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Qui était Jean Malaquais ?

vendredi 1er mai 2015, par Robert Paris

Léon Trotsky

UN NOUVEAU GRAND ÉCRIVAIN : JEAN MALAQUAIS

7 août 1939

Il est bon que sur terre il y ait non seulement la politique, mais aussi l’art. Il est bon que l’art soit inépuisable dans ses virtualités, comme la vie elle-même. Dans un certain sens, l’art est plus riche que la vie, car il peut agrandir ou réduire, peindre de couleurs vives, ou au contraire, se limiter au fusain, il peut présenter un seul et même objet de différents côtés et l’éclairer de manière variable. Napoléon était unique. Ses représentations en art sont multiples.

La forteresse Pierre-et-Paul et les autres prisons tsaristes m’ont rendu le roman français tellement proche, que par la suite, durant plus de trois décennies, j’ai suivi, plus ou moins bien, les nouveautés remarquables de la littérature française. Même pendant les années de guerre civile, dans le wagon de mon train militaire, je lisais un roman français récent. Après mon exil à Constantinople, je rassemblai une petite bibliothèque d’ouvrages français contemporains, qui brûla avec tous mes livres en mars 1931. Cependant ces toutes dernières années, s’il n’a pas disparu complètement, mon intérêt pour le roman a faibli. Trop d’événements importants ont passé au-dessus de notre terre, en partie aussi au-dessus de ma tête. La fiction romanesque s’est mise à me paraître fade, presque triviale. J’ai lu avec intérêt les premiers tomes de l’épopée de Jules Romains [1] . Les derniers, consacrés principalement à la guerre, m’ont paru un pâle reportage. La guerre, visiblement, ne trouve pas en général de place dans l’art. Le plus souvent, la peinture des batailles est simplement niaise. Mais ce n’est pas le seul aspect du problème. De même qu’une cuisine trop épicée blase le palais, un amoncellement de catastrophes historiques émousse l’intérêt pour la littérature. Cependant, j’ai eu à nouveau l’occasion ces jours-ci de répéter : il est bon que l’art existe sur terre.

Un auteur que je ne connaissais pas, Jean Malaquais, m’a envoyé son livre, qui porte un titre énigmatique : les Javanais. Le roman est dédié à André Gide, ce qui me mit un peu sur mes gardes. Gide est trop loin de nous, ainsi que l’époque à laquelle s’accordaient ses recherches lentes et confortables. Même ses œuvres récentes se lisent – bien qu’avec intérêt – plutôt comme des documents humains sur un passé définitivement révolu. Cependant, dès les premières pages il m’apparut que Malaquais ne subissait en rien l’influence de Gide. L’auteur est dans tous les domaines indépendant ; c’est ce qui fait sa force, force particulièrement précieuse à notre époque, où la dépendance littéraire sous tous ses aspects est devenue la règle. Le nom de Malaquais ne me rappelait rien, sinon une rue de Paris. Les Javanais sont le premier roman de l’auteur ; d’autres titres l’accompagnent, mais il s’agit de livres encore " en préparation ". Cependant, à lire ce premier ouvrage une pensée s’impose aussitôt : il faut retenir le nom de Malaquais.

L’auteur est jeune et aime passionnément la vie. Mais il sait déjà établir entre lui-même et la vie la distance artistique nécessaire pour ne pas se noyer dans son propre subjectivisme.

Aimer la vie de l’amour superficiel du dilettante – il est des dilettantes de la vie, comme il est des dilettantes de l’art – n’est pas un grand mérite. Aimer la vie les yeux ouverts, sans faire taire sa critique, sans illusion, sans l’enjoliver, l’aimer telle qu’elle est, pour ce qu’il y a en elle, et plus encore pour ce qu’elle peut devenir, c’est d’une certaine manière un exploit. Donner une expression artistique à cet amour de la vie, quand on peint la couche sociale la plus basse – c’est un grand mérite artistique.

Dans le sud de la France, deux cents hommes extraient du plomb et de l’argent d’une mine vétuste ; son propriétaire, un Anglais, ne veut rien dépenser pour en renouveler l’équipement. Dans la région, il y a un certain nombre d’étrangers chassés de leurs pays, sans visa, sans papiers, mal vus par la police. Ils ne sont nullement exigeants en ce qui concerne le gîte et les conditions de sécurité, et ils sont prêts à travailler pour n’importe quel salaire. La mine avec sa population de parias forme un petit monde fermé, comme l’île à laquelle s’est attaché le nom de Java, très certainement choisie parce que, par le mot " javanais ", les Français désignent ce qui est incompréhensible et exotique.

Presque toutes les nationalités de l’Europe, et pas seulement de l’Europe, sont représentées à " Java ". Des Russes blancs, des Polonais, des Italiens, des Espagnols, des Grecs, des Tchèques, des Slovaques, des Allemands, des Autrichiens, des Arabes, un Arménien, un Japonais, un Noir, un Juif ukrainien, un Finlandais... Parmi tous ces métèques il n’y a qu’un Français, pitoyable malchanceux qui brandit le drapeau de la Troisième République. Dans la baraque appuyée au mur d’une usine qui a brûlé il y a longtemps, vivent trois dizaines de célibataires, qui jurent dans une langue pour presque tous différente. Chez les autres, les femmes, qui viennent de tous les coins de la terre, accroissent encore l’imbroglio linguistique.

Des dizaines de Javanais passent devant nous ; sur chacun demeure un reflet de sa patrie perdue, chacun possède une personnalité convaincante et tient debout sans l’aide de l’auteur, du moins sans son aide visible. L’Autrichien Karl Muller, qui a la nostalgie de Vienne et qui récite des conjugaisons anglaises ; Hans, fils du vice-amiral allemand Ulrich von Taupfen, ancien officier de marine qui a participé au soulèvement des marins à Kiel ; l’Arménien Alboudizian, qui, pour la première fois à " Java ", a mangé à satiété et s’est même soûlé ; l’agronome russe Belsky dont la femme n’a pas toute sa raison et dont la fille est folle ; le vieux mineur Ponzoni, qui a perdu ses fils dans la mine en Italie et qui bavarde tout aussi volontiers avec le mur, avec son voisin de travail qu’avec une pierre sur la route ; le " Docteur Magnus " qui a abandonné ses études universitaires en Ukraine à la veille de les terminer, pour ne pas vivre comme les autres ; le Noir américain Hilary Hodge, qui, tous les dimanches, nettoie ses bottines vernies, souvenir du passé, sans les mettre jamais ; l’ancien marchand russe Boutov, qui se fait passer pour un ancien général, afin d’attirer les clients dans son futur restaurant. D’ailleurs Boutov meurt avant le début du roman : reste sa veuve qui dit la bonne aventure.

Rescapés de familles brisées, chercheurs d’aventures, participants occasionnels à des révolutions ou à des contre-révolutions, débris de mouvements nationaux et de catastrophes nationales, exilés de toutes sortes, rêveurs et voleurs, lâches et demi-héros, déracinés, enfants prodigues de notre époque, telle est la population de " Java ", " île flottante, attachée à la queue du diable ". " Pas un seul pouce carré sur toute la surface du globe, dit Hans von Taupfen, où poser ton petit pied mignon ; excepté quoi tu es libre, pourvu que ce soit en deçà de la frontière, en deçà de toutes les frontières. " Le sous-officier de gendarmerie, Carboni, amateur de bons cigares et de vins fins, ferme les yeux sur les habitants de l’île. Temporairement, ils se trouvent effectivement " en deçà de toutes les frontières ". Mais cela ne les empêche pas de vivre à leur manière. Les hommes dorment sur des sacs de paille, souvent sans se déshabiller, fument beaucoup et boivent extrêmement, se nourrissent de pain et de fromage, afin d’économiser davantage pour le vin, se lavent rarement, et répandent une odeur âcre de sueur, de tabac et d’alcool.

Il n’y a pas de personnage central dans le roman, ni d’intrigue unique. Dans un certain sens, le principal héros est l’auteur lui-même, mais il n’apparaît pas. Le récit couvre une période de quelques mois et, comme la vie elle-même, est composé d’épisodes. Malgré l’exotisme du sujet, le livre est loin de tout folklore, comme de l’ethnographie ou de la sociologie. C’est dans le vrai sens du terme un roman, un morceau de vie devenu art. On peut penser que l’auteur a choisi à dessein une " île " isolée pour représenter plus précisément les caractères et les passions humaines, qui ne jouent pas un rôle moins important ici que dans n’importe quelle autre couche de la société. Les gens aiment, haïssent, pleurent, se souviennent, grincent des dents. Ici la naissance d’un enfant dans la famille du Polonais Warski, son baptême solennel, ailleurs, la mort, le désespoir des femmes, l’enterrement ; il y a enfin l’amour de la prostituée pour le docteur Magnus, qui jusqu’à présent n’avait pas connu de femmes. Cet épisode délicat frôle le mélodrame ; mais l’auteur se tire avec honneur de l’épreuve qu’il s’est lui-même infligée.

Au travers du récit, court l’histoire de deux Arabes, cousins germains, Elahacine ben Kalifa ou Daoud Halima. Transgressant une fois par semaine la loi de Mahomet, ils boivent du vin le dimanche, mais modestement, trois litres, pour ne pas compromettre l’accumulation des cinq mille francs qui leur permettront de retourner chez eux, dans le département de Constantine. Ce ne sont pas de véritables Javanais, ils sont là temporairement. Mais voilà qu’Elahacine est tué dans la mine au cours d’un éboulement. L’histoire des tentatives de Daoud pour toucher son argent à la caisse d’épargne reste gravée pour toujours dans la mémoire. L’Arabe attend des heures, demande, espère, attend à nouveau patiemment. Finalement, on lui confisque son livret, parce qu’il est au nom d’Elahacine, le seul des deux qui savait signer son nom. Cette tragédie en miniature est relatée de façon parfaite !

Madame Michel, la tenancière du bar, s’enrichit peu à peu sur le dos de ces gens, mais elle ne les aime pas et les méprise. Non seulement parce qu’elle ne comprend pas leurs conversations bruyantes, mais aussi parce qu’ils sont trop généreux en pourboires, parce qu’ils disparaissent trop souvent on ne sait où : des gens creux qui ne méritent pas la confiance. Avec le débit de boissons, la maison de tolérance, qui en est proche, occupe, évidemment, une grande place dans la vie de Java. Malaquais les dépeint en détail, sans pitié et en même temps de manière remarquablement humaine.

Les Javanais voient le monde d’en bas : précipités dans les bas-fonds de la société, ils sont obligés de se coucher sur le dos au fond de la mine, pour abattre ou creuser la pierre au-dessus d’eux. C’est une perspective particulière. Malaquais en connaît bien les lois et il sait les utiliser. Le travail à la mine est évoqué avec économie, sans détails oiseux, mais avec une force remarquable. Un artiste, simple observateur, n’écrit pas ainsi, même s’il est descendu dix fois dans le puits pour y chercher les détails techniques dont Jules Romains, par exemple, aime tant faire parade. Seul un ancien mineur, qui s’est révélé un grand artiste peut écrire ainsi.

Bien qu’il possède une dimension sociale, le roman n’a en aucun cas un caractère tendancieux. Il ne veut rien prouver, ne fait de la propagande pour rien, contrairement à tant d’œuvres de notre époque, qui, en trop grand nombre, se soumettent aux ordres, même dans le domaine de l’art. Le roman de Malaquais est " seulement " une œuvre artistique. Et en même temps, nous sentons à chaque pas les convulsions de notre époque, la plus grandiose et la plus monstrueuse, la plus cruciale et la plus despotique, qu’ait connue jusqu’ici l’histoire humaine. L’union d’un lyrisme personnel réfractaire et d’une poésie épique violente, celle-là même de son temps, fait, peut-être le charme principal de cette œuvre.

Le régime illégal a duré des années. Dans les moments difficiles, le directeur anglais, toujours ivre, à qui manquent un œil et une main, a régalé de vin et de cigares le brigadier de gendarmerie. Les Javanais ont continué à travailler sans papiers, dans des galeries de mines dangereuses, se sont enivrés chez Mme Michel, se sont cachés à tout hasard derrière des arbres, quand ils rencontraient les gendarmes. Mais tout a une fin.

Le mécanicien Karl, fils d’un boulanger viennois, a abandonné sans autorisation son travail dans le hangar ; il se promène au soleil sur le sable de la rive, écoute le bruit des vagues, interpelle les arbres qu’il rencontre. Dans le bourg voisin de l’usine travaillent des Français. Ils ont leurs petites maisons, avec l’eau et l’électricité, leurs poules, leurs lapins, leurs salades. Karl, comme la majorité des Javanais, regarde ce monde sédentaire sans envie, avec une nuance de mépris plutôt. Ils " ont perdu le sentiment de l’espace, mais ont acquis le sentiment de la propriété ". Karl fend l’air d’une branche qu’il a cueillie, il a envie de chanter, mais, comme il n’a pas de voix, il siffle.

Pendant ce temps se produit un éboulement dans la mine, deux hommes sont tués : le Russe Malinov, qui a soi-disant reconquis Nijni-Novgorod sur les bolcheviks, et l’Arabe Elahacine ben Kalifa. Le gentleman Yakovlev, ancien premier élève du Conservatoire de Moscou, pille la vieille femme russe Sofia Fedorovna, veuve d’un général imaginaire, sorcière qui a amassé quelques milliers de francs. Karl regarde par hasard par la fenêtre ouverte et Yakovlev lui assène un coup de bûche sur la tête. C’est ainsi que la catastrophe s’abat sur " Java ", une série de catastrophes. Le désespoir sans limite de la vieille est hideux : elle tourne le dos au monde, répond par des injures aux questions du gendarme, reste sur le plancher sans manger, sans dormir, un jour, deux, trois, se balançant d’un côté à l’autre au milieu de ses propres immondices, dans le bourdonnement des mouches.

Le vol suscite une note dans le journal. Où sont les autorités consulaires ? Pourquoi ne veillent-elles pas ? Le gendarme Carboni reçoit une circulaire sur la nécessité de contrôler sévèrement les étrangers. Les liqueurs et les cigares de John Kerrigan n’ont cette fois-ci aucun effet. " Nous sommes en France, monsieur le Directeur, et nous devons nous conformer aux lois françaises. " Le directeur est obligé de télégraphier à Londres. La réponse est : fermer la mine.

L’existence de Java s’arrête. Les Javanais se dispersent, pour se cacher dans d’autres fissures.

Le ton guindé est étranger à Malaquais ; il n’évite ni les mots forts, ni les scènes âpres. La littérature actuelle, particulièrement la littérature française, se permet en général sur ce point incomparablement plus que ne se permettait le vieux naturalisme de l’époque de Zola, qui fut condamné par les rigoristes. II serait comiquement pédant de philosopher sur le thème : est-ce un bien, est-ce un mal ? La vie est devenue plus nue, plus impitoyable, particulièrement depuis la guerre mondiale, qui a détruit non seulement de nombreuses cathédrales, mais aussi de nombreuses conventions ; il ne reste à la littérature qu’à se régler sur la vie. Mais quelle différence entre Malaquais et un autre écrivain français, qui se rendit célèbre il y a quelques années par un livre d’une crudité exceptionnelle ! Je parle de Céline ***Voyage au Bout de la Nuit***. Personne avant lui n’avait parlé des besoins et des fonctions du misérable corps humain avec une telle insistance physiologique. Mais la main de Céline est guidée par une rancune aigrie, qui vise à rabaisser l’homme. L’artiste, médecin de profession, veut, semble-t-il, nous suggérer que la créature humaine, obligée qu’elle est d’accomplir des fonctions aussi viles, ne se distingue en rien du chien ou de l’âne, si ce n’est par une ruse et un esprit de vengeance plus grands. Cette attitude haineuse envers la vie a rogné les ailes de l’art de Céline : il n’est pas allé plus loin que le premier livre. Presque en même temps que Céline un autre sceptique est devenu rapidement célèbre, Malraux, qui cherchait des justifications à son pessimisme non en bas, dans la physiologie, mais en haut, dans les manifestations de l’héroïsme humain. Malraux a donné un ou deux livres importants. Mais il lui manque un pivot intérieur, il s’efforce d’une manière organique de s’appuyer sur une force extérieure, sur une autorité établie.

L’absence d’indépendance créatrice répand dans ses dernières œuvres le poison de l’insincérité et les rend vaines.

Malaquais n’a pas peur de ce qui est vil et vulgaire dans notre nature, car, malgré cela, l’homme est capable de création, d’élan, d’héroïsme, – il n’y a là rien de stérile. Comme tous les véritables optimistes, Malaquais aime l’homme pour les possibilités qui existent en lui. Gorky a dit autrefois : " L’homme, cela sonne fier ! " Malaquais ne tiendrait peut-être pas des propos aussi didactiques. Mais c’est précisément une attitude semblable envers l’homme qui passe dans son roman. Le talent de Malaquais a deux alliés sûrs : l’optimisme et l’indépendance.

Nous venons juste de nommer Maxime Gorky, autre chantre des va-nu-pieds. Le parallèle s’impose de lui-même. Je me souviens très bien du choc que le premier grand récit de Gorky, Tchelkach (1895), produisit sur le public. Un jeune vagabond issu des bas-fonds de la société faisait en maître son apparition sur l’arène de la littérature. Dans son œuvre postérieure, Gorky ne dépassa pas en fait le niveau de son premier récit. Malaquais ne frappe pas moins par l’assurance de sa première manifestation. Il est impossible de dire de lui : il est plein d’espérances. C’est un artiste consommé. Dans les écoles de l’Antiquité, on faisait passer les néophytes par des épreuves cruelles, coups, intimidations, moqueries, pour les endurcir en un laps de temps très bref. C’est cet endurcissement que la vie a donné à Malaquais, comme avant lui à Gorky. Elle les a ballottés de côté et d’autre, les a jetés à terre, les a frappés de dos et de face, et, après un tel traitement, les a lancés dans l’arène des écrivains comme des maîtres achevés.

Mais en même temps quelle énorme différence entre leurs époques, entre leurs héros, entre leurs moyens littéraires ! Les va-nu-pieds de Gorky, ils sont non pas les sédiments de la vieille culture des cités, mais les paysans d’hier, que n’a pas encore absorbés la ville industrielle nouvelle. Vagabonds du printemps du capitalisme, ils portent l’empreinte de la vie patriarcale et d’une sorte de naïveté. La Russie encore jeune politiquement était grosse en ces jours de sa première révolution. La littérature vivait des attentes inquiètes et des enthousiasmes exagérés. Les va-nu-pieds de Gorky sont colorés d’un romantisme prérévolutionnaire. Ce n’est pas pour rien qu’un demi-siècle a passé. La Russie et l’Europe ont connu une série de secousses politiques et la plus terrible des guerres. De grands événements ont apporté avec eux une vaste expérience, en général l’expérience amère des défaites et des désenchantements. Les va-nu-pieds de Malaquais sont le produit d’une civilisation mûre. Ils regardent le monde avec des yeux moins étonnés, plus expérimentés. Ils n’appartiennent pas à une nation, ils sont cosmopolites. Les va-nu-pieds de Gorky ont erré de la Baltique à la mer Noire ou jusqu’à Sakhaline. Les Javanais ne connaissent pas les frontières des Etats ; ils se trouvent pareillement chez eux et pareillement étrangers dans les mines d’Alger, dans les forêts du Canada ou dans les plantations de café du Brésil. Le lyrisme de Gorky est chantant, presque sentimental, souvent déclamatoire. Non moins intense en son fond, le lyrisme de Malaquais est beaucoup plus retenu dans la forme : l’ironie le discipline.

La littérature française, conservatrice et exclusive comme toute la culture française, assimile lentement les mots nouveaux, alors qu’elle en crée elle-même pour le monde entier ; elle demeure assez fermée aux influences étrangères. Certes, depuis la guerre, un courant de cosmopolitisme est entré dans la vie française. Les Français se sont mis à voyager davantage, à mieux apprendre la géographie et les langues étrangères. Maurois [2] a introduit dans la littérature une figure stylisée de l’Anglais, Paul Morand les night-clubs de toutes les parties du monde. Cependant, ce cosmopolitisme garde la marque indélébile du tourisme. Avec Malaquais, il en va tout autrement. Ce n’est pas un touriste. Il s’est déplacé d’un pays à l’autre habituellement par un moyen qui n’est approuvé ni par les compagnies de chemins de fer ni par la police. Il a dormi sous toutes les latitudes, il a travaillé là où il a pu, il a été soumis à des poursuites, il a connu la faim et a reçu, de notre planète, une masse d’impressions en même temps qu’il s’est imprégné de l’atmosphère des mines, des plantations et des débits de boissons bon marché, où les parias internationaux dépensent sans compter leur maigre salaire.

Malaquais est un authentique écrivain français ; il possède la technique française du roman, la plus haute du monde, sans parler de la perfection de la langue. Mais ce n’est pas un Français. Je l’ai soupçonné en lisant le roman. Non parce que le ton du récit révélait l’étranger, l’observateur extérieur ; il n’en est rien : dans les pages du livre où des Français apparaissent, ce sont d’authentiques Français. Mais, dans la manière qu’a l’auteur d’aborder non seulement la France, mais la vie en général, on sent le " Javanais ", qui a su s’élever au-dessus de Java. Ce pouvoir n’est pas donné aux Français. Malgré tous les soubresauts du dernier quart de siècle, ils sont trop attachés à leur mode d’existence, trop constants dans leurs habitudes, leurs traditions, pour voir le monde avec les yeux d’un vagabond. L’auteur m’a répondu, quand je le lui ai demandé par lettre 11, qu’il était d’origine polonaise. J’aurai dû le deviner. Le chapitre préliminaire du roman est centré sur la personne d’un jeune Polonais, presque un enfant, aux cheveux de lin, aux yeux bleus avides d’impressions ; son ventre est contracté par la faim et il a la mauvaise habitude de se moucher avec les doigts. C’est Maniek Bryla. Il a quitté Varsovie sous le plancher du wagon-restaurant, en rêvant de Tombouctou. S’il n’est pas Malaquais, il est son frère par le sang et l’esprit. Maniek a passé plus de dix ans en pérégrinations, il a beaucoup appris, il est devenu un homme ; mais il n’a pas perdu sa fraîcheur d’âme, au contraire, la soif de vivre, inextinguible, s’est en lui accrue, ce dont témoigne péremptoirement son premier livre. Attendons le deuxième. Le passeport de Malaquais, semble-t-il, n’est pas, encore aujourd’hui, parfaitement en règle. Mais la littérature lui a déjà conféré tous les droits de la citoyenneté.

Notes

[1] Les Hommes de Bonne Volonté de Jules Romains (1885-1972)

[2] Emile Herzog, dit André Maurois (1885-1967), auteur des "Silences du colonel Bramble", avait été officier de liaison pendant la guerre auprès de l’armée britannique

Léon Trotsky

Deux lettres à Jean Malaquais

19 juin 1939 & 9 août 1939

Mon cher Malaquais,

Vous avez écrit un livre remarquable. Vous avez su d’un point de vue particulier - d’en bas, du fond même - considérer la vie humaine. Vous avez su voir en outre avec une telle fraîcheur la vie française que je me demande si vous êtes français. La facilité et la force de votre langue parlent en faveur d’une réponse affirmative. Cependant, votre manière « lumpen-prolétarienne » d’aborder la vie, peu coutumière à un Français, ainsi que la « géographie » de la préface, semblent dire que vous n’êtes pas français. Mais enfin, c’est secondaire. Le principal, c’est que le livre est magnifique. Bien que ces dernières années m’aient fait perdre le goût des romans, j’ai lu le vôtre presque d’un seul trait. Duquel des deux personnages de la préface l’auteur est-il le plus proche : du sceptique aigri ou du vagabond optimiste ? Ou est-il proche de l’un et de l’autre ? Vos prochaines œuvres le montreront.

Je vous souhaite de tout cœur santé, ténacité, optimisme et... succès.

Mon cher Malaquais,

Votre lettre est arrivée lorsque je terminais un article sur votre roman pour la presse américaine. Je vous en envoie une copie en russe. Peut-être votre éditeur trouvera-t-il la possibilité de le placer dans quelque publication française. Je vois par votre lettre que vous n’avez pas abandonné le projet de venir au Mexique. Je tâcherai en publiant l’article sur votre livre dans la presse mexicaine d’intéresser quelques éléments influents à la question et d’entreprendre après cela les démarches nécessaires, si vous me confirmez votre désir de venir ici.

Nos vieux amis Alfred et Marguerite Griot (Rosmer) sont arrivés hier ici et il s’avère que Rosmer a la même haute opinion de votre roman que moi-même, ce qui me réjouit beaucoup.

Vous m’interrogez sur mon livre sur Lénine. Il est en suspens. J’écris actuellement un livre sur Staline, après quoi je reviendrai à la biographie de Lénine.

SALUT A L’AMI ET AU CAMARADE JEAN MALAQUAIS

Jean Malaquais, dont nous célébrons la vie et pleurons la mort, était à la fois une figure importante de la littérature française et un révolutionnaire internationaliste engagé. Si ses principaux romans reparaissent en France aujourd’hui, Jean Malaquais est resté largement inconnu en dehors du monde francophone. C’est un grand dommage, car ses œuvres nous parle du monde du capitalisme décadent avec la même force que lorsqu’elles furent écrites. Les javanais nous parle d’un prolétariat recruté de plus en plus aux quatre coins du monde, partageant une vie façonnée par les besoins impitoyables du capital. Planète sans visa rend compte du sort de cet autre « produit » du capitalisme décadent, le réfugié, l’Autre atomisé, méprisé et transformé en victime par un capitalisme dont le visage est de plus en plus celui de la mort.

Depuis trois ans, après pratiquement vingt ans d’oubli (publication de sa thèse sur Kieregaard en 1971), les médias (télévision, radio, presse) avaient redécouvert l’existence d’un écrivain nommé Jean Malaquais. En effet, les éditions Phébus eurent le mérite de faire reparaître son roman « Les javanais », prix Renaudot en 1939, puis son « Journal de guerre » (suivi par l’inédit « Journal du Métèque ») dont l’impertinence vis-à-vis de la France « putainiste » avait jusque là empêché sa réédition dans notre chère patrie des droits de l’homme… alors qu’il avait été publié en français à New York après la guerre !

Rongé par le cancer, Jean Malaquais nous a quittés le 22 décembre 1998, à Genève où il résidait auprès de sa compagne Elisabeth. Il a selon son expression, « tiré définitivement l’échelle »…

Cela n’empêchera pas les éditions Phébus de continuer à republier ses autres romans, comme par exemple « Planète sans visa » (parution prévue au mois d’avril 1999) et « Le Gaffeur ». Par ailleurs, chez d’autres éditeurs devraient être publiés sa correspondance avec André Gide et, sans doute, sa pièce de théâtre « La courte paille » qu’une compagnie s’apprête à mettre en scène. Quant aux éditions Syllepse, elles viennent de reproduire le pamphlet (que vous venez de lire).

L’ami qui vient de disparaître et qui nous manque déjà cruellement refusait de faire partie, malgré son talent romanesque, de la gent littéraire qui se congratule dans les salons à la mode ou sur les plateaux de télévision ( à 90 ans passés, dans une chambre de clinique, surmontant sa souffrance, il peaufina le texte de « Planète sans visa » jusqu’à la fin en vue de sa réédition). Il ne voulait pas non plus écrire des romans « à thèse ». C’est ce qu’avait compris Léon Trotsky quand il commentait « Les javanais » en ces termes :

« Bien qu’il possède une dimension sociale, le roman n’a en aucun cas un caractère tendancieux. Il ne veut rien prouver, ne fait de la propagande pour rien, contrairement à tant d’œuvres de notre époque, qui, en trop grand nombre, se soumettent aux ordres, même dans le domaine de l’art. Le roman de Malaquais est « seulement » une œuvre artistique. Et en même temps, nous sentons à chaque pas les convulsions de notre époque, la plus grandiose et la plus monstrueuse, la plus cruciale et la plus despotique, qu’ait connue jusqu’ici l’histoire humaine. L’union d’un lyrisme personnel réfractaire et d’une poésie épique violente, celle-là même de son temps, fait, peut-être, le charme principal de cette œuvre. » (1)

Jean était aussi un camarade qui, depuis les années 1920, avait appartenu à divers courants de la gauche communiste internationaliste, lesquels s’opposaient non seulement au stalinisme mais critiquaient, bien avant, tous les facteurs, y compris chez Lénine et les bolcheviks, ayant entraîné la dégénérescence de la révolution russe. Né à Varsovie, le 11 avril 1908, dans une famille d’origine juive, mais totalement agnostique (son vrai nom était Vladimir Malacki), il avait quitté la Pologne suite à son baccalauréat et, après un long périple de vagabond à la découverte du monde, avait rejoint la France en 1926 qui, dans son imagination de jeune homme, semblait incarner le pays de ses idées révolutionnaires. Ce « métèque », comme il se qualifiait lui-même, allait être vite déçu par cette soi-disant « terre d’asile » :

« Le stalinisme le dégoûte tout autant que l’ambiance nationaliste et xénophobe régnant en France. Il gravite autour de la Ligue communiste trotskyste dirigée par Rosmer, Franck, Naville, mais ne s’y engage pas à la différence de son ami Marc Chirik (2). Vers 1933, Vladimir Malacki, qui se fait appeler Jean Malaquais (comme un quai de Paris), prend contact avec les groupes révolutionnaires à gauche du trotskysme : Union Communiste de Chazé, bordiguistes italiens de Bilan immigrés en France et en Belgique (Ottorino Perrone, Otello Ricerri, Bruno Zecchini) » (3)

Durant cette période, après avoir travaillé dans une mine de plomb et d’argent (au sud de la France, près de Hyères) et cotoyé de multiples exploités qui parlent toutes les langues du monde (ils seront les « héros » se son roman « Les javanais ») , il est contraint de survivre en faisant de nombreux petits boulots et se retrouve dans la dèche à Paris sans avoir un domicile fixe (il couchera souvent sous les ponts de la « ville-lumière »).

« En 1936, il part en Espagne lorsque la révolution éclate ; il prend contact avec les milices du POUM et la colonne Lénine, dirigée par des dissidents bordiguistes italiens comme Enrico Russo. Il a le malheur de se retrouver un jour face à Ilya Ehrenbourg, écrivain stalinien promu chef de brigade internationale. Il est à deux doigts d’être exécuté comme « agent fasciste » et provocateur. Il réussit à retourner en France. Il entre en contact avec Victor Serge et Ciliga échappés du Goulag stalinien. » (4)

Se réfugiant à la bibliothèque Sainte-Geneviève jusqu’à l’heure tardive de fermeture, il lit énormément et apprend non seulement à se familiariser mais à dominer la langue française. S’étant attiré la sympathie d’André Gide par le biais d’une correspondance critique sur la condition d’écrivain par rapport à celle des travailleurs forcés de gagner quotidiennement leur pain et aliénés par la fatigue du travail, c’est grâce à lui qu’il se lance dans la rédaction des Javanais (soins médicaux, argent, prêt d’une maison).

Pendant la guerre, après avoir été mobilisé sur la ligne Maginot, il est fait prisonnier lors de l’offensive allemande en 1940, mais il parvient à s’évader et met le cap sur Marseille avec sa compagne russe Galy. Là, il fait partie du groupe des intellectuels réfugiés fuyant le nazisme (Breton, Péret, Victor Serge…) et travaille à la coopérative ouvrière dite « le croque-fruit » que dirigent des trotskystes. Critiquant l’exploitation de cette entreprise, il s’en fait licencier en compagnie de son ami Marc Chirik. Il finit, grâce au Comité d’aide aux intellectuels et surtout au soutien indéfectible de Gide, par obtenir un visa pour l’Amérique du Sud. Il échappe aux rafles des nazis en s’embraquant pour le Vénézuela, puis le Mexique. Là, les révolutionnaires en exil se querellent et se déchirent : suite aux positions opportunistes de Victor Serge qui veut créer un « front démocratique » au lieu de dénoncer la guerre impérialiste dans les deux camps, Jean rompt brutalement avec lui (5). En 1946, un visa pour les Etats-Unis lui est enfin accordé : il y fait connaissance du jeune écrivain Norman Mailer dont il traduit le roman intitulé « Les Nus et les Morts » et avec lequel, malgré des hauts et des bas, il demeurera un ami fidèle jusqu’à la fin.

En 1947-48, de retour à Paris, il participe au groupe communiste de gauche Internationalisme qui s’est dégagé de l’héritage bordiguiste sous l’influence de Marc Chirik et dans lequel militent des camarades comme Robert Salama (dit « Mousso »), Serge Bricianer, Louis Evrad… Mais tout en restant solidement ancré sur les positions révolutionnaires du courant ultra-gauche (gauches allemande, hollandaise et italienne) et en maintenant une longue correspondance avec Internationalisme, avec Marc Chirik en particulier, Jean est beaucoup trop rebelle pour accepter certaines tendances au dogmatisme et à l’apologie du parti. Aussi, il est plutôt porté vers les communistes de conseils hollandais tels que Pannekoek et Canne-Meyer. Lorsqu’il séjourne à Paris dans les années 1960, c’est au groupe animé par Maximilien Rubel et ses cahiers pour le socialisme de conseils qu’il apporte sa contribution.

Les événements de Mai 68 lui permettent de préciser ce type d’évolution et ainsi, il ne participera au Courant Communiste Internationale fondé en 1975, tout en demeurant l’ami de Marc Chirik avec lequel il se livre à des discussions acharnées quand il le rencontre (il leur arrive même de se « fâcher » !). J’ai eu la chance de le connaître grâce aux débats que soulevèrent les lendemains de 68 et de lier amitié avec lui pendant preque trente ans. Au cours des années 1980, il s’installe à Genève où travaille sa femme Elisabeth, mais fait de fréquents séjours à Paris, ce qui nous permet d’approfondir notre relation amicale et politique.

Jusqu’à ce qu’il demeure valide (1996-97), il s’efforça de se tenir parfaitement au courant de l’actualité, de réfléchir théoriquement et de se déplacer autant dans les réunions du milieu ultra-gauche. Les camarades de Perspective Internationaliste ont particulièrement apprécié sa présence et ses remarques, autant dans les réunions du « cercle de discussion » que dans celles organisées par le groupe. Il était d’accord avec la nécessité de critiquer les viielles positions et de faire avancer la théorie à l’aide de la méthode marxiste.

Salut Jean, tu restes présent grâce à tous tes écrits, autant littéraires que politiques !

Guy Sabatier

Paris, fin décembre 1998.

(1) « Un nouveau grand écrivain, Jean Malaquais. Les javanais, roman, éd. Denoël, Paris, 1939 » ; texte daté de Coyoacan, le 7 août 1939, et reproduit dans « Littérature et révolution », Union Générale d’Editions, collection 10/18, 1974, pp.333-346.

(2) Il sera l’un des principaux personnages de son roman « Planète sans visa » sous le nom de Marc Laverne.

(3) « Malacki Vladimir dit Malaquais Jean », biographie rédigée par Philippe Bourrinet pour le Dictionnaire du mouvement ouvrier, œuvre d’édition militante initiée par Jean Maitron.

(4) Ibidem, note 3.

(5) Jean a fait don du dossier concernant sa querelle avec Victor Serge à l’Institut International d’Histoire Sociale d’Amsterdam. Ce document peut désormais être consulté du fait de son décès.

Bibliographie :

 100 ans de servitude : Aragon et les siens de Louis Janover (ed Sulliver à Arles)

 article de Raphaël Sorin in L’EXPRESS du avril 1999 : « Pour saluer Malaquais »

 article d’Antoine de Gaudemar in Libération : « Malaquais au départ »

 article nécrologique dans Libération : « (…)Jean Malaquais a traduit « les Nus et les morts » (de son ami Norman Mailer). Avant de mourir, Jean Malaquais aura eu ainsi la chance de sortir de l’oubli dans lequel il était tombé mais qui ne lui avait jamais inspiré d’aigreur. »

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Messages

  • En 1926, le bac en poche, il décida de quitter Varsovie pour la France. Il y travailla comme ouvrier ; notamment dans les mines de Provence (La Londe-les-Maures). De cette expérience au milieu des étrangers parias et damnés de la terre, il tira la matière de son livre : Les Javanais, prix Renaudot 1939.

    Il s’intéressa vite aux idées révolutionnaires. Le stalinisme le dégoûtait tout autant que l’ambiance nationaliste et xénophobe régnant en France. Il gravita autour de la Ligue communiste trotskiste dirigée par Alfred Rosmer, Pierre Frank, Pierre Naville (voir ces noms), mais ne s’y engagea pas à la différence de son ami Marc Chirik. (Voir ce nom.). Vers 1933, Vladimir Malacki, qui se faisait appeler Jean Malaquais (comme un quai de Paris), prit contact avec les groupes révolutionnaires à gauche du trotskisme : l’Union communiste de Henri Chazé (Gaston Davoust [voir ce nom]), les bordiguistes italiens - regroupés autour des publications Prometeo et Bilan - immigrés en France et Belgique (Ottorino Perrone, Otello Ricerri, Bruno Zecchini) [voir ces noms]).

    Dans la dèche à Paris, il fit tous les métiers, y compris celui de débardeur aux Halles, sans avoir de domicile fixe. A la Bibliothèque Sainte-Geneviève, où il se réfugiait, il lit Céline et Gide. Un soir de 1935, il tomba soudainement sur ces lignes de Gide : "Je sens une infériorité de n’avoir jamais gagné mon pain". Jean Malacki, scandalisé, lui écrivit pour lui parler des conditions de ceux qui n’avaient pas de toit et vivaient dans la misère au jour le jour. Gide lui répondit à la poste restante de la rue Cujas, Malaquais n’ayant pas d’adresse, et lui envoya 100 francs, qui lui furent retournés. Il rencontra enfin André Gide à son domicile : " — C’est toi Malacki ? ". " — C’est toi Gide ? " Personne n’avait osé tutoyer le grand écrivain. Flairant vite un écrivain doué, passionné et riche d’une expérience de paria, Gide lui donna de l’argent qui lui servit à louer une maison en province, tout le temps nécessaire à l’écriture de son roman Les Javanais. Ce livre social sur l’immigration dans la France xénophobe des ligues d’extrême droite et du préfet Chiappe fut d’abord refusé par Gallimard, puis publié chez Denoël en 1939. Couronné par le prix Renaudot en 1939, le roman fut traduit dans plusieurs langues.

    En août 1936, il partit en Espagne lorsqu’éclatèrent la révolution et la guerre civile ; il prit contact avec les milices du POUM et la colonne Lénine, dirigée par des dissidents bordiguistes italiens comme Enrico Russo (Candiani [voir ce nom]). Il rencontra Kurt Landau, trotskyste autrichien, qui sera bientôt assassiné par le GPU, Andres Nin, théoricien du POUM et autre victime du GPU ; et Gorkin, chef du POUM, qu’il retrouva et côtoya à Mexico pendant la guerre. Il eut le malheur de se retrouver un jour face à Ilya Ehrenburg, écrivain stalinien promu chef de brigade internationale. Il fut à deux doigts d’être exécuté comme ‘agent fasciste’ et provocateur. Il réussit à retourner en France, en septembre-octobre 1936. Il noua des liens avec Ante Ciliga et surtout Victor Serge, tous deux échappés du Goulag stalinien.

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