille 5000 voix sur 270.000 aux élections de Milan.

Le 17 novembre, lendemain des élections, il organise un attentat à la bombe contre un cortège de gauche, faisant neuf blessés. Sa responsabilité est reconnue mais il ne reste en prison qu’un jour et une nuit ! L’instruction sera abandonnée.

Mussolini joue à l’anarchiste (lettre à Malatesta), à l’antipapiste, à l’antiétatique, l’anti-riches. A bas la collectivité : « Revenons à l’individu ! » lance-t-il.

Alors que les manifestations rouges grossissent, il ne dispose que du soutien de petits noyaux de têtes brûlées, des hommes décidés, armés, prêts à tout, capables de tuer. Ce sont les « arditi ». Arditi et fascistes sont très proches.

En avril 1919, les arditi ont attaqué, saccagé et incendié le siège de l’Avanti, quotidien socialiste.

La seule réponse a été une grève générale à laquelle la masse ouvrière indignée a largement participé mais qui n’a nullement conclu en la nécessité de défendre les organisations ouvrières et populaires et de rendre des coups aux fascistes et aux arditi. La gauche de Milan n’a pris aucune résolution contre le fascisme. Même son aile d’extrême gauche minimise les événements.

Mussolini recrute massivement à trente lires par jour des mercenaires prêts à tous les sales coups. Après qu’ait été dévoilé qu’il a détourné l’argent destiné à défendre la ville de Fiume, Mussolini commence à recevoir de grosses sommes des industriels. Comme gage à leur égard, il lance plusieurs campagnes pour l’industrie : pour l’armement de l’Italie en vue d’une grande campagne d’expansion, pour la marine marchande, etc…

L’expédition de D’Annunzio à Fiume, avec des officiers, des arditis et des fascistes servira de mythe héroïque du nationalisme italien aux troupes de Mussolini. Là encore, la gauche joue les absents.

Le parti socialiste, victorieux dans les urnes, a une majorité maximaliste qui se déclare favorable à une révolution « sans transition et sans délai » mais ne fait aucun geste pour lui donner un contenu social et politique, ni pour l’organiser et y préparer les masses. Il ne fait qu’attendre et lancer des discours enflammés sans contenu.

Le parti socialiste lance des proclamations sur les soviets sans chercher à organiser le prolétariat industriel et agricole. Il ne cherche nullement à contester l’influence pernicieuse des syndicats dans les usines, ni à les noyauter, ni à organiser le prolétariat agricole.

Au début de 1920, l’Italie est frappée par la crise économique : difficultés de ravitaillement, manque de charbon, de trains, fermetures d’usines, problèmes monétaires, fièvre spéculative, trou des finances publiques, etc… Devant des milieux ouvriers et populaires à la limite de l’explosion, l’Etat bourgeois est désarmé face à la crise économique. Il va devoir frapper davantage non seulement la classe ouvrière mais les masses petites bourgeoises qui sont les soutiens classiques de la démocratie bourgeoise.

En 1915, la bourgeoisie italienne qui n’avait pas choisi de s’engager dans la guerre mondiale y a été contrainte pour se débarrasser du mouvement ouvrier. Maintenant, elle doit payer le prix de la guerre sans avantages ni compensations et à nouveau doit se débarrasser du mouvement ouvrier. Mais elle dispose encore moins du crédit, des forces de répression, des soutiens sociaux nécessaires.

La force qui a le plus grandi à la suite de la guerre, ce n’est ni les fascistes, ni le parti socialiste et encore moins les partis classiques : c’est le syndicat CGL. Il est passé de 321.000 adhérents à 2.200.000 adhérents.

En janvier 1920, c’est la CGL qui contrôle les grèves des postiers, des cheminots.

Fin mai, les grèves agricoles se multiplient dans les provinces de Ferrare, Mantoue, Novare, Pavie, Padoue, Vérone, d’Arezzo, Parme et Soresina.

Tous ces mouvements sont sans lien entre eux.

Le syndicat cherche à ce que les mouvements gardent un caractère local, économique et non explosif.

En avril, à Turin, la grève prend un tour plus politique car les travailleurs veulent imposer la reconnaissance par les industriels des Conseils d’usine. Non seulement le mouvement est défait mais les syndicats se sont débrouillés pour que les conseils aient un objectif purement productif et économique. Double défaite donc. Le parti socialiste n’intervient pas pour contrer cette politique réformiste.

Par contre, Mussolini a trouvé le moyen d’apparaître comme la force politique qui soutient la grève de Turin !!

Cette grève étant partie contre des changements d’horaires imposés par l’Etat, Mussolini dénonce le fait que l’Etat impose ses décisions au peuple. « Je suis pour l’individu et je pars en campagne contre l’Etat… » déclare Mussolini.

Le parti socialiste n’a pas spécialement entrepris de campagne politique en faveur des ouvriers de Turin et des Conseils d’usine, sous le prétexte que ce sont des organes de vie économique des usines et pas des soviets selon les maximalistes !

Dans le premier semestre de 1920, débutent des occupations d’usines comme celle de Dalmine en mars.

En même temps, a lieu la révolte de la ville d’Ancône où toute la population ouvrière de la ville se révolte pour appuyer les soldats qui refusent de partir en Albanie.

Parti socialiste et centrale syndicale CGL appellent la classe ouvrière au calme, en affirmant que le changement radical se prépare et qu’il vaut mieux ne pas susciter d’affrontements locaux.

Le 25 juin 1920, le Manifeste rédigé par le parti socialiste et la CGL proclame : « La situation actuelle indique que la crise bourgeoise s’accélère et que le heurt formidables entre bourgeoisie et prolétariat s’approche. Etant donné la nécessité d’affronter les nouvelles batailles avec toutes nos forces, les organisations dirigeantes du mouvement ouvrier en Italie mettent les travailleurs en garde contre les mouvements qui peuvent nuire au mouvement d’ensemble… Travailleurs ! La révolution prolétarienne ne peut être l’œuvre d’un groupe d’hommes, elle ne peut s’accomplir en une heure. Elle est le résultat d’une préparation formidable, réalisée à travers des efforts inouïs et par une discipline de fer. »

Préparation ? Efforts inouïs ? En vue de quoi ? Les directions socialiste et syndicale se préparent à un affrontement de grande ampleur ? En faisant quoi ? Ils se sont laissés détruire l’Avanti et jeter des bombes sur un cortège socialiste sans préparer quoique ce soit pour l’empêcher à l’avenir, sans prévenir les travailleurs des risques de la période.

Le 1er décembre, un groupe d’étudiants d’extrême droite et d’officiers donnent la chasse dans les rues de Rome aux députés socialistes sortis du Parlement. Les travailleurs protestent par une grève générale. Mais rien de plus n’est fait. Chaque démonstration à la suite des violences fascistes est davantage une démonstration d’impuissance.

Pourtant, la révolte ouvrière contre les violences fascistes est bel et bien réelle et explosive quand elle n’est pas canalisée vers des protestations platoniques par les syndicats et le parti socialiste.

Ainsi, à Mantoue, la foule révoltée par l’agression de Rome envahit la gare, arrache les rails, frappe tous les officiers, donne assaut à la prison, libère les prisonniers et met le feu aux bâtiments.

Les groupes d’intervention d’extrême droite, constatant cette impuissance de la réaction ouvrière, multiplient leurs interventions.

Ainsi, le 12 mai 1920, la grève des balayeurs des rues de Rome est cassée par des groupes d’étudiants et d’autres militants d’extrême droite.

En juillet, ce sont les conducteurs de tramways qui ont mené une grève victorieuse qui sont pris à partie violement et dans l’après-midi, étudiants nationalistes et arditi mettent à sac l’imprimerie de l’Avanti. Des députés socialistes sont sérieusement blessés par des agresseurs d’extrême droite. Le même mois, fascistes, arditi et légionnaires incendient à Trieste le siège des organisations slovènes.

Ce n’est encore que des incidents mais ils servent de ballon d’essai à toute une politique systématique et l’absence de réaction à la hauteur de la menace va ouvrir aux fascistes un véritable boulevard.

Le 7 mars 1920, au moment où les grèves ouvrière culminent dans tout le pays et que des mouvements se généralisent parmi les ouvriers agricoles, le patronat s’unifie dans la première confédération générale de l’industrie qui devient la principale organisation de la bourgeoisie. C’est la CGI qui planifie les attaques contre le mouvement ouvrier et elle obtient un premier succès de son action en écrasant la grève générale de Turin. Et le 18 août se constitue la confédération générale de l’agriculture dans le même but. Ils ont mis sur pied une force de défense et d’attaque organisée et centralisée. Exactement ce que ne fait pas la classe ouvrière…

Le prolétariat est non seulement ciblé pour ses actions revendicatives par les couches petites bourgeoises et les anciens combattants qui le considèrent comme corporatiste et dangereux, mais il l’est aussi et tout aussi violemment parce que la question nationaliste les oppose : les travailleurs veulent en finir avec la guerre alors que les étudiants, les officiers, les professions libérales veulent la guerre pour la grande Italie.

Tout en utilisant un langage radical parlant de soviets, parti socialiste et syndicats jouent le jeu de la société bourgeoise, négociant par exemple des réformes comme les assurances sociales tout en prétendant que la révolution est en préparation…

Mais si les dirigeants ne préparent rien, les masses s’impatientent…

Le 31 août, les ouvriers envahissent 280 établissements métallurgiques de Milan. En deux jours, le mouvement s’étend à toute l’Italie sans aucun appel d’organisation. Des usines métallurgiques, le mouvement passe aux autres industries.

La réponse des patrons est le lock-out. Ils donnent consigne à leur encadrement de quitter les usines. Ingénieurs, techniciens et employés disparaissent et les ouvriers sont maîtres des lieux sans les avoir particulièrement conquis. Par contre, ils sont bloqués dans leur usine. Les commissions ouvrières deviennent les seuls gestionnaires des entreprises ce qui n’est pas bien sûr identique à affirmer que l’usine est aux travailleurs.

Alors qu’il est évident que l’affrontement entre prolétariat et bourgeoisie ne s’en tiendra pas au cadre de l’entreprise, les dirigeants de la classe ouvrière s’y enferment, ne préparent nullement les travailleurs à jouer le rôle de dirigeant de l’ensemble des couches révoltées de la population : jeunes, chômeurs, petite bourgeoisie, déclassés, anciens combattants, etc…

Le prolétariat, mobilisé, semble ainsi l’être sans aucun programme pour l’ensemble de la société, sans objectifs politiques, sans moyens d’action autre que le blocage économique, sans capacités autres que défensives et localisées, sans liaisons entre ses différents sites d’intervention, sans plan d’action national.

Des milliers d’usines et des millions d’ouvriers sont mobilisés sans objectif offensif d’ensemble.

La menace est clairement révolutionnaire même si personne, aucune organisation ne se propose une telle issue.

Le patronat a d’ailleurs clairement pris la mesure et changé complètement son discours : prêt à tous les compromis, favorable à tous les accords, souhaitant que la gauche se charge de gouverner, que les syndicats patronaux négocient. Mussolini annonce qu’il n’est nullement question pour lui de s’attaquer aux grèves ouvrières, aux usines occupées. Il déclare même qu’il soutient le mouvement gréviste…

Les ouvriers, retranchés dans leurs usines, se sont armés pour la défense. Un armement sommaire mais qui signifie une volonté évidente de ne pas se laisser attaquer. Cette action défensive pourrait largement se transformer en action offensive si la classe ouvrière avait à sa tête une direction politique révolutionnaire capable de se donner des objectifs nationaux, de transformer les ouvriers en armes en milice ouvrière et la grève en offensive sociale ayant un programme pour toute la société.

Ne pas sortir des usines, tel est au contraire l’idée des chefs ouvriers, y compris à Turin où les dirigeants radicaux ne manquent pas et où une force considérable de la classe ouvrière est mobilisée.

Il n’y a aucun programme développé dans la classe ouvrière et qui lui permette de passer de la défensive à l’offensive, de la lutte économique à la lutte politique, de la garde des entreprises à la milice ouvrière, de la grève à la révolution, des conseils d’entreprise aux soviets.

Parti socialiste et CGL se concertent et tombent d’accord de s’en tenir à l’objectif du « contrôle des entreprises par les travailleurs », laissant « l’objectif de la socialisation de la société » pour un avenir lointain…

Ils sont clairement dépassés par les événements et incapables d’assumer les perspectives réelles du mouvement prolétarien.

CGL et PS discutent pour savoir s’il faut considérer que la grève est politique ou économique, opposant les deux…
Le pacte entre CGL et PS ne tranche rien, permet à chacune des directions de s’autoriser à ne prendre aucune responsabilité politique, la CGL reconnaissant que si l’objectif est politique c’est au PS de prendre la direction et le PS reconnaissant que la lutte est économique…

Les deux directions laissent le mouvement se perdre dans les sables, se fatiguer lui-même, sans objectif, sans affrontement, le patronat se gardant de s’y confronter et proposant partout des négociations.

C’est une révolution sociale puisque spontanément la classe ouvrière a contesté nationalement la direction de tout l’appareil économique mais sans l’ombre d’une perspective nationale pour prendre la tête de tout le pays.

Les classes dirigeantes ont senti le danger. Elles ne vont pas l’oublier et ne cesseront de chercher le moyen d’éviter que se renouvelle un tel risque.

Le reflux du mouvement ne va pas les rendre moins enragées, au contraire. Au plus haut de la lutte, le patronat joue les accommodants, les arrangeants, prêt à tous les compromis, souhaitant même que les socialistes prennent les rênes du gouvernement, que les syndicats obtiennent satisfaction sur toutes leurs revendications.

Dès que la grève va refluer, l’offensive va aller croissant pour frapper, casser, démolir définitivement ce mouvement ouvrier qui a représenté une menace mortelle pour les classes dirigeantes.

En dirigeant eux-mêmes les usines, les ouvriers ont fait passer le vent de la balle tout prêt de la tempe des capitalistes et ceux-ci ne l’oublieront pas.

Le travail repris, les armes saisies, l’offensive décommandée, le mouvement social va aller en sens inverse et le prolétariat se retrouver de classe crainte et respectée à une classe sans perspective et sans force.

Le patronat a été incapable de réprimer ce mouvement social d’une trop grande ampleur pour être réprimé par des moyens classiques de répression. Ni police ni armée n’ont été mobilisés pour casser le mouvement car cela aurait été le plus sûr moyen de le transformer en révolution sociale.

Les travailleurs ont apparemment obtenu satisfaction sur bien des points économiques et conservent une part de la gestion des entreprises par le maintien de commissions ouvrières de contrôle. Mais ce point est un leurre. Sans prendre la direction de toute la société, à la tête de l’Etat, tout contrôle économique des entreprises ne peut qu’être qu’une illusion et un piège.

L’exemple italien va en donner une fois de plus la démonstration à grande échelle.

Au cours de la lutte des travailleurs, le mouvement fasciste s’est bien gardé d’agir, d’intervenir, même localement, contre la classe ouvrière. Il est apparu pour ce qu’il est : extrêmement faible face à une classe ouvrière mobilisée et menaçante.

Par contre, il va commencer à intervenir maintenant qu’elle est rentrée dans le rang.

Le patronat doit profiter de la situation pour régler ses problèmes et toutes ses forces politiques ont alors unies pour désamorcer la bombe sociale. Mussolini est même amené à se dire d’accord avec les autres partis politiques pour abandonner Fiume et cesser momentanément de faire de la lutte nationaliste un but de mobilisation. Il a pris le risque de perdre ainsi définitivement le contrôle de ses faisceaux. Il démontre ainsi au patronat qu’il est bel et bien un homme politique crédible au service exclusif des intérêts du patronat. Il parvient par des manœuvres organisationnelles et politiques à ne pas payer trop cher sa position momentanée et à conserver du crédit auprès des bandes fascistes. En même temps, il entre au gouvernement bourgeois et sur une politique libérale bourgeoise et non fasciste.

En même temps que la révolution sociale a laissé passer son heure, la radicalisation a eu des effets politiques : la majorité du parti socialiste est passée à l’aile gauche. Au congrès, les votes se répartissent en droite 14.000 voix, centre 98.000 voix et communistes 59.000 voix.

Les communistes qui étaient à la tête du parti en septembre 1920 y ont fait la démonstration qu’au delà des bonnes intentions révolutionnaires, ils n’avaient pas davantage de capacité de diriger le prolétariat.

Le vote d’adhésion à l’Internationale communiste ne clarifie pas davantage les objectifs et les perspectives, les réformistes étant capables de signer tous les textes que l’on veut.

Les grèves ouvrières déclinent en 1921, le nombre de grévistes passant de 493.000 à 148.000.

Cependant l’heure de l’offensive fasciste contre les travailleurs des villes n’a pas encore sonné. On en est encore à calmer la classe ouvrière par la commission d’entente. La contre-offensive antisociale va commencer dans les campagnes.

On se souvient que la lutte des travailleurs agricoles s’est produite conjointement à celle des travailleurs industriels des villes et les organisations ouvrières des campagnes ont obtenu un contrôle de l’embauche, de la gestion et des salaires. Les agrariens veulent absolument détruire la Fédération des travailleurs de la terre qui menace ainsi leurs profits et leur mainmise sur l’exploitation des ouvriers agricoles.

En s’en tenant aux objectifs réformistes des accords de partage des revenus entre travailleurs et exploiteurs, les réformistes ont rendu aux travailleurs la situation impossible et elle l’est plus encore dans les campagnes. Ou les travailleurs prennent les grandes propriétés, ce qu’ils s’étaient lancés à faire spontanément ou la gestion de la Fédération des travailleurs de la terre devient localement intenable face aux Agrariens décidés à récupérer la totalité de leur mainmise sur les exploitations.

Cette situation intermédiaire offre aux Agrariens mille moyens de mettre en porte à faux la Fédération avec des exploitants agricole locaux et donc amène des quantités de paysans à devenir des militants contre la Fédération et contre la gestion collective qui est sortie des accords.

Ces accords entre exploiteurs et ouvriers agricoles n’ont de plus fait aucune place à la petite propriété qui s’estime écrasée et peut servir de masse de manœuvre contre les ouvriers agricoles. En n’allant pas au bout de leur révolution, les exploités se sont ôté le moyen d’apparaitre comme une perspective à des millions de petits bourgeois ruinés par la guerre et la crise. Ces derniers vont être aisément manipulés contre la Fédération des travailleurs de la terre, considérée comme responsable de la situation des campagnes.

Voilà pourquoi c’est dans les campagnes que Mussolini va trouver le terrain de recrutement massif de ses faisceaux et une intervention violente payée par le patronat agrarien et aussi, du coup, le moyen de crédibiliser son mouvement à l’échelle nationale, de le rendre impressionnant aux yeux de la petite bourgeoisie des villes et inquiétant pour le prolétariat des villes.

En ne se donnant aucun objectif social par rapport aux anciens combattants qui ne trouvent devant eux que des portes closes, le parti socialiste et les syndicats ont livré aux fascistes une véritable armée de supplétifs potentiels, mobilisables, embauchables pour toutes les opérations violentes.

En se refusant à développer un programme offensif de la classe ouvrière pour renverser le capitalisme, les organisations ouvrières ont laissé un boulevard à la démagogie fasciste qui se sert des peurs, des révoltes, des misères et des rancunes des couches petites bourgeoises paupérisées.

Un rapport d’un colonel pour le ministère de la guerre rapporté par Rossi :

« Comme l’armée de métier en suffira point, il faut rajouter aux 250.000 mercenaires dont nous disposerons bientôt, pour en soutenir et mieux régler l’action, une milice d’idéalistes, formée par les plus experts, les plus courageux, les plus forts et les plus agressifs d’entre nous. Il faut que cette milice soit capable d’une action de résistance et, en même temps, d’une action politique, qu’elle puisse, dans cette dure période, redonner sang, vie et homogénéité aux forces nationales pour les amener à la victoire. »

Il décrit tout un processus d’intervention qui va être celui des faisceaux : « Des actions partielles, destinées à mater l’insolence des centres les plus subversifs, seront une excellente école pour nos milices et serviront en même temps à démoraliser et à briser l’ennemi. Dans ce cas, cependant, il faut toujours avoir la précaution de disposer d’une ou plusieurs bases d’opération, comme point de départ de l’action et pour y rassembler les moyens nécessaires. Ces bases doivent être à une distance suffisante de l’endroit où l’on veut porter le coup, pour qu’on puisse y revenir sans soulever de soupçons et s’y réorganiser si, éventuellement, on a subi un échec momentané. Telle est la méthode au cas où l’on commencerait les actions punitives locales. »

Le 20 octobre, le ministre de la guerre du gouvernement Giolitti envoie une circulaire aux armées dans laquelle il est dit que les 60.000 officiers en cours de démobilisation auront l’obligation d’adhérer aux faisceaux de combat où ils auront pour tâche de diriger et d’encadrer, ce qui leur permettra de garder les quatre cinquièmes de leur solde.

Et les actions commencent à Bologne, au lendemain d’une élection qui a donné la victoire aux municipales pour une liste socialiste de tendance d’extrême gauche. Les fascistes annoncent par affiche qu’ils empêcheront la nouvelle municipalité de fonctionner. Dès que le maire communiste Gnudi apparaît au balcon pour fêter sa victoire, des fascistes dans la foule se mettent à tirer. Il y a neuf morts et des blessés, tous socialistes. La violence explose à Bologne et dans toute l’Emilie. La mort d’un ancien combattant nationaliste permet à l’opinion nationaliste de faire campagne contre les communistes.

La suite a lieu à Ferrare, terre d’élection du syndicalisme révolutionnaire et hostile au parti socialiste. Le fascisme va y faire une démonstration politique et sociale à visées nationales en direction des paysans pauvres. L’association des grands propriétaires agrariens cède aux fascistes quelques milliers d’hectares pour les céder en bail direct à des cultivateurs individuels. Le fascisme prétend ainsi prouver être le plus capable de réaliser l’objectif de « la terre à celui qui la travaille » que le parti socialiste. Sur cette base, le fascisme lance un mouvement de syndicat paysan fasciste dans la province de Ferrare. Dans cette région, les fascistes implantent des syndicats, des coopératives fascistes et commencent à pratiquer les randonnées de camions remplis de chemises noires qui arrivent dans des petites villes et contraignent les administrations socialistes à la démission : les 21 communes gérer par des socialistes démissionnent.

L’expédition punitive est maintenant utilisée massivement en Vénétie Julienne où les fascistes ont le soutien ouvert du patronat et s’en servent pour faire fermer les coopératives ouvrières, les caisses d’assurance, les cercles culturels socialistes et agresser les populations slovènes et croates.

Cette forme d’action se développe dans la plaine du Pô.

Les fascistes y recrutent massivement dans les villes parmi les seigneurs agrariens, les officiers des garnisons, les professions libérales, les étudiants, les fonctionnaires, les rentiers et les commerçants. Les expéditions punitives partent des villes vers les campagnes alentours. Montées sur des camions et armées par l’Association des agrariens, les chemises noires visent une région, attaquent quiconque leur semble être plutôt du côté des rouges, le frappent à coups de bâtons, le blesse s’il se révolte. La bourse du travail, le syndicat, la coopérative, la maison du peuple sont défoncés et détruits. Ceux qu’on y trouve sont frappés ou tués. Les maires, conseillers, secrétaires de la mairie, la coopérative, syndicats sont démis de force et bannis de la région sous menace de mort. Leur famille est menacée. Ils visitent sa maison, l’emmènent, l’attachent à un arbre où on le retrouve mort le lendemain.

L’offensive fasciste ne cherche nullement à se cacher. Des responsables envoient impunément des courriers de sommation à des maires socialistes leur enjoignant de quitter immédiatement leur ville sous menace de mort pour eux et leur famille. Ils ne risquent rien de la part de l’Etat.

Dès les premières semaines de 1921, l’offensive fasciste atteint un niveau maximal. Les socialistes, les communistes, les syndicalistes et les étrangers sont particulièrement visés. Dans la zone rurale de l’Istrie, en Vénétie Julienne, à Trieste, dans la vallée du Pô, dans la province de Bologne, de Mantoue, puis au fur et à mesure dans toute l’Italie, les mêmes méthodes sont employées, toujours aussi impunément.

Par exemple, à Trieste, les fascistes incendient les locaux du quotidien socialiste, du quotidien communiste, le siège central des organisations slovènes. Seule riposte comme d’habitude : une grève générale.

En Vénétie Julienne, les fascistes ont l’appui ouvert des autorités, de la police, de la justice, de l’armée, des sociétés minières, des armateurs et des agrariens.

Parfois, les ouvriers, localement et spontanément, prennent le coup de colère comme les ouvriers de Muggia, près de Trieste, qui, après l’incendie de leur bourse du travail, incendient en représailles les chantiers navals de San Marco, pour faire payer les armateurs qui ont organisé et financé l’attaque. Les fascistes organisent alors un commando punitif de représailles. Il n’y a pas de riposte globale du mouvement ouvrier.

Parfois l’Etat fait mine d’interdire les interventions fascistes, le ministre de l’Intérieur Giolitti ordonnant l’interdiction de port d’armes dans les provinces de Bologne, Modène et Ferrare où les exactions fascistes sont une vraie guerre civile. Associations patronales, associations libérales, représentants des militaires, des anciens combattants, partis de droite et fédération des agrariens défient alors le gouvernement et refusent de livrer les armes des chemises noires et autres forces supplétives fascistes.

En mai 1921, les attaques deviennent innombrables. Tous les cercles, toutes les ligues, tous les syndicats, toutes les coopératives, toutes les bourses du travail dans des provinces entières sont rayées de la carte. Les morts se multiplient dans ces actions violentes.

Dans les cas où les ouvriers et les militants décident spontanément de se défendre par la violence, les forces classiques de l’Etat interviennent alors contre les ouvriers et les organisations ouvrières. Par exemple, à Parme, les travailleurs ripostent les armes à la main. La police intervient alors en force pour désarmer les ouvriers et bien évidemment pas les fascistes.

Le fascisme est installé en force dans le triangle Bologne-Ferrare-Plaisance et commence à gagner le pays. D’abord vers Rovigo et vers Pavie.

Les bourses du travail donnent le mot d’ordre : « Restez dans vos maisons ; ne répondez pas aux provocations ; même le silence, même la lâcheté sont parfois héroïque. »

Chaque jour tombent de nouvelles bourses du travail, de nouvelles mairies socialistes, de nouveaux syndicats, de nouveaux locaux socialistes, de nouvelles coopératives. Le nombre des morts, des blessés, des torturés, des bannis grandit sans cesse. Les agrariens ont partie gagnée.

Le mouvement passe en Vénétie.

Entre février et mai, les bourses du travail de Vicence, de Padoue, de Belluno, de Udine sont détruites.

Les expéditions prennent désormais l’allure de véritables opérations militaires en concentrant les forces de toute une région sur chaque ville attaquée. Les villes sont envahies par tous les côtés. Les maisons particulières brulent aussi. Ces opérations à grande échelle ont lieu à Mossano, Poiana, Pordenone, Torre. Les troupes de la garnison d’Udine interviennent aux côtés des fascistes.

La région de Trente et du Tyrol est gagnée par les attaques fascistes. La région de Pavie également.

Rien ne dépasse en violence l’action du fascisme en Toscane.

Elle explose également à Florence le 27 février. Un chef communiste est assassiné. Le quartier populaire de San Frediano élève des barricades. Dans la banlieue de Florence également, les travailleurs érigent des barricades. A Scandicci, les carabiniers unis aux fascistes sont accueillis à coups de fusils et de bombes. Le camion des fascistes est incendié et ceux-ci s’enfuient. L’armée entre dans la danse avec son artillerie et ses blindés qui enfoncent les barricades. Dès que la voie est ouverte par l’armée, les fascistes attaquent et démolissent la maison du peuple. A Bagno a Ripoli, les bersaglieri actionnent les mitrailleuses. A Pondera, l’armée tire au canon, mais les faubourgs populaires continuent de se défendre. A Empoli, les travailleurs en armes tirent sur les fascistes. Peu après, les escouades fascistes font leur jonction pour punir Empoli. Le 4 mars, ils recommencent à Sienne avec l’appui de 200 hommes de troupe, des mitrailleuses, des canons de 63. Les faisceaux de Florence, de Pise et de Sienne agissent désormais ensemble pour donner à leurs actions une puissance de feu maximum et augmenter la terreur causée par leur arrivée.

Les bourses du travail flambent : Pérouse le 22 mars, Lucques le 31 mars, Arezzo le 12 avril, Prato le 17 avril, Terni le 26 avril, Pise le 2 mai, Grosseto de 28 juin, etc…

Dans les Pouilles, aux fascistes, à la police et à la troupe se joignent des masses de repris de justice utilisés comme assassins. Les travailleurs se défendent violemment, gagnent de nombreuses batailles mais perdent l’ensemble de la lutte.

Les autres régions sont touchées : toute la vallée du Pô, l’Ombrie, le Piémont, la Lombardie, etc…

En un semestre, le bilan est 17 journaux et imprimeries détruits, 59 maisons du peuple, 119 bourses du travail, 151 cercles socialistes, 83 ligues paysannes, 154 cercles de culture, etc…

Désormais, la force publique intervient systématiquement aux côtés des fascistes. Les carabiniers les accompagnent systématiquement dans leurs camions. Des petites villes sont envahies par des milliers de tueurs arrivant en camions, les carabiniers fermant les portes de sorties de ces villes et villages.

Voici le témoignage d’un étudiant fasciste : « Nous avons avec nous les officiers de l’armée, qui nous fournissent les armes et les munitions. Nous sommes puissamment et intelligemment organisés. Nous pouvons ainsi régler notre action sans courir trop de risques. »

Que fait l’Etat démocratique italien ? Le gouvernement de Giolitti envisage simplement… de faire entrer les fascistes dans le bloc national. Les socialistes interviennent à la chambre pour exiger que le gouvernement… fasse respecter la loi.

L’offensive fasciste est militaire et le mouvement ouvrier ne veut pas faire face à une telle attaque.

Des vagues parties de Florence, Arezzo, Sienne envahissent Pérouse, Foligno, Todi, Umbertide, Assise, Spolète, Terni, le tout en quelques semaines.

De juillet 1920 à novembre 1921, le nombre de faisceaux sont passés de 108 à 2300…

Dans l’industrie, les patrons passent à l’offensive. La grève de la Fiat et des usines Michelin est écrasée. Dans ces usines où, quelques mois auparavant le drapeau rouge flottait et les commissions ouvrières faisaient la loi, les militants sont licenciés et les travailleurs mis au pas.

Le ministre de la Justice, Fera, donne consigne à la magistrature de laisser dormir les dossiers criminels contre les fascistes. Le ministère de la Guerre fait passer des armes et des cadres aux fascistes.

Pour « motif d’ordre public », les municipalités socialistes dissoutes par force par les fascistes, le sont par décret ministériel ensuite : Bologne, Modène, Pérouse, Ferrare, …

Tout cela ne signifie pas que l’opinion publique se détourne des organisations de gauche.

Alors que les partis du centre au fascisme sont unis dans le bloc national, aux élections de mai 1921, les partis socialiste et communiste ont autant de voix que l’ « année rouge » de 1919. Et cela alors que faire campagne pour les partis en question nécessite vraiment de l’héroïsme. Des bureaux de vote sont brûlés par les fascistes, les bulletins jetés et détruits, les militants connus pourchassés.

Par contre, dans la bourgeoisie, la petite bourgeoisie et les milieux paupérisés, comme les anciens combattants, Mussolini fait le plein des voix. Il est tête de liste à Milan et Bologne. Il est le sauveur contre le prolétariat, contre le communisme.

Mais même les soutiens populaires que reçoivent les partis ouvriers peuvent-ils servir d’appui en l’absence totale de politique révolutionnaire. Ainsi, les communistes de gauche estiment que le principal danger est le parti socialiste.

Si les communistes de gauche ont donné comme slogan à leur campagne électorale « Les élections de mai 1921 doivent être le procès du Parti socialiste », les socialistes titrent sur leur victoire électorale dans l’Avanti : « Les prolétaires d’Italie ont enterré sous une avalanche de bulletins rouges la réaction fasciste. »

Les uns et les autres minimisent non seulement le fascisme mais la volonté violente des classes dirigeantes, de leur Etat et répugnent à se préoccuper de leur capacité à entraîner contre la classe ouvrière les petits-bourgeois et les déclassés.

L’extrême gauche communiste ne peut gagner qu’en entraînant la base ouvrière et paysanne du parti socialiste, au moins en partie, en gagnant au moins sa sympathie. Sa politique va exactement a contrario de cela. Elle doit tenter aussi de défendre l’idée que la classe ouvrière est le fer de lance d’un combat qui s’adresse aussi aux couches petites bourgeoises paupérisées. Elle s’oppose radicalement à une telle politique. Elle doit tenter d’unir militants socialistes et communistes pour protéger les organisations ouvrières face aux fascistes. Elle est bien trop préoccupée de ne faire aucune compromission avec la gauche réformiste pour tenter une telle politique.

Cependant, au sein de la classe ouvrière, des forces commencent à militer pour que la riposte aux fascistes et aux forces de répression de la bourgeoisie unisse tous les militants ouvriers et les travailleurs de tous les partis et syndicats.

Début juillet, pour la première fois, les « arditi del popolo », front unique de combat des travailleurs, ont défilé dans Rome.
La classe ouvrière a vu ce qui s’est passé dans les campagnes et sait maintenant ce qui l’attend. La poussée vers le front unique des travailleurs commence à monter dans la classe ouvrière.

Les affrontements sont devenus encore plus violents, l’expédition punitive du 25 juillet ayant fait treize morts à Roccastrada.

Si le fascisme poursuit simplement son offensive contre la classe ouvrière sans diviser les rangs ouvriers, c’est à une riposte unie des travailleurs que la bourgeoisie va se heurter. Le plus grand risque maintenant pour la bourgeoisie serait que les communistes parviennent à faire pression sur les socialistes et syndicalistes pour s’unir dans le combat contre les fascistes et les forces de répression bourgeoises.

Mussolini change alors complètement de stratégie et commence à s’unir à la confédération CGL et le parti socialiste. C’est en théorie une entente contre les violences mais en fait contre le parti communiste et contre l’unité des travailleurs. Les militants communistes, socialistes et syndicalistes n’ont pas vu venir le coup…

Mussolini y parvient en signant un « Pacte de paix » avec la CGL, le parti socialiste, le parti fasciste et le président de la Chambre, le 2 août : « Les signataires s’engagent à agir immédiatement pour que cessent les menaces, les voies de fait, les représailles, les punitions, les vengeances, les pressions ou les violences personnelles de toutes espèces. »
Dans un premier temps, il pourrait sembler que Mussolini est piégé ou qu’il s’est retourné ou encore qu’il a subi une pression des gouvernants ou de la bourgeoisie.

En effet, le mouvement fasciste se révolte contre cette signature, le conspue. Il démissionne même de sa diretion des faisceaux.

La suite va montrer que c’est le parti socialiste et le syndicat CGL qui ont été piégés et que ceux qui ont été véritablement battus dans cette manœuvre de grande ampleur, c’est le parti communiste et le courant maximaliste.

Le 10 août, le parti socialiste a approuvé le pacte de pacification or dans l’article 5 du pacte, le parti socialiste s’engage à ne pas participer aux arditi del popolo.

Les communistes qui n’ont pas signé le pacte semblent avoir une position de classe : ils affirment qu’ils ne signeront jamais un pacte avec le fascisme. Ils déclarent que c’est une lutte à mort, que c’est fascisme ou communisme. Mais, ensuite, ils expliquent qu’il n’y a pas le fascisme d’un côté et le reste de l’autre, que la bourgeoisie, que l’Etat sont déjà fascistes. On peut se dire que c’est un peu un raccourci ou une approximation. Mais, dans le raisonnement, ils continuent en disant que les socialistes eux aussi sont fascistes. Toutes les directions bourgeoises sont complices du même piège certes. Il faut les combattre tous ensemble est également vrai. Mais pas en niant le danger particulier du fascisme. Et surtout pas après la vague fasciste de 1921.

Seulement le nouveau piège qui vient d’être dressé devant le parti communiste est l’alliance du parti socialiste, du syndicat et des fascistes. Rien ne pourrait encourager plus les dirigeants communistes de gauche dans leur idée que tout cela est du pareil au même.

Le parti communiste s’oppose à la participation de ses membres aux arditi del popolo qu’il dénonce comme « une manœuvre de la bourgeoisie ».

Dans un communiqué du 7 août, l’exécutif communiste déclare : « Les arditi del popolo se proposent, paraît-il, de traduire la réaction prolétarienne contre les excès du fascisme, pour rétablir l’ordre et la normalité de la vie sociale. Le but des communistes est tout autre : ils tiennent à conduire la lutte prolétarienne jusqu’à la victoire révolutionnaire ; ils se placent du point de vue de l’antithèse implacable entre la dictature de la réaction bourgeoise et la dictature de la révolution prolétarienne. »

Selon cette thèse, le parti communiste doit absolument agir seul dans le combat contre tous ses ennemis, sans s’allier à personne, ni force politique, ni force syndicale, ni force sociale. Le parti communiste seul contre tous. La classe ouvrière seule contre tous. Et cela dans un moment où la classe ouvrière vient d’être attaquée durement et subit un coup très dur, doit reconstituer ses forces, reprendre confiance en elle-même.

Le parti communiste se fonde-t-il sur une autre idée pour combattre la réaction bourgeoise ? A-t-il une stratégie particulière pour gagner ? A-t-il des moyens que les autres n’auraient pas ? A-t-il mené des combats contre les forces policières et les forces classiques de répression que les autres forces populaires n’auraient pas menés ?

Pas du tout ! Rien de tout cela n’existe. C’est uniquement du radicalisme de la formule et du sectarisme en réalité et une incompréhension du fait que la classe ouvrière n’est capable de mener sa tâche révolutionnaire que si elle apparaît comme la direction de l’ensemble des couches populaires et pas si elle s’isole.

Tranquillisé par le fait d’avoir isolé les communistes, empêché les socialistes de faire un front commun avec eux pour un front de défense, Mussolini lance alors l’idée que le fascisme doit passer d’une armée à un parti politique.

En un an, entre 1920 et 1921, le mouvement fasciste est passé de 30.000 adhérents à 320.000. L’essentiel de ses recrues viennent des agrariens et de la petite bourgeoisie. Un recensement sur 151.000 inscrits au parti donne 18.000 propriétaire terriens, 13.000 commerçants, 4.000 industriels, 10.000 professions libérales, 7.000 agents de l’Etat, 15.000 employés, 1.600 instituteurs…

Ces 90.000 membres constituent la partie militante des faisceaux, les bailleurs de fonds, les chefs et les cadres actifs des expéditions punitives.

Et les expéditions punitives sont loin de s’être arrêtées malgré le pacte de pacification.

Les bandes de Toscane et d’Emilie sont arrivées à Rome et se ruent sur tous ceux qui portent la cravate rouge ou ne se découvrent pas sur leur passage. A la gare de Rome, ils tuent un cheminot. De nouveau, il y a une grève générale de protestation.

En guise de lutte contre les crimes fascistes, le gouvernement envoie des circulaires sur le « désarmement des citoyens », se refuse même à interdire les ligues armées. Les fascistes et autres assassins anti-ouvriers ne sont que rarement arrêtés, toujours relâchés et jamais condamnés. Quand leurs crimes passent en justice, ils sont toujours acquittés. Quand une opération policière vise les fascistes, ils sont prévenus à l’avance. Par contre, les groupements des arditi del popolo sont arrêtés à chaque occasion et toujours condamnés impitoyablement.

Alors que la crise économique frappe de plein fouet la classe ouvrière avec une hausse massive du chômage et de la misère, la confédération CGL propose, en échange de la suspension des grèves et agitations sociales, un accord de pacification sociale au patronat !

En même temps que le syndicalisme ouvrier est dans un profond recul et va de trahison en trahison, Mussolini se lance dans le syndicalisme fasciste. Son objectif en lançant ce nouveau « syndicalisme » est clairement défini : « vaincre, saboter et détruire l’ennemi dans tous ses repaires ». Et l’ennemi, en l’occurrence, c’est le syndicalisme et les partis de la classe ouvrière.

A Bologne, les faisceaux organisent une action impressionnante de cinq jours de violences dans laquelle ils ont mobilisé 60.000 fascistes et Mussolini fait croire qu’il se dirigerait vers une action nationale, mobilisant l’ensemble de ses troupes pour conquérir la capitale, Rome. En réalité, à ce stade, Mussolini est persuadé qu’une telle action serait une erreur politique et qu’il doit seulement convaincre les plus hautes autorités de l’Etat de lui confier les rênes du pouvoir au lieu de mener une action illégale contre l’Etat.

Quant aux organisations ouvrières, elles continuent leur stratégie de mobilisation à moitié qui a comme résultat de mener systématiquement à l’échec et de détruire toute confiance des travailleurs en leur propre force, sans parler de la confiance des autres forces populaires dans les capacités des organisations ouvrières.

Une partie du parti socialiste commence à être attiré par l’idée d’une participation gouvernementale pour « sortir de la crise ». Le parti communiste, toujours dans sa politique gauche, s’en félicite publiquement déclarant que « la ruine du parti socialiste est en train de placer le parti communiste à la tête de la classe ouvrière italienne et de sa lutte révolutionnaire. » Il commence à y avoir une pression de l’Internationale communiste en vue du front unique qui se fait sentir dans le parti communiste mais elle se traduit surtout dans des discours, dans des mots et la direction communiste affirme qu’il s’agit seulement d’une nouvelle manière de détruire le parti socialiste politiquement en le discréditant.

Et, effectivement, on peut compter sur le parti socialiste et sur les syndicats pour se discréditer eux-mêmes mais sans augmenter pour autant la force d’action du prolétariat.

Les événements de Ravenne vont en faire une démonstration d’ampleur nationale.

De nombreuses grèves générales locales ont eu lieu pour protester contre les crimes fascistes et les organisations ouvrières se sont bien gardées de régir ensemble et ont conservé à l’action un caractère local.

Avec l’affaire de Ravenne, cela change. Les escouades fascistes forcent les portes de la ville et commencent la destruction. Cette fois les deux bourses du travail de Rome (l’une socialiste et l’autre anarchiste) invitent l’Alliance du travail à ordonner une grève générale nationale et la grève nationale est proclamée le 31 juillet.

« De la grève générale – unanime et sévère – doit sortir un avertissement solennel pour le gouvernement du pays, afin qu’on en finisse à jamais avec toute violation des libertés civiques, qui doivent trouver leur protection et leur garantie dans l’application de la loi. Au cours de la grève générale, les travailleurs doivent absolument s’abstenir de commettre des actes de violence qui nuiraient à la solennité de la manifestation, et qui se prêteraient à l’exploitation certaine des adversaires… »

Les événements de Ravenne ont entraîné cette vélléité de réaction car ils viennent juste après une longue série d’attaques à Novare, Crémone, Rimini, Andria, Viterbo, Sestri Ponente. La pression des anarchistes du syndicat national des cheminots a été déterminante pour entraîner pour la première fois la décision de grève générale nationale alors que toutes les grèves générales contre les violences fascistes se sont cantonnées à une ville ou une petite région.

Loin d’être le début de la contre-offensive ouvrière, la grève générale du 31 juillet 1922 va sonner la défaite finale du mouvement ouvrier face au fascisme en Italie…

Les objectifs même de la grève générale sont un aveu d’impuissance puisqu’il s’agit de s’adresser à l’Etat bourgeois et à lui demander de faire respecter la loi démocratique car sinon quoi ? Sinon rien ! Sinon il discréditerait lui-même les illusions des illusionnistes et c’est tout !

La grève générale nationale avertit le gouvernement mais de quoi ? C’est une action démonstrative qui démontre que le prolétariat n’est pas une force révolutionnaire mais « légalitaire ». Démonstration que le prolétariat peut être violé sans réagir, sans être un danger social. Démonstration donc que c’est le moment où jamais pour les classes dirigeantes de passer à l’attaque.

La réussite de la grève a été un quasi succès général, montrant que le peuple travailleur répond toujours aux appels des dirigeants réformistes mais nullement une démonstration d’une force capable d’agir sur les événements puisqu’elle agit dans le sens inverse ce que nécessiterait la situation : la mobilisation vers la révolution sociale.

Si, du côté de la classe ouvrière, il n’y a pas grand-chose de positif à attendre de cette « démonstration », les fascistes ont par contre là une occasion en or. Ils sont indispensables pour casser la grève et prouvent ainsi à quel point ils sont nécessaires. Le bloc national des partis de droite et du centre sont d’ailleurs contraints à cette occasion de réintégrer en leur sein le parti fasciste.

Mussolini jubile : « Si les trois secrétaires de l’Alliance du Travail étaient trois fascistes, ils n’auraient pu rendre un meilleur service à la cause du fascisme. »

Loin d’avoir mis en place des moyens de défense de la grève, les organisateurs ont paralysé toute défense en appelant à « ne pas répliquer aux provocations ».

Jamais autant de cercles socialistes, de mairies, de coopératives, de bourses du travail, de locaux syndicaux n’ont été détruits par les fascistes. La liste en est trop longue à dresser et tient sur des pages…

Des villes où les fascistes ne faisaient pas encore la loi comme Gênes, Milan et Ancône sont attaquées victorieusement. La seule défaite des fascistes a lieu à Parme, la seule ville où, malgré le veto socialiste et communiste, une organisation des arditi del popolo assez sérieuse et entraînée a été mise en place.

Des milliers d’ouvriers sont descendus dans la rue avec des pics, des pelles pour aider les arditi del popolo à dépaver les rues, élever les barricades, s’armer de rails. Toute la population ouvrière est là, soulevée et décidée à se défendre à tout prix. Tous ceux qui le peuvent sont armés et les arditi del popolo dirigent l’ensemble des groupes ouvriers. Malgré l’intervention de l’armée, l’offensive fasciste échoue. Mussolini conseille la démobilisation des fascistes à Parme. Pourtant Parme avait été envahie par des milliers de tueurs. Cela démontre ce qu’aurait pu être le début d’une politique de défense et de contre-offensive à l’échelle nationale. Cela montre aussi que tout n’était pas encore perdu et que la classe ouvrière disposait encore de la force suffisante pour retourner la situation.

Mais ce qui s’est passé dans tout le reste du pays fait la démonstration inverse. Et, en particulier Milan, Gênes et Turin sont tombés.

A partir de ce moment, Mussolini reçoit le soutien unanime de toute la grande bourgeoisie et cela se manifeste à son changement de discours. Il appelle au désengagement de l’Etat de tous les services publics afin de favoriser le secteur privé : « Nous voulons dépouiller l’Etat de tous ses attributs économiques. Assez de l’Etat cheminot, de l’Etat postier, de l’Etat assureur. Assez de l’Etat travaillant aux frais de tous les contribuables et épuisant les finances de l’Italie. »

Désormais, la voie du pouvoir est ouverte pour Mussolini, non pas par une révolution contre l’Etat à la tête de ses bandes fascistes mais par nomination des autorités de l’Etat.

Rappel : l’historien Robert Paris qui a écrit des livres sur le fascisme italien n’est pas le même Robert Paris que celui du site Matière et révolution, auteur de cet article.

Portfolio

Messages

  • La naissance des Arditi del Popolo est même annoncé par Lénine dans la Pravda (www.romacivica.net), l’Internationale communiste est favorable à cette organisation comme on peut le lire sur le compte-rendu de la rencontre entre Nikolaï Boukharine et Ruggero Grieco, ce dernier représentant de l’aile bordiguiste du parti communiste d’Italie qui ne soutient pas cette initiative (faction majoritaire et donc qui engage tous les militants par discipline du parti). Il fut repris avec dureté par Boukharine pour cette position, lui rappelant que le parti révolutionnaire de classe était là où se trouvait la classe dans toutes ses expressions et non dans des « discussions de salons » (voir Eros Francescangeli : les Arditi del popolo). Non seulement le Parti communiste d’Italie se tient à l’écart de cette structure d’auto-défense face au fascisme, mais, par un communiqué paru dans Il Comunista du 7 août 1921, le Comité Exécutif menace des « plus sévères sanctions » ceux des siens qui en feraient partie.

    Lors de la réunion du 14 septembre du comité exécutif de l’Internationale, le choix du PCd’I de ne pas participer au Front uni Arditi del popolo fut critiqué :

    « Le parti a commis une sérieuse erreur sur la question des Arditi del Popolo. La meilleure situation était d’unir sous notre direction de vastes masses. Le fait, qu’à la tête du mouvement, il y ait des éléments radico-bourgeois de tendance aventurière, ne peut servir de prétexte pour agir de cette manière. En Russie, nous avions pénétré les organisations policières pour recruter des soutiens. En Italie, la situation se présente de bien meilleure manière : il ne s’agit pas d’organisations policières… »

    Voir la position de Bordiga (en italien) Ici

  • Bordiga :

    Costituire comitati locali o nazionali per la difesa proletaria e una organizzazione unica a tipo militare come quella degli "arditi del popolo" significa demandare ad essi e alla maggioranza di essi (organismi) la scelta delle azioni da svolgere. Poiché per costruirli bisogna rinunziare come pregiudiziale dell’impegno reciproco anche la prima e la più modesta delle direttive che noi abbiamo accennato come quelle che detta la situazione all’azione proletaria. Se anche si chiedesse a tuti i partecipanti l’impegno, non con vaghe espressioni, ad adoperare contro il fascismo gli stessi suoi metodi di guerra civile, e tanto più se si esigesse l’impegno alla lotta contro le forze ufficiali dello Stato, è evidente che ogni accordo andrebbe a monte. Tutto quello che in una simile costituzione di organi di azione è possibile ottenere è che "non si escluda" nessuno dei mezzi di azione : non la nostra violenza nè l’opera "pacifica" che altri potrebbe adoperare. Nella indecisione degli scopi e dei mezzi, resterebbe però un fatto concreto : la comune disciplina, che avendo in vista azioni a carattere politico-militare, deve necessariamente essere una disciplina di tal natura da riuscire superiore a quella dei singoli partiti, e condurre direttamente ad una gerarchia con poteri superiori a quella delle gerarchia dei partiti. In altri termini un partito non potrebbe fare nel tempo stesso un’azione politica e di lotta propria, e quella della concordata "difesa proletaria" e anche avendo diverse intenzioni in pratica, non per mania di lealtà, ma per esigenza reale delle cose, darebbe tutte le energie proletarie di cui può disporre, molte o poche che siano, alla azione comune e alla organizzazione comune.

    Vediamo come potrebbe avvenire, anzi come avverrebbe, nella concreta situazione in cui ci muoviamo in Italia, che anziché portare la massa sulla via della azione suscettibile di vittoria che noi consideriamo, la si porterebbe, tutta, sulla via disastrosa della collaborazione con la cosiddetta sinistra borghese e con i suoi piani conservatori.

    L’adesione incondizionata a quelle coalizioni significa il massimo di incoraggiamento ad uno stato d’animo che si maschera di generosa impazienza, ma sul quale speculano evidentemente per volgare demagogia gli elementi più retrivi e opportunisti che abbiano seguito nell’ambiente proletario : qualunque cosa, purché finisca la situazione indescrivibile delle masse operaie e contadine percosse dalla maledizione fascista, qualunque via d’uscita, sia essa la dittatura del proletariato, o quella. . . del diavolo. Data la nostra adesione a questa maniera di gettarsi nella azione, che è spiegabile per le masse tormentate e straziate, ma che contiene il pericolo che esse affidino la loro difesa al tradimento del pseudo-antifascismo socialdemocratico, noi comunisti perderemmo ogni possibilità, come seguito morale e come organizzazione materiale, di spezzare questo piano opportunista che, coscientemente o meno, confluisce nei suoi effetti col fascismo e colla offensiva borghese.

  • Il gruppo dirigente del P.C.I., guidato allora da Amadeo Bordiga, accusava gli Arditi del popolo di essere organizzati da elementi infidi, per scopi equivoci, nei quali era chiara la manovra della borghesia. "Agenti di Nitti” o "Arditi di Nitti” li chiamava il quotidiano “Il Comunista."

  • Après avoir chassé les organisations de gauche des villes du nord de la péninsule, les milices fascistes menacent de lancer une marche sur Rome. À peine celle-ci débute-t-elle que le roi Victor-Emmanuel III nomme Mussolini président du conseil. Mussolini respecte d’abord le jeu démocratique, en étant à la tête d’une large coalition allant jusqu’au centre droit. Mais en mai 1924, le chef de file du parti socialiste italien Giacomo Matteotti, par ailleurs député, dénonce les élections législatives, remportées avec succès par le parti fasciste en partie à la suite d’une modification des modalités de scrutin, et réclame leur annulation : il est assassiné le 10 juin, assassinat qui sera revendiqué par Mussolini dans un discours devant le Parlement le 3 janvier 1925. Pour couper court à toute agitation, Mussolini instaure un régime d’exception : les lois fascistissimes (1926) ; les autres partis politiques sont interdits, leurs députés sont déchus, la presse est censurée, une police secrète, l’OVRA (organisation de vigilance et répression de l’antifascisme), est instaurée ainsi qu’un fichier de suspects politiques et un « Tribunal spécial ».

    Vers 1929, la dictature du parti fasciste imbibe toute la société (seule la vie culturelle reste relativement libre, à condition de ne pas critiquer le régime). Des milliers de démocrates s’exilent pour échapper à la prison ou à la déportation sur des îles. Le pape Pie XI signe les accords du Latran avec l’État fasciste italien qui lui concèdera l’existence de l’État du Vatican.

    Mussolini résume le fascisme en décembre 1925 par la formule : « Tout dans l’État, rien hors de l’État, rien contre l’État ».

  • La magnifique occasion qui s’était présentée au prolétariat italien de conquérir le pouvoir a été gâchée. La classe ouvrière a été vaincue sans avoir engagé le combat décisif. De ce moment son destin était tracé : la contre-offensive bourgeoise et la victoire du fascisme étaient inévitables. Lors de l’examen de la nouvelle loi électorale en juillet 1923, Mussolini pouvait dire avec raison, en s’adressant aux chefs réformistes : « Vous n’avez pas su profiter d’une situation révolutionnaire comme il ne s’en répète pas dans l’histoire, supportez-en maintenant les conséquences »

  • Mussolini déclarait ainsi ouvertement devant le Sénat le 9 juin 1923 que le fascisme était un mouvement « anti-socialiste, et par conséquent anti-ouvrier ».

  • Les syndicats, avec le système corporatiste du fascisme, se sont convertis en engrenage de l’appareil étatique bourgeois. Les contrats collectifs de travail, mis en place aussitôt après la proclamation de la fameuse Charte du Travail qui a provoqué l’admiration justifiée de la bourgeoisie et des réformistes de tous les pays, ont permis une réduction de 20% des salaires pour deux millions de travailleurs, baisse d’autant plus sensible qu’en Italie, même aux jours les plus fort du mouvement ouvrier, les salaires ont toujours été très inférieurs au minimum vital. De plus, un des premiers effets de la réforme corporatiste citée a été le licenciement de 51 000 cheminots et de 32 000 ouvriers d’autres catégories. Ajoutons à cela que la journée de travail de 9 heures est un phénomène habituel, que celle de 10 heures est tout à fait courante.

  • Pour compenser les lacunes du PSI (Partito Socialista Italiano) et de la CGL (Confederazione Generale del Lavoro- syndicat majoritaire), des militants de courants divers (anarcho-syndicalistes, socialistes de gauche, communistes, républicainEs) ont formé, dans l’été 1921, une milice populaire : les Arditi del Popolo 2 (AdP-Soldats du Peuple) pour combattre les fascistes.

    Bien que politiquement divers, les AdP étaient une organisation majoritairement ouvrière. Les travailleurs/euses été recrutés dans les usines, les fermes, les chemins de fer, les chantiers navals, chantiers de construction, les ports et les transports publics. Certaines parties de la classe moyenne se sont également impliquées comme des étudiants, des employés de bureau...

    Structurellement, l’AdP était calquée sur l’organisation militaire avec des bataillons, compagnies et des escadrons. Un escadron était composé de 10 membres et un chef de groupe. Quatre escadrons constituaient une compagnie avec un commandant et trois compagnies constituaient un bataillon avec son commandant. Des escadrons à vélo ont été créés pour maintenir les liens entre le commandement général et la main-d’oeuvre dans son ensemble.

    Malgré cette structure hiérarchisée, l’AdP demeure flexible et peut réagir rapidement aux menaces fascistes. Le comportement de l’AdP était dicté par les groupes politiques influents localement bien que la plupart des sections disposaient d’une autonomie virtuelle sur leurs actions.

    Ces sections ont rapidement été mises en place dans toutes les régions du pays, soit en tant que nouveauté, ou dans le cadre de groupes déjà existants comme le PCI (Partido Comunista d’Italia), les paramilitaires Arditi Rossi (les soldats rouges) à Trieste, les Figli di Nessuno (Les fils de Personne) à Gènes et Vercelli ou encore la Lega Proletaria (ligue prolétarienne-liée au PSI).Dans l’ensemble, au moins 144 sections ont été mises en place par la fin de l’été 1921, avec un total d’environ 20.000 membres. Les principales sections sont les sections du Lazio avec environ 3.300 membres, suivie de la Toscane, 18 sections, avec un total de 3.000 membres.

    L’AdP construit rapidement sa propre identité culturelle, les différentes sections affichant fièrement leurs propres logos et images de la guerre facilement reconnaissables grâce à un crâne entouré d’une couronne de laurier avec un poignard entre ses dents, et la devise "A Noi" (pour nous). Le logo du commandement était un poignard entouré d’une couronne de laurier et de chêne. Ceux et celles de Civitavecchia n’ont pas laissé beaucoup de place à l’imagination pour leur bannière (une hache brisant le symbole fasciste faisceau).

    Refusant l’uniforme, la plupart des membres de l’AdP portaient un pull noir, un pantalon gris foncé et une fleur rouge à la boutonnière. Leurs chansons étaient directes et belliqueuses comme leurs caractères :

  • Après l’affaire Matteoti en 1924, Mussolini instaure un régime dictatorial. Secrétaire général du Parti socialiste unitaire, Giacomo Matteotti avait dénoncé les élections truquées d’avril 1924. En juin, un groupe de squadristi l’assassine, provoquant la Sécession aventiniana, nombreux députés de l’opposition refusant de siéger au Parlement. Le 3 janvier 1925, Mussolini déclare assumer « personnellement la responsabilité politique, morale et historique » des actes des squadristi, allant jusqu’à dire : « Si le fascisme a été une association de criminels, je suis le chef de cette association de criminels ! ».

    Pour couper court à toute agitation, Mussolini instaure un régime d’exception : les lois fascistissimes (1926) ; les autres partis politiques sont interdits, leurs députés sont déchus, la presse est censurée, une police secrète, l’OVRA (Organisation de vigilance et répression de l’antifascisme), est instaurée, ainsi qu’un fichier de suspects politiques et un Tribunal spécial pour la sécurité de l’État. La loi du 4 février 1926 suspend les organes démocratiques des communes et toutes les fonctions occupées par le maire, les commissions et le conseil municipal sont transférées à un podestat nommé par décret royal pour cinq ans et révocable à n’importe quel moment.

  • Il 3 gennaio 1925 alla Camera Mussolini recitò il famoso discorso in cui si assunse ogni responsabilità per i fatti avvenuti :

    « Dichiaro qui, al cospetto di questa Assemblea e al cospetto di tutto il popolo italiano, che io assumo, io solo, la responsabilità politica, morale, storica di tutto quanto è avvenuto. Se le frasi più o meno storpiate bastano per impiccare un uomo, fuori il palo e fuori la corda ! Se il fascismo non è stato che olio di ricino e manganello, e non invece una passione superba della migliore gioventù italiana, a me la colpa ! Se il fascismo è stato un’associazione a delinquere, io sono il capo di questa associazione a delinquere ! Se tutte le violenze sono state il risultato di un determinato clima storico, politico e morale, ebbene a me la responsabilità di questo, perché questo clima storico, politico e morale io l’ho creato con una propaganda che va dall’intervento ad oggi. »

  • Le refus du Parti Communiste Italien d’une politique face au fascisme se retrouve dans son programme de Rome de janvier 1922, à la veille de la venue au pouvoir du fascisme : le mot fascisme n’est même pas cité !

    Lire ici ce programme

  • On peut lire le rapport de Bordiga sur le fascisme pour le congrès de l’Internationale communiste en 1921 : Ici

    Il donne des avis sur la valeur d’ l’idéologie fasciste.

    Mais comment le prolétariat doit se défendre contre ce danger ?

    Aucune réponse !

  • Bordiga dans son intervention au cinquième congrès de l’IC : voir ici

    « la nouvelle situation créée par le fascisme n’a rien changé au cours des choses. »

     !!!!!!!

  • Dans ce rapport de 1924, Bordiga écrit :

    « Quelle est la situation du gouvernement de Mussolini actuellement et quelles sont les perspectives ? Une défaite a été essuyée par le fascisme, une défaite morale et politique dont le développement peut être intéressant. La situation peut changer plus vite que nous ne le croyions avant cette affaire. Il est évident que la position des fascistes sera beaucoup plus difficile à l’avenir et que la possibilité d’action antifasciste a été, en quelque sorte, transformée par les événements qui viennent de se dérouler.

    Le problème qui se pose pour les révolutionnaires est celui-ci : Comment devons-nous exploiter cette situation et quelle attitude prendre ? Le Parti doit souligner son rôle autonome. Il doit adopter le mot d’ordre de la liquidation de toutes les oppositions antifascistes et leur remplacement par une action ouverte et directe du mouvement communiste. »

    Défaite du fascisme en 1924 ?!

    Liquider les oppositions antifascistes et non pas en prendre la tête ?!

    Bordiga écrit aussi :

    « Quels sont les rapports entre le fascisme et le prolétariat ? Le fascisme, par définition, est un mouvement antisocialiste et par conséquent antiprolétarien. Il se présente du premier moment jusqu’au dernier, comme le destructeur des conquêtes même les plus insignifiantes de la classe ouvrière. Mais quand même, le fascisme n’est pas l’ancienne réaction d’extrême-droite avec son état de siège, avec la terreur, avec ses lois d’exception, avec la prohibition officielle des organisations rouges et révolutionnaires. C’est un mouvement plus moderne et plus rusé qui, en même temps, cherche à travailler les masses du prolétariat, et adopte sans hésiter le principe de l’organisation syndicale. Il cherche à former des organisations économiques de travailleurs.

    Il faut noter que c’est là un argument très fort contre le syndicalisme et même contre le syndicalisme révolutionnaire, qui prétend que l’arme la plus décisive pour la lutte du prolétariat est l’organisation économique. Les faits nous démontrent que cette arme peut très bien être exploitée dans un but contre-révolutionnaire.

    En somme le fascisme n’a fait que reprendre sous un nouveau jour l’ancienne plate-forme des partis bourgeois de gauche et des partis social-démocrates, c’est-à-dire la collaboration de classe. »

    Donc le fascisme, c’est de la collaboration de classe ?!!!!

    Bordiga n’est en rien une boussole pour comprendre et combattre le fascisme !

  • Un mouvement ouvrier réformiste prêt à toutes les compromissions avec la bourgeoisie et pourtant une bourgeoisie ayant objectivement besoin de détruire ce mouvement ouvrier, voilà bien une contradiction dialectique que Bordiga ne veut ni ne peut comprendre !

    La nécessité réelle d’un font unique ouvrier, s’adressant donc aussi à la majorité réformiste de la classe ouvrière, peut servir à la contre-révolution comme le comprend Bordiga mais elle peut aussi servir à une politique révolutionnaire, ce qu’il n’entend nullement.

    Quant à la nature de Mussolini, même contre-sens antidialectique : Mussolini se sert de la légalité autant que possible et parvient très légalement au pouvoir et cependant il se sert aussi autant que possible de l’action violente illégale, du parlementarisme comme de l’antiparlementarisme, du syndicalisme et de l’assassinat du syndicalisme. Les dirigeants révolutionnaires auraient dû être capables d’en faire autant du côté du prolétariat.

  • " Tant que les fascistes continueront à brûler les bourses du travail, tant que les fascistes assassineront les frères ovuriers, tant que continuera la guerre fratricide, les arditi ne pourront jamais rien avoir en commun avec eux. Un gouffre profond de sang et de charniers fumants sépare fascistes et arditi."

    C’est par ces mots que Argo Secondari justifie la fondation le 27 juin 1921 de l’Assiociazione degli Arditi del Popolo (ADP), issue de l’autonomisation d’une partie de la section romaine de l’ANAI se retrouvant sur des positions résolument révolutionnaires et antifascistes. Il précise dans un entretien : "que les mercenaires de la garde blanche sachent qu’est finie pour eux l’ère des saccages, des incendies et des expéditions punitives. Les Arditi del Popolo lancent aujourd’hui leur cri pour la défense armée des travailleurs et des bourses du travail. D’où qu’il vienne, tout acte d’abus contre les travailleurs et les subversifs sera considéré comme une provocation pour les Arditi del Popolo et la réponse sera implacable et immédiate". Les symboles de la nouvelle association antifasciste dérivent directement de l’esthétique ardito-futuriste : un crane coiffé d’une couronne de lauriers serrant entre ses dents un poignard. Le timbre directoire reprend quant à lui le glaive entouré de rameaux de laurier et de chêne.

    Le 6 juillet, soir une dizaine de jours après leur création, les Arditi del Popolo font leur première apparition publique lors d’une manifestation antifasciste à Rome. Ils défilent à 2000, armés, sous le commandement d’Argo Secondari aux côtés des syndicats révolutionnaires et organisations ouvrières.

    Cette démonstration de force a un écho rententissant dans tout le pays.

  • Bordiga :

    Le mouvement fasciste a apporté à son congrès [1] le bagage d’une puissante organisation, et tout en se proposant de déployer spectaculairement ses forces dans la capitale, il a également voulu jeter les bases de son idéologie et de son programme sous les yeux du public, ses dirigeants s’étant imaginés qu’ils avaient le devoir de donner à une organisation aussi développée la justification d’une doctrine et d’une politique "nouvelles".

    L’échec que le fascisme a essuyé avec la grève romaine n’est encore rien à côté de la faillite qui ressort des résultats du congrès en ce qui concerne cette dernière prétention. Il est évident que l’explication et, si l’on veut, la justification du fascisme ne se trouvent pas dans ces constructions programmatiques qui se veulent nouvelles, mais qui se réduisent à zéro aussi bien en tant qu’œuvre collective qu’en tant que tentative personnelle d’un chef : infailliblement destiné à la carrière d’"un homme politique" au sens le plus traditionnel du mot, celui-ci ne sera jamais un "maître". Futurisme de la politique, le fascisme ne s’est pas élevé d’un millimètre au-dessus de la médiocrité politique bourgeoise. Pourquoi ?

    Le Congrès, a-t-on dit, se réduit au discours de Mussolini. Or, ce discours est un avortement. Commençant par l’analyse des autres partis, il n’est pas parvenu à une synthèse qui aurait fait apparaître l’originalité du parti fasciste par rapport à tous les autres. S’il a réussi dans une certaine mesure à se caractériser par sa violente aversion contre le socialisme et le mouvement ouvrier, on n’a pas vu en quoi sa position est nouvelle par rapport aux idéologies des partis bourgeois traditionnels.

    La tentative d’exposer l’idéologie fasciste en appliquant une critique destructrice aux vieux schémas sous forme de brillants paradoxes s’est réduite à une série d’affirmations qui n’étaient ni nouvelles en elles-mêmes, ni reliées par un lien quelconque les unes aux autres dans la synthèse nouvelle qui en était faite, mais ressassaient sans aucune efficacité des arguments de polémique politique écoulés et mis à toutes les sauces par la manie de nouveauté qui tourmente les politiciens de la bourgeoisie décadente d’aujourd’hui. Nous avons ainsi assisté non point à la révélation solennelle d’une nouvelle vérité (et ce qui vaut pour le discours de Mussolini vaut également pour toute la littérature fasciste), mais à une revue de toute la flore bactérienne qui prospère sur la culture et l’idéologie bourgeoises de notre époque de crise suprême, et à des variations sur des formules volées au syndicalisme, à l’anarchisme, aux restes de la métaphysique spiritualiste et religieuse, bref à tout, sauf, heureusement, à notre horripilant et brutal marxisme bolchevique.

    Quelle conclusion tirer du mélange informe d’anti-cléricalisme franc-maçon et de religiosité militante, de libéralisme économique et d’anti-libéralisme politique, grâce auquel le fascisme tente de se distinguer à la fois du programme du parti populaire et du collectivisme communiste ? Quel sens et a-t-il à affirmer qu’on partage avec le communisme la notion anti-démocratique de dictature, quand on ne conçoit cette dictature que comme la contrainte de la "libre" économie sur le prolétariat et qu’on déclare cette "libre" économie plus que jamais nécessaire ? Quel sens et a-t-il à vanter la république du moment qu on fait miroiter la perspective d’un régime pré-parlementaire et dictatorial, et par conséquent ultra-dynastique ? Quel sens et a-t-il enfin à opposer à la doctrine du parti libéral celle de la droite historique qui fut plus sérieusement et intimement libérale que ledit parti, à la fois en théorie et en pratique ? Si l’orateur avait tiré de toutes ces énonciations une conclusion qui les eût harmonieusement ordonnées, leurs contradictions n’auraient pas disparu, mais elles auraient du moins prêté à l’ensemble cette force propre aux paradoxes dont toute nouvelle idéologie se pare. Mais comme dans ce cas la synthèse finale manque, il ne reste plus qu’un fatras de vieilles histoires et le bilan est un bilan de faillite.

    Le point délicat était de définir la position du fascisme face aux partis bourgeois du centre. On pouvait tant bien que mal se présenter comme adversaire du parti socialiste et du parti populaire ; mais la négation du parti libéral et la nécessité de s’en débarrasser et, dans un certain sens, de se substituer à lui, n’ont pas été théorisées de façon tant soit peu décente ni traduites dans un programme de parti. Nous ne voulons pas affirmer par là, précisons-le tout de suite, que le fascisme ne peut pas être un parti : il en sera un, conciliant parfaitement ses aversions extravagantes contre la monarchie, en même temps que contre la démocratie parlementaire et contre le... socialisme d’Etat. Nous constatons simplement que le mouvement fasciste dispose d’une organisation bien réelle et solide qui peut être aussi bien politique et électorale que militaire, mais qu’il manque d’une idéologie et d’un programme propres. Le Congrès et le discours de Mussolini, qui a pourtant fait le maximum pour définir son mouvement, prouvent que le fascisme est impuissant à se définir lui-même. C’est un fait sur lequel nous reviendrons dans notre analyse critique et qui prouve la supériorité du marxisme qui, lui, est parfaitement capable de définir le fascisme

    Le terme "idéologie" est un peu métaphysique, mais nous l’emploierons pour désigner le bagage programmatique d’un mouvement, la conscience qu’il a des buts qu’il doit successivement atteindre par son action. Cela implique naturellement une méthode d’interprétation et une conception des faits de la vie sociale et de l’histoire. A l’époque actuelle, justement parce qu’elle est une classe en déclin, la bourgeoisie a une idéologie dédoublée. Les programmes qu’elle affiche à l’extérieur ne correspondent pas à la conscience intérieure qu’elle a de ses intérêts et de l’action à mener pour les protéger. Lorsque la bourgeoisie était encore une classe révolutionnaire, l’idéologie sociale et politique qui lui était propre, ce libéralisme que le fascisme se dit appelé à supplanter, avait toute sa vigueur. La bourgeoisie "croyait" et "voulait" selon les tables du programme libéral ou démocratique : son intérêt vital consistait à libérer son système économique des entraves que l’ancien régime mettait à son développement. Elle était convaincue que la réalisation d’un maximum de liberté politique et la concession de tous les droits possibles et imaginables à tous les citoyens jusqu’au dernier coïncidaient non seulement avec l’universalité humanitaire de sa philosophie, mais avec le développement maximum de la vie économique.

    En fait, le libéralisme bourgeois ne fut pas seulement une excellente arme politique au moyen de laquelle l’Etat abolit l’économie féodale et les privilèges des deux premiers "états", le clergé et la noblesse. Il fut aussi un moyen non négligeable pour l’Etat parlementaire de remplir sa fonction de classe non seulement contre les forces du passé et leur restauration, mais aussi contre le "quart état" et les attaques du mouvement prolétarien. Dans la première phase de son histoire, la bourgeoisie n’avait pas encore conscience de cette seconde fonction de la démocratie, c’est-à-dire du fait qu’elle était condamnée à se transformer de facteur révolutionnaire en facteur de conservation à mesure que l’ennemi principal cesserait davantage d’être l’ancien régime pour devenir le prolétariat. La droite historique italienne, par exemple, n’en avait pas conscience. Les idéologues libéraux ne se contentaient pas de dire que la méthode démocratique de formation de l’appareil d’Etat était dans l’intérêt de tout "le peuple" et assurait une égalité des droits à tous les membres de la société : ils le "croyaient". Ils ne comprenaient pas encore que, pour sauver les institutions bourgeoises dont ils étaient les représentants, il pût être nécessaire d’abolir les garanties libérales inscrites dans la doctrine politique et dans les constitutions de la bourgeoisie. Pour eux, l’ennemi de l’Etat ne pouvait qu’être l’ennemi de tous, un délinquant capable de violer le contrat social.

    Par la suite, il devint évident pour la classe dominante que le régime démocratique pouvait servir également contre le prolétariat et qu’il était une excellente soupape de sécurité au mécontentement économique de ce dernier ; la conviction que le mécanisme libéral servait magnifiquement ses intérêts s’enracina donc de plus en plus dans la conscience de la bourgeoisie. Elle ne le considéra plus dès lors que comme un moyen et non plus comme une fin abstraite, et elle se rendit compte que l’usage de ce moyen n’est pas incompatible avec la fonction intégratrice de l’Etat bourgeois, ni avec sa fonction de répression même violente contre le mouvement prolétarien. Mais un Etat libéral, qui pour se défendre doit abolir les garanties de la liberté, apporte la preuve historique de la fausseté de la doctrine libérale elle-même en tant qu’interprétation de la mission historique de la bourgeoisie et de la nature de son appareil de gouvernement. Ses véritables fins apparaissent au contraire clairement : défendre les intérêts du capitalisme par tous les moyens, c’est-à-dire aussi bien par les diversions politiques de la démocratie que par les répressions armées, quand les premières ne suffisent plus à freiner les mouvements menaçant l’Etat lui-même.

    Cette doctrine n’est cependant pas une doctrine "révolutionnaire" de la fonction de l’Etat bourgeois et libéral. Pour mieux dire, ce qui est révolutionnaire, c’est de la formuler, et c’est pourquoi dans la phase historique actuelle, la bourgeoisie doit la mettre en pratique et la nier en théorie. Pour que l’Etat bourgeois remplisse sa fonction répressive qui est tout naturellement la sienne, il faut que les prétendues vérités de la doctrine libérale aient été implicitement reconnues comme fausses, mais il n’est pas du tout nécessaire de retourner en arrière et de réviser la constitution de l’appareil d’Etat. Ainsi la bourgeoisie n’a pas à se repentir d’avoir été libérale ni à abjurer le libéralisme : c’est par un développement en quelque sorte "biologique" que son organe de domination a été armé et préparé à défendre la cause de la "liberté" au moyen des prisons et des mitrailleuses.

    Tant qu’il énonce des programmes et reste sur le terrain politique, un mouvement bourgeois ne peut reconnaître carrément cette nécessité de la classe dominante de se défendre par tous les moyens, et compris ceux qui sont théoriquement exclus par la constitution. Ce serait une fausse manœuvre du point de vue de la conservation bourgeoise. D’autre part, il est indiscutable que les quatre-vingt dix-neuf pour cent de la classe dominante sentent combien il serait faux, de ce même point de vue, de répudier jusqu’à la forme de la démocratie parlementaire et de réclamer une modification de l’appareil d’Etat, aussi bien dans un sens aristocratique qu’autocratique. De même qu’aucun Etat pré-napoléonien n’était aussi bien organisé que les Etats démocratiques modernes pour les horreurs de la guerre (et pas seulement du point de vue des moyens techniques), aucun ne serait non plus arrivé à leur cheville pour la répression intérieure et la défense de son existence. Il est alors logique que dans la période actuelle de répression contre le mouvement révolutionnaire du prolétariat, la participation des citoyens appartenant à la classe bourgeoise (ou à sa clientèle) à la vie politique revête des aspects nouveaux. Les partis constitutionnels organisés de façon à faire sortir des consultations électorales du peuple une réponse favorable au régime capitaliste signée de la majorité ne suffisent plus. Il faut que la classe sur laquelle l’Etat repose assiste celui-ci dans ses fonctions selon les exigences nouvelles. Le mouvement politique conservateur et contre-révolutionnaire doit s’organiser militairement et remplir une fonction militaire en prévision de la guerre civile.

    Il convient à l’Etat que cette organisation se constitue "dans le pays", dans la masse des citoyens parce qu’alors la fonction de répression se concilie mieux avec la défense désespérée de l’illusion qui veut que l’Etat soit le père de tous les citoyens, de tous les partis et de toutes les classes. Du fait que la méthode révolutionnaire gagne du terrain dans la classe ouvrière, qu’elle la prépare à une lutte et un encadrement militaires et que l’espoir d’une émancipation par les voies légales, c’est-à-dire permises par l’Etat, diminue dans les masses, le Parti de l’ordre est contraint de s’organiser et de s’armer pour se défendre. A côté de l’Etat, mais en butte à ses protestations bien logiques, ce parti va "plus vite" que le prolétariat à s’armer, il s’arme mieux aussi et il prend l’offensive contre certaines positions occupées par son ennemi et que le régime libéral avaient tolérées : mais il ne faut pas prendre ce phénomène pour la naissance d’un parti adversaire de l’Etat dans ce sens qu’il voudrait s’en emparer pour lui donner des formes pré-libérales !

    Telle est pour nous l’explication de la naissance du fascisme. Le fascisme intègre le libéralisme bourgeois au lieu de le détruire. Grâce à son organisation dont il entoure la machine d’Etat officielle, il réalise la double fonction défensive dont la bourgeoisie a besoin.

    Si la pression révolutionnaire du prolétariat s’accentue, la bourgeoisie tendra probablement à intensifier au maximum ces deux fonctions défensives qui ne sont pas incompatibles, mais parallèles. Elle affichera la politique démocratique et même social-démocrate la plus audacieuse, tout en lâchant les groupes d’assaut de la contre-révolution sur le prolétariat pour le terroriser. Mais c’est là un autre aspect de la question qui sert seulement à montrer combien l’anti-thèse entre fascisme et démocratie parlementaire est dépourvue de sens, comme l’activité électorale du fascisme suffit d’ailleurs à le prouver.

    Il n’est pas nécessaire d’être un aigle pour devenir un parti électoral et parlementaire. Il n’est pas non plus nécessaire de résoudre le difficile problème d’un programme "nouveau". Jamais le fascisme ne pourra formuler sa raison d’être dans des tables programmatiques, ni s’en former une conscience exacte, puisqu’il est lui-même le produit du dédoublement du programme et de la conscience de toute une classe et puisque, s’il devait parler au nom d’une doctrine, il devrait rentrer dans le cadre historique du libéralisme traditionnel qui lui a confié la charge de violer sa doctrine "à usage externe" tout en se réservant celle de la prêcher comme par le passé.

    Le fascisme n’a donc pas su se définir lui-même au congrès de Rome et jamais il n’apprendra à le faire (sans pour cela renoncer à vivre et à exercer sa fonction) puisque le secret de sa constitution se résume dans la formule : l’organisation est tout, l’idéologie n’est rien, qui répond dialectiquement à la formule libérale : l’idéologie est tout, l’organisation n’est rien.

    Après avoir sommairement démontré que la séparation entre doctrine et organisation caractérise les partis d’une classe décadente, il serait très intéressant de prouver que la synthèse de la théorie et de l’action est le propre des mouvements révolutionnaires montants, proposition corollaire qui répond à un critère rigoureusement réaliste et historique. Ce qui, si on fait acte d’espoir, conduit à cette conclusion que quand on connaît l’adversaire et les raisons de sa force mieux qu’il ne se connaît lui-même, et que l’on tire sa propre force d’une conscience claire des buts à atteindre, on ne peut pas ne pas vaincre !

  • La Gauche Italienne des années 20 face à la montée du fascisme

    Dès que la vague révolutionnaire marque le pas et s’engage dans une dynamique de reflux, au début des années 20, on assiste alors à la montée en puissance de mouvements fascistes, en Italie en particulier.
    C’est à cette partie de la gauche de l’Internationale, majoritaire au sein du parti italien et dont le chef de file est Bordiga, qu’il revient de faire une contribution fondamentale quant à l’analyse de ce phénomène nouveau et à ses implications pour le prolétariat et pour les orientations politiques de l’avant garde révolutionnaire.

    Le fascisme n’est pas une réaction des couches féodales

    L’analyse de Bordiga s’inscrit dans la caractérisation générale faite par l’Internationale communiste de la période ouverte par la guerre de 14, celle de la décadence du capitalisme, et de l’irruption de la première vague révolutionnaire. C’est dans ce cadre qu’il dénonce les idéologies "nouvelles", dont le fascisme, que secrète la société : "A l’époque de sa décadence, la bourgeoisie est devenue incapable de se tracer une voie (c’est-à-dire non seulement un schéma de l’histoire, mais aussi un ensemble de formules d’actions) ; c’est pourquoi pour fermer la voie que d’autres classes se proposent d’emprunter dans leur agressivité révolutionnaire, elle ne trouve rien de mieux que de recourir au scepticisme universel, philosophie caractéristique des époques de décadence" (Communisme et fascisme ; Editions Programme communiste ; Rapport de A. Bordiga sur le fascisme au IVe congrès de l’Internationale communiste 2e séance - 16 novembre 1922 ; p 58)[1].

    Bordiga montre que le fascisme est la forme nécessaire de domination de la société dont se dote la bourgeoisie pour faire face aux tendances à l’éclatement qui la traversent : "Le fascisme, qui ne pourra jamais surmonter l’anarchie économique du système capitaliste, a une autre tâche historique que nous pourrions définir comme la lutte contre l’anarchie politique, c’est-à-dire l’anarchie de l’organisation de la classe bourgeoise en parti politique. Les différentes couches de la bourgeoisie italienne ont traditionnellement formé des groupes solidement organisés qui se combattaient à tour de rôle du fait que leurs intérêts particuliers et locaux étaient concurrents, et qui, sous la direction de politiciens professionnels se livraient à toutes sortes de manœuvres dans les couloirs du parlement. L’offensive contre-révolutionnaire obligea les membres de la classe dominante à s’unir dans la lutte sociale et dans la politique gouvernementale. Le fascisme n’est que la réalisation de cette nécessité de classe. En se plaçant au-dessus de tous les partis bourgeois traditionnels, le fascisme les prive peu à peu de leur contenu, les remplace dans leurs activités et, grâce aux erreurs et aux insuccès du mouvement prolétarien, réussit à exploiter à ses propres fins le pouvoir politique et le matériel humain des classes moyennes." (Ibid p 92).

    Comme on le voit, Bordiga se sépare nettement des interprétations qui vont devenir majoritaires au sein de l’IC selon lesquelles le fascisme est une réaction des couches féodales. Il s’y oppose même nettement : "La genèse du fascisme doit, selon nous, être attribuée à trois principaux facteurs : l’Etat, la grande bourgeoisie et les classes moyennes. Le premier de ces facteurs est l’Etat. En Italie l’appareil d’Etat a joué un rôle important dans la fondation du fascisme. Certes, les crises successives du gouvernement bourgeois ont fait naître l’idée que la bourgeoisie avait un appareil d’Etat tellement instable qu’il suffirait d’un coup de main pour l’abattre, mais il n’en est rien. Au contraire, c’est précisément dans la mesure où son appareil d’Etat se renforçait que la bourgeoisie a pu construire son organisation fasciste" (Ibid. p. 88). Il poursuit ainsi : "Le premier facteur est donc l’Etat. Le second est, comme nous l’avons déjà noté plus haut, la grande bourgeoisie. Les capitalistes de l’industrie, des banques, du commerce et les grands propriétaires terriens avaient un intérêt naturel à la fondation d’une organisation de combat capable d’appuyer leur offensive contre les travailleurs. Mais le troisième facteur ne joue pas un rôle moins important dans la genèse du pouvoir fasciste. Pour créer à côté de l’Etat une organisation réactionnaire illégale, il fallait enrôler encore d’autres éléments que ceux des couches supérieures de la classe dominante" (Ibid. p. 91)[2].
    La social-démocratie fait le lit du fascisme

    Une telle analyse, parfaitement lucide quant au rôle historique du fascisme, est inséparable de la compréhension, d’une part, du rôle que les partis de gauche définitivement passés au service de la bourgeoisie sont spécifiquement amenés à jouer contre le développement de la lutte de classe et, d’autre part, de la fonction de la démocratie au service de la conservation de l’ordre capitaliste. Sur ces deux questions également, Bordiga est à contre courant d’une tendance dominante au sein de l’IC. Pour lui, ce sont les partis de gauche traîtres à la classe ouvrière, et non le fascisme, qui sont utilisés comme fer de lance de l’offensive anti-ouvrière. Bordiga montre clairement, en deux circonstances, comment la bourgeoisie fait en premier lieu appel à ceux-ci, et non pas essentiellement au fascisme.

    Au sortir de la première guerre mondiale : "Il est exact qu’immédiatement après la guerre, l’appareil d’Etat a traversé une crise dont la cause fut manifestement la démobilisation. Tous les éléments qui avaient jusque là participé à la guerre furent brusquement jetés sur le marché du travail ; à ce moment critique, l’appareil d’Etat qui, jusque là, avait tout mis en œuvre pour remporter la victoire sur l’ennemi extérieur dut se transformer en un organe de la défense contre la révolution. Cela posait à la bourgeoisie un problème gigantesque. Elle ne pouvait pas le résoudre militairement par une lutte ouverte contre le prolétariat. Elle devait donc le résoudre par des moyens politiques. C’est à cette époque que se forment les premiers gouvernements de gauche de l’après guerre, à cette époque que le courant politique de Nitti et Giolitti accède au pouvoir. (...) Ce fut Nitti qui créa la Garde Royale, qui n’était pas à proprement parler une police, mais bien une organisation militaire de type nouveau". (Ibid. p. 88) ;

    Lors du mouvement d’occupation des usines en 1921 : "L’Etat comprit qu’une attaque frontale de sa part aurait été maladroite, que la manœuvre réformiste était une fois de plus tout indiquée et qu’on pouvait encore faire un semblant de concession. Avec le projet de loi sur le contrôle ouvrier, Giolitti obtint des chefs ouvriers qu’ils fassent évacuer les usines" (p. 79). Bordiga explicite alors en quoi le fascisme ne peut être utilisé frontalement pour battre la classe ouvrière : "Dans les grandes villes, il ne fut pas tout de suite possible de recourir à des méthodes violentes contre la classe ouvrière. Les ouvriers urbains constituaient une masse trop considérable pour cela. Il était relativement facile de les assembler et ils pouvaient donc opposer à l’attaque une résistance sérieuse. La bourgeoisie préféra donc imposer au prolétariat des luttes à caractère essentiellement syndical, dont les résultats lui furent généralement défavorables du fait de l’acuité de la crise et de l’augmentation continue du chômage." (Ibid. p. 84).

    Le mouvement des occupations de 1921 ayant été défait, il s’ensuit dans la classe ouvrière en Italie une désorientation facilitant le travail de répression de l’Etat à son encontre. C’est alors, mais dans un deuxième temps, que les bandes fascistes coordonnées par l’Etat, entrent en lice en participant de plus en plus activement et massivement à la répression.
    Le fascisme est une nécessité du capital face à l’ensemble de la société

    Contrairement à une interprétation, développée par la gauche du capital dans les années 30 et encore véhiculée aujourd’hui, attribuant au fascisme le rôle spécifique d’affaiblir et museler le mouvement ouvrier en s’attaquant à ses prétendus acquis démocratiques au sein de la société, Bordiga est parfaitement clair sur le fait que le fascisme s’impose comme nécessité de la bourgeoisie face à l’ensemble de la société : "Les mesures gouvernementales du fascisme montrent qu’il est au service de la grande bourgeoisie, du capital industriel, financier et commercial et que son pouvoir est dirigé contre les intérêts de toutes les autres classes" (Ibid p. 121). Lorsqu’il accède au pouvoir en Italie en 1922, le fascisme doit aussi faire face à toutes les tendances centrifuges au sein de la société, mais aussi à la classe ouvrière qui, à ce moment, bien que très affaiblie, n’est pas encore totalement battue, ni écrasée comme elle le sera dans les années 30. C’est pour cela qu’il doit maintenir les mystifications démocratiques : "Le fascisme n’est pas une tendance de la droite bourgeoise s’appuyant sur l’aristocratie, le clergé, les hauts fonctionnaires civils et militaires et visant à remplacer la démocratie du gouvernement bourgeois et de la monarchie constitutionnelle par une monarchie autoritaire. Le fascisme incarne la lutte contre-révolutionnaire de tous les éléments bourgeois unis ; c’est pourquoi il ne lui est nullement nécessaire et indispensable de remplacer les institutions démocratiques par d’autres. Pour nous, marxistes, cette circonstance n’a rien de paradoxal, parce que nous savons que le système démocratique ne représente rien de plus qu’une somme de garanties mensongères derrière laquelle se dissimule la lutte réelle de la classe dominante contre le prolétariat." (Ibid. p. 93). De ce fait, rien n’indique, dans les circonstances de l’époque, que le fascisme sera amené ultérieurement à se débarrasser de la démocratie : "Les premières mesures du gouvernement montrent qu’il n’entend pas modifier la base des institutions traditionnelles. Naturellement je ne prétends pas que la situation soit favorable au mouvement prolétarien et communiste bien que je prévoie que le fascisme sera libéral et démocratique." (Ibid. p. 99). En fait le fascisme du début des années 20 n’est que l’embryon d’une tendance qui ne pourra être achevée, sous sa forme dictatoriale, que dans les années 30 en Allemagne et en Italie, après que le prolétariat ait été laminé.
    Contre le front unique avec la social-démocratie
    C’est grâce à son intransigeance vis-à-vis de toutes les fractions de la bourgeoisie que Bordiga et la gauche n’ont pas été entraînés dans la voie de l’opportunisme qu’empruntait la troisième internationale avec la tactique de Front Uni et qui s’est révélée catastrophique pour le mouvement ouvrier. Cette solidité des principes et clarté des analyses les a rendus capables d’adresser une mise en garde, ô combien clairvoyante comme on peut en juger avec le recul dont nous disposons aujourd’hui, contre la tentation opportuniste de fronts antifascistes : "Nous savons que le capital international ne peut que se réjouir des entreprises du fascisme en Italie, et de la terreur qu’il y exerce sur les ouvriers et les paysans. Pour la lutte contre le fascisme, nous ne pouvons compter que sur l’internationale prolétarienne révolutionnaire. Il s’agit d’une question de lutte de classe. Nous n’avons pas à nous tourner vers les partis démocratiques des autres pays, vers des associations d’imbéciles et d’hypocrites comme la Ligue des Droits de l’Homme, car nous ne voulons pas faire naître l’illusion que ces partis et courants représentent quelque chose de substantiellement différent du fascisme, ou que la bourgeoisie des autres pays n’est pas en mesure d’infliger à sa classe ouvrière les mêmes persécutions et les mêmes atrocités que le fascisme en Italie." (Rapport de A. Bordiga sur le fascisme au Ve congrès de l’Internationale communiste 23e séance - 2 juillet 1924 ; p. 144).

    [1] Il faut noter que ce passage tend à montrer que, au contraire de ses théorisations ultérieures et des positions programmatiques de ses épigones bordiguistes, Bordiga ne rejette pas, au moment de la vague révolutionnaire, l’idée que le capitalisme soit entré dans sa phase de décadence.

    [2] Parmi tous ceux qui défendaient une analyse du fascisme comme expression d’un mouvement réactionnaire, il y avait aussi Gramcsi pour qui le fascisme était une émanation des couches paysannes arriérées du sud de l’Italie. La réalité confirmera la validité de l’analyse de Bordiga en particulier à travers ceci que, le fascisme, autant que la démocratie, sera capable de développer les forces productives.

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