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Ce que disait Bordiga du fascisme

lundi 22 juillet 2013, par Robert Paris

Ce que disait Bordiga du fascisme

Avertissement : le point de vue de Bordiga sur le fascisme n’est pas le nôtre.

Le fascisme

Le programme fasciste

Thèses sur la tactique du Parti communiste d’Italie

Rapport au quatrième congrès de l´Internationale Communiste

Sur le cadavre de la démocratie

Intervention au 5e congrès
de l’Internationale communiste

Ce qu’en dit le courant bordiguiste

D’autres lectures sur Bordiga

Le contexte historique

Writings of Bordiga

Archivio Bordiga

La discussione sulla tattica

La réponse de Trotsky

Comment combattre le fascisme selon Trotsky

Pour les sectaires qui verraient dans Trotsky un ennemi de Bordiga, la dernière lettre de Trotsky à Amadeo Bordiga et à son groupe dans laquelle il écrit : « Je connais suffisamment le camarade Bordiga et je l’ai en assez haute estime pour comprendre le rôle exceptionnel qu’il joue dans la vie de votre groupe. » tout en ne ménageant pas ses critiques politiques sur les orientations selon la critique fraternelle classique entre révolutionnaires communistes.

Ce que ne disait pas Bordiga :

Le point de vue de Matière et révolution sur la politique de Bordiga face au fascisme italien

C’est la trahison de la révolution prolétarienne en Italie qui a ouvert la voie au fascisme

Italie 1919-1920 : la révolution abandonnée à elle-même, battue, puis oubliée…

Messages

  • « Le fascisme n’a donc pas su se définir lui-même au congrès de Rome et jamais il n’apprendra à le faire (sans pour cela renoncer à vivre et à exercer sa fonction) puisque le secret de sa constitution se résume dans la formule : l’organisation est tout, l’idéologie n’est rien, qui répond dialectiquement à la formule libérale : l’idéologie est tout, l’organisation n’est rien.

    « Après avoir sommairement démontré que la séparation entre doctrine et organisation caractérise les partis d’une classe décadente, il serait très intéressant de prouver que la synthèse de la théorie et de l’action est le propre des mouvements révolutionnaires montants, proposition corollaire qui répond à un critère rigoureusement réaliste et historique. Ce qui, si on fait acte d’espoir, conduit à cette conclusion que quand on connaît l’adversaire et les raisons de sa force mieux qu’il ne se connaît lui-même, et que l’on tire sa propre force d’une conscience claire des buts à atteindre, on ne peut pas ne pas vaincre ! »

    C’est toute la difficulté de savoir définir le fascisme, puisque lui-même ne cherche pas à être conscient de lui-même au sens où il ne sait se définir lui-même.

    • Le fascisme ne risque pas de se définir puisqu’il est fondé sur un mensonge : une apparence populaire et populiste et une réalité directement reliée à l’infime minorité capitaliste qui cherche, en période de crise, à écraser la masse populaire en trompant la petite bourgeoisie et à lui faire croire à un renouveau de son rôle social et politique en la dressant contre le prolétariat...

  • Lettre aux communistes de gauche italiens (Aux partisans du cam. Bordiga)

    Constantinople, le 25 septembre 1929

    Chers camarades,

    J’ai pris connaissance de la brochure « Plateforme de gauche » que vous avez publiée en 1926, mais qui vient seulement de parvenir jusqu’à moi. De même, j’ai lu la lettre que vous m’adressez dans le N°20 de PROMETEO, ainsi que quelques articles-leaders du journal, ce qui m’a donné la possibilité de rafraîchir mes connaissances plus que modestes d’italien. Ces documents, de même que la lecture d’articles et de discours du camarade Bordiga, outre que je le connais personnellement, me permettent, dans une certaine mesure, de juger de vos idées essentielles et du degré de solidarité qui nous unit. Bien que pour répondre à cette dernière question , non seulement les thèses de principe mais aussi leur application politique aux événements du jour (le conflit sino-soviétique nous l’a rappelé de nouveau très nettement) soit d’une importance décisive, je crois, néanmoins, que notre solidarité, du moins dans les questions essentielles, va suffisamment loin. Si je ne m’exprime pas aujourd’hui d’une façon plus catégorique, c’est uniquement parce que je veux laisser au temps et aux événements la possibilité de vérifier notre contiguïté idéologique et notre compréhension mutuelle. J’espère qu’elles s’avèreront complètes et durables.

    La « plateforme de gauche » (1926) m’a produit une grande impression. Je crois qu’elle est un des meilleurs documents émanés de l’opposition internationale, et que sous beaucoup de rapports, elle garde aujourd’hui encore toute son importance. C’est une chose très importante, surtout pour la France, que la plateforme mette au premier plan de la politique révolutionnaire du prolétariat la question de la nature du parti, les principes essentiels de sa stratégie et de sa tactique. Dans ces dernières années nous avons vu en France comment, pour plusieurs révolutionnaires en vue, l’opposition a servi simplement d’étape dans l’évolution du marxisme au syndicalisme, au trade-unionisme ou tout bonnement au scepticisme. Presque tous ont trébuché sur la question du parti.

    Vous connaissez évidemment la brochure de Loriot où celui-ci fait preuve d’une incompréhension absolue de la nature du parti et de sa fonction historique sous le rapport de classe et glisse à la théorie de la passivité trade-unioniste qui n’a rien de commun avec les idées de la révolution prolétarienne. Malheureusement, sa brochure, qui représente une réaction très nette dans le mouvement ouvrier, est encore aujourd’hui l’objet de la propagande du groupe de la ‘Révolution Prolétarienne’. L’abaissement du niveau idéologique du mouvement révolutionnaire dans ces dernières cinq ou six années n’a pas été sans laisser de traces dans le groupe Monatte. Arrivé de 1917 à 1923 au seuil du marxisme et du bolchevisme, ce groupe a fait, depuis, plusieurs pas en arrière, dans le sens du syndicalisme. Mais ce n’est déjà plus le syndicalisme combatif du début du siècle, lequel constituait un pas en avant dans le mouvement ouvrier français. C’est un syndicalisme relativement expectant ( ?) passif et négatif qui verse la plupart du temps dans un trade-unionisme certain. Et ce n’est pas étonnant. Tout ce qu’il y avait dans le syndicalisme d’avant-guerre d’élément de progrès , s’est fondu dans le communisme. Le défaut principal de Monatte est l’attitude fausse qu’il adopte à l’égard du parti, et, en connexion avec cela, un fétichisme des syndicats pris comme une chose en soi, indépendamment de leurs idées directrices. Cependant, si les deux Confédérations générales du travail réalisaient aujourd’hui leur unité et si demain elles englobaient dans leurs rangs toute la classe ouvrière française, cela ne ferait pas un instant disparaître la question des idées directrices de la lutte syndicale, de ses méthodes, du lien qui relie les tâches particulières aux tâches générales, c’est-à-dire la question du parti.

    La Ligue syndicaliste que dirige Monatte est en elle-même un embryon de parti : elle groupe ses membres non sous le signe syndical, mais sous le signe idéologique, sur la base d’une certaine plateforme et cherche du dehors à agir sur les syndicats ou, si l’on veut, à les « assujettir » à son influence idéologique. Ce sont là des indices d’un parti. Mais la Ligue syndicaliste est un parti dont la constitution n’est pas achevée, qui n’est pas entièrement formé, qui n’a pas de théorie ni de programme clairs, qui n’a pas pris conscience de lui-même, qui cache sa nature et qui se prive ainsi de toute possibilité de développement.

    Souvarine, en luttant contre la bureaucratie et la déloyauté de l’appareil de l’Internationale Communiste, en est également venu à la négation de l’action politique du parti lui-même. Proclamant la mort de l’Internationale et de sa section française, Souvarine considère en même temps que l’existence de l’opposition est inutile attendu que, à l’en croire il n’y a pas, pour elle, les conditions politiques voulues. En d’autres termes, il nie la nécessité de l’existence du parti – toujours et sous quelques conditions que ce soit, en tant qu’expression des intérêts révolutionnaires du prolétariat. Telles sont les raisons pour lesquelles j’attache autant d’importance à la solidarité qui existe entre nous dans la question du parti, de son rôle historique, de la continuité de son action, de sa lutte obligatoire pour faire prévaloir son influence dans tous les aspects, quels qu’ils soient du mouvement ouvrier. Dans cette question, un bolchevique, c’est-à-dire un révolutionnaire marxiste passé par l’école de Lénine, ne peut faire de concessions.

    Pour plusieurs autres questions, la plateforme de 1926 donne d’excellentes définitions qui gardent encore aujourd’hui toute leur importance. C’est ainsi qu’elle déclare avec une netteté absolue que les partis paysans dits « autonomes » tombent fatalement sous l’influence de la contre-révolution (p.36). On peut dire hardiment que dans l’époque actuelle il n’y a pas et il ne peut y avoir d’exception à cette règle. Là où la paysannerie ne marche pas derrière le prolétariat, elle marche derrière la bourgeoisie contre le prolétariat. Malgré l’expérience de la Russie et de la Chine, Radek, Smilga et Préobrajensky ne l’ont pas compris jusqu’ici et c’est précisément sur cette question qu’ils ont trébuché : Votre plateforme accuse Radek de « concessions manifestes aux nationalistes allemands ». Il faudrait y ajouter maintenant des concessions tout à fait insoutenables aux nationalistes chinois, l’idéalisation du sun-yat-sénisme et la justification de l’entrée du parti communiste dans un parti bourgeois. Votre plateforme souligne avec juste raison (p.37) en connexion avec la lutte des peuples opprimés, la nécessité de l’indépendance absolue du parti communiste. L’oubli de cette règle essentielle aboutit aux conséquences les plus funestes, comme nous l’a montré l’expérience criminelle de la subordination du parti communiste chinois au Kuomintang.

    La politique funeste du Comité anglo-russe qui a bénéficié, cela va sans dire, de l’appui complet de la direction actuelle du parti communiste italien, est issue du désir de passer au plus vite au parti communiste anglais dans les gigantesques trade-unions et de s’y installer. Zinoviev exprima ouvertement cette idée au Ve congrès de l’Internationale. Staline, Boukharine, Tomsky nourrirent la même illusion. Qu’en est-il résulté. Ils ont renforcé les réformistes anglais et affaibli à l’extrême le parti communiste britannique. Voilà ce qu’il en coûte de jouer avec l’idée de parti ! Ce petit jeu ne reste jamais impuni.

    Dans la République soviétique, nous constatons une autre forme d’affaiblissement et de destruction du parti communiste : afin de la dépouiller de sa propre physionomie et de son indépendance, on le dilue, par des moyens artificiels, dans la grande masse terne terrorisée par l’appareil gouvernemental. C’est ce qui fait que l’opposition qui a rassemblé et éduqué de nouveaux cadres révolutionnaires se chiffrant par milliers, est, dans son rang, le parti bolchevique, tandis que la fraction Staline qui agit formellement au nom d’un parti de quinze cent mille membres et de Jeunesses communistes fortes de deux millions d’adhérents, sape et détruit en réalité le parti.

    Je constate avec plaisir en me basant sur votre lettre publiée dans Prometeo que vous êtes complètement solidaires avec l’opposition russe dans la question relative à la définition de la nature sociale de l’Etat soviétique. Dans cette question, les ultra-gauchistes (voir L’ouvrier communiste n°1) découvrent d’une façon particulièrement nette leur rupture avec le fondement du marxisme. Pour résoudre la question du caractère de classe d’un régime social, ils se bornent à la question de sa structure politique, tout en la ramenant, à son tour, au degré de bureaucratie de l’administration et ainsi de suite. Pour eux, la question de la propriété des moyens de production n’existe pas. Dans l’Amérique démocratique, de même que dans l’Italie fasciste on emprisonne, on fusille ou l’on attache sur la chaise électrique ceux qui sont accusés de préparer l’expropriation des usines, des fabriques et des mines appartenant aux capitalistes. Dans la République soviétique, même aujourd’hui – sous la bureaucratie stalinienne ! – on fusille les ingénieurs qui tentent de préparer la restitution des fabriques, des usines et des mines à leurs anciens propriétaires[1]. Comment peut-on ne pas voir cette différence fondamentale qui, en réalité, définit le caractère de classe d’un régime social ? Cependant, je ne m’arrêterai pas plus longuement sur cette question à laquelle est consacrée ma dernière brochure (La défense de la République soviétique et l’opposition), dirigée contre certains ultra-gauchistes français et allemands, qui, il est vrai, ne vont pas aussi loin que vos sectaires italiens, mais qui, à cause précisément de cela, peuvent être plus dangereux.

    Au sujet de Thermidor, vous faites des réserves quant à la justesse de l’analogie entre la Révolution russe et la Révolution française. Je crois que cette remarque repose sur un malentendu. Pour juger de la justesse ou de la fausseté d’une analogie historique, il faut en déterminer clairement la substance et les limites. Ne pas recourir aux analogies avec les révolutions des siècles passés, ce serait tout bonnement faire abandon de l’expérience historique de l’humanité. La journée d’aujourd’hui se distingue toujours de la journée d’hier. Néanmoins, on ne peut s’instruire à la journée d’hier autrement qu’en procédant par analogie.

    La remarquable brochure d’Engels sur la guerre paysanne est construite d’un bout à l’autre sur l’analogie entre la Réforme du XVIe siècle et la révolution de 1848. Pour forger la notion de la dictature du prolétariat, Marx a fait rougir son fer au feu de 1793. En 1909, Lénine a défini la social-démocratie comme un jacobin lié au mouvement ouvrier de masses. Je lui ai alors objecté d’une façon académique que le jacobinisme et le socialisme scientifique s’appuient sur des classes différentes et emploient des méthodes différentes. Considéré en soi, cela était évidemment juste. Mais Lénine non plus n’identifiait pas les plébéiens de Paris avec le prolétariat moderne et la théorie de Rousseau avec la théorie de Marx. Il ne prenait comme décisifs que les traits généraux des deux révolutions : les masses populaires les plus opprimées qui n’ont rien à perdre que leurs chaînes ; les organisations les plus révolutionnaires qui s’appuient sur ces masses et qui dans la lutte contre les forces de l’ancienne société instituent la dictature révolutionnaire. Cette analogie était-elle légitime ? Foncièrement. Historiquement, elle s’est avérée très féconde. Dans ces mêmes limites, l’analogie avec Thermidor est féconde et légitime. En quoi a consisté le trait distinctif du Thermidor français ? En ce que Thermidor a été la première étape de la contre révolution victorieuse. Après Thermidor, les jacobins ne pouvaient déjà plus (s’ils l’avaient pu d’une façon générale) reprendre le pouvoir que par l’insurrection. De sorte que l’étape de Themridor eût, dans un certain sens, un caractère décisif. Mais la contre-révolution n’était pas encore achevée, c’est-à-dire, les véritables maîtres de la situation ne s’étaient pas encore installés au pouvoir : pour cela, il fallut l’étape suivante : le 18 Brumaire. Enfin la victoire intégrale de la contre-révolution entraînant la restauration de la monarchie, l’indemnisation des propriétaires féodaux, etc… fut assurée grâce à l’intervention étrangère et à la victoire sur Napoléon.

    En Hongrie, après une courte période soviétique, la contre-révolution vainquit par les armes d’un seul coup et à fond. Peut-on en conclure pour l’URSS un danger de ce genre ? Bien sûr que non. Mais tout le monde reconnaîtra une contre-révolution ouverte. Elle ne nécessitera pas de commentaires. Quand nous parlons de Thermidor nous avons en vue une contre-révolution rampante qui se prépare sous le manteau et qui s’accomplit en plusieurs étapes. La première étape que nous appelons conditionnellement Thermidor signifierait le passage du pouvoir dans les mains des nouveaux possédants « soviétiques » des fractions masquées du parti dirigeant, comme il en fut chez les jacobins. Le pouvoir des nouveaux possédants, surtout des petits possédants, ne pourrait résister longtemps. Soit que la révolution revienne sous des conditions internationales favorables, à la dictature du prolétariat, ce qui nécessiterait forcément l’emploi de la force révolutionnaire, soit que s’achève la victoire de la grande bourgeoisie, du capital financier, peut-être même de la monarchie, ce qui nécessiterait une révolution supplémentaire, voire même peut-être deux.

    Telle est la substance de l’analogie avec Thermidor. Il va de soi que si l’on dépasse les limites permises par l’analogie, si l’on s’oriente d’après le mécanisme purement extérieur des événements, d’après des épisodes dramatiques, d’après le sort de certaines figures, on peut aisément s’égarer et égarer les autres. Mais si l’on prend le mécanisme des rapports de classe, l’analogie ne devient pas moins édifiante que, par exemple, l’analogie que fait Engels entre la Réforme et la révolution de 1848.

    Ces jours-ci, j’ai lu le n°1 du journal que j’ai déjà mentionné, L’Ouvrier communiste, publié, visiblement, par un groupe d’ultra-gauchistes italiens qui se sont détachés de votre organisation. S’il n’y avait pas d’autres symptômes ce numéro serait à lui seul une preuve suffisante que nous vivons dans une époque de décadence et de désarroi idéologique, qui se produisent toujours après les grandes défaites révolutionnaires. Le groupe qui publie ce journal semble s’être assigné le but de réunir en un tout, toutes les fautes du syndicalisme périmé, de l’esprit d’aventure, de la phrase de gauche, de sectarisme, de confusionnisme théorique, en donnant à tout cela un caractère d’insouciance d’étudiants et de querelles tracassières. Deux colonnes de cette publication suffisent à faire comprendre pourquoi ce groupe a dû rompre avec votre organisation en tant qu’organisation marxiste, bien qu’il soit assez amusant de voir comment ce groupe s’efforce de se couvrir de Marx et d’Engels.

    En ce qui concerne la direction officielle du parti italien, je n’ai eu la possibilité de l’observer qu’à l’Exécutif de l’Internationale, en la personne d’Ercoli. Doué d’un esprit relativement souple et d’une langue bien pendue, Ercoli convient on ne peut mieux pour les discours de procureur ou d’avocat sur un sujet de commande, et de façon générale pour exécuter les ordres. La casuistique stérile de ses discours, toujours tournée en définitive vers la défense de l’opportunisme, est l’opposé très net de la pensée révolutionnaire vivante, musclée, abondante d’Amédée Bordiga. A propos, n’est-ce pas Ercoli[2] qui tenta d’adapter à l’Italie l’idée de la « dictature démocratique du prolétariat et de la paysannerie » sous forme d’un mot d’ordre d’Assemblée Constituante italienne s’appuyant sur une « assemblée ouvrière-paysanne » ?

    Dans les questions de l’URSS, de la révolution chinoise, ou de la lutte contre le fascisme italien, Ercoli de même que les autres chefs de formation bureaucratique, adopta invariablement une position opportuniste pour ensuite, éventuellement la rectifier au moyen d’aventures ultra-gauchistes. Il semble, qu’actuellement, ce soit de nouveau la saison de celles-ci.

    Ayant ainsi, sur un flanc, des centristes de type Ercoli, et sur l’autre flanc, les confusionnistes ultra-gauchistes, vous êtes appelés, camarades, à défendre, dans les dures conditions de la dictature fasciste, les intérêts historiques du prolétariat italien et du prolétariat internationale. De tout cœur, je vous souhaite bonne chnace et succès.

    Votre L. Trotsky

  • Le fascisme allemand, comme le fascisme italien, s’est hissé au pouvoir sur le dos de la petite bourgeoisie, dont il s’est servi comme d’un bélier contre la classe ouvrière et les institutions de la démocratie. Mais le fascisme au pouvoir n’est rien moins que le gouvernement de la petite bourgeoisie. Au contraire, c’est la dictature la plus impitoyable du capital monopoliste. Mussolini a raison : les classes intermédiaires ne sont pas capables d’une politique indépendante. Dans les périodes de crise, elles sont appelées à poursuivre jusqu’à l’absurde la politique de l’une des deux classes fondamentales. Le fascisme a réussi à les mettre au service du capital. Des mots d’ordre comme l’étatisation des trusts et la suppression des revenus ne provenant pas du travail, ont été immédiatement jetés pardessus bord dès l’arrivée au pouvoir. Au contraire, le particularisme des " terres " allemandes, qui s’appuyait sur les particularités de la petite bourgeoisie, a fait place nette pour le centralisme policier capitaliste. Chaque succès de la politique intérieure et extérieure du national-fascisme marquera inévitablement la poursuite de l’étouffement du petit capital par le grand.

    Le programme des illusions petites bourgeoises n’est pas supprimé ; il se détache simplement de la réalité et se transforme en actions rituelles. L’union de toutes les classes se ramène à un demi-symbolisme de service de travail obligatoire et à la confiscation " au profit du peuple " de la fête ouvrière du premier mai. Le maintien de l’alphabet gothique contre l’alphabet latin est une revanche symbolique sur le joug du marché mondial. La dépendance à l’égard des banquiers internationaux, parmi lesquels des juifs, ne diminue pas d’un iota ; en revanche, il est interdit d’égorger les animaux selon le rituel du Talmud. Si l’enfer est pavé de bonnes intentions, les chaussées du Troisième Reich sont couvertes de symboles.

    Une fois le programme des illusions petites bourgeoises réduit à une pure et simple mascarade bureaucratique, le national-socialisme s’élève au-dessus de la nation, comme la forme la plus pure de l’impérialisme. L’espoir que le gouvernement de Hitler tombera, si ce n’est aujourd’hui, demain, victime de son inconsistance interne, est tout à fait vain. Un programme était nécessaire aux nazis pour arriver au pouvoir ; mais le pouvoir ne sert absolument pas à Hitler à remplir son programme. C’est le capital monopoliste qui lui fixe ses tâches. La concentration forcée de toutes les forces et moyens du peuple dans l’intérêt de l’impérialisme, qui est la véritable mission historique de la dictature fasciste, implique la préparation de la guerre ; ce but, à son tour, ne tolère aucune résistance intérieure et conduit à une concentration mécanique ultérieure du pouvoir. Il est impossible de réformer le fascisme ou de lui donner son congé. On ne peut que le renverser. L’orbite politique du régime des nazis bute contre l’alternative : la guerre ou la révolution ?

    Léon Trotsky - Qu’est-ce que le national-socialisme

  • « Le fascisme incarne la lutte contre-révolutionnaire de tous les éléments bourgeois unis ; pour ce faire, il ne lui est pas du tout nécessaire et indispensable de remplacer les institutions démocratiques. »

    Bordiga 1922

    Mussolini en 1921 :

    « Il se peut qu’au XIXe siècle le capitalisme ait eu besoin de la démocratie ; aujourd’hui il peut s’en passer ; le processus de restauration de la Droite est déjà visible. Ce siècle s’annonce comme l’antithèse du siècle passé. »

    Extraits du discours-fleuve de plus de 2 heures prononcé à Udine par Mussolini devant le Congrès des fascistes du Frioul, le 20 sept. 1922 (à la veille de la "Marche sur Rome") :

    « Les choses sont claires : il s’agit de démolir toute la superstructure démocratico-socialiste. Nous aurons un Etat qui tiendra dans ce simple discours : "L’Etat ne représente pas un parti, l’Etat représente la collectivité nationale, il comprend tout, il est au-dessus de tout, protège tout et se dresse contre quiconque porte atteinte à son imprescriptible souveraineté". Voilà l’Etat qui doit sortir de Vittorio Veneto. ...Nous, milices fascistes, devons nous imposer une discipline de fer, autrement nous n’aurions pas le droit de l’imposer à la Nation - or c’est seulement par la discipline de la Nation que l’Italie pourra se faire entendre au milieu des autres nations. La discipline doit être acceptée. Si elle n’est pas acceptée, elle doit être imposée. Nous rejetons le dogme démocratique qui veut que l’on agisse toujours par sermons plus ou moins libéraux : à un moment la discipline doit s’exprimer par un acte de force et de commandement. ... J’en viens maintenant à la violence. La violence n’est pas immorale. La violence est parfois morale. Nous refusons à tous nos ennemis le droit de se lamenter sur notre violence parce que, comparée à la violence commise pendant les tragiques années 1919 et 1920, et à celle exercée par les bolchevistes en Russie, où deux millions de personnes ont été exécutées, deux millions d’autres jetées dans les cachots, notre violence est un jeu d’enfants. D’autre part, notre violence est efficace, parce que, en juillet et août, nous avons obtenu, en quarante-huit heures de violences systématiques et guerrières, ce que nous n’aurions pas obtenu en quarante-huit ans de discours. Donc, quand notre violence résout une situation gangrenée, elle est morale, sacro-sainte, nécessaire. Mais, amis fascistes, notre violence doit avoir un caractère spécifique, fasciste. ... »

    Que fera le régime de Mussolini ?

    Tandis que des réductions d’impôt aux capitalistes sont accordées, l’État s’attaque au droit du travail et aux syndicats. Le 2 octobre 1925, le Pacte Vidoni, signé par la Confindustria et les représentants du régime fasciste, abolit les syndicats des travailleurs les remplaçant par ceux contrôlés par le fascisme. En 1926, les grèves sont déclarées hors la loi et les travailleurs non inscrits au parti fasciste ne peuvent être embauchés. Le Grand Conseil du fascisme promulgue en avril 1927 la Charte du travail, rédigée en grande partie par Giuseppe Bottai, le sous-secrétaire d’État aux corporations. L’article 7 de cette Charte réaffirme l’efficacité de l’initiative privée, l’État ne devant intervenir qu’en cas de déficience de celle-ci (art. 9). La Charte remplace les syndicats par des corporations, censées dépasser les luttes de classe.

    Le Conseil national des corporations est créé en 1930. La loi de 1934 sur les corporations stipule que les délégués des travailleurs seront nommés, et non élus. À côté de ces responsables nommés par l’État, les corporations accueillent des représentants des directeurs d’entreprise.

  • Ce qu’écraivait Umberto Terracini :

    La situation qui, depuis quelques mois, s’est établie en Italie dans le domaine de la lutte entre la bourgeoise et le prolétariat, a en soi quelque chose de caractéristique et de spécial, repose sur des éléments originaux, est le résultat d’un jeu de forces qui ne s’était encore pas montré dans les autres pays et parmi les autres peuples. C’est pourquoi il est utile et sage que les vicissitudes et les épreuves du prolétariat italien soient attentivement observées par tous les camarades : il pourrait se faire que, dans leur pays aussi, il se crée des forces semblables qui, se conjuguant de la même façon, aboutissent à créer une situation identique. La chose, d’ailleurs, est à éviter par tous les moyens.

    La fin de la guerre européenne équivalait pour les ouvriers italiens à l’engagement d’une lutte extrêmement ardente contre leur bourgeoisie capitaliste. Les charges et les épreuves imposées par la guerre, les souffrances et les anxiétés contenues pendant cinq années s’étaient changées en un stimulant, en une incitation à l’action. Les ouvriers et les paysans d’Italie, en pénétrant par centaines de milliers dans les syndicats et par dizaines de milliers dans le Parti socialiste, ne manifestaient qu’une seule volonté : celle de submerger dans leur élan tous les obstacles afin d’obtenir les plus hautes conquêtes.

    En face d’un prolétariat aussi excité à la lutte se groupait une bourgeoisie en grande partie nouvelle et non organisée ; une industrie éprouvée par un développement anormal et rapide sous l’aiguillon des nécessités de guerre, n’ayant pour appui aucune richesse financière, aucune disponibilité de matières premières en proportion ; un Etat qui, quoique victorieux, était sorti de l’effort de la guerre avec des rouages désorganisés, désaxé, réduit à la misère, sans pouvoir et sans autorité.

    Il ne pouvait y avoir aucun doute sur le résultat d’un duel entre deux adversaires semblables. Pour le prolétariat, ce fut donc une avance continue, d’abord lente, ensuite plus rapide, enfin foudroyante. Les conquêtes économiques et les conquêtes morales se succédaient de jour en jour. La bourgeoisie, au contraire, après quelques velléités de défense, abandonna toute espérance du salut et se soumit à ce qu’elle considérait elle-même comme le terrible tribut imposé par l’histoire aux responsables de la guerre. On en vint à ce point que les combats furent quelque chose de superflu. Pour obtenir, il devint suffisant de demander.

    Le gouvernement de l’Etat et les Comités directeurs du Parti Socialiste et de la Confédération Générale du Travail traitaient entre eux de puissance à puissance. Le patron de l’usine et la « Commission Intérieure » se contestaient le droit de diriger la vie de l’entreprise, et presque toujours c’était l’autorité patronale qui pliait.

    Voici quelques exemples :

    La Commission socialiste partit pour la Russie en juin 1920, avec deux wagons spéciaux et presque tous les honneurs d’une légation diplomatique.

    Pendant les troubles suscités par la cherté de la vie, les négociants portaient par milliers les clés de leurs boutiques dans les Bourses du Travail, comme à l’unique organisme effectif de pouvoir et d’autorité qui fonctionnât encore dans la ville.

    Une seule menace de la direction du Parti fut suffisante pour faire abandonner dès le début l’aventure impérialiste d’Albanie, dans laquelle les cliques impérialistes avaient lancé l’armée italienne :

    Elections politiques de 1919 : 1 561 députés socialistes. Elections administratives de 1920 : 2 500 communistes, qui levèrent le drapeau rouge.

    Enfin, en septembre 1920, le prolétariat, dans sa partie la plus consciente et la plus capable, les ouvriers métallurgistes, porta à la bourgeoisie un coup plus audacieux et gros de conséquences. Avec l’occupation de plus de 1 500 fabriques, c’est-à-dire de toute la grande industrie italienne, c’était véritablement le cœur de la société capitaliste qui était visé, c’était le principe de la propriété privée, intangible, inviolable, sacro-saint, qui était touché et lésé.

    Il y a, dans la réalité historique, des moments décisifs dans lesquels les forces intérieures qui la forment et qui la meuvent n’ont plus en elles-mêmes la capacité de résoudre les situations qu’elles ont créées. Dans ces moments, c’est la volonté des hommes qui intervient ou bien qui doit intervenir pour diriger les événements dans les voies nouvelles, vers les destins nouveaux. C’est précisément la fonction des partis politiques d’organiser les volontés des hommes unis en un seul consentement et en une seule aspiration, à l’effet d’étudier et de suivre de près les moments successifs de l’histoire et d’intervenir avec tout le poids coordonné de leurs propres forces et de leur propre décision, dans ces instants fatals.

    L’occupation des fabriques, accompagnée dans beaucoup de parties de l’Italie de l’invasion des domaines fonciers, fut véritablement un de ces moments dans lesquels la capacité des partis politiques et la préparation des classes sont mises à l’épreuve. Et le moment fut tragique et douloureux pour le prolétariat.

    Le Parti socialiste, en face de la nécessité terrible de l’action, recula. L’épouvante devant la mêlée, devant la bataille vraie, bataille non plus de paroles ou de pensée ou d’habiles escarmouches dialectiques, mais d’hommes forts, courageux, armés, violents, glaça le sang des plus remuants et des plus bruyants démagogues. Et tandis que le prolétariat, sans autres armes que la volonté d’agir et quelques fusils, attendait, enformé dans les fabriques, le signal et l’ordre d’agir, les chefs marchandaient la reddition dans les cabinets des gouvernants.

    L’inaction prolétarienne dans cette conjoncture critique fut le signal du début de la contre-attaque bourgeoise.

    — C’était donc que derrière cette redoutable menace des ouvriers il n’y avait en réalité qu’incapacité et inertie. C’était donc que cette fameuse révolution était réfrénée par ceux-là mêmes qui l’avaient proclamée ?

    — Et par conséquent on pouvait tout oser maintenant.

    La bourgeoisie italienne a osé. Elle a enseigné à son prolétariat, au prix de son sang et de ses souffrances, qu’il y a une seule loi qui domine les faits dans les moments décisifs de l’histoire : la loi de la violence. (...)

    Le prolétariat italien et le mouvement fasciste

    Umberto Terracini

    1921

  • Umberto Terracini concluait en décembre 1921 :

    Nous sommes aujourd’hui en mesure de discerner parfaitement les causes sociales du fascisme, telles que nous les pressentions à l’époque où nos adversaires n’y voyaient qu’une survivance de la psychose de guerre, une réaction « exagérée sans doute, mais légitime » contre les excès révolutionnaires, l’effet de situations locales ou d’initiatives personnelles, voire même un signe de dégénérescence de l’ordre bourgeois.

    Le fascisme était en réalité provoqué, organisé, voulu par les industriels et par les propriétaires fonciers. Organisé dans ses grands syndicats et ses coopératives, le prolétariat leur apparaissait invincible. Il fallait anéantir ses positions mêmes. Ce fut le but des incendies des Bourses du Travail, des coopératives, des locaux ouvriers. L’indolence et l’incapacité des leaders syndicaux et socialistes permirent de désorganiser assez rapidement la classe ouvrière italienne en la frappant dans ses points de concentration.

    Les conséquences immédiates de la destruction des organisations prolétariennes sont, dans les campagnes, frappantes. Aussitôt après l’incendie des mairies et l’assassinat des gérants de coopératives paysannes, on a vu les propriétaires fonciers déchirer les contrats de travail antérieurement conclus et renier toutes leurs promesses. Les organisations ouvrières des campagnes détruites, ils ont voulu enrôler de force les paysans dans les organisations fascistes. Avec ces dernières, fondées par les hommes à sa dévotion, le propriétaire rural conclut de nouveaux contrats qui privent ses salariés de tout droit... Les travailleurs des campagnes furent vite vaincus. La nature de leur travail les disperse sur de grandes étendues et les isole par petits groupes, ce qui est une cause de faiblesse. La passivité des leaders en fut une autre.

    Le patronat porta aussitôt la lutte dans l’industrie, par des lock-out, des renvois, des réductions de salaire, des résiliations de contrats collectifs. La tactique socialiste de résistance locale et de vaines protestations eut tant de succès que, tour à tour, les textiles, les chimistes, les métallurgistes furent réduits.

    Au lieu de concentrer en une seule grande action unique toutes les résistances éparses, la Confédération du Travail laissa les syndicats batailler isolément sur place. Si bien que jamais les syndicats ne purent disposer de la totalité des forces de leurs adhérents.

    Depuis deux mois, les tisserands italiens sont en grève. Les textiles ont déjà dû consentir à une diminution de salaires. Tandis qu’on promet et lésine aux tisserands l’appui des autres syndicats, les chimistes se voient réduits à capituler. Quant aux métallurgistes, au lieu d’imposer au patronat un contrat collectif national, ils traitent séparément dans chaque région, avec chaque patron. Le résultat en est qu’en Vénétie, en Lurgie, etc., les métaux sont en grève depuis deux semaines, alors qu’au Piémont et en Lombardie, la grève ne fait que commencer. Dans d’autres régions, on la prévoit seulement. En présence d’une offensive patronale organisée, unitaire, suivie, le prolétariat reste déplorablement divisé.

    La Confédération Générale du Travail vient, il est vrai, de proposer un règlement unitaire de la question des salaires pour toute l’Italie. Mais sa proposition est si ridicule qu’elle ne fera qu’affaiblir encore le prestige des organisations ouvrières.

    La C. G. T. demande une enquête sur la situation réelle de l’industrie. Cette enquête devrait être faite par la commission mixte comprenant des représentants du patronat, des syndicats et du gouvernement, siégeant sous la présidence d’un représentant de l’Etat « organe supérieur désintéressé ». Si les industriels sont en mesure de prouver une diminution des recettes, la C. G. T. déclare que les ouvriers accepteront une diminution proportionnelle des salaires !

    Cette proportion ridicule ne démontre que la crasse ignorance de ceux qui l’ont formulée. Mais il faut bien moins y voir une manifestation de l’ignorance des lois économiques que la tactique de nos socialistes. Ceux-ci tiennent à éviter les conflits sociaux. L’enquête souhaitée serait conforme à la ligne de coalition avec la bourgeoisie qu’ils veulent suivre. Ils entrent ainsi dans le milieu des partis constitutionnels attendant de l’Etat bourgeois la solution de la question sociale. Les fascistes, c’est à noter, acceptent avec enthousiasme cette « sage » proposition, approuvée par leur Comité Central.

    Au début de cette crise du mouvement ouvrier italien, le Parti Communiste s’est tracé la ligne de conduite suivante : Action unitaire du prolétariat, résistance par la grève générale, convocation du Congrès de la C. G. T. Notre agitation a été si fructueuse que, sous la pression de la majorité des syndiqués ralliés sur nos motions, le Comité Directeur de la C. G. T. a fini par convoquer le congrès exigé. Le congrès s’est réuni à Vérone le 6 novembre.

  • en quoi trotsky proposait-il, mieux que Bordiga, aux ouvriers communistes espagnols ou allemands, des années à l’avance, les moyens de combattre le fascisme qui les menaçait ?

  • Bordiga, Histoire de la gauche communiste, Tome I :

    « (Il y a eu) la victoire de l’anti-fascisme mille fois maudit sur le fascisme, maudit lui aussi dans la mesure où il engendra le premier, comme nous l’avions vu dès 1922… Un premier schéma de ce que sera l’après-guerre, l’illégalisme bourgeois du fascisme, l’erreur fatale de la classe ouvrière de répondre avec la formule stupide : nous sommes là pour défendre la légalité, au lieu de relever le défi, qui est toujours la meilleure des solutions historiques… La contre-offensive patronale, dont nous avons observé les premiers symptômes au cours du mois de mars, se développa les mois suivants selon deux axes, l’attaque patronale dans les usines et la répression organisée par les forces de l’ordre dans les centres ouvriers, mais aussi paysans, les plus combatifs, si nécessaire avec l’aide des premières escouades fascistes. Confédération générale du travail et Parti socialiste – l’un sous direction réformiste, l’autre sous direction maximaliste – ont déjà donné des preuves évidentes de passivité cachée sous le voile d’une phraséologie belliqueuse ; ils se sont montrés rétifs à canaliser les agitations, rendues ainsi impuissantes, vers des objectifs politiques que cependant les ouvriers exprimaient confusément en occupant les usines et en revendiquant le contrôle de la production (objectifs naïfs et erronés mais significatifs d’une poussée menant à dépasser les limites de luttes purement économiques) ; ils ont dénoncé avec insistance « l’immaturité des conditions objectives » et renoncé à en favoriser la maturation ; ils ont pleurniché sur la force de l’adversaire et sur leur propre faiblesse – le tout après avoir claironné, pour l’un, sur les succès sur les plans syndicaux et parlementaires, et pour l’autre sur l’imminence du règlement des comptes entre les classes - ; ils ont indiqué avec clarté, non pas tant à travers le langage qu’à travers les faits, que les succès électoraux prévalaient mille fois sur l’organisation des prolétaires (si jamais ils y pensèrent) en un front unique de bataille, se gardant bien, dans cette perspective, de créer des embarras au gouvernement, et même lui donnant, par l’intermédiaire des omnipotents cercles parlementaires ou par celui de la droite de Turati, une aide sérieuse pour normaliser la situation ; en somme, les sphères soi-disant dirigeantes de la combative classe ouvrière se sont placées sur une ligne si manifestement défensive que son adversaire a eu beau jeu de passer d’une position d’attente angoissée à celle de l’attaque sans scrupule. Dès que le premier moment d’équilibre instable fut passé, la classe dominante pût retenir à juste raison – contre le diagnostic trop optimiste de l’Internationale – que la vague révolutionnaire (de manière objective sinon subjective) donnait des signes de reflux : ce n’est que lorsqu’elle en sera sûre qu’elle déchaînera lâchement ses escouades noires pour leurs expéditions punitives. Pour le moment, les forces de l’ordre remises en état, dont l’action se traduisait en une suite de massacres perpétrés grâce à l’inertie confédérale et socialiste, lui suffisaient, renforcées par l’aide d’une résistance patronale toujours plus aguerrie face aux « prétentions » des ouvriers... Le développement du fascisme montra que, de même que le vote parlementaire n’était pas un facteur déterminant, une éventuelle action de l’Etat contre les fascistes votée à la Chambre ne pouvait pas l’être non plus. Étant donné que le fascisme voulait tenter la conquête du pouvoir de manière extra-légale (il l’obtint - on le sait - par des voies légales et parlementaires, et les actions de rue ne prévalurent que grâce à l’appui de l’État bourgeois, sous les auspices de Nitti, Giolitti et Bonomi, futurs champions de l’antifascisme, qui intervint pour étouffer les énergies prolétariennes), c’était de la folie de penser, comme les réformistes et les maximalistes, pouvoir arrêter leur marche en exigeant d’une majorité parlementaire que les forces de l’État en repoussent l’assaut ; celui qui l’espérait avait dès lors renié le marxisme et sa vision de la nature et des buts de l’État. Et celui-ci devait également être prêt (et en entrant à la Chambre il y aurait été, avec ou sans sa volonté, contraint) à voter pour un illusoire gouvernement de répression. Nous avions donc raison de dire que dans une telle situation, opter pour le parlementarisme voulait dire avoir une vision légaliste allant jusqu’à l’appui d’un ministère bourgeois de gauche, c’est-à-dire réaliser à l’avance au sein de la Chambre ce qui se passera les années suivantes avec l’épisode de l’Aventin puis de la Libération nationale, seules issues de la pratique parlementaire : la collaboration de classe qui, reprochée aux maximalistes de 1919, les aurait fait s’insurger, comme piqués au vif… A ceux qui jacassent sur le fait que des révolutionnaires communistes se seraient éloignés à cause de notre « sectarisme » obstiné, nous répondons que la pierre de touche du sérieux de leur adhésion au communisme était (et ne fut pas) la capacité de reconnaître l’urgence d’un guide politique homogène – car reposant sur des bases théoriques et programmatiques rigoureusement définies – dont la présence active aurait seule permis aux généreuses batailles du prolétariat de ne pas se disperser dans la vaine recherche de solutions partielles, ni de devenir la proie de l’expérimentalisme volontariste d’une « intelligentsia » à la recherche de formules thaumaturgiques de dénouement du drame social, vu comme un aspect d’une « crise de la culture », et qui lui aurait fourni les moyens et la manière de se défendre – dans l’attente de pouvoir contre-attaquer, et, si possible, de contre-attaquer déjà pendant la défense – contre les forces de la contre-révolution montante, sans se précipiter (comme ce fut le cas quatre ans plus tard) dans le marais fatal d’un anti-fascisme imbécilement interclassiste et peureusement démocratique. Si travailler pour la constitution du parti – et non d’un parti quelconque, mais du parti s’appuyant sur la complète unité d’action et de théorie exigée par le marxisme – avait été, par absurdité, « de la passivité, du fatalisme, du mécanicisme », eh bien nous voterions pour cette divinité ignorée, contre « l’activisme des réalisateurs » à la recherche des « embryons » de la nouvelle société dans l’ancienne, soi-disant construits par le prolétariat dans sa lutte non pas pour soi mais pour le capital ! »

    Source dans Histoire de la gauche communiste

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