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Prouvez-moi que la science n’est pas qu’expérience, mesure et calcul et qu’elle est d’abord philosophie

lundi 9 avril 2012, par Robert Paris

« La découverte et l’emploi du raisonnement scientifique par Galilée est une des conquêtes et les plus importantes dans l’histoire de la pensée humaine et marque le début réel de la physique. Cette découverte nous a appris qu’il ne faut pas toujours se fier aux conclusions intuitives basées sur l’observation immédiate, car elles conduisent parfois à des fils conducteurs trompeurs.
[...]
La pensée humaine crée une image continuellement changeante du monde. La contribution fournie par Galilée a détruit la vue intuitive et l’a remplacée par une vue nouvelle. C’est là la signification de sa découverte. »

« L’évolution des idées en physique » Albert Einstein / Léopold Infeld

« Le problème fondamental de la pensée philosophique d’Einstein, autour duquel s’organisent ses propres analyses, est celui de la réalité du monde et de son intelligibilité, c’est-à-dire de la capacité de la pensée à le pénétrer, à s’en donner une représentation " vraie " (quoique provisoire), qui ne soit pas illusoire ou précaire. »

"Einstein" de Michel Paty

Prouvez-moi que la science n’est pas qu’expérience, mesure et calcul et qu’elle est d’abord philosophie

Pour beaucoup de commentateurs des sciences, scientifiques y compris parfois, la science n’a fait que progresser, les nouveautés englobant les anciennes conceptions. Cela amène ces auteurs à penser et à affirmer que la physique relativiste d’Einstein engloberait la physique de Newton qui elle-même engoberait celle de Képler, Copernic et Galilée. De même, la physique quantique engloberait la physique dite classique, en unifiant la mécanique des particules de Lagrange-Hamilton et la physique des ondes de Maxwell.

Nous ne le pensons nullement et nous allons tenter de montrer comment ce point de vue efface les changements radicaux de pensée, de véritables révolutions idéologiques, qu’a connu la physique

Ceux qui voient dans ces changements de simples progrès dans la précision affirment que la physique classique serait une approximation de la physique quantique (en faisant tendre la constante quantique h vers zéro ce qui revient à la considérer comme négligeable par approximation) et que la physique non-relativiste serait une approximation de la physique d’Einstein (en considérant comme négligeable toute vitesse d’une masse par rapport à la vitesse de la lumière c).

Prenons l’avis du grand physicien Richard Feynman : il affirme que ces changements sont des sauts qualitatifs qui ont un caractère avant tout philosophiques même si le changement quantitatif est maigre.

Citons son introduction au tome un de son cours de physique (mécanique) :

« La masse d’un objet ne semble jamais changer une toupie en rotation a le même poids qu’une toupie au repos. Une « loi » fut donc inventée : la masse est constante, indépendante de la vitesse. On a maintenant découvert que cette « loi » est incorrecte. On a trouvé que la masse augmente avec la vitesse, mais on n’obtient des augmentations appréciables qu’aux vitesses proches de celle de la lumière. La véritable loi est : si un objet se déplace à une vitesses inférieure à 160 km/s la masse est constante à raison d’une part pour un million. Dans une telle forme approchée, cette loi est correcte. Ainsi, en pratique, on peut penser que la nouvelle loi n’apporte pas de différences significatives. (…) Finalement, et c’est ce qu’il y a de plus intéressant, d’un point de vue philosophique, (expression soulignée par l’auteur), avec la loi approchée nous sommes complètement dans l’erreur. Notre description entière du monde doit être modifiée même si la vitesse ne change que d’une petite quantité. Ceci est une chose très particulière si l’on se place sur le plan de la philosophie ou des idées au delà des lois. Même un très petit effet nécessite quelquefois des modifications profondes de nos idées.

(…) On découvrit également que les règles du mouvement des particules étaient incorrectes. Les règles mécaniques d’ « inertie » et de « force » sont fausses – les lois de Newton sont fausses – dans le monde des atomes. A la place, il fut découvert que les objets à petite échelle ne se comportent absolument pas comme les objets à grande échelle.
(…) Pour donner un exemple du degré d’erreur de la physique classique, il y a une règle de mécanique quantique qui dit qu’on ne peut pas savoir simultanément où un objet se trouve et à quelle vitesse il se déplace. Les incertitudes sur la position et sur la quantité de mouvement sont complémentaires, et le produit des deux est constant. (…) Cette règle explique un paradoxe très mystérieux : si les atomes sont faits de particules positives et négatives, pourquoi les charges négatives ne sont-elles pas simplement collées aux charges positives (puisqu’elles s’attirent l’une l’autre) se rapprochant de si près qu’elles s’équilibrent complètement ? Pourquoi les atomes sont-ils aussi gros ? Pourquoi le noyau est-il au centre avec des électrons autour de lui ? On a pensé d’abord l’expliquer par la taille du noyau ; mais non, le noyau est très petit. Un atome a un diamètre d’environ un cent-millionième de centimètre. Le diamètre du noyau est d’environ un dix-mille millardième de cm soit cent mille fois plus petit. (…) Qu’est-ce qui empêche les électrons de simplement se précipiter sur le noyau ? Ce principe : s’ils étaient dans le noyau, nous connaîtrions leur position avec précision, et le principe d’incertitude demanderait alors qu’ils aient une très grande quantité de mouvement (…) c’est-à-dire une très grande énergie cinétique. Avec cette énergie, ils pourraient s’écarter du noyau. (…) Un autre changement très intéressant, apporté par la mécanique quantique aux idées et à la philosophie de la science, est le suivant : il n’est possible, en aucune circonstance, de prédire exactement ce qui va se produire. Par exemple, il est possible de mettre un atome en état d’émettre de la lumière, et nous pouvons mesurer l’instant où il émet cette lumière en détectant une particule appelée photon. Nous ne pouvons cependant pas prédire quand il va émettre de la lumière ou, si on dispose de plusieurs atomes, lequel va émettre. (…) La nature, telle que nous la comprenons aujourd’hui, se comporte de manière telle qu’il est fondamentalement impossible de faire une prédiction de ce qui va exactement se passer dans une expérience donnée. (…) Autrefois, les philosophes disaient qu’une des conditions fondamentales de la science est que, chaque fois que vous établissez les mêmes conditions, la même chose doit se passer. Ceci est tout simplement faux, ce n’est pas une condition fondamentale de la science. (…) Nous pouvons retrouver ce qui se passe qu’en moyenne, statistiquement. Malgré cela, la science ne s’est pas complètement effondrée. (…) Revenant à la mécanique quantique et à la physique fondamentale, (…) une de leur conséquence est la suivante : les choses que nous avions l’habitude de considérer comme des ondes se comportent aussi comme des particules et les particules se comportent inversement comme des ondes. »

Il y a une différence philosophique essentielle de considérer la matière comme un déplacement mécanique d’objets dans un vide passif et de la considérer comme une émergence de structure causée par les transformations dynamiques d’un vide actif et porteur de toutes les propriétés : charge, masse, espace et temps.

Il y a un grand problème philosophique à considérer comme inséparables deux entités aussi apparemment diamétralement qu’une onde et un corpuscule.

Ceux qui estiment que la physique newtonienne est une approximation de la physique einsteinienne se trompent. La relativité est même découpée en deux révolutions qui sont toutes deux des ruptures philosophiques avec la physique précédente. Il y a eu plusieurs relativités d’Einstein qui rompent l’une avec l’autre. Ce sont des physiques différentes avec des conceptions différentes du monde et aucune n’est seulement une approximation de l’autre. Dans ces révolutions, la conception de l’espace et du temps change deux fois, une première fois de Newton à la relativité restreinte, puis une deuxième fois de celle-ci à la relativité généralisée. La conception de la masse et de l’attraction gravitationnelle change radicalement au plan philosophique bien plus qu’au plan numérique.

Quant à la conception de la masse, telle qu’elle ressort de la physique quantique, c’est encore un changement radical puisque c’est le vide qui est le porteur de la masse.

La conception de la matière change aussi complètement avec la physique quantique. Il y a la « dualité onde/corpuscule » qui produit un tel changement radical mais ce n’est pas tout. Avec le processus de Higgs, on s’aperçoit que la masse n’est nullement un attribut fixe de la particule et il n’est non seulement pas fixe en nombre mais pas fixe dans la particule à laquelle cette masse est attribuée. En effet, cette masse saute d’une particule virtuelle à une autre très proche. Justement parce que ces deux particules sont très proches, le changement mathématique est minime mais le changement philosophique est considérable. La vision objet, comme à notre échelle, est complètement disparue ! Philosophiquement, c’est une véritable révolution…

Le physicien Gilles Cohen-Tannoudji explique dans son ouvrage « La Matière-Espace-Temps » que sa démarche est aussi bien scientifique que philosophique : « Certaines phrases ou paragraphes dans ce livre sembleront peut-être s’apparenter autant à la philosophie qu’à la physique des particules ; c’est que, selon nous, la philosophie est présente dans la physique. Et la réciproque est vraie. » La physique interroge la philosophie, mais, comme on le voit, elle n’est pas la seule science qui suscite des problèmes philosophiques. C’est l’ensemble des découvertes récentes en sciences qui pose le problème sur la manière de penser le monde. Ses questions ont une portée philosophique. D’où vient notre univers matériel ? Par quelle nécessité, par quel hasard ou par quel entremêlement du hasard et de la nécessité, l’histoire du cosmos est-elle pilotée ? Comment conçoit-on aujourd’hui l’apparition de la matière au sein du vide et la naissance de la vie dans la matière inerte ? Quelle est la place de la terre dans l’univers, de la vie sur terre et de l’homme au sein du vivant ? D’où vient que l’homme soit Homme, et d’où vient qu’il pense ? La nature, la vie ont-elles un sens, une logique ? Obéissent-elles à des lois ? Sont-elles des sujets du hasard ? L’univers est-il rationnel ou irrationnel, aléatoire ou obéissant à des lois, c’est-à-dire indéterministe ou déterministe, obéissant à des lois de la logique formelle ou de la logique dialectique, continu ou discontinu, rationnel ou irrationnel, prédictible ou imprédictible ? Ou bien est-il un mélange des uns et des autres ? Quelles relations y a-t-il entre la pensée et la réalité, entre la matière et le cerveau, entre l’homme et l’univers, entre la vie et la mort ? Munis de la science du 21ème siècle, ne peut-on repenser ces interrogations philosophiques primordiales, comme on avait su le faire à d’autres époques ?

« On ne saurait douter que le 20ème siècle est celui où la science a transformé à la fois le monde et la connaissance que nous en avons. On aurait dû s’attendre à voir les idéologies du 20ème siècle se faire gloire des triomphes de la science, qui sont autant de victoires de l’esprit humain, comme l’avaient fait les idéologies séculières du 19ème siècle. En vérité, on aurait même dû s’attendre à voir faiblir la résistance des idéologies religieuses traditionnelles, qui avaient été le siècle précédent les grandes redoutes de la résistance à la science. (...) Pourtant, le 20ème siècle n’aura jamais été à l’aise avec la science, qui a été sa réalisation la plus extraordinaire et dont il est devenu si dépendant. » écrit l’historien Eric J. Hobsbawm dans « L’âge des extrêmes ». « La science domine, certes, mais les idées sociales, politiques et économiques qui prévalent aujourd’hui ont été presque toutes façonnées, consciemment ou non, par une vision du monde fondée sur les résultats de la science du 19ème siècle. Nous continuons à voir la science à peu près comme la voyaient nos grands-parents. » explique le physicien Etienne Klein dans « Conversations avec le sphinx »

Aujourd’hui, la science a les mêmes réticences (ou prudences) qu’autrefois à reconnaître les résultats conceptuels qui découlent de ses recherches. La philosophie en est encore à intégrer les idées des années 1900 de relativité et de physique quantique, mais non celles de la physique actuelle. Cent ans après sa découverte, le quanta d’action est tellement contre-évident que l’on continue à parler en sciences comme s’il s’agissait de grains d’énergie… Et, surtout, le monde discontinu qui en résulte est loin d’être intégré par la pensée moderne dans toutes ses conséquences générales philosophiques. On continue souvent à faire comme s’il s’agissait d’un mélange de continu et de discontinu. La dialectique de la matière qui en résulte est présentée comme s’il y avait discontinuité à un niveau qui produisait de la continuité à un autre niveau. Le « passage de la quantité à la qualité », pour reprendre l’expression de Hegel, serait le passage du continu au discontinu, une espèce de théorie des catastrophes à la Thom. En fait, il conviendrait plutôt de parler de passage d’une série de petites discontinuités, se déroulant de manière relativement régulière, à une grande discontinuité permettant de passer un niveau d’échelle d’organisation. Le quanta de matière est un produit du quanta (virtuel) de vide, lui-même produit par le niveau quantique inférieur du vide (appelé virtuel de virtuel). Bien des concepts issus des sciences méritent eux aussi de passer à la philosophie comme l’émergence, la non-linéarité, l’interaction d’échelle, l’attracteur étrange, et j’en passe.

Ne risque-t-on pas cependant, par une telle démarche, de détourner la science de son objet et de son objectivité tout en entraînant la philosophie en dehors de sa spécificité ? On se souvient de l’avertissement de Isaac Newton : « Physique, garde-toi de la métaphysique. » Le souci de ne pas transformer la science en appendice d’une idéologie n’est pas infondé. Cependant, l’image d’une science objective, pur produit des observations de l’expérience et du calcul mathématique et étrangère à la pensée philosophique, est fallacieuse. Le physicien Georges Lochak explique dans le « Dictionnaire de l’ignorance » que « Il n’y a pas d’expérience sans idée théorique et pas de théorie sans conceptualisation du réel. » Le physicien Etienne Klein dans « Sous l’atome, les particules » affirme, lui aussi, son souci de conceptualisation : « Penser la science. La science n’est pas la technique. (...) On peut craindre que la volonté d’obtenir toujours plus de résultats expérimentaux n’étouffe la dimension réflexive du métier de physicien. Etre physicien (...) c’est aussi réfléchir, méditer les concepts, en créer de nouveaux, saisir leur portée, envisager leur sens. Il ne suffit pas d’avoir rendu la science prédictive pour en épuiser le contenu. Dans « Prédire n’est pas expliquer », René Thom le dit avec des mots qui feront grincer des dents : « Si l’on réduit la science à n’être qu’un ensemble de recettes qui marchent, on n’est pas dans une situation supérieure à celle du rat qui sait que lorsqu’il appuie sur un levier, la nourriture va tomber dans son écuelle. »

Nombre de scientifiques insistent sur la nécessité de « penser le réel ». Dans ce sens, le physicien David Ritz Finkelstein écrit dans l’ouvrage collectif de sciences et de philosophie intitulé « Le vide » [1] : « Nous avons peut-être besoin d’imagination plus que d’investissement en matériel. » Rappelons ce que disait Lénine sur ce point dans ses « Cahiers philosophiques » : « Il est absurde de nier le rôle de l’imagination même dans la science la plus rigoureuse. » Le biologiste Richard Lewontin remarque dans « Gènes, environnement et organisme » : « Les limites de nos schémas conceptuels ne déterminent pas seulement la nature de nos réponses aux questions mais aussi la nature des questions que nous nous posons. » On retrouve la même préoccupation chez Prigogine et Stengers dans « Entre le temps et l’éternité » (ouvrage issu du couplage rétroactif d’un physicien et d’une philosophe) : « L’histoire de la physique ne se réduit pas à celle du développement de formalismes et d’expérimentations mais est inséparable de ce que l’on appelle usuellement des jugements idéologiques. » Le physicien Albert Einstein écrit dans l’article « L’opportunisme du savant », cité par les Œuvres choisies d’Albert Einstein édité par le CNRS (tome 5) : « La relation réciproque de la théorie de la connaissance et de la science est d’un genre remarquable : elles dépendent l’une de l’autre. La théorie de la connaissance sans contact avec la science n’est qu’un schéma vide. La science sans théorie de la connaissance – pour autant qu’elle est concevable – est primitive et confuse ; mais, dès que le théoricien de la connaissance, dans sa recherche d’un système clair, y est parvenu, il est enclin à interpréter le contenu de pensée de la connaissance dans le sens de son système et à écarter tout ce qui n’y est pas conforme. (...) Il apparaît comme un réaliste dans la mesure où il cherche à se représenter un monde indépendant des actes de perception ; comme un idéaliste dans la mesure où il considère les concepts et les théories comme des libres inventions de l’esprit humain (non dérivables logiquement du donné empirique) ; comme positiviste dans la mesure où il considère ses concepts et théories comme fondés seulement pour autant qu’ils procurent une représentation logique des relations et expériences sensorielles. » Franco Selleri rajoute, dans « Le grand débat de la théorie quantique », « Aujourd’hui l’opinion la plus répandue est de penser que la physique est une activité purement technique menée par les chercheurs dans leurs laboratoires, selon des règles théoriques et expérimentales bien établies et qu’elle est fondamentalement neutre par rapport aux tendances culturelles, à la philosophie, aux problèmes sociaux et autres. » Et Franco Selleri va, tout au long de son ouvrage, montrer que les questions posées par la physique quantique ne peuvent être résolues sans faire appel à la pensée philosophique.

Est-il nécessaire que la science se dote d’une philosophie ? Le débat sur cette question est toujours en cours. Voici, par exemple, la discussion entre le physicien Anatole Abragam dans « Théorie et expérience, un débat archaïque » et le généticien Antoine Danchin dans « Expérience et Méthodes », articles tirés de l’ouvrage collectif « La philosophie des sciences aujourd’hui »
Abragam : « J’ai toujours été rebelle à la philosophie, à ses méthodes et à son vocabulaire. (...) Analphabète philosophique, j’ai toujours l’impression que dans le débat philosophique on peut prouver tout et son contraire. »
Danchin : « Je me sépare de la critique venimeuse que fait Anatole Abragam : il faut des philosophes et, j’ajouterai, des historiens. »

Citons quelques prises de positions soulignant la nécessité d’une pensée philosophique en sciences :
« Penser la science – La science n’est pas la technique. (...) On peut craindre que la volonté d’obtenir toujours plus de résultats expérimentaux n’étouffe la dimension réflexive du métier de physicien. Etre physicien (...) c’est aussi réfléchir, méditer les concepts, en créer de nouveaux, saisir leur portée, envisager leur sens. Il ne suffit pas d’avoir rendu la science prédictive pour en épuiser le contenu. Dans « Prédire n’est pas expliquer », René Thom le dit avec des mots qui feront grincer des dents : « Si l’on réduit la science à n’être qu’un ensemble de recettes qui marchent, on n’est pas dans une situation supérieure à celle du rat qui sait que lorsqu’il appuie sur un levier, la nourriture va tomber dans son écuelle. »
Le physicien Etienne Klein dans « Sous l’atome, les particules »

« Les difficultés actuelles de la science forcent les physiciens à se colleter avec des problèmes philosophiques beaucoup plus souvent que cela n’était le cas dans les générations précédentes. »
Bertrand Russel (1944)

« On s’étonnera sans doute, d’ici quelques temps, des résistances qu’auront dû surmonter ces recherches expérimentalement étayées, lorsqu’il s’agit d’en tirer des leçons philosophiques générales. »
Le philosophe Dominique Lecourt dans l’introduction à l’ouvrage « Le cerveau en quatre dimensions » de Marc Peschansky

L’historien Eric J. Hobsbawm cite en introduction d’un chapitre de son ouvrage « L’âge des extrêmes » une déclaration de l’ethnologue Claude Lévi-Strauss : « - Est-ce qu’à vos yeux la philosophie garde une place dans le monde d’aujourd’hui ? – Bien sûr mais à la condition de fonder sa réflexion sur la connaissance scientifique en cours et sur ses acquis. (...) Les philosophes ne peuvent s’isoler d’une science qui a non seulement élargi immensément et transformé notre vision de la vie et du monde, mais qui a bouleversé notre vision du monde. »

La philosophie doit-elle intervenir en sciences ? Le philosophe des sciences Alain Boutot pose la question dans « L’invention des formes » : « L’idée même de rapprocher la science de la philosophie peut paraître déplacée voire même intenable, surtout à notre époque. Attribuer une dimension philosophique à des théories scientifiques n’est-ce pas, en effet, leur ôter du même coup toute scientificité ? La science telle que nous la connaissons et la pratiquons n’a-t-elle pas commencé à progresser de manière sure et reconnue à partir du moment, précisément, où elle s’est libérée de l’emprise de la philosophie ? Vouloir la ramener dans les parages de la philosophie n’est-ce pas vouloir faire retour à une époque aujourd’hui révolue ? Le mathématicien Henri Poincaré, les physiciens Eddington et Einstein ne considéraient pas, par exemple, que la science doive être coupée de la philosophie. » Pour le physicien Max Planck, par exemple, « Le temps où la philosophie et les sciences positives s’observaient mutuellement avec méfiance doit être considéré comme révolu. » (dans « Initiation à la physique »). Le scientifique Bergman affirme également : « Sous beaucoup d’aspects, le physicien théoricien est un philosophe en habits d’ouvrier. » Cela ne signifie nullement que l’on revienne à reconnaître le rôle d’une métaphysique, à côté de la physique. Par contre, il semble bien que l’étude historique des phénomènes dynamiques dépasse le cadre de chaque domaine des sciences qui l’emploie et mène à des réflexions d’ordre global. Il ne s’agit nullement d’une philosophie se plaçant en dehors ni au dessus des lois de la matière physique, ni d’une nouvelle idéologie anti-matérialiste. C’est le matérialisme scientifique qui a besoin de changer de forme, du fait des progrès de la compréhension de l’Univers.

Bien entendu, il n’est pas question de tirer des conclusions hors de l’expérience, mais il y a belle lurette que la science ne se contente plus d’observer la nature. La science est engagée dans une vision de la nature fondée sur un édifice théorique qui est sous-jacent dans tout le programme de recherche. On ne fait pas des observations objectives, au hasard dans toutes les directions, mais pour approfondir un modèle, confirmer une conception liée à l’ensemble de la conception scientifique. Mettre sur pied une expérience et y investir une équipe, des moyens, du temps, c’est déjà décider d’une orientation et d’un choix. En effectuant telle ou telle expérience, le scientifique s’engage. Il choisit de préciser un point en fonction d’une conception déjà établie de l’ensemble des scientifiques [2]. Il n’y a pas d’expérience sans base théorique et conceptuelle. En ce sens, il n’existe pas d’observation pure ni objective. « On s’engage et on voit » comme le disait, en chef militaire, Napoléon. La science est engagée. Elle est engagée dans la société. Le paléontologue Stephen Jay Gould affirme dans l’ouvrage « Aux racines du temps » : « Il est indispensable que nous autres, les scientifiques, combattions les mythes qui font de notre profession quelque chose de supérieur et d’à part. » Ne se contentant pas de développer des observations et des calculs, les scientifiques ne peuvent progresser sans effectuer des raisonnements, sans produire des concepts et développer des idées abstraites. Ce faisant, les scientifiques font de la philosophie et, parfois, renversent d’anciennes conceptions. « L’histoire de la physique ne se réduit pas à celle du développement de formalismes et d’expérimentations, mais est inséparable de ce que l’on appelle usuellement des jugements idéologiques. » expliquent Ilya Prigogine et Isabelle Stengers dans « Entre le temps et l’éternité ». Le pire serait que le scientifique fasse de la philosophie sans s’en rendre compte et sans choisir consciemment sa philosophie, comme le bourgeois gentilhomme de Molière faisait de la prose sans le savoir !

Une objection sérieuse mérite qu’on s’y arrête. Des découvertes scientifiques dans des domaines spécifiques, est-ce suffisant pour changer de point de vue philosophique ? Dans « Initiation à la physique », le physicien Max Planck pose la question pour encourager les scientifiques à ne pas se laisser arrêter par de telles difficultés : « A vrai dire, on pourrait objecter ici préalablement qu’un problème de philosophie ne saurait être résolu par les sciences particulières, (...) que si les sciences particulières entreprenaient de dire leur mot sur les questions de philosophie générale, ce serait empiéter d’une façon illicite sur le domaine philosophique. Le philosophe, en effet, ne travaille nullement avec une espèce particulière d’intelligence. A certains égards même le savant lui est de beaucoup supérieur, car il dispose, dans son domaine spécial, d’un matériel de faits beaucoup plus riche. (...) En revanche, la philosophie a de meilleurs yeux pour contempler les ensembles universels qui n’intéressent pas immédiatement le savant et que, par suite, ce dernier omet plus aisément d’observer. »

Tout un courant de pensée qui a connu un grand succès parmi les scientifiques, a cultivé l’idée que la science ne doit pas, et ne peut pas, aller au delà de l’observation, qu’elle doit refuser de répondre à des questions philosophiques sur la matière, son existence, sa nature et son fonctionnement. Ce courant, dit positiviste*, (les notes « * » sont en annexe à la fin du texte) a affirmé l’impossibilité de raisonner sur le monde et son fonctionnement à partir des découvertes sur la matière [3]. Il a surtout pesé dans le sens d’un refus de la révolution [4], de la théorie de l’Histoire et de la dialectique, qui sont inséparables [5]. Elle a eu de nombreux adeptes parmi les physiciens comme Mach et, plus tard, tout un courant de pensée parmi les premiers physiciens quantiques (appelé l’école de Copenhague). L’étrangeté des résultats de la physique quantique (impossibilité de décrire à l’aide de concepts les phénomènes par une évolution temporelle ou une trajectoire d’objets définis) a donné des arguments à tous ceux qui renonçaient à philosopher sur le fonctionnement naturel. Faisant partie du même courant, certains philosophes ont glorifié l’expérience, en l’opposant au reste de la démarche de conceptualisation scientifique (avec la notion de falsifiabilité de Popper [6], par exemple). Au lieu de fonder, sur la base des découvertes scientifiques, une nouvelle conception des interactions, ils en sont venus à nier toute causalité et tout déterminisme. « Le principe de causalité n’est pas falsifiable » affirmait Karl Popper, oubliant que le principe de falsifiabilité (ou de réfutabilité) ne l’est pas non plus ! Certains scientifiques ont cru voir en Popper un philosophe qui allait les libérer des questions posées par les philosophes pour s’en tenir à faire de la science, rien que de la science. Avec lui, ils n’ont fait que s’égarer. Le critère de falsifiabilité n’est pas adéquat pour décrire l’ensemble du processus de la science qui ne se réduit pas à la vérification des théories par l’expérience. La science, qu’on le veuille ou non, est du domaine des idées sur la nature, qui ne se contente pas de mesures et de calculs et nécessite des concepts, des abstractions, des théories. Et, à partir du moment où elle utilise des concepts et des raisonnements, la science philosophe. Ces concepts sont-ils logiques ou contradictoires, dynamiques ou métaphysiques ? Les notions physiques d’énergie, de quantité de mouvement, de flux ou de potentiel ne découlent pas de la seule observation mais d’une pensée scientifique qui est du domaine de la philosophie. Ces abstractions regroupent des phénomènes selon un mode de pensée, même si celui qui le fait, scientifique ou pas, n’en a pas forcément conscience. Un résultat scientifique doit être également compatible avec l’ensemble des conceptions scientifiques et pas seulement avec une expérience. Quant au reproductible et au prédictible, seuls phénomènes que Popper reconnaisse comme scientifiques, ils sont loin de recouvrir l’ensemble des expériences et des actions de la nature. Aucun phénomène un tant soi peu complexe ne se reproduit pas deux fois à l’identique. Demandez, par exemple, aux lanceurs de satellites qui lancent toujours de la même manière les mêmes engins ! Tout phénomène unique est forcément non falsifiable au sens de Popper. Cela exclue en fait l’essentiel des sciences du domaine reconnu par ce philosophe comme une science !

La plupart des phénomènes naturels ne sont pas expérimentables, ne serait-ce parce qu’ils dépendent d’une échelle du temps trop longue (ou trop courte) pour nous. Par exemple, comment vérifier la théorie de formation des étoiles et des galaxies ? Certainement pas par l’expérimentation ! La plupart des apparitions de structures nouvelles est non observable parce qu’agissant dans un temps trop bref relativement au phénomène étudié, et pourtant étudiable scientifiquement. La théorie ne nécessite pas de pouvoir reproduire le phénomène. On ne peut pas non plus refaire l’apparition de la vie, ni le « big bang » !! On ne peut pas retransformer un singe en homme, pour recommencer en sens inverse ! Cela n’empêche pas de penser que nos ancêtres étaient simiesques. Malgré la non reproductibilité et, conséquemment, la non réfutabilité, un phénomène naturel unique obéit à des lois et peut être étudié par la science. On peut raisonner dessus et on peut vérifier les résultats possibles de la théorie. Toute singularité (comme la formation de la lumière, de la matière, l’apparition de la vie, de l’homme et des sociétés) est un phénomène non-falsifiable. Retirer toute singularité de l’étude scientifique, c’est l’appauvrir considérablement. C’est même vider la science de tout contenu, car les singularités, loin d’être l’exception, sont la règle du fonctionnement naturel. L’événement existe bel et bien dans la nature et, du coup, en sciences. Il peut correspondre à une ou à des valeurs-seuils fixes en restant unique, non reproductible à l’identique, comme c’est le cas des phénomènes critiques [7]. On a cité précédemment quelques exemples bien connus comme la supernova [8] qui explose à des niveaux fixes d’énergie ou d’éclat mais n’est pas prédictible. Il en va de même de la décomposition radioactive d’un noyau atomique ou de l’émission d’un photon par un atome. Il ne s’agit nullement de phénomènes marginaux mais des fondements même de la matière, de ses changements d’état. La rapidité de l’intervention du phénomène critique, plus grande que le rythme caractéristique du domaine où il intervient empêche de rendre prédictible son apparition et ses effets. Tout phénomène historique, toute propriété émergente comme la matière et la vie, n’est ni expérimentable ni « falsifiable ». L’évolution de la vie, non reproductible et sans possibilité de prédiction, ne peut donner naissance qu’à une théorie rejetée comme non-scientifique par ces partisans de la réfutabilité. Le changement est trop court pour être observé ou le phénomène sur lequel il se base est trop long. Le paléoanthropologue Ian Tattersall écrit ainsi dans « Petit traité de l’évolution » : « Il existe une catégorie de savoir à laquelle la plupart des personnes sensées ne refuseraient pas le label de « scientifique » mais où la nature des phénomènes étudiés interdit de recourir à la méthode expérimentale : il s’agit des sciences portant sur des phénomènes inscrits dans la longue durée dont le plus notable est la biologie évolutive. (...) En effet, l’histoire dont il est question se déroule sur une échelle temporelle immense qui ne peut être répliquée en laboratoire. (...) Au nombre des très rares philosophes des sciences pris au sérieux par les chercheurs eux-mêmes figure le regretté Karl Popper (...) qui avait une opinion très négative du caractère scientifique des recherches sur l’évolution (...) Plus tard Popper avait quelque peu adouci sa position et consenti à voir dans les travaux sur l’évolution ’’un programme de recherche métaphysique’’. »

Le physicien Paul Langevin, remarquant combien la physique, quantique et relativiste, avaient révolutionné les notions d’espace et de temps, remarquait dans « La pensée et l’action » : « Il y a là pour le philosophe une occasion excellente de pénétrer la nature intime de ces catégories (...) ». Il apparaît, en théorie de la Relativité, que le temps ne s’écoule pas simplement comme le bon sens le croyait. La manière et le rythme avec lequel le temps passe n’est pas un fait établi d’avance, fixe, mais dépend de la présence des masses et de l’accélération de l’observateur. Cela signifie que le temps n’est pas défini une fois pour toutes mais est le produit de la dynamique. Il ne suffit pas de mesurer les phénomènes dans le temps, il faut repenser le temps lui-même. Il n’est pas un écoulement fixe, préexistant. Il n’est pas linéaire. Il n’est pas à sens unique à toutes les échelles. Et c’est aussi le cas pour l’espace qui n’est pas aussi simple qu’on le croyait. Les masses courbent l’espace. Elles produisent une courbure du parcours de la lumière. Toutes les remarques contre-intuitives d’Einstein dans sa Relativité ont provoqué autant de débats philosophiques que les questions étranges de la physique quantique. Les plus grands physiciens ont souvent été d’importants philosophes. Les physiciens quantiques de l’école de Copenhague, comme Bohr et Heisenberg, ont plutôt eu tendance à affirmer que la nature ne répondra pas à nos questions générales, qu’il faut renoncer à la description des mécanismes naturels et qu’on ne peut aller au delà du mesurable (thèse dite positiviste*). Cependant, ils ont participé avec Einstein à un des débats les plus passionnés de philosophie des sciences, notamment sur les questions du réalisme et du déterminisme. Le physicien quantique Werner Heisenberg retraçait dans « La partie et le tout » ses sentiments en participant à cette grande révolution des sciences qu’était la physique quantique : « Les questions philosophiques qui sont à l’arrière-plan m’intéressent peut-être encore d’avantage que les petits problèmes de détail (de la physique) »

Aujourd’hui, ce sont les découvertes de la physico-chimie, de la biologie, de la génétique ou de la neurologie qui bouleversent le plus les anciennes conceptions, touchant également les philosophes. Le philosophe Dominique Lecourt écrit, dans son article « En quoi les récentes découvertes scientifiques bouleversent notre vision de l’homme et du monde ? » : « La biologie confirme ici ce dont l’histoire témoigne et dont la philosophie tente depuis des millénaires de rendre raison. » Si la théorie de l’évolution darwinienne avait retenu le gradualisme et le progrès adaptatif comme mode général, elle se transforme actuellement en développant des thèses beaucoup plus fondées sur les sauts et sur des transformations liées à des chocs (voir notamment les conceptions de Stephen Jay Gould et David Raup). Alors que l’évolution était considérée comme continue et positive, ce qui ressort des recherches actuelles est plutôt la discontinuité de la transformation et son caractère de négation. Ce sont les ruptures qui ouvriraient des explosions de la biodiversité potentiellement incluses dans le matériel génétique mais inhibées. Les chocs seraient des inhibitions de l’inhibition. La vie, elle-même, est maintenant considérée comme le produit d’une double négation [14] alors que la philosophie classique de la vie la présentait comme le produit positif de fonctions vitales. La matière, la vie et l’homme résultent d’une histoire, sujette à des événements, à des bifurcations. Nous tenterons de montrer qu’elle est le produit de révolutions, c’est-à-dire de changements qualitatifs avec interaction d’échelle (transformation d’énergie en matière, de matière en énergie, changement d’état, criticalité auto-organisée, changement de structuration des rétroactions génétiques, etc…). Création de structures nouvelles par bifurcation en physique et par révolution sociale ont-ils des points communs ? Le physicien Ilya Prigogine répondait ainsi dans l’ouvrage collectif « La complexité, vertiges et promesses » dirigé par Réda Benkhirane : « L’histoire humaine est l’exemple le plus évident de créativité ! Toute notre histoire peut se voir comme une suite de points de bifurcation. Le passage du paléolithique au néolithique peut se voir comme un point de bifurcation qui se produit à peu près dix mille ans avant JC dans plusieurs civilisations, mais les branches ne sont pas les mêmes : la branche chinoise n’est pas celle du Moyen-Orient, ni celle du précolombien. » C’est un changement complet de philosophie. Choc, saut et bifurcation remplacent la continuité et la linéarité. La négation de la négation remplace l’action positive (par exemple l’énergétisme, le vitalisme et même l’atomisme). L’interaction d’échelle remplace le réductionnisme. Ce n’est pas une simple découverte dans un domaine particulier des sciences mais un changement global de conception.

Admettons la nécessité de philosopher en sciences. Reconnaissons même que la science est liée au domaine de l’histoire. Faut-il pour autant y mêler la politique, le social et l’économie ? N’a-t-on pas séparé avec bonheur physique et métaphysique, idéologie et sciences, sciences dures et sciences molles, sciences naturelles et sciences humaines ? Il a certes fallu les distinguer dans un premier temps mais il faut maintenant que les sciences se rejoignent car les frontières (artificielles) que l’on a bâties n’existent pas réellement. C’est ce qu’affirme le physicien Per Bak, spécialiste des système critiques auto-organisés, qui n’hésite pas à déclarer dans un ouvrage scientifique intitulé « Quand la nature s’organise » : « Jusqu’à présent nous sommes passés de l’astrophysique à la géophysique, puis de la géophysique à la biologie et au cerveau. Nous allons maintenant franchir une nouvelle étape dans la hiérarchie des phénomènes complexes et explorer la frontière entre le monde naturel et les sciences sociales. » Ne faudrait-il pas cependant maintenir la distinction entre études propre à l’homme (sciences dites humaines) et études relatives à l’univers matériel (sciences dites exactes) ? Le physicien Einstein, pour sa part, était persuadé que la démarche de la science n’avait de validité que si elle allait de la particule jusqu’à l’homme, ce que celui-ci perçoit du monde et ce qu’il y fait. Il écrivait ainsi avec Infeld dans « L’évolution des idées en physique » : « La science n’est pas une collection de lois, un catalogue de faits non reliés entre eux. (...) Les théories physiques essaient de former une image de la réalité et de la rattacher au vaste monde des impressions sensibles. Ainsi nos constructions mentales se justifient seulement si (et de quelle façon) nos théories forment un tel lien. » Lénine faisait remarquer, dans « La portée du matérialisme militant », la nécessité d’une philosophie dialectique pour les scientifiques eux-mêmes : « Les spécialistes modernes des sciences de la nature trouveront (s’ils cherchent et si nous apprenons à les aider) dans la dialectique de Hegel interprétée de manière matérialiste un bon nombre de réponses aux questions philosophiques que pose la révolution dans la science. Faute de cela, les grands savants seront aussi souvent que par le passé impuissants dans leurs conclusions et généralisations philosophiques. Car les sciences de la nature progressent si vite, traversent une période de bouleversements révolutionnaires dans tous les domaines si profonde, qu’elles ne pourront se passer en aucun cas de conclusions philosophiques. »

Le physicien David Böhm écrit dans « The Ghost in the atom » de Davies et Brown :

« La Physique n’est pas seulement une question d’expérimentation. Elle commence là où les gens se posent des questions. Je veux dire qu’il n’y aurait même pas d’expériences si les gens ne se posaient pas ces questions. Les gens ont été intéressés par la compréhension du monde d’un tout autre point de vue que l’expérimentation. (…) Popper a proposé son idée de falsifiabilité (des théories devraient entraîner des conséquences qui peuvent être contredites par des expériences) mais ce n’est pas une vérité absolue sur ce qu’est la science.

A l’origine, la science est une philosophie. Aujourd’hui, on croirait plutôt qu’elle ressort d’une espèce de technique. Notre monde moderne est tout entier en train de se ramener à des techniques et cela supprime la signification de toutes choses. Les gens sont progressivement tombés dans ce piège et ont expliqué que tout ce qui n’est pas technique serait sans importance. Vous pouvez vous rendre compte de cette évolution historique de l’idéologie dominante. Mais on ne peut pas en déduire que cette thèse soit une vérité absolue.

Je pense que toute expérience scientifique sort de questions philosophiques. Si on revient à l’Histoire, à l’époque de la Grèce antique, la science était essentiellement spéculative. Par la suite, on a corrigé cela en développant l’expérimentation. Aujourd’hui, nous sommes passé de l’autre côté et nous disons que seules les expériences ont droit à l’existence. C’est l’erreur inverse. La science nécessite plusieurs choses et non une seule. Elle implique des idées et la pensée précède l’expérience. Si vous excluez la philosophie, vous excluez aussi les pensées qui mènent à de nouvelles expériences. Le seul apport extérieur autorisé aujourd’hui est celui des mathématiques. C’est le seul domaine où les gens s’autorisent quelques libertés de pensée. En dehors des expériences, on a le droit de jouer autour des mathématiques autant qu’on veut. (…) On peut se permettre ce que l’on veut du moment que ce sont des calculs mathématiques. Les gens croient que les mathématiques disent la vérité, mais qu’aucune autre pensée ne peut en dire. Les mathématiciens parlent d’élégance en mathématiques. Chaque physicien a bien entendu sa propre philosophie, mais la philosophie actuellement acceptée est extrêmement pauvre et inélégante. »

Messages

  • gardons bien à l’esprit que ;
    — l’idée de rotondité de la terre (dans l’antiquité et au moyen âge) était le résultat d’un raisonnement s’appuyant sur des observations " à notre échelle "
    — l’idée de l’existence des molécules et des atomes peut être le résultat d’un raisonnement s’appuyant sur des observations simples et " à notre échelle "
    — la théorie complexe de la Relativité n’en reste pas moins une construction logique qui tend à expliquer des faits ; et la démarche mathématique est en tout point comparable à un raisonnement logique
    — les concepts de perception, d’observation, d’expérimentation et de mesure physique, sont de même nature

  • La découverte et l’emploi du raisonnement scientifique par Galilée est une des conquêtes et les plus importantes dans l’histoire de la pensée humaine et marque le début réel de la physique. Cette découverte nous a appris qu’il ne faut pas toujours se fier aux conclusions intuitives basées sur l’observation immédiate, car elles conduisent parfois à des fils conducteurs trompeurs. [...] La pensée humaine crée une image continuellement changeante du monde. La contribution fournie par Galilée a détruit la vue (...)
    toute activité intellectuelle est d’abord philosophique .
    de ce fait peut-on parler de science sans philo ?
    quels sont les points de divergences et convergences entre la science et la philosophie ?
    la philo n’est-elle pas la source fondamentale de la science ?

  • Pour un observateur superficiel, la vérité scientifique est hors des atteintes du doute ; la logique de la science est infaillible et, si les savants se trompent quelquefois, c’est pour en avoir méconnu les règles.

    Les vérités mathématiques dérivent d’un petit nombre de propositions évidentes par une chaîne de raisonnements impeccables ; elles s’imposent non seulement à nous, mais à la nature elle-même. Elles enchaînent pour ainsi dire le Créateur et lui permettent seulement de choisir entre quelques solutions relativement peu nombreuses. Il suffira alors de quelques expériences pour nous faire savoir quel choix il a fait. De chaque expérience, une foule de conséquences pourront sortir par une série de déductions mathématiques, et c’est ainsi que chacune d’elles nous fera connaître un coin de l’Univers.

    Voilà quelle est pour bien des gens du monde, pour les lycéens qui reçoivent les premières notions de physique, l’origine de la certitude scientifique. Voilà comment ils comprennent le rôle de l’expérimentation et des mathématiques. C’est ainsi également que le comprenaient, il y a cent ans, beaucoup de savants qui rêvaient de construire le monde en empruntant à l’expérience aussi peu de matériaux que possible.

    Quand on a un peu plus réfléchi, on a aperçu la place tenue par l’hypothèse ; on a vu que le mathématicien ne saurait s’en passer et que l’expérimentateur ne s’en passe pas davantage. Et alors, on s’est demandé si toutes ces constructions étaient bien solides et on a cru qu’un souffle allait les abattre. Être sceptique de cette façon, c’est encore être superficiel. Douter de tout ou tout croire, ce sont deux solutions également commodes, qui l’une et l’autre nous dispensent de réfléchir.

    Au lieu de prononcer une condamnation sommaire, nous devons donc examiner avec soin le rôle de l’hypothèse ; nous reconnaîtrons alors, non seulement qu’il est nécessaire, mais que le plus souvent il est légitime. Nous verrons aussi qu’il y a plusieurs sortes d’hypothèses, que les unes sont vérifiables et qu’une fois confirmées par l’expérience, elles deviennent des vérités fécondes ; que les autres, sans pouvoir nous induire en erreur, peuvent nous être utiles en fixant notre pensée, que d’autres enfin ne sont des hypothèses qu’en apparence et se réduisent à des définitions ou à des conventions déguisées.

    Ces dernières se rencontrent surtout dans les mathématiques et dans les sciences qui y touchent. C’est justement de là que ces sciences tirent leur rigueur ; ces conventions sont l’œuvre de la libre activité de notre esprit, qui, dans ce domaine ne reconnaît pas d’obstacle. Là, notre esprit peut affirmer parce qu’il décrète ; mais entendons-nous : ces décrets s’imposent à notre science, qui, sans eux, serait impossible ; ils ne s’imposent pas à la nature. Ces décrets, pourtant, sont-ils arbitraires ? Non, sans cela ils seraient stériles. L’expérience nous laisse notre libre choix, mais elle le guide en nous aidant à discerner le chemin le plus commode. Nos décrets sont donc comme ceux d’un prince absolu, mais sage, qui consulterait son Conseil d’État.

    Quelques personnes ont été frappées de ce caractère de libre convention qu’on reconnaît dans certains principes fondamentaux des sciences. Elles ont voulu généraliser outre mesure et en même temps elles ont oublié que la liberté n’est pas l’arbitraire. Elles ont abouti ainsi à ce que l’on appelle le nominalisme et elles se sont demandé si le savant n’est pas dupe de ses définitions et si le monde qu’il croit découvrir n’est pas tout simplement créé par son caprice[1]. Dans ces conditions, la science serait certaine, mais dépourvue de portée.

    S’il en était ainsi, la science serait impuissante. Or, nous la voyons chaque jour agir sous nos yeux. Cela ne pourrait être si elle ne nous faisait connaître quelque chose de la réalité ; mais ce qu’elle peut atteindre, ce ne sont pas les choses elles-mêmes, comme le pensent les dogmatistes naïfs, ce sont seulement les rapports entre les choses ; en dehors de ces rapports, il n’y a pas de réalité connaissable.

    Telle est la conclusion à laquelle nous parviendrons, mais pour cela il nous faudra parcourir la série des sciences depuis l’arithmétique et la géométrie jusqu’à la mécanique et à la physique expérimentale.

    Quelle est la nature du raisonnement mathématique ? Est-il réellement déductif comme on le croit d’ordinaire ? Une analyse approfondie nous montre qu’il n’en est rien, qu’il participe dans une certaine mesure de la nature du raisonnement inductif et que c’est par là qu’il est fécond. Il n’en conserve pas moins son caractère de rigueur absolue ; c’est ce que nous avions d’abord à montrer.

    Connaissant mieux maintenant l’un des instruments que les mathématiques mettent entre les mains du chercheur, nous avions à analyser une autre notion fondamentale, celle de la grandeur mathématique. La trouvons-nous dans la nature, ou est-ce nous qui l’y introduisons ? Et, dans ce dernier cas, ne risquons-nous pas de tout fausser ? Comparant les données brutes de nos sens et ce concept extrêmement complexe et subtil que les mathématiciens appellent grandeur, nous sommes bien forcés de reconnaître une divergence ; ce cadre où nous voulons tout faire rentrer, c’est donc nous qui l’avons fait ; mais nous ne l’avons pas fait au hasard, nous l’avons fait pour ainsi dire sur mesure et c’est pour cela que nous pouvons y faire rentrer les faits sans dénaturer ce qu’ils ont d’essentiel.

    Un autre cadre que nous imposons au monde, c’est l’espace. D’où viennent les premiers principes de la géométrie ? Nous sont-ils imposés par la logique ? Lobatchevsky a montré que non en créant les géométries non euclidiennes. L’espace nous est-il révélé par nos sens ? Non encore, car celui que nos sens pourraient nous montrer diffère absolument de celui du géomètre. La géométrie dérive-t-elle de l’expérience ? Une discussion approfondie nous montrera que non. Nous conclurons donc que ses principes ne sont que des conventions ; mais ces conventions ne sont pas arbitraires, et transportés dans un autre monde (que j’appelle le monde non euclidien et que je cherche à imaginer), nous aurions été amenés à en adopter d’autres.

  • Qu’Einstein ait agi en fonction de critères d’abord philosophiques apparaît impossible à la plupart des gens qui isolent science et philosophie. Par exemple, l’une des plus grandes études propres à Einstein est la relativité généralisée, celle qui correspond à la gravitation. Sur celle-ci, Einstein déclarait :

    « Que la gravitation soit innée, inhérente et essentielle à la matière, de sorte qu’un corps puisse agir à distance sur un autre à travers un « vide », sans aucune espèce d’intermédiaire, pour transporter l’action et la force d’un corps jusqu’à l’autre, voilà qui me paraît d’une si grande absurdité quez nulle personne ayant une capacité de raisonnement philosophique ne pourra jamais, ce me semble, y ajouter crédit. »

  • Le médecin Claude Bernard : « L’empirisme est un donjon étroit et abject d’où l’esprit emprisonné ne peut s’échapper que sur les ailes d’une hypothèse. »

  • Pour certains, la science ne serait qu’expériences reproduites !

    Dominique Pestre rapporte :

    « De nombreuses expériences de physique des deux derniers siècles, celles de Coulomb ou de Joule par exemple, n’ont donc pas été reproduites pour vérification – même si elles sont devenues, bien plus tard, des expériences codifiées de ’travaux pratiques’ ou des instruments-types conservés dans les laboratoires, ce qui est tout autre chose. D’autres l’ont été, comme celle de Hertz, mais avec des dispositifs matériels et des images de ce qui devait être compris très différents. On a douté de la véracité des résultats obtenus par Coulomb par exemple, et on a mis en cause son instrument trop personnel et fragile, trop capricieux et difficile à maîtriser. Concernant Joule, l’extraordinaire difficulté de sa mesure l’a conduit à prédire qu’il serait très difficile de refaire son travail — et il fut le seul pendant longtemps à produire des résultats chiffrés. Quant à Hertz, si l’idée même de son dispositif fut universellement considérée comme un trait de génie, la polémique a été sans conclusion claire sur ce qu’il avait fait et mesuré. »

  • « Je ne suis pas vraiment un physicien, mais un philosophe et même un métaphysicien »

    cité par Michel Paty dans « Einstein Philosophe »

  • Einstein dans « Physique et réalité » :

    « Nous constatons avec évidence combien sont dans l’erreur les théoriciens de la connaissance qui croient que la théorie vient par induction de l’expérience. Même le grand Newton n’a pu s’affranchir de cette erreur (« Hypotheses non fogo = je ne fais pas d’hypothèses […] Il n’y a pas de méthode inductive qui puisse conduire aux concepts fondamentaux de la physique. Faute de comprendre ce fait, nombre de chercheurs au XIXe siècle ont été victimes d’une erreur philosophique fondamentale. Ce fut probablement la raison pourquoi la théorie moléculaire et la théorie de Maxwell ne purent s’établir qu’à une date relativement tardive. »

  • Charles Darwin :

    « Il y a une trentaine d’années, on disait que les géologues devaient observer et non théoriser. Je me souviens de quelqu’un qui déclarait que, dans ces conditions, il n’y avait plus qu’à descendre dans les carrières, compter les cailloux et décrire leurs couleurs. Comment peut-on ne pas comprendre qu’une observation n’est utile que si elle confirme ou réfute une idée ? »

    Isaac Newton :

    « On n’a jamais fait de grande découverte sans hypothèse audacieuse. »

    Albert Einstein :

    « Tout devrait être conçu d’une manière aussi simple que possible – mais pas d’une manière simpliste. »

    Georges Polya dans « Comment poser et résoudre un problème » :

    « Souvent l’idée que vous aurez ne sera pas d’une grande importance ; ce qui comptera, c’est la façon dont vous testerez cette idée. »

    Henri Poincaré :

    « L’analyse mathématique n’est-elle donc qu’un vain jeu de l’esprit ? Elle ne peut donner (à l’homme de science) qu’un langage commode ; n’est-ce pas là un médiocre service, dont on aurait pu se passer à la rigueur ; et même n’est-il pas à craindre que ce langage artificiel ne soit un voile interposé entre la réalité et l’œil ? Loin de là, sans ce langage, la plupart des analogies intimes des choses nous seraient demeurées à jamais inconnues ; et nous aurions toujours ignoré l’harmonie interne du monde, qui est, nous le verrons, la seule véritable réalité objective. »

    Bertrand Russel :

    « Si la physique est mathématique, ce n’est pas en vertu de notre bonne connaissance du monde, mais parce que nous sommes ignorants : nous n’avons découvert que les propriétés mathématiques du monde. »

    Richard Feynman dans son « Cours de Physique – Mécanique 1 » :

    « Le principe de la science, sa définition pour ainsi dire, est ce qui suit : toute notre connaissance est à l’épreuve de l’expérience. L’expérience est seul juge de la « vérité » scientifique. Mais quelle est la source du savoir ? D’où viennent les lois qui doivent être vérifiées ? L’expérience elle-même nous aide à faire apparaître ces lois, en ce sens qu’elle nous donne des suggestions. Mais aussi il est nécessaire d’avoir de l’imagination pour créer à partir de ces suggestions les grandes généralisations – pour deviner les structures magnifiquement simples, mais très étranges, derrière toutes ces suggestions, et ensuite pour expérimenter, afin de vérifier si nous avons fait la bonne supposition. Cette démarche d’imagination est si difficile qu’il y a une division du travail en physique : il y a des physiciens théoriciens qui imaginent, déduisent et inventent de nouvelles lois, mais ne font pas d’expériences ; et il y a des physiciens expérimentaux qui font des expériences, imaginent, déduisent et devinent… Si, dans un cataclysme, toute notre connaissance scientifique devait être détruite, et qu’une seule phrase passe aux générations futures, quelle affirmation contiendrait le maximum d’information dans le minimum de mots ? Je pense que c’est l’hypothèse atomique (ou le fait atomique, ou tout autre nom que vous voudrez lui donner) que toutes les choses sont faites d’atomes – de petites particules qui se déplacent en mouvement perpétuel, s’attirant mutuellement à petite distance les unes des autres et se repoussant lorsqu’on veut les faire se pénétrer. Dans cette seule phrase vous verrez qu’il y a une énorme quantité d’informations sur le monde, si on lui applique un petit peu d’imagination et de réflexion… Un changement très intéressant, apporté par la mécanique quantique aux idées et à la philosophie de la science, est le suivant : il n’est possible, en aucune circonstance, de prédire exactement ce qui va se produire. Par exemple, il est possible de mettre un atome en état d’émettre de la lumière, et nous pouvons mesurer l’instant où il émet cette lumière en détectant une particule appelée photon, que nous décrirons bientôt. Nous ne pouvons pas cependant prédire « quand » il va émettre de la lumière ou, si on dispose de plusieurs atomes, « lequel » va émettre de la lumière. Vous allez dire que ceci est peut-être dû à certains « rouages » internes encore insuffisamment étudiés. Non, il n’y a pas de mécanismes cachés ; la nature, comme nous la comprenons aujourd’hui, se comporte de telle manière qu’il est « fondamentalement impossible » de faire une prédiction de « ce qui va exactement se passer » dans une expérience donnée. C’est horrible ; auparavant, les philosophes disaient qu’une des conditions fondamentales de la science est que chaque fois que vous établissez les mêmes conditions, la même chose doit se passer. Ceci est tout simplement faux, ce n’est pas une condition fondamentale de la science. Le fait est que la même chose ne se réalise pas, que nous ne pouvons trouver ce qui se passe qu’en moyenne et statistiquement. Malgré cela, la science ne s’est pas complètement effondrée. Les philosophes, incidemment, ont dit beaucoup de choses sur ce qui est « absolument nécessaire » à la science, et c’est toujours, pour autant que l’on puisse le savoir, plutôt naïf et probablement faux. Par exemple, l’un ou l’autre parmi ces philosophes a dit qu’il est fondamental pour l’effort scientifique que si une expérience est réalisée, disons à Stockholm, et que la même expérience soit réalisée par exemple à Quito, « les mêmes résultats » doivent être obtenus. Ceci est tout à fait faux. Il n’est pas nécessaire que la science réalise cela. C’est peut-être un fait d’expérience mais ce n’est pas nécessaire. Par exemple, si l’une des expériences consiste à regarder le ciel et à observer une aurore boréale à Stockholm, vous ne la verrez pas à Quito ; c’est un phénomène différent… Quelle est l’hypothèse fondamentale de la science, sa philosophie fondamentale ? Nous l’avons dit dans le premier chapitre : la seule vérification de la validité d’une idée est l’expérience. S’il apparaît que la plupart des expériences donnent la même chose à Quito et à Stockholm, alors ces « très nombreuses expériences » seront utilisées pour formuler quelques lois générales, et nous dirons que si les expériences donnent la même chose à Quito et à Stockholm, alors ces « très nombreuses expériences » seront utilisées pour formuler quelques lois générales, et nous dirons que si les expériences ne donnent pas les mêmes résultats, cela est dû aux conditions extérieures qui ne sont pas les mêmes à Stockholm. Nous inventerons certaines manières de résumer les résultats expérimentaux, mais il ne faut pas qu’on nous dise à l’avance quelle sera cette manière. Si on nous dit que la même expérience va toujours produire le même résultat, c’est très bien, mais si nous essayons et que ce n’est pas le cas, eh bien ce n’est pas le cas. Nous ne devons considérer que ce que nous voyons, et exprimer tout le reste de nos idées en fonction de notre expérience réelle. »

  • Georges Lochak :

    « Il faut dire avec force que nous ne définissons pas une norme, nous ne sommes pas les gardiens d’une foi. C’est pourquoi nous entretenons des relations avec différents laboratoires (sans lesquels nous ne serions rien !), nous accueillons, écoutons, discutons toutes les options théoriques et nous suivons avec attention les progrès de la physique expérimentale. Nous sommes loin d’être d’accord entre nous sur les options à prendre, mais il en est une qui nous est commune : nous pensons que la science n’est pas un livre de recettes, et qu’elle n’est pas seulement faite pour prévoir des phénomènes ou pour en rendre compte numériquement, elle est faite pour comprendre, pour poser des questions et pour chercher une image du monde. »

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