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Problèmes de la révolution chinoise

jeudi 18 juin 2020, par Alex

Nous publions ici le texte de la "Lettre ouverte" de Chen Du-Xiu, fondateur du Parti communiste chinois, qui dévoile et dénonce la politique stalinienne imposée à son parti en Chine et qui a permis l’écrasement de la révolution prolétarienne en Chine par le leader bourgeois Tchang Kaï-chek.

INTRODUCTION

Le Parti communiste chinois est constitué en 1921 avec Chen Duxiu pour secrétaire général ; ses débuts sont modestes, il a 57 membres fondateurs. Mais il naît dans la foulée de la révolution en Europe et particulièrement en Russie et dans la montée ouvrière révolutionnaire en Chine....

On est encore à l’époque où les thèses de l’Internationale communiste affirment que la révolution en Chine doit être prolétarienne et socialiste et pas une étape bourgeoise démocratique, comme l’affirmera le stalinisme. Bien qu’arriérée, en grande partie féodale et en majorité paysanne, la Chine connaît un essor du prolétariat et le courant communiste reconnaît dans ce jeune prolétariat la force capable de diriger y compris la révolution bourgeoise à son terme ce dont la bourgeoisie nationale est incapable. Le maoïsme et le stalinisme n’avaient pas encore droit de cité...

C’est dans la concession française de Shanghai qu’a lieu, en juillet 1921, l’événement considéré comme l’acte de naissance du Parti communiste chinois, son premier congrès. Ce n’est pas un hasard : Shanghai, ville de forte concentration ouvrière et place-forte du capitalisme, foyer de rassemblement d’intellectuels modernistes au lendemain de la seconde guerre mondiale, est le laboratoire où peuvent naître et se développer les mouvements révolutionnaires. Le régime des concessions, par la relative protection qu’elles offrent, permet en outre à ces théories de s’exprimer avec plus de liberté. Les principes de démocratie, de droits de l’homme, les idéaux de la révolution française y sont revendiqués par la jeune intelligentsia, qui dénonce en même temps la présence étrangère.
La direction du PCC s’installe donc dans la concession, et particulièrement, son secrétaire général, Chen Duxiu, professeur de littérature, francophile, converti au marxisme en 1920.
Cependant la tolérance dont les autorités françaises font preuve n’est pas sans arrière-pensée ni restriction. D’une part, et selon une remarque du consul lui-même, " cette solution permet à notre police de se tenir au courant des faits et gestes des communistes chinois et de leurs relations avec leurs camarades de l’Internationale ". D’autre part, la libre expression politique trouve sa limite dans les fonctions de maintien de l’ordre et de la sécurité publique assumées par les services municipaux.

Ainsi le premier congrès du Parti communiste et ses activités n’échappent-ils pas à la surveillance policière. Chen Duxiu, qui tient dans sa maison de la rue Vallon, une école de langues tenant lieu d’officine de traduction et de diffusion de textes émanant du Komintern et passant pour subversifs est l’objet d’une dénonciation et arrêté le 4 octobre 1921 puis en 1922. Ses activités et celles de ses compagnons suscitent la sympathie des intellectuels français compagnons de route du Parti communiste, tel l’écrivain Henri Barbusse qui lui propose de participer au mouvement Clarté .

Par ailleurs, Chen Duxiu est l’un des inspirateurs du mouvement Travail et Etudes qui, dès 1919, permet à 2 à 3000 étudiants-ouvriers - parmi lesquels les deux fils de Chen Duxiu - de s’embarquer vers Marseille. Le mouvement souffre des mauvaises conditions économiques en France à cette époque et il se termine assez mal en 1925. Le 30 mai, la police de la concession internationale a tiré sur un cortège de manifestants qui soutenaient les ouvriers en grève d’une filature japonaise de la banlieue ouest de Shanghai, faisant 13 morts et déclenchant la colère à travers tout le pays et un mouvement révolutionnaire préfigurant les évènements de 1927. A Paris, les étudiants chinois soutiennent le mouvement, obtiennent l’appui des communistes français, lancent des appels à l’insoumission aux marins envoyés par la France pour protéger la concession. Mais, ayant pénétré de force dans les locaux de la Légation de Chine à Paris pour protester contre le refus d’une autorisation de tenir un meeting, ils sont expulsés ou partent d’eux-mêmes pour rejoindre le centre révolutionnaire qu’est devenu Shanghai.

Lorsque le PCC tint son Deuxième congrès national ouvrier, le jour de la Fête du Travail du 1er mai 1925, ses organisations représentaient 570 000 ouvriers. Son influence croissante entraina une vague de luttes militantes de la classe ouvrière.

Au cours des grèves dans les usines textiles japonaises à Shanghai, un travailleur communiste fut tué par balle, provoquant des protestations anti-impérialistes dans la ville. Le 30 mai, des milliers d’étudiants et d’ouvriers protestèrent devant un poste de police de Shanghai pour exiger la libération des manifestants arrêtés. La police britannique ouvrit le feu, tuant 12 personnes et en blessant des douzaines d’autres.
La grève de Canton-Hong Kong en 1925

Cet « Incident du 30 mai » provoqua une éruption sans précédent dans la classe ouvrière qui marqua le début de la Deuxième révolution chinoise. 125 grèves eurent lieu, impliquant 400 000 ouvriers, en même temps que des protestations de masse et des émeutes à travers le pays. Trois semaines plus tard, en juin 1925, lorsque des ouvriers et des étudiants manifestèrent à Guangzhou, la police militaire franco-anglaise fit feu et tua 52 personnes. A l’annonce du massacre, les ouvriers de Hong Kong répondirent par une grève générale. 100 000 ouvriers quittèrent Hong Kong et un boycott des produits britanniques fut déclaré, sous la direction d’un comité de grève de Canton et Hong Kong. Cette assemblée élue de délégués des ouvriers, avec ses milliers de travailleurs armés dans les piquets de grèves, était l’embryon d’un soviet.

La radicalisation de la classe ouvrière contraignit la direction du PCC à reconsidérer ses relations avec le KMT. En octobre 1925, Chen Duxiu proposa à nouveau que le PCC quitte le KMT et ne collabore avec lui que de l’extérieur, mais le Komintern rejeta sa proposition. La clique stalinienne préféra essayer d’utiliser la mort de Sun pour installer des dirigeants « de gauche » ou pro-moscovites, tels que Wang Ching-wei ou Tchang à la direction centrale du KMT.

Après l’embrasement de la classe ouvrière en 1925, Staline ne prit pas de tournant vers la gauche, mais fonda toute sa politique sur une approche incontestablement menchevique. En opposition avec les leçons de 1917 en Russie, il renforça l’illusion que le KMT bourgeois était un parti « des ouvriers et des paysans », capable de mener la lutte révolutionnaire. Plus tard il alla même plus loin, soutenant que dans des pays tels que la Chine, l’oppression impérialiste réunissait toutes les forces « progressistes » — la bourgeoisie nationale, l’intelligentsia petite bourgeoise, la paysannerie et la classe ouvrière — en un « bloc des quatre classes ».

La transformation par Staline du PCC en un appendice du KMT ouvrait la porte à de graves menaces vis-à-vis du parti au moment où le KMT prenait un tournant inévitable dans le sens de l’opposition au mouvement révolutionnaire. Le 20 mars 1926, Tchang réalisa un coup de force afin de resserrer son emprise sur le KMT. Il ne renversa pas seulement la dénommée « aile gauche » de la direction du KMT, mais procéda également à l’arrestation de 50 personnalités communistes et plaça tous les conseillers soviétiques en résidence surveillée. Il désarma le Comité de grève de Canton — Hong Kong et s’établit de facto comme dictateur militaire au Guangzhou.

Trotsky engagea une lutte politique systématique contre la politique stalinienne chinoise. En septembre 1926, Trotsky conclut que le PCC devait quitter immédiatement le KMT. « Le mouvement vers la gauche des masses ouvrières chinoises », écrivait-il, « est un fait aussi assuré que le mouvement vers la droite de la bourgeoisie chinoise. Dans la mesure où le Kuo-Min-Tang a été établi sur l’union politique et organisationnelle des ouvriers et de la bourgeoisie, il doit maintenant éclater sous l’effet des tendances centrifuges de la lutte des classes. Il n’y a pas actuellement de formules politiques magiques ou des stratagèmes tactiques astucieux possibles pour contrecarrer ces tendances et il n’y en aura pas davantage à l’avenir.

« La participation du PCC au Kuo-Min-Tang était parfaitement correcte durant la période où le PCC était un cercle de propagande qui se préparait seulement à une activité politique future indépendante mais qui, en même temps, cherchait à prendre part à la lutte de libération nationale en cours. Au cours des deux dernières années, on a pu voir le développement d’une puissante vague de grèves parmi les ouvriers chinois… Cette situation confronte le PCC à la tâche de passer de l’état de préparation où il se trouve actuellement à une étape plus avancée. Sa tâche politique immédiate doit maintenant consister à lutter pour une direction résolument indépendante de la classe ouvrière en éveil — non pas bien sûr dans le but de soustraire la classe ouvrière du cadre de la lutte nationale-révolutionnaire, mais pour lui assurer le rôle, non seulement du combattant le plus résolu, mais aussi celui de dirigeants ayant une prédominance dans la lutte des masses chinoises. » (Leon Trotsky on China, Monad Press, New York, 1978, p. 114, traduit de l’anglais).

L’analyse de Trotsky fut confirmée par les évènements. Au lieu de développer une perspective prolétarienne indépendante, le PCC consacra son énergie à soutenir l’expédition du Nord de Tchang contre les seigneurs de la guerre en appelant les ouvriers et les paysans à soutenir l’Armée nationale révolutionnaire. Les masses fournirent des renseignements et établirent des unités de guérilla pour interrompre le transport et pour saboter l’approvisionnement à l’arrière des lignes ennemies. Sans ce soutien populaire et l’héroïsme exceptionnel des commandants communistes de l’armée, Tchang Kaï-chek n’aurait pas pu, comme il le fit, atteindre la vallée du fleuve du Yangtsé en moins de quatre mois.

Cependant, les tensions de classes allaient vers l’explosion étant donné que les victoires militaires du KMT étaient considérées par les masses chinoises seulement comme le début de la révolution. Lorsque le corps expéditionnaire libéra Hunan, par exemple, quatre millions de paysans affluèrent dans des associations paysannes en seulement cinq mois et un demi-million d’ouvriers rejoignirent l’Union générale du Travail dirigée par le PCC. Au Wuhan, un centre industriel majeur de la vallée du Yangtsé, 300 000 ouvriers formèrent l’Union générale de Hubei, sous la direction du PCC. De plus, le mouvement de masse se radicalisait rapidement. Les ouvriers prirent spontanément le contrôle des concessions britanniques à Hankou. Le mouvement paysan évolua, commençant par demander des réductions du prix des fermages pour en arriver à des luttes armées pour expulser les propriétaires terriens.
Avril 1927 : Le coup de Shanghai

Alors que les masses se soulevaient, Tchang Kaï-chek évoluait rapidement vers le camp de la grande entreprise, des compradores et des représentants de l’impérialisme dans l’Est de la Chine, pour supprimer la révolution. Moscou proclamait que l’évolution droitière de Tchang pouvait être contrecarrée en reconstruisant la « gauche » autour de Wang Ching-wei à la direction centrale du KMT, désormais située au Wuhan. Cependant, le désaccord entre la gauche et la droite du KMT était purement tactique. Les deux étaient d’accord pour établir un gouvernement bourgeois « national ». Leurs désaccords portaient essentiellement sur des questions de stratégie militaire, de partage du pouvoir et, le plus important, sur quand et comment rompre l’alliance du KMT avec le parti communiste.

En dépit des protestations vides de sens adressées par Tchang à Staline qu’il n’établirait pas la domination bourgeoise en Chine, une épreuve de force était inévitable alors que les armées du KMT approchaient de Shanghai — le centre économique du pays avec une classe ouvrière importante et radicalisée.

Le PCC tenta de prendre le contrôle de la ville avant l’arrivée des troupes du KMT, mais la politique de Staline d’éviter un conflit « prématuré » avec Tchang Kaï-chek et de maintenir le « bloc des quatre classes » sapa et finit par étrangler cette initiative. Les ouvriers de Shanghai prirent le pouvoir, seulement pour le rendre à la bourgeoisie et faire face ensuite à la furie meurtrière des gangs de voyous de Tchang.

Sous la pression de la montée des luttes de masse, la direction du PCC lança un appel à briser la barrière entre les tâches nationales démocratiques et la révolution socialiste. Le parti fit appel à la classe ouvrière pour accomplir « sur le champ » la révolution chinoise, en « concentrant le rail, le transport maritime, les mines et la grande industrie sous le contrôle de l’Etat et en procédant à la transition vers le socialisme » (History of Sino-Soviet Relations 1917-1991, Shen Zhihua, Xinhua Press, p31, traduction de l’anglais).

Hostile à toute tentative par le PCC de violer sa théorie des « deux étapes », Staline réduisit cette initiative révolutionnaire dans la deuxième moitié de mars 1927 en émettant les ordres suivants :

1) pas de prise de pouvoir des concessions étrangères à Shanghai de façon à éviter une intervention impérialiste ;

2) manœuvrer entre l’aile gauche et l’aile droite du KMT, s’abstenir de toute opposition envers l’armée, et préserver les forces du PCC ;

3) le PCC devait se préparer à des luttes armées, mais devait dissimuler ses armes pour l’instant compte tenu de ce que l’équilibre des forces était défavorable à la classe ouvrière.
La marche victorieuse des travailleurs de Shanghai après l’insurrection armée

Ces directives permirent que ce qui se présentait comme une situation révolutionnaire exceptionnellement favorable se transforma en un désastre meurtrier. Le 21 mars 1927, le PCC organisa une insurrection armée, soutenu par une grève générale de 800 000 ouvriers de Shanghai. La classe ouvrière écrasa les forces des seigneurs de la guerre et pris le contrôle de la ville, à l’exception des concessions étrangères. Toutefois, le PCC fut empêché par la politique stalinienne d’établir un gouvernement des ouvriers et au lieu de cela forma un gouvernement « provisoire » qui incluait des dirigeants de la bourgeoisie. Sa tâche principale n’était pas de faire avancer les intérêts de la classe ouvrière, mais d’accueillir Tchang Kaï-chek et ses troupes.

Tchang Kaï-chek resta volontairement à l’extérieur de Shanghai pendant des semaines pour laisser les ouvriers s’épuiser dans le combat contre les seigneurs de la guerre, pendant qu’il planifiait son coup de force en collaboration avec les grands entrepreneurs de Shanghai et des gangsters, ainsi qu’avec les puissances impérialistes. Le complot de Tchang n’était pas un secret pour la direction du PCC, qui avait déduit des évènements que la classe ouvrière de Shanghai devait s’armer et se tourner vers des soldats sympathisants à l’intérieur de la deuxième et de la sixième armée du KMT.

Cependant le 31 mars, le Komintern, en accord avec l’injonction de Staline d’éviter un conflit « prématuré » adressa un télégramme à Shanghai ordonnant au PCC de donner l’instruction à des milliers d’ouvriers armés de cacher leurs armes. L’un des dirigeants du PCC, Luo Yinong dénonça avec colère cet ordre comme « une politique suicidaire ». Le PCC fut quoi qu’il en soit contraint d’obéir.

Trotsky et l’opposition de gauche avertirent sans relâche du danger et appelèrent à la formation de soviets en tant qu’organes indépendants du pouvoir des masses ouvrières. Mais le 5 avril, lors d’un discours tristement célèbre dans la Salle des colonnes à Moscou, Staline insista pour dire que le PCC devait maintenir son bloc unitaire avec Tchang.

« Tchang Kaï-chek se soumet à la discipline. Le Kuo-Min-Tang est un bloc, une sorte de parlement révolutionnaire, avec la droite, la gauche et les communistes. Pourquoi faire un coup d’Etat ? Pourquoi écarter la droite alors que nous avons la majorité et quand la droite nous écoute ?... En ce moment nous avons besoin de la droite. Elle a des personnes compétentes, qui dirigent toujours l’armée et la conduise contre les impérialistes. Tchang Kaï-chek n’a peut-être pas de sympathie pour la révolution mais il dirige l’armée et ne peut faire autrement que de la diriger contre les impérialistes. En outre, les gens de la droite sont en relation avec le général Chang Tso-lin [le seigneur de la guerre mandchou] et savent très bien comment les démoraliser et les amener à passer du côté de la révolution, avec armes et bagages, en évitant tout conflit. Ils sont aussi en rapport avec les riches marchands et peuvent lever des fonds chez eux. Aussi il faut savoir les utiliser à cette fin, les presser comme des citrons et ensuite s’en débarrasser » ((The Tragedy of the Chinese Revolution, Harold R. Isaacs, Stanford University Press, 1961, p. 162, traduit de l’anglais).
Peloton d’exécution de Tchang décapitant un ouvrier communiste

Le 12 avril, seulement une semaine après le discours de Staline, Tchang frappa, envoyant des gangs de voyous détruire l’Union générale du Travail de la ville. Le jour suivant, le PCC appela à une grève qui rassembla 100 000 ouvriers, mais Tchang Kaï-chek répondit avec des troupes et des fusils automatiques, massacrant des centaines de personnes. Au cours du règne de « terreur blanche » des mois suivants, des milliers d’ouvriers communistes furent assassinés, non seulement à Shanghai, mais dans d’autres villes sous le contrôle de Tchang.

La grève générale de la classe ouvrière

La milice ouvrière armée

Problémes de la révolution chinoise : Chen Du-xiu, l’Opposition de Gauche et la IVème Internationale, les cahiers du CERMTRI, n°135, décembre 2009 (5 €)

CERMTRI

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En décembre 1927 l’écrasement de la révolution ouvrière chinoise marque un tournant dans l’histoire du parti communiste chinois. Mao prendra la tête du PC chinois dans la période suivante, abandonnant le terrain du communisme.

Une autre tendance du PC chinois de cette période est moins connue, mais de bien plus grande valeur. Elle est incarnée par Chen Du Xiu, un des fondateurs du PC chinois. Pour répondre à la question : d’où vient l’échec de 1927 ? Il écrit une série d’articles polémiques dénonçant la politique stalinienne suivie par le PC chinois pendant cette période d’essor révolutionnaire du prolétariat chinois.

C’est le thème de ce cahier du CERMTRI

Le premier texte est la fameuse lettre de Chen Du Xiu, qui à elle seule donnera sans doute envie au lecteur de se procurer le cahier dans son intégralité :

LETTRE DE CHEN DU-XIU A TOUS LES MEMBRES DU PARTI COMMUNISTE CHINOIS

Chers Camarades,

Reconnaître ses erreurs et lutter contre l’opportunisme

Depuis que j’ai contribué avec mes camarades à fonder le parti communiste chinois en 1920, j’ai toujours appliqué fidèlement la politique opportuniste des dirigeants de l’Internationale Communiste : Staline, Zinoviev, Boukharine et autres, qui conduisit la révolution chinoise à un honteux et triste échec. Bien que j’aie travaillé avec acharnement jour et nuit, mes démérites sont cependant plus grands que mes mérites. Naturellement, je ne veux pas imiter la confession hypocrite de quelques-uns des anciens empereurs chinois : « Moi seul suis responsable tous les péchés des peuples », en prenant sur mes propres épaules toutes les erreurs qui ont causé l’échec, par contre j’aurais honte d’adopter l’attitude des camarades responsables durant cette période, qui critiquent seulement les fautes passées de l’opportunisme en s’excluant eux-mêmes. Chaque fois que des camarades montreront mes erreurs passées, je les reconnaîtrai sincèrement. Je refuse absolument d’ignorer l’expérience de la révolution chinoise, acquise à un si haut prix payé par le prolétariat (depuis la conférence du « 7 août » jusqu’à maintenant, non seulement je n’ai pas repoussé les justes critiques, mais j’ai même gardé le silence devant les blâmes exagérés dirigés contre moi). Je suis non seulement disposé à reconnaître mes erreurs passées mais aujourd’hui et à l’avenir, s’il y a quelque erreur opportuniste dans ma pensée ou dans mon action, j’espère que les camarades me critiqueront sans ménagement avec des arguments et des faits. J’accepte humblement et accepterai toute critique sauf les rumeurs et les fausses accusations. Je ne puis posséder la même confiance en soi que Qu Qiu-bai et Li Li-san. Je reconnais pleinement que ce n’est jamais chose facile, pour les hommes ou pour les partis, d’éviter les fautes opportunistes. Même des vétérans marxistes comme Kautsky et Plekhanov ont sombré à la fin de leur vie dans un opportunisme impardonnable ; ceux qui pendant de longues années travaillèrent avec Lénine, comme Staline et Boukharine, pratiquent aussi maintenant un honteux opportunisme ; comment des marxistes superficiels comme nous-mêmes pourraient-ils être satisfaits ? Un homme toujours satisfait de soi s’interdit tout progrès. Même le drapeau de l’Opposition ne possède pas le charme du céleste professeur Tchang (chef de la religion taoïste qui avait le pouvoir de chasser les démons), et si ceux qui n’ont pas pénétré à fond l’idéologie de la petite bourgeoisie, pleinement compris les bases de l’opportunisme passé et participé activement aux luttes, se bornent à se ranger sous le drapeau de l’Opposition et à dénoncer l’opportunisme de Staline et de Li Li-san, s’imaginent que les démons opportunistes ne s’approcheront jamais, c’est une dangereuse illusion. Le seul moyen d’échapper à l’opportunisme c’est d’étudier avec persévérance et humilité les enseignements de Marx et de Lénine dans les luttes des masses prolétariennes et dans la critique mutuelle des camarades.

La principale cause de l’échec de la Révolution chinoise : notre politique à l’égard du Kuomintang.

Je reconnais très nettement que les causes objectives de l’échec de la révolution chinoise sont d’importance secondaire et que le point principal est que l’erreur de l’opportunisme est l’erreur de notre politique à l’égard du Kuomintang de la bourgeoisie. Tous les camarades responsables du Comité central à l’époque, et moi spécialement, devraient reconnaître ouvertement et courageusement qu’une telle politique était absolument erronée ; mais ce n’est pas assez de
reconnaître seulement l’erreur ; nous devons sincèrement et pleinement comprendre que l’erreur passée était la matière essentielle de la politique de l’opportunisme et quelles furent les causes et les résultats de cette politique, et les révéler pleinement. Alors pourrons-nous espérer ne pas retomber dans les mêmes erreurs et éviter la répétition de l’ancien opportunisme dans la prochaine révolution.

Dans les premiers temps de la fondation de notre parti, bien qu’il fût tout à fait jeune encore et guidé par l’Internationale Communiste, nous ne commîmes pas de grandes fautes. Par exemple, nous prîmes nettement la direction des batailles ouvrières et reconnûmes la nature de classe du Kuomintang. En 1921, notre parti amena les délégués du Kuomintang et d’autres organisations sociales à participer à la Conférence des travailleurs de l’Extrême-Orient qui avait été préparée et convoquée par la IIIe Internationale. La résolution adoptée par cette Conférence stipulait que dans les pays coloniaux de l’Orient, il fallait mener la bataille pour la révolution démocratique et qu’au cours de la révolution des soviets paysans devraient être organisés. En 1922, au deuxième congrès du parti chinois, cette politique du front uni de la révolution démocratique fut confirmée et sur cette base nous réglâmes notre attitude à l’égard de la situation politique. En même temps le représentant de l’Internationale des Jeunes, Dalin, vint en Chine et suggéra au Kuomintang le front uni des cliques révolutionnaires. Le chef du Kuomintang, Sun Yat-sen, refusa sévèrement de seulement permettre aux membres du parti communiste chinois ou de la Ligue des Jeunes d’adhérer au Kuomintang, repoussant l’union en dehors du parti. Peu après la tenue de notre congrès, l’Internationale Communiste envoya son représentant, Maring (H. Sneevliet), en Chine, invitant tous les membres du Comité central du parti à se réunir au West Lake de Hangzhou (province du Zhejiang) et là il suggéra au parti communiste de rejoindre le Kuomintang. Il affirma vigoureusement que le Kuomintang n’était pas un parti de la bourgeoisie, mais un parti commun de classes diverses et que le parti prolétarien devait y entrer pour le rendre meilleur et le pousser vers la révolution. A cette époque les cinq membres du Comité central du parti communiste chinois s’opposèrent unanimement à cette proposition. La raison principale de notre opposition était celle-ci : entrer dans le Kuomintang, c’était introduire la confusion dans l’organisation de classe et entraver notre politique indépendante. Finalement le délégué de la IIIe Internationale demanda catégoriquement si le parti communiste chinois se conformerait à la décision de l’I.C.

Placé dans cette situation, le Comité central du parti qui ne voulait pas enfreindre la discipline internationale ne pouvait qu’accepter la suggestion de la IIIe Internationale et accepter d’entrer dans le Kuomintang. A partir de ce moment, le délégué de U.C. et les représentants du parti chinois passèrent près d’une année à tenter de réorganiser le mouvement du Kuomintang. Mais dès les premières tentatives, le Kuomintang se montra résolument hostile. A maintes reprises, Sun Yat-sen dit au délégué de l’LC. : « Pour autant que le parti communiste chinois a adhéré au Kuomintang, il doit observer la discipline du Kuomintang ; si la Russie soviétique se range aux côtés du parti communiste chinois, je me dresserai aussitôt contre la Russie soviétique. » Ainsi le délégué de U.C. repartit pour Moscou très désappointé. Son successeur, Borodine, prit avec lui une importante aide matérielle pour le Kuomintang ; alors le Kuomintang commença à se réorganiser, en 1924, et à adopter la politique de collaboration avec la Russie.

L’I.C. impose au PC chinois de soutenir Tchang Kaï-chek et le Kuomintang

Durant cette période, les communistes chinois étaient à peu près indemnes de tout opportunisme ; aussi pûmes-nous prendre la tête de la grève des cheminots du 7 février 1923 et du mouvement du « 30 mai », de 1925, car nous n’étions pas gênés par la politique du Kuomintang et à plus d’une reprise nous critiquâmes sévèrement la politique de compromis du Kuomintang. Aussitôt que le prolétariat eut levé la tête (mouvement du « 30 mai »), la bourgeoisie fut immédiatement éveillée. Aussi les brochures anticommunistes de Dai Ji-tao furent-elles aussitôt publiées. A la Conférence élargie du Comité central du parti communiste chinois tenue à Pékin en octobre de la même année, je soumis la proposition suivante à la Commission politique des résolutions : la
publication des brochures de Dai Ji-tao n’est pas accidentelle, mais elle signifie que la bourgeoisie va tenter de renforcer sa puissance pour barrer la route au prolétariat et se préparer pour la contre-révolution. Nous devrions nous préparer à sortir sans délai du Kuomintang ; alors nous pourrions maintenir pleinement notre signification politique, prendre la direction du Kuomintang. A ce moment, le délégué de l’I.C. et les camarades responsables de notre Comité central se trouvèrent d’accord pour combattre ma proposition, disant qu’elle aboutissait à suggérer aux camarades et aux masses de s’engager sur la voie de l’opposition au Kuomintang. Je devais tenir compte de l’opinion de la majorité de notre Comité central et aussi observer la discipline internationale : je ne maintins donc pas fermement ma proposition. Le coup d’Etat de Tchang Kaï-chek, le 20 mars 1926, se produisit alors comme une application des principes formulés par Dai Ji-tao. Ayant fait arrêter un grand nombre de communistes, désarmer les gardes rouges des comités de grève de Canton et de Hongkong, et des conseillers soviétiques, le Comité central du Kuomintang décida que tous les éléments communistes devraient se retirer des organismes dirigeants du Kuomintang, que toute critique du Sunystsénisme par les communistes était interdite et que la liste du nom des membres du parti communiste et de la Ligue qui entraient dans le Kuomintang devait être remise au Kuomintang. Toutes ces conditions furent acceptées, mais en même temps nous continuâmes à préparer nos forces militaires à nous afin de les amener au niveau de celles de Tchang Kaï-chek. Le camarade Peng Shu-chih fut envoyé à Canton comme représentant du Comité central du parti communiste chinois pour consulter le représentant de TIC. sur notre plan. Mais ce dernier déclara qu’il n’était pas d’accord avec nous et s’efforça de son mieux à continuer de renforcer Tchang Kaï-chek. Il demanda avec insistance que nous mettions toutes nos forces du côté de la dictature militaire de Tchang Kaï-chek afin de renforcer le gouvernement de Canton et de soutenir l’expédition vers le Nord. Nous lui demandâmes de prélever 5.000 fusils sur ceux attribués à Tchang Kaï-chek et Li Ji-shen pour nous permettre d’armer les paysans du Guangdong. Il refusa, disant : « Les paysans armés ne peuvent pas combattre les forces de Chen Jiong-ming, ni prendre part à l’expédition du Nord ; ils ne peuvent que provoquer la suspicion du Kuomintang ». Ce fut une période des plus critiques. Parlant concrètement, ce fut la période dans laquelle le Kuomintang de la bourgeoisie obligea ouvertement le prolétariat à le prendre pour guide et à le suivre, ou encore c’était le moment où le prolétariat déclarait formellement, par notre intermédiaire, se rendre à la bourgeoisie, vouloir la suivre, et se subordonner à elle. (Le délégué de l’LC. dit textuellement : « La présente période est une période dans laquelle les communistes doivent faire le travail des coolies pour le Kuomintang. »). A partir de ce moment le parti n’était déjà plus le parti du prolétariat, il se transformait en extrême-gauche de la bourgeoisie et commençait à dégringoler dans l’opportunisme. Après le coup du 20 mars, dans mon rapport à U.C., je déclarais que mon opinion personnelle concernant la coopération avec le Kuomintang devait être non une coopération du dedans mais une coopération du dehors ; autrement nous ne pourrions pas mener notre politique propre ni garder la confiance des masses. En réponse à ce rapport, Boukharine donna un article à la Pravda critiquant sévèrement mon opinion, que le P.C. chinois devait se retirer du Kuomintang, en disant : « II y a eu dans le passé deux tactiques erronées : l’abandon des syndicats réformistes et la rupture du Comité anglo-russe. Nous sommes maintenant devant une troisième : le parti communiste chinois veut toujours sortir du Kuomintang ». Et en même temps, il envoyait Wu Ting-kong, le secrétaire du Bureau d’Extrême-Orient en Chine pour combattre notre tendance à quitter le Kuomintang. Cette fois encore et toujours pour les mêmes raisons, je dus céder.

Plus tard, la campagne militaire vers le Nord s’engagea. Nous fûmes attaqués très vivement par le Kuomintang parce que, dans notre organe, Le Guide, nous critiquâmes la suppression de tout mouvement ouvrier à l’arrière et la contribution obligatoire des paysans au fonds militaire à cause de cette expédition. Vers le même moment, les ouvriers de Shanghai se préparaient à se soulever et à chasser les troupes du Zhili-Shandong. Si ce soulèvement triomphait, la question de savoir qui prendrait le pouvoir se posait. A cette époque, dans le protocole de la résolution politique de la Conférence élargie du Comité central, je disais : « La révolution chinoise a deux voies : l’une est celle que le prolétariat peut tracer et alors nous pouvons atteindre nos buts révolutionnaires ; l’autre est celle de la bourgeoisie et ainsi cette dernière devra trahir la révolution au cours de son jeveloppement. En conséquence, nous pouvons coopérer avec la bourgeoisie, mais c’est nous qui devons avoir le rôle dirigeant ». Cependant, tous les membres du Bureau d’Extrême-Orient de l’I.C. résidant à Shanghai se trouvèrent unanimes contre ma proposition, disant qu’elle pousserait les ouvriers à s’opposer à la bourgeoisie trop tôt. En outre, ils déclarèrent péremptoirement qu’au cas où le soulèvement de Shanghai réussirait, le pouvoir devrait être confié à la bourgeoisie et qu’il n’était pas nécessaire que des délégués ouvriers y participent. Par suite ma proposition fut abandonnée.

A l’époque où le corps expéditionnaire du Nord s’empara de Shanghai (1927) la préoccupation principale de Qu Qiu-bai était la sélection du gouvernement municipal de Shanghai et comment unir la petite bourgeoisie et les moyens et petits commerçants pour combattre la grande bourgeoisie. Peng Shu-chih, Luo Yi-nong et moi pensâmes que l’élection du gouvernement municipal de Shanghai n’était pas le problème central, mais que le problème central était celui-ci : si le prolétariat ne dominait pas les forces militaires de Tchang Kaï-chek, la petite bourgeoisie ne serait pas avec nous, et que Tchang Kaï-chek, sous la direction des impérialistes, massacrerait les masses. A cette époque, le gouvernement municipal de Shanghai non seulement n’était qu’un mot, mais il était clair qu’un échec s’étendrait à la Chine tout entière parce que si Tchang Kaï-chek trahissait ouvertement la Révolution ce ne serait pas là une action individuelle, mais le signal que la bourgeoisie, dans tout le pays, passerait au camp de la réaction. Pen Shu-zhi alla aussitôt à Hankéou pour exposer notre opinion devant le délégué de l’I.C. et la majorité des membres de notre Comité central et les consulter sur la manière dont il fallait attaquer les forces de Tchang Kaï-chek. Mais ils se souciaient fort peu du coup de Shanghaï et se bornèrent à me télégraphier à diverses reprises, insistant pour que je me rende sans tarder à Wuhan et dans la province de Hubei. Ils pensaient que le gouvernement nationaliste était alors à Wuhan et qu’ainsi c’était à Wuhan que toutes les questions importantes devaient être tranchées. En même temps, le délégué de l’I.C. nous ordonnait de cacher ou d’enterrer toutes les armes afin d’éviter un conflit armé entre les ouvriers et Tchang Kaï-chek, afin de ne pas troubler la concession de Shanghai par une lutte armée. Ayant lu ce télégramme. Luo Yi-nong était si irrité qu’il le déchira en morceaux. Je me conformai encore une fois aux instructions de l’I.C. et conformément à celles-ci touchant la politique de l’I.C. envers le Kuomintang et les impérialistes, je rédigeai, avec Wang Jing-wei, un honteux manifeste.

Au début d’avril, j’allai à Hankéou. Quand je rencontrai Wang Jing-wei pour la première fois, il prononça des paroles réactionnaires, grandement différentes de ce qu’il avait dit lorsqu’il était à Shanghaï. J’en informai Borodine. Celui-ci me dit que mon observation était juste et que aussitôt que Wang-Jing-wei avait atteint Wuhan il avait été entouré par Si Chien, Guo Meng-yu, Chen Gong-ho, Tan Yen-kaï, et d’autres et que, progressivement, il était devenu plus froid avec lui. Après que Tchang Kaï-chek et Lu Chi-sheng eurent fait massacrer méthodiquement les ouvriers et les paysans, le Kuomintang méprisa davantage de jour en jour la force du prolétariat, et l’attitude réactionnaire de Wang Jing-wei et du Comité Central du Kuomintang se développa rapidement. A la réunion de notre Bureau politique, je fis un rapport sur la coopération de notre parti avec le Kuomintang : « Le danger de la coopération entre notre parti et le Kuomintang, disais-je, est de plus en plus sérieux. Le Kuomintang paraît seulement préoccupé de tel ou tel problème secondaire, mais en réalité ce qu’il veut c’est tout le pouvoir. Maintenant, deux voies seulement nous sont ouvertes : renoncer au pouvoir ou rompre avec le Kuomintang. » Les assistants accueillirent cette déclaration par le silence. Après le coup du 21 mai à Changsha, dans la province du Hunan, je suggérai à deux reprises la sortie du Kuomintang. Finalement, je dis : « Le Kuomintang de Wuhan marche sur les traces de Tchang Kaï-chek. Si nous ne changeons pas radicalement notre politique nous serons aussi amenés à suivre le chemin de Tchang Kaï-chek ! ». Seul Deng Pei s’écria : « Oh ! oui. » Chou En-laï déclara : « Après notre sortie du Kuomintang, les mouvements ouvrier et paysan seront plus à leur aise pour se développer mais l’action militaire souffrira trop. » Les autres restèrent passifs. A la même époque, comme je discutais cette question avec Du Shu-pei, il me dit : « Nous devons laisser le Kuomintang nous expulser et ne pas nous en aller nous-mêmes. » Je consultai Borodine : « Je suis tout à fait d’accord avec vous, me dit-il, mais je sais que Moscou ne permettra jamais que nous sortions du Kuomintang. » Toujours pour les mêmes raisons, je dus m’incliner, mais en même temps je remettais ma démission entre les mains du Comité central. La principale raison que j’en donnais était celle-ci : « L’I.C. veut, d’une part, que nous fassions notre politique, et d’autre part elle ne nous permet pas de sortir du Kuomintang. H n’y a vraiment pas d’issue et, dans ces conditions, je ne puis poursuivre mon travail. »

Du commencement à la fin, l’I.C. considéra que le Kuomintang était l’organe essentiel de la révolution nationale démocratique chinoise. Dans la bouche de Staline, l’expression « la direction du Kuomintang » était formulée très haut (voir « L’erreur de l’Opposition dans les problèmes de la Révolution chinoise »), Ainsi il voulait que nous restions tout à fait soumis dans l’organisation du Kuomintang et diriger les masses sous le nom et la bannière du Kuomintang. Au moment où les chefs du Kuomintang tels que Feng Yu-xiang, Warig Jing-wei, Fang Seng-chi, Ho jieu, etc., se montrèrent ouvertement réactionnaires et abolirent la politique appelée des « trois quarts » - accord avec l’Union soviétique, travail du parti communiste dans le Kuomintang et aide au mouvement ouvrier et paysan - U.C. nous envoya ces instructions par télégramme : « Sortir seulement du gouvernement du Kuomintang, mais non du Kuomintang. » Ainsi après la conférence du « 7 août », du soulèvement de Nanchang jusqu’à la prise de Shantou, le parti communiste restait toujours caché sous le drapeau bleu blanc de la clique de gauche du Kuomintang. Pour les masses, il apparaissait qu’il y avait un certain trouble à l’intérieur du Kuomintang, mais rien de plus. Le jeune parti communiste chinois créé par le jeune prolétariat chinois n’eut pas une période convenable d’éducation marxiste et de luttes de classes. Dès le début de sa formation il se trouva en présence de la grande bataille révolutionnaire. Le seul espoir pour lui d’éviter toute erreur grave résidait dans la juste politique prolétarienne de l’LC. Mais guidés par une politique toujours opportuniste en ses diverses phases, comment le prolétariat chinois et le parti communiste pouvaient-ils voir clairement leur propre avenir ? Et comment pouvaient-ils avoir une politique indépendante ? Ils ne firent que se livrer, pas à pas, à la bourgeoisie et se subordonner complètement à elle. Et quand celle-ci se mit à nous massacrer, nous ne sûmes plus que faire.

Après le coup du 21 mai à Changsha, l’LC. nous traça ce programme  :

1° Confisquer les terres des propriétaires grands et petits, ne pas nous servir du nom de gouvernement nationaliste, mais ne pas toucher aux terres des officiers. (Or, dans les provinces du Hunan et du Hubei il n’y avait pas un propriétaire qui ne soit parent ou ami d’officiers. Tous les propriétaires étaient protégés directement ou indirectement par les chefs militaires. Dans ces conditions « confisquer la terre » était une expression vide de sens.)

2° Arrêter l’action « trop vigoureuse » des paysans par le pouvoir de la direction du parti. (Nous exécutâmes cette honteuse instruction d’entraver l’action directe des paysans. Par la suite U.C. accusa le parti chinois d’avoir été souvent un obstacle pour les masses et déclara que c’était là une des plus graves fautes opportunistes.)

3° Chasser les généraux qui ne pouvaient plus inspirer confiance ; armer 20.000 communistes et choisir 50.000 ouvriers et paysans des provinces du Hunan et du Hubei pour organiser une nouvelle armée. (Si nous pouvions disposer de tant de fusils, pourquoi alors ne pas armer directement les ouvriers et les paysans et pourquoi devions-nous encore renforcer les troupes du Kuomintang ? Pourquoi ne pouvions-nous pas créer des soviets d’ouvriers, paysans et soldats ? S’il n’y a ni ouvriers et paysans armés, ni soviets, où et comment pourrons-nous chasser les dits généraux ? Je suppose que nous devions encore humblement prier le Comité central du Kuomintang de les révoquer ? Le fait que le délégué de l’I.C. communiqua ces instructions de l’I.C. à Wang Jing-wei ne pouvait être que dans ce but.)

4° Introduire de nouveaux éléments ouvriers et paysans dans le Comité central du Kuomintang pour remplacer d’anciens membres. (Si nous avions eu le pouvoir d’agir selon notre gré avec l’ancien Comité et de réorganiser le Kuomintang, pourquoi alors ne pas organiser des soviets ? Pourquoi devions-nous envoyer nos chefs ouvriers et paysans au Kuomintang bourgeois qui avait déjà fait massacrer les ouvriers et les paysans ? Et pourquoi parerions-nous un tel Kuomintang avec nos leaders ?)

5° Organiser un tribunal révolutionnaire avec un membre bien connu du Kuomintang comme président pour juger les officiers réactionnaires. (Comment un leader déjà ouvertement réactionnaire du Kuomintang pouvait-il juger, dans un tribunal révolutionnaire, les officiers réactionnaires ?)

Ceux qui tentèrent d’appliquer une telle politique à l’intérieur du Kuomintang étaient des opportunistes de la tendance de gauche. Il n’y eut aucun changement politique fondamental. A ce moment, si nous voulions adopter une juste politique révolutionnaire, les bases mêmes de la politique suivie jusqu’alors devaient être renversées. C’est-à-dire que le parti communiste devait sortir du Kuomintang et agir en pleine indépendance. Il devait armer les paysans et les ouvriers en aussi grand nombre que possible, créer des soviets d’ouvriers, paysans et soldats et arracher le pouvoir au Kuomintang.

Autrement, peu importait la sorte de politique de gauche qui serait adoptée : il n’y aurait aucun moyen de la réaliser. A cette époque, le Bureau politique télégraphia à l’I.C, en réponse à ses instructions : « Nous acceptons les instructions, et travaillons selon elles mais la politique qu’elles expriment ne peut être réalisée immédiatement. » En effet, tous les membres du Comité central reconnaissaient que la politique préconisée était impossible. Même le délégué de l’I.C. participant à la réunion du Comité central, Fanck (on dit qu’il était le délégué particulier de Staline) était de cet avis. Il approuva notre réponse, déclarant que « c’était tout ce qu’on pouvait dire. »

Après la conférence du « 7 août », le Comité central s’efforça de répandre l’idée que la cause de l’échec de la Révolution chinoise résidait dans le fait que les opportunistes ne se conformaient pas aux instructions de l’LC. (naturellement, ces instructions étaient celles mentionnées ci-dessus ; il n’y en eut pas d’autres).

Comme le parti a commis une telle succession d’erreurs fondamentales, d’autres erreurs secondaires en découlaient constamment Moi, qu’on ne reconnaissait pas franchement comme le chef, dont l’opinion n’était jamais décisive, je m’enfonçai profondément dans l’atmosphère opportuniste de l’LC. ; je devins inconsciemment l’instrument de la petite organisation de Staline ; je ne pouvais me cultiver moi-même ; je ne pouvais sauver le parti ni la révolution. De tout ceci, moi et mes camarades devons être tenus pour responsables. Le présent Comité central dit : « Vous essayez de rejeter la responsabilité de l’échec sur les épaules de l’LC. afin d’esquiver votre propre responsabilité. » Cette déclaration est ridicule. Personne ne peut être privé définitivement du droit de critiquer l’opportunisme d’en haut et de revenir au marxisme et au léninisme sous le prétexte qu’il a lui-même commis des fautes opportunistes. En même temps personne ne peut esquiver sa responsabilité d’avoir appliqué une politique opportuniste parce que cette politique venait d’en haut La source de la politique opportuniste menée ici est naturellement dans l’LC., mais pourquoi les chefs du parti communiste chinois ne protestèrent-ils pas contre l’LC. mais 1’appliquèrent-ils fidèlement ? Qui pourrait fuir sa responsabilité ? Nous devons reconnaître très franchement et objectivement que toutes les politiques opportunistes, passées et présentes, viennent de l’LC. Celle-ci doit en porter la responsabilité.
Le jeune parti communiste chinois n’était pas capable par lui-même de bâtir des théories et de fixer une politique quelconque, mais l’organe dirigeant du parti doit supporter la responsabilité d’une exécution aveugle de la politique opportuniste de l’I.C. sans la moindre appréciation ni protestation. Si nous nous excusons mutuellement, devrons-nous conclure que c’était la faute des masses ? Ceci n’est pas seulement trop ridicule, mais c’est se dérober devant ses propres responsabilités envers la révolution. Je crois fermement que si moi, ou un autre camarade responsable avait pu, au moment opportun, avoir une claire vision des erreurs de la politique opportuniste, formuler une forte critique, appelant même tout le parti à une ardente discussion, comme le fit le camarade Trotsky, le résultat aurait été une grande aide à la révolution et l’aurait empêchée de s’acheminer vers une honteuse faillite, bien que nous aurions risqué d’être exclu de l’I.C. et qu’une scission dans le parti eût pu se produire. Je ne l’ai pas fait. Si le parti, se basant sur une telle faute ou sur le fait que j’ai fortement contribué aux politiques erronées en m’y conformant, m’inflige une punition sévère, je l’accepterai sincèrement, sans un mot de protestation.

Mais les raisons qu’invoqué le présent Comité central pour m’expulser du parti sont les suivantes :

1° « II n’a pas reconnu sincèrement les erreurs propres de sa politique opportuniste dans la période de la grande Révolution chinoise et ne veut pas consentir à reconnaître en quoi réside son erreur fondamentale. Par suite il est condamné à persister dans sa ligne passée erronée. » En réalité on m’expulse exactement parce que je reconnais sincèrement en quoi consiste la faute de l’ancienne direction opportuniste et que je suis résolu à combattre le maintien présent ou futur des lignes erronées.

2° « II n’accepte pas l’opinion de l’LC. Il refuse d’aller à Moscou
parachever son instruction au sein de l’LC.
 » J’ai été suffisamment éduqué par. l’I.C. J’ai commis dans le passé beaucoup de fautes parce que j’ai accueilli trop facilement les opinions des C.C. Aujourd’hui, je suis expulsé parce que je n’accepte pas aveuglément l’opinion ete l’LC,

3° Le 5 août dernier j’écrivis une lettre au Comité central dans laquelle je disais : « Quelle est la contradiction fondamentale entre les intérêts économiques de classe de ces deux classes ? Avant et après l’insurrection de Canton j’envoyais plusieurs lettres au Comité central montrant que le pouvoir dirigeant du Kuomintang ne s’effondrerait pas aussi rapidement que vous le pensiez. A présent, il y a quelque agitation parmi les masses mais ce n’est pas suffisant pour y voir les symptômes d’une nouvelle vague révolutionnaire. Le mouvement général légal, bien entendu, est d’abandonner toute tentative de révolution. Mais sous certaines conditions, quand il est nécessaire de développer nos forces, « toutes les mesures légales possibles sauf celles d’un caractère infamant » (Lénine) ne doivent pas être repoussées durant cette période (la période de transition) ». Le Comité central modifia hypocritement ces trois phrases de la manière suivante : « II n’y a nulle contradiction entre la bourgeoisie et les forces féodales. La présente classe dirigeante ne va pas vers son effondrement et la lutte révolutionnaire ne commence pas à reprendre mais décline davantage. » « II affirme qu’il faut adopter des formes légales. » En outre, on ajouta une citation à chaque phrase. Tout cela paraît ainsi être ma véritable déclaration. C’est aussi la raison pour laquelle on m’expulse du parti.

4° J’écrivis une autre lettre au Comité central le 10 octobre, disant : « La présente période n’est pas une période de vague révolutionnaire mais une période de contre-révolution. Nous devrions formuler des mots d’ordre démocratiques comme nos mots d’ordre généraux. Par exemple, outre la revendication des huit heures, de la confiscation des terres, nous devrions aussi dire : « Annulation des traités inégaux », « Contre la dictature du Kuomintang », « Convocation d’une Assemblée nationale », etc. Il est nécessaire d’amener à l’activité de larges masses sous ces mots d’ordre démocratiques ; alors nous pourrons ébranler le régime contre-révolutionnaire, susciter la formation d’une nouvelle vague révolutionnaire et faire que nos mots d’ordre fondamentaux : « A bas le gouvernement du Kuomintang ! » et « Instauration du régime soviétique » deviennent les mots d’ordre actifs d’un mouvement de masses. Le 26 octobre, le camarade Peng Shu-zhi et moi écrivîmes Une lettre au Comité central, disant : « La période présenté n’est pas directement révolutionnaire ; nous devons avoir des mots d’ordre politiques généraux adaptés à cette période ; ainsi nous pourrons toucher et gagner les masses. Le mot d’ordre des soviets ne peut être actuellement qu’un mot d’ordre de propagande. Si nous pouvons « lutter pour l’organisation des soviets » comme un mot d’ordre actif, certainement nous ne pouvons pas espérer une réponse du prolétariat ». Mais le Comité central affirma que nous voulions substituer aux mots d’ordre « A bas le gouvernement du Kuomintang » et « Instauration d’un régime soviétique » le mot d’ordre politique général actuel « Convocation d’une Assemblée nationale ». Ceci est aussi une des raisons pour lesquelles je suis exclu.
5° J’écrivis dans une lettre que nous devions dénoncer « la politique de trahison ou de spoliation du pays suivie par le Kuomintang à l’égard du chemin de fer oriental chinois » pour
amener « les larges masses toujours animées de l’esprit national à sympathiser avec nous et à se dresser contre la manœuvre des impérialistes attaquant l’Union soviétique en se servant du Kuomintang et prenant pour prétexte le Chemin de fer oriental ». Ceci était dit clairement pour appuyer le mot d’ordre d’appui à TU.R.S.S. et pour toucher les masses. Mais le Comité central déclara que je voulais substituer le mot d’ordre d’opposition à la politique de spoliation du pays par le Kuomintang au mot d’ordre d’aide à l’Union soviétique. C’est aussi une des raisons pour lesquelles je suis exclu.

6° J’écrivis au Comité central plusieurs lettres au sujet des problèmes politiques sérieux qui se posent dans le parti. Le Comité central s’abstint, pour un long temps, de les communiquer au Parti ; Plus tard ; le délégué de l’IC et le Comité central me dirent clairement que c’est un principe que toutes les opinions politiques ne peuvent pas être exposées devant le parti. Etant donné qu’il n’y a nul espoir de corriger les fautes du Comité central au moyen d’une discussion régulière avec les camarades, je ne devrais pas être lié par la discipline habituelle de l’organisation et de plus, il n’est pas nécessaire d’empêcher des camarades de communiquer mes lettres. C’est aussi une des raisons pour laquelle je suis exclu.

7° Depuis la conférence du 7 août, le Comité central ne m’a pas permis de participer à aucune réunion ni ne m’a donné un travail quelconque à faire. C’est seulement le 6 octobre (quarante tours avant mon expulsion) qu’il m’envoya, une lettre disant : « Le Comité central a décidé de vous demander d’entreprendre le travail d’édition du Comité central conformément à la ligne politique du parti et d’écrire un article contre l’Opposition dans la semaine courante ». Comme j’avais, plus d une fois, critiqué le Comité central pour sa persistance dans l’opportunisme et putschisme, on essayait de créer des motifs pour m’exclure du parti. Or, maintenant, je reconnais fermement que les opinions du camarade Trotsky concordent avec le marxisme léninisme.

Comment pouvais-je parler ou écrire contre ce que je pense ?

8° Ce que nous savons ; c’est que le camarade Trotsky a combattu vigoureusement la politique opportuniste de Staline et de Boukharine. Nous ne pouvons ajouter foi aux rumeurs que répand la clique stalinienne et croire que le camarade Trotsky, qui a préparé et accompli la •évolution d’Octobre la main dans la main avec Lénine, est devenu un contre-révolutionnaire. Parce r_e nous avons parlé de Trotsky comme d’un camarade, le Comité central nous a blâmé, accusé « d’avoir déjà déserté la Révolution et le prolétariat pour aller vers la contre-révolution », et exclu du parti.

Camarades !

Le Comité central a recouru à tous ces faux et mensonges pour tenter de justifier mon
exclusion du parti, et a jeté sur moi l’épithète de « contre-révolutionnaire » sans la moindre
preuve
. Je crois que la plupart des camarades ne peuvent encore comprendre clairement de quoi il
s’agit dans cette affaire. Même le Comité central doit reconnaître « qu’il y a des camarades qui ne peuvent pas comprendre ». Néanmoins il m’exclut et affirme ouvertement que je vais à la contre-révolution quand des camarades déclarent ne pas comprendre. Cependant je comprends très bien pourquoi il m’accuse faussement d’être un « contre-révolutionnaire ». C’est l’arme inventée par les
Chinois d’aujourd’hui pour attaquer ceux qui n’appartiennent pas à leur clique. Par exemple, le
Kuomintang accuse les communistes d’être des contre-révolutionnaires pour couvrir ses propres péchés. Tchang Kaï-chek tente de tromper les masses avec l’étendard de la révolution, se
sidérant lui-même comme la personnification de la révolution. Ceux qui le combattent
deviennent aussitôt des « contre-révolutionnaires », des « éléments réactionnaires ».

Beaucoup de camarades savent que les raisons déraisonnables du Comité central pour m adore ne sont qu’une excuse formelle et officielle. En réalité, il ne veut pas que je puisse socimer mes opinions dans le parti et le critiquer pour son opportunisme et son putschisme
et pour persister dans sa politique de banqueroute.

Le Kuomintang représente les intérêts de la bourgeoisie

Dans quelques-unes des contrées bourgeoises à travers le monde, il existe des vestiges féodaux et des méthodes féodales d’exploitation (les nègres et les esclaves de l’archipel des mers du Sud sont soumis au régime d’esclavage antérieur au féodalisme) et là existent des vestiges des forées féodales. Là Chine leur ressemble. Dans là révolution, nous ne pouvons pas, naturellement, négliger ces forces. Mais l’I.C. et notre Comité central ont unanimement reconnu qu’en Chine les vestiges féodaux occupent toujours une haute position dans l’économie et dans la politique et détiennent la position dirigeante. Par suite, ils considèrent ces vestiges comme l’objet de la révolution et, négligemment, ils laissent passer l’ennemi mortel de la révolution - les forces de la bourgeoisie - et considèrent toutes les actions réactionnaires de la bourgeoisie comme celles des forces féodales. Il semble qu’ils pensent que la bourgeoisie chinoise est toujours révolutionnaire, qu’elle ne peut pas être pour toujours réactionnaire, et que tous ceux qui sont réactionnaires ne peuvent pas appartenir à la bourgeoisie. Ainsi, ils n’admettent pas que le Kuomintang représente les intérêts de la bourgeoisie ni que le gouvernement nationaliste représente les intérêts de la bourgeoisie. Une conclusion inévitable c’est que en dehors du Kuomintang. ou du Kuomintang de Nankin, actuellement ou dans l’avenir, il y a ou il y aura un parti bourgeois non-réactionnaire et révolutionnaire. Par suite, aujourd’hui, dans leur tactique et dans leur activité politique ils ne font que suivre les « réorganisateurs » dans leurs entreprises militaires de renversement de Tchang Kaï-chek. Dans leur plate-forme ils déclarent que le caractère de la troisième révolution (note 2) sera toujours la révolution bourgeoise-démocratique, s’opposant dans la future révolution à l’entrave des forces économiques de la bourgeoisie et s’opposant au mot d’ordre de la dictature du prolétariat. Une telle illusion à l’égard de la bourgeoisie et un tel attachement persistant à la bourgeoisie n’entraîneront pas seulement la persistance de l’opportunisme passé mais l’approfondiront, et ne pourront qu’entraîner un triste et honteux échec de la future révolution.

Quels mots d’ordre pour la période présente ?

Si nous prenons le mot d’ordre de l’instauration du régime soviétique comme le mot d’ordre actif de la période présente nous ne pourrons plus le lancer quand la situation objective aura mûri en une nouvelle vague révolutionnaire : c’est un mot d’ordre dont on ne peut se servir en tout temps et à son gré (note 3). Dans le passé, lors du flux de la vague révolutionnaire, nous n’avons pas appelé les ouvriers et les paysans à créer des soviets ni à instaurer un régime soviétique ; naturellement ce fut une grave faute. Dans l’avenir, quand la révolution se déclenchera, nous devrons immédiatement organiser des soviets d’ouvriers, paysans et soldats. Alors il nous faudra mobiliser les masses et les entraîner à lutter pour le mot d’ordre d’instauration du régime soviétique. En outre, ce devra être le soviet de la dictature du prolétariat, et non le soviet de la dictature démocratique des ouvriers et paysans. Dans la période présente, quand les forces contre-révolutionnaires sont entièrement victorieuses et quand il n’y a nulle vague d’un mouvement de masse révolutionnaire, la condition objective pour « un soulèvement armé » et la « création des soviets » n’est pas mûre.

A l’époque présente, « Créez des Soviets » n’est qu’un mot d’ordre de propagande et d’éducation. Si nous l’employons comme un mot d’ordre actif et voulons mobiliser la classe ouvrière dès maintenant pour lutter pratiquement pour l’instauration des Soviets, certainement nous n’obtiendrons aucune réponse des masses. Nous devons donc, pour notre action d’aujourd’hui, adopter le mot d’ordre très démocratique de « lutte pour la convocation d’une Assemblée nationale ».

Parce que la situation n’est mûre maintenant que pour une telle action et que seul, ce mot d’ordre peut toucher les larges masses et permettre de les entraîner de la lutte politique légale vers la poussée révolutionnaire, vers le « soulèvement armé » et 1’ « instauration du régime soviétique ». L’actuel Comité central, qui continue le putschisme, ne voit pas les choses ainsi. Il estime que la nouvelle situation révolutionnaire est déjà mûre (note 4). Il nous reproche de ne considérer le mot d’ordre de création de soviets d’ouvriers et de paysans, que comme un mot d’ordre de propagande. Aussi, appelle-t-il sans cesse les membres du parti à descendre dans la rue pour y faire des démonstrations auxquelles les masses ne participent pas, déclenche-t-il des grèves à la légère - toute Bataille quotidienne de faible importance devant être transformée, à notre gré, en une grande bataille roiitique - et c’est ainsi que les ouvriers abandonnent le parti en nombre de plus en plus grand. Mais ce n’est pas tout. Récemment, à la Conférence des délégués du Jiangsu il a été décidé « d’organiser un grand mouvement de grève » et des « soulèvements locaux ».

Depuis l’été dernier jusqu’à maintenant, il y a eu parmi les ouvriers de Shanghai des symptômes de volonté de lutte se manifestant par des escarmouches. Mais dès qu’ils prennent une certaine consistance, la politique putschiste, de la Direction du parti apparaît et tout est aussitôt anéanti. Si la résolution de la Conférence des délégués du Jiangsu est appliquée, le désastre sera plus grand encore. Ainsi notre parti cesse d’être le guide qui aide les ouvriers dans leurs luttes quotidiennes et dans la préparation des luttes révolutionnaires pour devenir de plus en plus l’exécutant d’une politique qui étouffe les efforts de la classe ouvrière.

L’actuel Comité central, se basant sincèrement sur la ligne de banqueroute du Vie Congrès et sous la direction immédiate de l’LC., applique cette politique banqueroutière, combinant l’opportunisme ancien et le putsehisme au détriment du parti et de la révolution

Peu importe que l’LC. ait conduit la révolution à un douloureux échec et que ses fautes opportunistes aient été mises à nu par les camarades de l’opposition, notre Comité central ne reconnaît pas ces erreurs d’hier, et il persiste consciemment dans une politique erronée. De plus, pour couvrir les fautes d’une minorité, il rompt avec les principes d’organisation bolcheviks, abuse je l’autorité de l’instance suprême, étouffe l’autocritique à l’intérieur du parti, expulse les camarades qui expriment une opinion politique différente et prépare sciemment une scission dans le parti. Ceci est le péché des péchés, le plus stupide et le plus honteux. Des bolcheviks ne doivent pas craindre ^ae autocritique ouverte devant les masses. La seule manière, pour le parti, de gagner la confiance des masses, c’est de se livrer courageusement à une franche autocritique. Couvrir ses propres erreurs, comme le fait actuellement le Comité central, c’est inévitablement éloigner les masses du parti. A l’égard d’une telle faute et devant une telle crise, la majorité des camarades doivent avoir ^ne opinion plus ou moins précise ; si nous ne voulons pas nous contenter de recevoir de quoi subvenir à nos dépenses quotidiennes ; si nous sentons que nous ne pouvons fuir nos responsabilités devant le parti et devant la révolution, alors nous devons tous faire une sévère autocritique pour sauver le parti de la crise qui le menace. Si nous laissons le parti aller vers sa ruine sans dire un mot et sans lever la main, cela aussi est une sorte de péché i

Sauver le parti ou se taire et être complice ?

Camarades, chers camarades !

Nous savons tous que quiconque ouvre la bouche pour faire une sincère autocritique des fautes du parti n’est pas réfuté, mais expulsé. Mais il faut mettre les choses dans la balance et voir ce qui est le plus important : sauver le parti tout entier du danger qui le menace, ou nous préserver nous-mêmes de la radiation de notre nom sur les listes des nembres du parti ?

Depuis la Conférence du 7 août, engageant le parti dans « la direction générale du soulèvement armé » et les mouvements qui ont eu lieu, en conséquence, sur plusieurs points, j’ai écrit à diverses reprises au Comité central, montrant que le sentiment révolutionnaire des masses, en e moment, n’est pas très vif, que le régime du Kuomintang ne va pas s’effondrer très rapidement, que les soulèvements déclenchés hors de propos ne peuvent qu’affaiblir le parti, affaiblir son influence parmi lès masses, et que nous devrions substituer à cette politique du soulèvement à tout prix la conquête des masses unies dans leurs luttes quotidiennes. Le Comité central estimait que le soulèvement étendu est absolument la ligne juste et le meilleur moyen de corriger l’opportunisme passé ; qu’étudier les conditions du soulèvement et en préparer le succès, c’est de l’opportunisme. Par suite, il ne prit jamais mes observations en considération, mais au contraire, prétendit qu’elles ^portaient la preuve que je n’avais pas renoncé à mon opportunisme. J’étais alors lié par la
discipline du parti, et je ne pouvais pas, par-dessus l’organisation, engager une lutte décisive contre le Comité central et sa politique de destruction qui mène le parti à sa ruine.

Après le VIe Congrès, je ne vis pas encore clairement la situation, et j’avais toujours l’impression que le nouveau Comité central, ayant reçu des faits de si nombreuses et dures leçons, pourrait s’éveiller et non pas suivre aveuglément la politique erronée de l’I.C. Je persistai dans mon attitude critique expectante, ne voulant pas formuler de théories qui auraient soulevé des discussions dans le parti, bien que je ne fusse pas satisfait du tout des décisions du Vie Congrès. Après la guerre entre la clique de Tchang Kaï-chek et la clique du Jiangxi, et le mouvement pour l’anniversaire du « 30 mai », je sentis nettement que le Comité central allait persister obstinément dans l’opportunisme et le putschisme. qu’il ne changerait rien de lui-même, et que sans une large et profonde discussion dans le parti, de la base au sommet, la politique erronée de notre organisme dirigeant ne serait pas corrigée. Mais tous les membres du parti sont liés par la discipline du parti et à cette époque ils étaient, en général, dans l’état d’esprit où « on ose être irrité mais on n’ose pas parler ». Quant à moi, je ne puis supporter de voir le parti (créé avec le sang même d’innombrables camarades) aller vers la destruction et la ruine. Aussi je ne pouvais consentir à rester plus longtemps silencieux. Quelques camarades me dissuadèrent de parler, disant que les membres du Comité central considéraient les intérêts de quelques chefs comme plus importants que les intérêts du parti et de la révolution, qu’ils voudraient à tout prix couvrir leurs fautes, n’accepteraient jamais la critique des camarades et que, si je les critiquais franchement ils trouveraient là un motif pour m’exclure du parti. Mais mon attachement au parti me poussa à m’engager résolument, sans me soucier de mes propres intérêts.
L’Internationale Communiste et notre Comité central se sont toujours vigoureusement opposés au rappel de la vieille histoire de l’échec de la Révolution chinoise. Parce que je n’ai pas voulu être complice de ce silence ils ont soudainement formulé, à mon égard, le jugement suivant : « II ne veut pas reconnaître sincèrement ses propres fautes dans la direction opportuniste au cours de la grande révolution et il ne veut pas non plus reconnaître en quoi consistèrent ses fautes véritables ; par suite, il ne peut que persister inévitablement dans ses anciennes erreurs ». Mais c’est à eux que ces mots s’appliquent exactement, ils tracent leur propre portrait. En réalité, si je pouvais anéantir ma faculté de penser, ne pas me soucier des intérêts du prolétariat, faire avec eux la sale besogne et les encourager à continuer les erreurs passées, ils ne pourraient que se baser sur leur vieil opportunisme pouf âttâquéf, pâf là plumé et par là parole, lés soi-disant « tfôïskystés » pouf témêf tous ensemble de couvrir leurs fautes. Comment pouvaient-ils m’exclure du parti ? Moi, qui ai lutté contre les forces sociales ennemies pendant la plus grande part de ma vie, comment puis-je accepter de faire une telle besogne, confondre le vrai et le faux ? Li Li-san dit : « Les opportunistes chinois (note 6), ne veulent pas comprendre les leçons de l’échec de la grande révolution et ils tentent de se cacher sous le drapeau du trotskysrne pour dissimuler leurs fautes. » En fait, dans les documents du camarade Trotsky, les paroles par lesquelles il me blâme sont beaucoup plus dures que celles de Staline ou de Boukharine, mais je ne puis que reconnaître que les leçons dégagées par lui de l’échec de la révolution sont entièrement correctes et je ne puis les repousser sous prétexte qu’il me blâme. Je suis prêt à recevoir la critique, si sévère soit-elle, de tout camarade, et je refuse d’enfouir sous terre les leçons et les expériences de la révolution. Je préfère être exclu maintenant par Li Li-san et autres et je refuse d’assister passivement au développement de la crise du parti sans m’efforcer de la conjurer et de mériter ainsi, dans l’avenir, le blâme des camarades du parti. Je suis prêt à supporter avec calme une oppression accrue des forces sociales ennemies pour défendre les intérêts du prolétariat, et je refuse de suivre aveuglément les chefs officiels brutaux et corrompus !

Camarades !

Je sais que le Comité central m’exclut du parti uniquement pour couvrir les fautes de quelques hommes. Ainsi, ce n’est pas seulement pour m’empêcher d’ouvrir une discussion dans le parti et de formuler mes idées qu’on m’exclut. C’est pour fermer la bouche de tous les camarades. Je
sais que les masses du parti n’ont jamais eu la moindre intention de m’exclure. Bien que j’aie été exclu par quelques chefs, il n’y eut jamais d’hostilité entre la masse du parti et moi. Je continuerai de servir le prolétariat, la main dans la main avec les camarades qui refusent de suivre la politique opportuniste de la clique stalinienne (à la fois dans l’Internationale et en Chine).

Camarades, chers camarades !

Les fautes présentes du parti ne sont pas des questions secondaires et distinctes ; comme dans le passé, elles sont l’illustration de toute la politique opportuniste de Staline en Chine. Les hommes responsables du Comité central de notre parti qui sont disposés à n’être rien d’autre que les phonographes de Staline n’ont montré, jusqu’ici, aucune conscience politique, ils deviennent pires de jour en jour et ils ne pourront jamais plus être sauvés. Au Xe Congrès du parti communiste russe, Lénine déclara : « II est juste d’avoir une petite organisation s’il existe diverses opinions politiques fondamentalement différentes et s’il n’y a aucun moyen de résoudre le problème. » C’est sur cette base qu’il dirigea le parti bolchevik. Aujourd’hui, dans notre parti, il n’y a aucun moyen (discussion légale et franche à l’intérieur du parti) de surmonter la crise du parti. Chaque membre du parti doit comprendre la gravité du danger qui menace le parti, et nous devons revenir à la thèse et à la tactique bolcheviques, nous rassembler en une union solide, nous ranger résolument au côté de l’Opposition internationale conduite par le camarade Trotsky, c’est-à-dire sous le drapeau du vrai marxisme et léninisme et lutter avec courage, persévérance et à fond contre l’opportunisme de l’Internationale communiste et du Comité central de notre parti. Nous ne sommes pas seulement hostiles à l’opportunisme de Staline et à tout ce qui lui ressemble ; nous le sommes aussi à l’égard de la politique de compromis de Zinoviev. On tente de nous effrayer en disant que nous allons nous mettre hors de la sphère du parti. Mais cela ne peut nous arrêter car nous sommes résolus à tous les sacrifices pour sauver le parti et la Révolution chinoise !

Avec mon salut prolétarien,

CHEN DU-XIU. 10 décembre 1929.

Note 1. - Staline déclare : « La politique du bolchevisme en 1905, était-elle juste ? Oui, elle était juste. Mais pourquoi, puisqu’il y avait des Soviets et une politique bolchevik juste, la Révolution ne pouvait-elle triompher ? C’est parce que la puissance des vestiges féodaux du reniement despotique était plus forte que celle du mouvement révolutionnaire. Ne pouvons-pas dire que la politique du parti communiste chinois a renforcé la capacité de combat du prolétariat, et accru le prestige du prolétariat parmi les masses ? Très certainement nous pouvons le Une politique juste ne peut pas être à elle seule, naturellement, une garantie de l’échec. Si nous pensons que si le pouvoir de l’ennemi est plus fort, la révolution ne peut être conduite à la Dire maigre une politique juste, alors la faillite de la Révolution russe en 1905, celle de la révolution chinoise en 1927 et toutes les autres faillites du mouvement ouvrier révolutionnaire fatales ! Je ne voudrais pas avoir Staline comme défenseur du parti communiste chinois s’il employer de pareils arguments, et voudrais moins encore me défendre avec les paroles de

Note 2. - La phase actuelle de la Révolution chinoise c’est la contre-révolution. Le mouvement démocratique actuel qui s’oppose à la contre-révolution est seulement capable d’acheminer les masses vers la révolution mais non de faire la révolution. Quant au mouvement anti-Tchang Kaï-chek de la clique des « réorganisateurs », ce n’est rien de plus qu’une querelle
intérieure du Kuomintang. En fait, il n’y a pas de mouvement démocratique du tout. C’est seulement quand la poussée de la masse se développera jusqu’au renversement du régime du Kuomintang tout entier, que la révolution apparaîtra.
« La phase actuelle de la Révolution chinoise » d’après les thèses du Vie Congrès, serait, d’après les faits, celle de la troisième révolution. Elles affirment que la situation présente est toujours révolutionnaire. On voit ici exactement le mélange d’opportunisme et de putschisme.

Note 3. - En avril 1917, un certain nombre de bolcheviks lancèrent le mot d’ordre « Tout le pouvoir aux Soviets ! », Lénine les critiqua sévèrement, disant que c’était prématuré et dangereux.

Note 4. - Récemment l’I.C. envoya des instructeurs au parti communiste chinois disant que la reprise de la Révolution chinoise était mûre. Quand le Comité central reçut ces instructions, il suspecta le mot « mûre » d’avoir été mal traduit. Après examen il fut reconnu que la traduction était exacte. A la Conférence du Jiangsu, la plupart des délégués suspectèrent aussi une mauvaise traduction. Mais le représentant du Comité central s’éleva énergiquement contre leurs doutes et finalement il fut décidé que la reprise de la Révolution était devenue mûre dans leur esprit. (Peut-être pensaient-ils que le renversement de Tchang Kaï-chek signifiait reprise de la révolution.)

Note 5. - La politique banqueroutière est ainsi formulée dans la, résolution du Vie Congrès : « L’étape présente de la Révolution c’est la révolution bourgeoise démocratique », « Réaliser la dictature démocratique des ouvriers et des paysans », « les koulaks n’ont pas perdu leur caractère révolutionnaire ... Il ne faut pas pousser la lutte contre eux ». « La situation présente du mouvement révolutionnaire et la politique générale du parti communiste chinois - des symptômes d’une nouvelle vague révolutionnaire sont déjà très apparents - montrent qu’il est possible d’avoir une poussée révolutionnaire avec instauration d’un régime soviétique dans plusieurs provinces ». « La nouvelle vague révolutionnaire est proche », etc. La politique que fait sincèrement le Comité central repose sur ces affirmations banqueroutières.

La clique des confusionnistes : Hong Lin, Li Fu-chun Ho Meng, etc., pense que la résolution du Vie Congrès est juste et que seule la manière dont le Comité central l’applique n’est pas bonne. Ceci montre non seulement qu’ils ne comprennent pas la position politique de l’opposition mais aussi qu’ils ignorent toute la signification politique du Vie Congrès et qu’ils n’ont eux-mêmes aucune conception politique claire.

Note 6. - Li Li-san et autres ne veulent pas remonter à la source même de l’opportunisme ; ils s’efforcent de concentrer les regards des membres du parti sur certaine partie et en rejeter les responsabilités sur certains camarades pour s’excuser eux-mêmes. En réalité, dans la période du Whan, Qu Qiu-bai dans la circulaire du Bureau Paysan, dénonça brutalement l’action violente des paysans, la compara à celle des bandits et ordonna à tous les cadres du parti de faire rentrer l’action des paysans dans la politique générale du gouvernement paysan. Après le coup d’Etat du 21 mai à Shanghaï, quand le délégué de l’I.C., Louis, dit : « Le Comité central du Kuomintang a été « contre-révolutionnarisé », Li Li-san, dont le visage s’était aussitôt enflammé, s’écria : « Les paroles du camarade Louis ne peuvent avoir qu’une signification, c’est la destruction du parti chinois ! ». Cai He-sen préconisa la suppression automatique des « pickets » communistes à Hankéou afin d’éviter tout conflit avec les troupes du Kuomintang. Quelle idéologie et quels principes révèle tout cela ? Xiang Ying et Lo Xek-yuan m’ont déclaré personnellement : « Quand Li Li-san dirigeait le travail du Comité provincial du Guangdong, le putschisme dont il se rendit responsable dépasse de beaucoup ce qu’a pu faire dans ce domaine tout autre camarade du parti... »
La Lutte de Classes. Numéros 25 et 26,1930, p. 674-692.


L’écrasement de la révolution en Chine

Le milieu des années 1920 est une période cruciale pour la classe ouvrière et ses organisations révolutionnaires. La révolution peut-elle encore se développer et l’emporter au niveau mondial ? Sinon, la révolution russe pourra-t-elle survivre longtemps à son isolement ? Telles sont les questions qui traversent le mouvement communiste ; et toute l’IC est suspendue aux possibilités de la révolution en Allemagne. Depuis 1923, la politique de l’IC est de pousser à l’insurrection. Zinoviev, qui est encore son président, sous-estime totalement l’ampleur de la défaite en Allemagne ([3]). Il déclare qu’il ne s’agit que d’un épisode et que de nouveaux assauts révolutionnaires sont à l’ordre du jour dans plusieurs pays. L’IC ne dispose plus manifestement d’une boussole politique fiable ; aussi, en cherchant à pallier le reflux de la vague révolutionnaire, elle ne fait que développer une stratégie de plus en plus opportuniste. A partir de 1923, Trotsky et la première Opposition dénoncent ses graves erreurs, aux conséquences tragiques mais sans aller jusqu’à parler de trahison. La dégénérescence de l’IC se développe et, à la fin de l’année 1925, la troïka Zinoviev-Kamenev-Staline se défait ; l’IC est alors dirigée par le duo Boukharine-Staline. La stratégie « putschiste » qui prévalait sous Zinoviev fait place, après 1925, à une politique basée sur la « stabilisation » prolongée du capitalisme. C’est le « cours de droite » avec la mise en avant, en Europe, de politiques de front unique avec les partis « réformistes » ([4]). En Chine, l’IC met en oeuvre une politique qui se situe en deçà même de celle préconisée par les mencheviks pour les pays économiquement peu développés comme en Russie. En effet, dès 1925, elle défend que c’est la politique du Guomindang pour la révolution bourgeoise qui est encore à l’ordre du jour, la révolution communiste devant intervenir ensuite. Cette position mènera à livrer les ouvriers chinois au massacre.

C’est durant sa période putschiste d’ultra-gauchisme que l’IC harcèle le Parti Communiste Chinois (PCC) jusqu’à ce qu’il se décide à entrer dans le Guomindang déclaré « parti sympathisant » lors de son 5e congrès (Pravda, 25 juin 1924). C’est ce parti « sympathisant » qui sera le fossoyeur du prolétariat !

L’IC stalinisée « considérait le Guomindang comme l’organe de la révolution nationale chinoise. Les communistes allaient aux masses sous le nom et la bannière du Guomindang. Cette politique aboutit, en mars 1927 à l’entrée des communistes dans le gouvernement national. Ils reçurent le portefeuille de l’Agriculture (après que le parti se soit prononcé contre toute révolution agraire et pour ‘arrêter l’action trop vigoureuse des paysans’) et celui du Travail, afin de mieux canaliser les masses ouvrières vers une politique de compromis et de trahison. Le Plénum de juillet du PCC se prononça d’ailleurs également contre la confiscation de la terre, contre l’armement des ouvriers et des paysans, c’est-à-dire pour la liquidation du parti et des mouvements de classe des ouvriers, pour la sujétion absolue au Guomindang, afin d’éviter à tout prix la rupture avec ce dernier. Pour cette politique criminelle, tous étaient d’accord : de la droite avec Peng Chou Chek, du centre avec Chen Duxiu et de la soi-disant gauche avec Tsiou Tsiou-Bo. » (Bilan n°9, juillet 34)

Cette politique opportuniste parfaitement analysée par Bilan quelques années plus tard, qui pousse le PCC à quasiment se fondre dans le Guomindang, aboutit au bout du compte à une terrible défaite et à l’écrasement des ouvriers chinois. « Le 26 mars, Tchang Kaï-Chek se livra à un premier coup de force, en arrêtant de nombreux communistes et sympathisants. (...) Ces faits furent cachés au Comité exécutif de l’IC ; en revanche une grande place fut accordée aux propos anti-impérialistes de Tchang Kaï-Chek lors du Congrès du travail en 1926. En juillet 1926, les troupes du Guomindang commencèrent leur marche vers le nord. Elle servit de prétexte à l’arrêt des grèves à Canton, Hongkong, etc. (...) A l’approche des troupes il y eut un soulèvement à Shanghaï : le premier du 19 au 24 février, le second fut victorieux, le 21 mars. Les troupes de Tchang Kaï-Chek n’entrèrent dans la ville que le 26 mars. Le 3 avril, Trotsky écrit une mise en garde contre le ‘Pilsudsky chinois’ ([5]). Le 5 avril, Staline déclare que Tchang Kaï-Chek s’est soumis à la discipline, que le Guomindang est un bloc, une sorte de parlement révolutionnaire. » ([6])

Le 12 avril Tchang Kaï-Chek procède à un coup de force, une manifestation est attaquée à la mitrailleuse, il y a des milliers de victimes.

« A la suite de ses événements, la délégation de l’Internationale communiste, le 17 avril, soutient à Hunan le centre du ‘Guomindang de gauche’ ([7]) auquel participent les ministres communistes. Là, le 15 juillet, se produit une réédition du coup de Shanghaï. La victoire de la contre-révolution est assurée. Une période de massacre systématique la suit, on évalue au bas mot à 25 000 le nombre de communistes tués. » Et, en septembre 1927, « la nouvelle direction du PC (...) fixe l’insurrection au 13 décembre. (...) Un soviet est désigné d’en haut. Le soulèvement est avancé au 10 décembre. Le 13, il est totalement réprimé. La deuxième révolution chinoise est définitivement écrasée. » ([8])

Les ouvriers et les révolutionnaires chinois accomplissent une terrible descente aux enfers. C’est le prix que leur coûte la politique opportuniste de l’IC.

« Malgré toutes ces concessions, la rupture avec le Guomindang survint à la fin de juillet 1927, quand le gouvernement de Hunan exclut les communistes du Guomindang en ordonnant leur arrestation. » Puis « ... la Conférence du parti d’août 1927 condamna définitivement ce que l’on appela la ligne opportuniste de la vieille direction de Chen-Duxiu et fit table rase des anciens dirigeants (...). S’ouvre ainsi l’époque ‘putschiste’, qui trouve son expression dans la Commune de Canton de décembre 1927. Toutes les conditions étaient défavorables pour une insurrection à Canton.(...) Il est bien entendu que nous ne voulons en rien diminuer l’héroïsme des communards de Canton, qui luttèrent jusqu’à la mort. Mais l’exemple de Canton n’est pas isolé. A la même époque 5 autres comités régionaux (...) se prononcèrent pour le soulèvement immédiat. » Et malgré l’offensive victorieuse de la contre-révolution, « ... Le 6e congrès du PCC de juillet 1928 continua à maintenir la perspective de ‘lutter pour la victoire dans une ou plusieurs provinces’. » ([9])

La question chinoise et l’Opposition russe

La défaite de la révolution chinoise constitue la condamnation la plus sévère de la stratégie de l’IC après la mort de Lénine et plus encore de celle de l’IC stalinisée.

Trotsky souligne dans sa Lettre au 6e congrès de l’IC du 12 juillet 1928 ([10]) que la politique opportuniste de l’IC a affaibli le prolétariat d’abord en Allemagne en 1923, puis l’a trompé et trahi en Angleterre et enfin en Chine. « Voilà les causes immédiates et indiscutables des défaites. » Il poursuit : « Pour saisir la signification du revirement actuel vers la gauche ([11]), on doit avoir une vue complète non seulement ce que fut le glissement vers la ligne générale de centre-droit qui se démasqua totalement en 1926-1927, mais aussi de ce que fut la période précédante d’ultra-gauchisme en 1923-1925, dans la préparation de ce glissement. »

En effet, la direction de l’IC ne cesse de répéter, en 1924, que la situation révolutionnaire continue à se développer et que « des batailles décisives se livreraient dans un avenir proche. » « C’est sur la base de ce jugement fondamentalement faux que le 6e congrès établit toute son orientation, vers le milieu de 1924. » ([12]) L’Opposition exprime son desaccord avec cette vision et « sonne l’alarme » ([13]). « En dépit du reflux politique, le 6e congrès s’oriente démonstrativement vers l’insurrection. (...) 1924 (...) devient l’année des aventures en Bulgarie ([14]), en Estonie. » ([15]) Cet ultra gauchisme de 1924-25 « désorienté devant la situation fut brutalement remplacé par une déviation de droite. » ([16])

La nouvelle Opposition Unifié ([17]) se crée alors par le regroupement de l’ancienne Opposition de Trotsky avec le groupe Zinoviev-Kamenev et d’autres. Plusieurs sujets animent les discussions dans le parti bolchevik en 1926, notamment la politique économique de l’URSS et la démocratie au sein du parti. Mais le principal débat, celui qui divise le plus profondément le parti se développe sur la question chinoise.

A la ligne du « bloc avec le Guomindang », que Staline maintient et qu’exposent Boukharine et l’ex-menchevik Martynov, s’oppose celle de l’Opposition de gauche. Les problèmes débattus sont ceux du rôle de la bourgeoisie nationale, du nationalisme et de l’indépendance de classe du prolétariat.

Trotsky défend sa position dans son texte « les rapports de classe dans la révolution chinoise » (3 avril 1927). Il y développe que :

– La révolution chinoise dépend du cours général de la révolution prolétarienne mondiale. Et contre la vision de l’IC qui prône le soutien au Guomindang pour accomplir da révolution bourgeoise, il appelle les communistes chinois à en sortir du Guomindang.

– Pour aller à la révolution, il faut que les ouvriers chinois forment des soviets et s’arment. ([18])

A ce texte font suite, le 14 avril, les Thèses adressées par Zinoviev au bureau politique du PCUS ([19]) dans lesquelles celui-ci réaffirme la position de Lénine sur les luttes de libération nationales, en particulier qu’un PC ne doit se subordonner à aucun autre parti et que le prolétariat ne doit pas se perdre sur le terrain de l’interclassisme. Il réaffirme également l’idée que « l’histoire de la révolution a démontré que toute révolution démocratique bourgeoise, si elle ne se transforme pas en révolution socialiste, s’engage inévitablement dans la voie de la réaction. »

Mais l’Opposition russe n’a plus, à ce moment-là, les moyens de renverser le cours de la dégénérescence de l’IC parce que le prolétariat est en train de connaître la défaite non seulement en Chine mais aussi internationalement. On peut même dire que, dans le parti bolchevik, elle est battue. « Le prolétariat essuie sa plus terrible défaite » ([20]) dans la mesure où les révolutionnaires, ceux qui ont fait la révolution d’Octobre, vont, les uns après les autres, être emprisonnés, déportés dans des camps ou même assassinés. Il y a plus grave : « Le programme international est banni, les courants de la gauche internationaliste sont exclus (...), une nouvelle théorie fait son entrée triomphale au sein de l’IC. » ([21]) C’est la théorie du « socialisme en un seul pays ». Le but de Staline et de l’IC est, dès lors, de défendre l’Etat russe. Mais l’Internationale, en rompant avec l’internationalisme, meurt en tant qu’organe du prolétariat.

La Chine et l’Opposition de Gauche internationale

Toutefois, même battue, le combat de l’Opposition au sein de l’IC a été fondamental. Il a un retentissement énorme, au niveau international, dans tous les PC. Mais surtout, il est probable que sans lui les courants de la Gauche communiste n’existeraient certainement pas aujourd’hui. En Chine même où les staliniens ont pourtant réussi à faire le black-out sur les textes de l’Opposition, Chen Duxiu réussit à envoyer sa Lettre à tous les membres du PCC (il est exclu du parti en août 1929 ; sa lettre est du 10 décembre de la même année) dans laquelle il prend position contre l’opportunisme de Staline sur la question chinoise.

En Europe et dans le monde ce combat politique permet aux groupes oppositionnels exclus des PC de se structurer et de s’organiser. Très vite ils se retrouvent divisés et n’arrivent pas à passer du stade d’opposition à celui de véritable courant politique.

En France, par exemple, le groupe de Souvarine « Le cercle Marx et Lénine », le groupe de Maurice Paz « Contre le courant » et celui de Treint « Le redressement communiste » publient les documents de l’Opposition de gauche russe et regroupent des énergies révolutionnaires. Les groupes de ce type vont même jusqu’à se multiplier dans un premier temps ; mais malheureusement ils n’arrivent pas à collaborer.

Il y a enfin un regroupement après l’expulsion de Trotsky de l’URSS, regroupement qui prend le nom d’Opposition de Gauche Internationale (OGI) mais qui va laisser beaucoup d’énergies sur la touche.

En 1930 de nombreux groupes (*) se prononcent sur les positions défendues par Trotsky en 1927 puis sur celles développées dans sa Lettre au 6e congrès de l’IC de 1928. Ils signent même une déclaration commune « Aux communistes chinois et du monde entier » (12 décembre 1930). Candiani. ([22]) la signe au nom de la Fraction italienne (FI).

La déclaration est claire et sans la moindre concession à une politique opportuniste de collaboration de classe.

« Nous, représentants de l’opposition de gauche internationale, bolcheviks-léninistes, fûmes depuis le début adversaires de l’entrée du parti communiste dans le Guomindang, au nom d’une politique prolétarienne indépendante. Depuis le début de la montée révolutionnaire, nous avons exigé que les ouvriers prennent sur eux la direction du soulèvement paysan pour mener à son achèvement la révolution agraire. Tout cela fut repoussé. Nos partisans ont été traqués, exclus de l’IC et, en URSS, ils ont été emprisonnés et exilés. Au nom de quoi ? Au nom de l’alliance avec Tchang Kaï-Chek. »

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