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La « civilisation » n’est pas un long fleuve tranquille…

vendredi 29 juillet 2011, par Robert Paris

"Les civilisations de l’Inde, de la Chaldée, de la Perse, de la Syrie, de l’Egypte ont disparu l’une après l’autre."

Victor Hugo - Extrait de "Les Misérables"

"L’attitude la plus ancienne, et qui repose sans doute sur des fondements psychologiques solides puisqu’elle tend à réapparaître chez chacun de nous quand nous sommes placés dans une situation inattendue, consiste à répudier purement et simplement les formes culturelles : morales, religieuses, sociales, esthétiques, qui sont les plus éloignées de celles auxquelles nous nous identifions. « Habitudes de sauvages », « cela n’est pas de chez nous », « on ne devrait pas permettre cela », etc.., autant de réactions grossières qui traduisent ce même frisson, cette même répulsion en présence de manières de vivre, de croire ou de penser qui nous sont étrangères. Ainsi l’Antiquité confondait-elle tout ce qui ne participait pas de la culture grecque (puis gréco-romaine) sous le même nom de barbare ; la civilisation occidentale a ensuite utilisé le terme de sauvage dans le même sens. Or, derrière ces épithètes se dissimule un même jugement : il est probable que le mot barbare se réfère étymologiquement à la confusion et à l’inarticulation du chant des oiseaux, opposées à la valeur signifiante du langage humain ; et sauvage, qui veut dire « de la forêt », évoque aussi un genre de vie animal par opposition à la culture humaine. (...)
Cette attitude de pensée, au nom de laquelle on rejette les « sauvages » (ou tous ceux qu’on choisit de considérer comme tels) hors de l’humanité, est justement l’attitude la plus marquante et la plus instinctive de ces sauvages mêmes. (...)
L’humanité cesse aux frontières de la tribu, du groupe linguistique, parfois même du village ; à tel point qu’un grand nombre de populations dites primitives se désignent elles-mêmes d’un nom qui signifie les « hommes » (ou parfois – dirons-nous avec plus de discrétion ? – les « bons », les « excellents » , les « complets »), impliquant ainsi que les autres tribus, groupes ou villages ne participent pas des vertus ou même de la nature humaine, mais qu’ils sont tout au plus composés de « mauvais », de « méchants », de « singes de terre » ou « d’oeufs de pou ». On va souvent jusqu’à priver l’étranger de ce dernier degré de réalité en en faisant un « fantôme » ou une « apparition ». Ainsi se réalisent de curieuses situations où deux interlocuteurs se donnent cruellement la réplique. Dans les Grandes Antilles, quelques années après la découverte de l’Amérique, pendant que les Espagnols envoyaient des commissions d’enquête pour rechercher si les indigènes avaient ou non une âme, ces derniers s’employaient à immerger des Blancs prisonniers, afin de vérifier, par une surveillance prolongée, si leur cadavre était ou non sujet à la putréfaction. (...) En refusant l’humanité à ceux qui apparaissent comme les plus « sauvages » ou « barbares » de ses représentants, on ne fait que leur emprunter une de leurs attitudes typiques. Le barbare, c’est d’abord l’homme qui croit à la barbarie. (...) Les anciens chinois, les Eskimos, avaient poussé très loin les arts mécaniques ; et il s’en est fallu de fort peu qu’ils n’arrivent au point où la "réaction en chaîne" se déclenche, déterminant le passage d’un type de civilisation à l’autre. (...) En vérité, il n’existe pas de peuples enfants ; tous sont adultes, même ceux qui n’ont pas tenu le journal de leur enfance et de leur adolescence. (...) L’humanité en progrès ne ressemble guère à un personnage gravissant un escalier, ajoutant par chacun de ses mouvements une marche nouvelle à toutes celles dont la conquête lui est acquise. (...) Il y a beaucoup plus de cultures humaines que de races humaines, puisque les unes se comptent par milliers et les autres par unités : deux cultures élaborées par des hommes appartenant à la même race peuvent différer autant, ou davantage, que deux cultures relevant de groupes racialement éloignés. (...) Le développement des connaissances préhistoriques et archéologiques tend à étaler dans l’espace des formes de civilisation que nous étions portés à imaginer comme échelonnées dans le temps. Cela signifie deux choses : d’abord que le « progrès » n’est ni nécessaire, ni continu ; il procède par sauts, par bonds, ou, comme diraient les biologistes, par mutations. Ces sauts et ces bonds ne consistent pas à aller toujours plus loin dans la même direction ; ils s’accompagnent de changements d’orientation."

Claude Lévi-Strauss - Extrait de "Race et Histoire"

"La civilisation est quelque chose d’imposé à une majorité récalcitrante par une minorité ayant compris comment s’approprier les moyens de puissance et de coercition."

Sigmund Freud -
Extrait de "L’Avenir d’une illusion"

"La civilisation s’est peut-être réfugiée chez quelque petite tribu non encore découverte."

Charles Baudelaire

"Aucune culture, aucune religion, aucune civilisation n’est à l’abri de la destruction."

Jacques Ruffié -
Extrait de "De la biologie à la culture"

Nous reprenons à notre compte l’idée de civilisation mais, bien entendu, pas au sens que lui ont donné les capitalistes colonisateurs quand ils opprimaient des peuples en se prétendant porteurs d’une civilisation supérieure. Les termes "primitifs", "sauvages", "barbares" ont longtemps été considérés comme synonymes, même si à l’origine ils signifiaient respectivement : "peuples premiers", "peuples de la forêt" et "étrangers", et n’étaient pas aussi péjoratifs qu’ils le sont devenus ; ils s’opposaient à "civilisés" qui voulait seulement dire "gens de la cité". Voici quelques exemples de la prétendue supériorité du colonisateur :

"Aussi longtemps qu’ils resteront des chasseurs vivant dans un état barbare et refusant de devenir des travailleurs utiles, ils feront face à l’extermination."

Missionnaire au Paraguay, 1914

"Les coutumes sexuelles des groupes indigènes organisés doivent être abandonnées dans la mesure où elles menacent le contrôle européen et offensent la morale occidentale."

Un anthropologue nord-américain, 1943

Jules Ferry à la Chambre des députés le 31 juillet 1885 : " Est-ce que vous pouvez nier, est-ce que quelqu’un peut nier qu’il y a plus de justice, plus d’ordre matériel et moral, plus d’équité, plus de vertus sociales dans l’Afrique du Nord depuis que la France a fait sa conquête ? Quand nous sommes allés à Alger pour détruire la piraterie, et assurer la liberté du commerce dans la Méditerranée, est-ce que nous faisions œuvre de forbans, de conquérants, de dévastateurs ? Est-il possible de nier que, dans l’Inde, et malgré les épisodes douloureux qui se rencontrent dans l’histoire de cette conquête, il y a aujourd’hui infiniment plus de justice, plus de lumière, d’ordre, de vertus publiques et privées depuis la conquête anglaise qu’auparavant ?"

Par Elisée Reclus : comment la civilisation civilise... en Australie

La « civilisation » n’est pas un long fleuve tranquille…

Il y a de nombreuses idées fausses sur la civilisation, son sens, son apparition, son rôle, sa prétendue continuité, sa naissance, etc… La première erreur consiste à la dater des premiers grands Etats comme celui des Pharaons d’Egypte. Ou encore à la dater des débuts de l’Histoire écrite, de l’époque de la poterie, du travail des métaux et du grand développement de l’agriculture.

Il n’y a pas une civilisation mais des milliers. Il n’y a pas une naissance de la civilisation mais des milliers et aussi des milliers de morts de la civilisation avec de longues interruptions. Chaque ville antique n’a pas eu une naissance mais plusieurs naissances et plusieurs morts.
Jéricho (Jordanie), Ugarit (Syrie), Cnossos (Crête), Troie (Turquie), les villes mycéniennes et Tyr (Canaan) subissent des révolutions sociales, notamment au quatorzième siècle avant J.-C.et en 1200 avant J.-C. (vague révolutionnaire qui concerne la Grèce, l’Asie mineure, la Syrie).

La chute des villes est souvent attribuée à des tremblements de terre mais Ivar Lissner écrit dans « Civilisations mystérieuses » : « Vers 1400 avant J.-C., les palais de Cnossos s’étaient écroulés pour la dernière fois. Cette troisième destruction – définitive – de la civilisation minoenne était de lavis de plusieurs savants l’œuvre des Grecs. Aucun peuple vivant ne se rend compte de la diminution de sa force de résistance, de la perte de ses intérêts spirituels, de la décadence de son art. mais un regard rétrospectif nous permet de constater qu’en 1400 avant J.-C. le dynamisme vital et la pensée créatrice se mouraient en Crête. (…) Le niveau culturel des Crétois avait atteint, entre l’époque de la construction des vieux palais vers 2.000 avant J.-C. et la décadence de la civilisation crétoise, une hauteur inimaginable. (…)Tout événement historique est immortel. Son action en nous peut être invisible, inconnue, imperceptible. Une civilisation « passée » peut dormir par moments, elle peut rêver dans l’océan illimité des millénaires, de ses souvenirs. Elle peut être ensevelie sous le poids d’énormes couches de terre et de rochers. Elle vit néanmoins en nous, même si ses vestiges matériels sont encore enfouis et se cachent loin de nous. Toutes les vieilles civilisations vivent en nous et nos racines plongent profondément dans les civilisations lointaines, mystérieuses, anciennes. Il s’agit de les redécouvrir. (…) La civilisation embrasse beaucoup de choses. Elle est la synthèse de tous les travaux humains, de la technique, des constructions, de l’habitation, des voyages, des métiers et des outils, des symboles, des sciences. (…)

Tu te trouvais peut-être sur le mur haut de cinq mètres de Jéricho (la première ville connue trouvée en Jordanie – note de M et R) ou bien sur la première tour construite sur cette terre (à Jéricho) quatre mille ans avant les premières pyramides. Tu te souviens peut-être de Tyr, ville phénicienne établie sur une île, forteresse puissante sur les rivages de la Méditerranée. 25.000 humains y habitaient, alimentés en eau par un aqueduc. Tu as peut-être travaillé dans les hauts fourneaux du roi Salomon, comme esclave, sur le bord du désert, dans la chaleur accablante. (…) »

Civilisation du peuple des chasseurs

Civilisation mégalithique

Apparitions et disparitions des civilisations

Civilisation du mont Bégo

Les civilisations sont-elles voués à disparaître ?

Causes de la chute des civilisations

Vagues révolutionnaires internationales

Révolutions des villes de l’Antiquité

Civilisations de l’Afrique antique

Révolutions dans l’Inde antique

Révolutions de l’Egypte antique

Révolutions de la Grèce antique

L’Histoire est marquée par les révolutions

Révoltes et révolutions chez les Phéniciens et Cananéens

Révolutions en Palestine (Canaan) et en Israël antiques

Révolutions de la Mésopotamie antique

Révolutions de la méso-amérique antique

Révolutions de l’Antiquité

Pour beaucoup, la civilisation a pour noms successifs : Egypte, Mésopotamie Grèce et Rome puis Europe occidentale, mais nous allons voir que …

Pour beaucoup, elle s’appelle pyramides, tours, palais, mais en fait elle est surtout ailleurs...

Pour beaucoup, elle nait avec les grands états esclavagistes, mais nous allons voir que…

Pour beaucoup, elle apparaît grâce au néolithique, avec les céramiques, la pierre polie et l’agriculture en grand, mais nous allons voir que…

En fait, les peuples de chasseurs du paléolithique étaient certainement civilisés. Les pygmées, les Inuits, les Boschimans, les Hottentots et bien d’autres peuples en sont la preuve vivante.Voir notre texte précédent sur ce thème.

En fait, c’est à l’époque de la pierre taillée qu’apparaissent kes premières villes, bien avant les poteries, les métaux et bien avant les Etats.

Les premières grandes villes de la terre ont eu une histoire mouvementée. Elles ont été sans cesse détruites et reconstruites et la plupart des destructions, contrairement à ce que l’on a longtemps cru, n’ont pas été le fait des guerres, des conquêtes ni des invasions de peuples « barbares ». Elles proviennent de la chute de la civilisation sous ses propres contradictions internes. Ces disparitions ont entraîné un tel effacement qu’il a fallu les fouilles archéologiques et leurs datations au carbone 14 pour retrouver l’histoire passée de la civilisation. Plus les fouilles sont profondes, plus elles révèlent des restes anciens.On avait cru dater la civilisation du quatrième ou du troisième millénaire avant J.-C. mais elle date en fait du … neuvième !

On a longtemps prétendu que l’histoire de la civilisation s’appelait Egypte puis Moïse puis Grèce puis Jésus-Christ puis Europe, puis USA… et certains livres d’histoire en sont encore là ! On a ensuite découvert la Mésopotamie, son agriculture et ses villes, mais on était encore loin du compte (en 2750 avant J.-C.) alors que la civilisation nait en 9000 avant J.-C. ! Actuellement, ce serait plutôt Turquie et Jordanie puis Pakistan-Inde puis Irak puis Egypte. Mais ce ne sont plus les mêmes civilisations. La Jordanie n’est pas celle de l’Ancien testament ni l’Inde celle de la civilisation classique hindoue….

Les premières villes du monde antique (comme Jéricho, Ugarit, Tyr et Troie) sont nées avant l’Etat et avant le grand développement économique (agriculture, céramique, métaux) et elles ont chuté par des révolutions sociales. On avait daté la civilisation de l’apparition de l’agriculture mais c’est certainement une erreur. La découverte de la ville de Jéricho et de ses murs en pierre, datée d’environ 8000 avant J.-C., fut la première à repousser la date de la naissance de la « civilisation ». ‘Ain Ghazal qui est souvent considéré comme un site frère de Jéricho avec ses 15 hectares, est le plus grand site néolithique du Moyen-Orient et il est quatre fois plus grand que Jéricho. L’américain Gary O. Rollefson, son archéologue principal, a été capable de dater la ville de 7250 avant J.-C., et il existe des preuves que l’agriculture dans la région remonte à 6000 avant J.-C. plus tard que la création de la ville elle-même. A son apogée, 2.000 personnes vivaient à Ain Ghazal. Cependant, en 5000 avant J.-C. la ville est complètement déserte. Trente statues ont été trouvées là, mesurant entre 35 et 90 centimètres, ce sont des êtres humains en apparence, mais qui pourraient représenter des divinités ou les esprits des ancêtres.

Chronologie des débuts de la civilisation

 10 000 avant J.-C. : Gobekli, le plus vieux temple du monde, (actuellement en Turquie)
 9 000 avant J.-C. : Débuts de Jéricho, la plus vieille ville du monde, (actuellement en Cisjordanie)
 7 000 avant J.-C. : Civilisation de la vallée de l’Indus (actuellement Inde et Pakistan)
 7.000 avant J.-C. : Débuts de Çatal Höyük (actuellement Anatolie-Turuie)
 4000 avant J.-C. : Débuts de Troie (actuellement en Turquie)
 4 000 avant J.-C. : Les premiers mégalithes ( à Malte)
 3500 avant J.-C. : Débuts de Sumer (actuellement en Irak)
 3 200 avant J.-C. : Civilisation des cyclades (iles grecques)

Pour comparaison avec l’apparition de l’Etat :

 3100 avant J.-C. : Début de l’ancien empire d’Egypte
 2 800 avant J.-C. : Civilisation minoenne (Etat de Crète)
 2750 avant J.-C. : Premier roi d’Uruk (actuellement en Irak)
 2700 avant J.-C. : Naissance de la civilisation crétoise et de la première civilisation grecque
 2500 avant J.-C. : Première dynastie d’Ur (actuellement en Irak)
 2300 avant J.-C. : Roi Sargon de l’empire akkadien
 1750 avant J.-C. : Roi Hammurabi de Mésopotamie
 700 avant J.-C. : Naissance de Rome

GOBEKLI TEPE

JERICHO - EL RIHA

UGARIT- RAS SHAMRA

Tablettes d’Ugarit

TYR - SOUR

TROIE-HISSARLIK

Gobekli Tepe

Ce temple vieux de 12000 ans qui fait l’objet de fouilles en Turquie est en train de réécrire les données de l’Histoire. Il semble appartenir une civilisation plus vaste jusque là inconnue et qu’on découvre lentement.
Cinq millénaires nous séparent de la naissance de l’Egypte ancienne vers 3100 av JC. Ajouter encore cinq millénaires et nous sommes en 8100 avant le Christ, comme par hasard le début de l’âge du Cancer. Ajouter un autre millénaire et demi, et nous obtenons la date à laquelle Göbekli Tepe, a été construite dans les hautes terres de la Turquie près des frontières irakienne et syrienne.

Archéologiquement classé comme site du Pré-Poterie, une période néolithique (vers 9600-7300 avant JC), le temple le plus ancien du monde est situé dans la première partie de cette époque et il a été daté au carbone 14 de 9500 avant JC. C’est l’époque où aurait disparu l’Atlantide de Platon. Et il a été construit un incroyable 5000 ans avant l’émergence de ce que beaucoup considèrent comme la civilisation la plus ancienne Sumer, pas trop loin au sud de Göbekli Tepe quand on descend l’Euphrate et qu’on laisse les hauts plateaux des monts Taurus en Turquie.

Klaus Schmidt a qualifié Göbekli Tepe « de premier temple » et « un sanctuaire du chasseur de l’âge de pierre ». Il voit le site dans le cadre d’un culte de la mort, il n’est pas spécifiquement lié à un groupe sédentaire, mais c’est une sorte de sanctuaire central pour plusieurs des tribus vivant dans la région. On pense que les animaux sculptés sont là pour protéger les morts. Au Çayönü, comme décrit précédemment, une seule structure dispose d’une cave où a été constatée la présence de crânes humains et des os. Jusqu’à présent, cependant, à Göbekli Tepe il n’y a aucune preuve d’habitation, il semble donc avoir été purement un centre religieux.

Une fois de plus, il semble que, tout comme le faisaient les anciens Égyptiens, la civilisation qui a construit Göbekli Tepe avait beaucoup plus de considération pour ses édifices religieux que pour toute autre structure de caractère « pratique » ou plus matérialiste. Pourtant à ce jour, le seul Complexe B a été fouillé au niveau du sol, on n’y a découvert aucun tombeau ou aucunes sépultures.

Certains ont exprimé des critiques sur le fait que des chasseurs-cueilleurs aient pu créer une structure telle que Göbekli Tepe. Les nombreuses pointes de flèche en silex (et le manque d’outils de construction) trouvées autour du site semble appuyer cette critique, et on pourrait même voir ces objets dans le cadre de chasses sacré plutôt que dans le cadre des activités quotidiennes pour mettre la nourriture sur la table. En fait si même les tables existaient alors.

Schmidt soutient que les chasseurs-cueilleurs se rassemblaient sur ces lieux à certaines périodes de l’année. Si ces rencontres étaient déterminées par les cycles solaire ou lunaire, on l’ignore, mais c’est néanmoins une question intéressante à méditer. De même, on peut logiquement conclure que ceux qui ont construit le site y vivaient et avait une ressource dédiée fournie par d’autres qui les ont soutenus pour les besoins alimentaires et de logement. Les archéologues ont estimé que jusqu’à 500 personnes auraient été nécessaires pour extraire les 10 à 20 tonnes de piliers et pour les déplacer de la carrière à leur destination, sur une distance allant de 100 à 500 mètres. Toutefois, Schmidt pense que l’entretien de la communauté des constructeurs a été la véritable raison pour laquelle nos ancêtres ont « inventé » l’agriculture : ils ont commencé à cultiver les herbes sauvages sur les collines pour nourrir cette population sédentaire. En bref, il estime que « la religion a motivé les peuples pour entreprendre une exploitation agricole ».

Et en apparaissant comme ayant une signification rituelle, Göbekli Tepe, avec ses grands blocs de pierre joliment décorés, révèle que ses créateurs avaient une extraordinaire capacité et familiarité avec la maçonnerie en pierre et la sculpture. Que nos ancêtres en 10,000 av JC aient été aussi qualifiés est une découverte archéologique qui efface les croyances longtemps restées dans la tête sur l’origine de la civilisation.

Autour de 8000 avant J.-C., les descendants des créateurs de Göbekli Tepe se sont retourné contre les réalisations de leurs ancêtres et leur temple a été enseveli sous des milliers de tonnes de terre, créant ainsi la colline artificielle, le « ventre », que nous voyons aujourd’hui. La raison pour laquelle ils ont fait cela est inconnue. Ce qui est certain, c’est qu’ils entendaient ainsi renverser l’ordre établi.

Jéricho - El Riha

Avec 9000 ans avant J.-C., Jéricho est la première ville connue au monde, une ville qui avait déjà irrigation en moins 7000 avant J.-C. et connaissait agriculture en 6000 avant J.-C.

Mais cette existence ancienne est loin d’être continue. A chaque fois, la cité existe pendant quelques centaines d’années puis disparaît et réapparait … plus de mille ans après. Les villes antiques connaissent toutes de telles ruptures brutales, violentes, dans lesquelles il n’y a aucune suite après la destruction de la ville. Les suivants s’installent sur les ruines et souvent la ville s’appelle même « ruines » dans la langue des peuples suivants… La nouvelle société n’est pas l’héritière directe de la précédente. Il y a bel et bien discontinuité, même si le site est le même.

Jéricho est née d’une civilisation appelée celle des Natoufiens, nom donné à une culture de l’Épipaléolithique final, attestée au Levant entre 10 800 et 8 200 av. J.-C. et caractérisée par les premières expériences de sédentarisation. Natoufien est une culture du Proche-Orient dont les sites ont été découverts dans les régions bordant la côte méditerranéenne de l’Asie (notamment près du Mont Carmel et dans le Néguev). Le site éponyme est Ouadi en Natouf en Cisjordanie. Les premiers témoignages de la culture natoufienne y ont été découverts par l’archéologue britannique Dorothy Garrod, en 1928. Les couches suivantes datent de 8350 avant J.-C. et 7220 avant J.-C. et sont du stade pré-poteries. Pour comparaison, la destruction des murs de Jéricho (destruction que la Bible attribue aux Juifs en guerre contre les Canannéens) date de 1550 avant J.-C (destruction numéro quatre de la cité !). Cette datation rend impossible la venue des Hébreux avant cette destruction qui doit donc trouver une autre interprétation. A cette époque, la civilisation locale a déjà été détruite trois fois… sans guerre extérieure visible. En fait, la ville compte plus de vingt établissements successifs suivis de destruction ! Les fouilles archéologiques du premier emplacement de Jéricho ont été faites par le Charles Warren en 1868. Ernst Sellin et le Karl Watzinger excavé indiquent l’EL d’es-Sultan et de Tulul Abu ’Alayiq entre 1907-1909 et en 1911. John Garstang a excavé entre 1930 et 1936. Des investigations étendues using des techniques plus modernes ont été faites par le Kathleen Kenyon entre 1952 et 1958. Lorenzo Nigro et Nicolo Marchetti ont conduit une excavation limitée en 1997. Plus tard cette même année, Dr. le bois de Bryant de a également fait une visite à l’emplacement pour vérifier les résultats de l’équipe 1997 plus tôt.

Ivar Lissner écrit dans « Civilisations mystérieuses » :

« Lorsque Josué fut en 1300 avant J.-C. à Jéricho, la ville avait déjà 7000 à 8000 ans derrière elle. (…) La ville était très vieille. Elle était si vieille que les Patriarches Abraham, Isaac et Jacob eux-mêmes en ignoraient les débuts. » (Les Juifs trouvaient des villes en ruine dans tout le pays de Canaan et, pour combler leur ignorance et construire leur mythe national ou ethnique, ils bâtir l’histoire selon laquelle l’armée juive avait conquis la ville et forcé la forteresse. Note de M et R)

« La ville de Jéricho fut construite alors que l’homme ne connaissait pas les récipients en terre. A Jéricho, les hommes vivaient dans une ville puissante tout en appartenant encore au Mésolithique (10.000 à 7500 avant J.-C.) auquel succéda le Néolithique (7.500 à 4.000 avant J .-C.). Jéricho n’est pas seulement la forteresse la plus basse du monde (située à 250 mètres au-dessous du niveau de la mer. (…) En 1956, les fouilles de Kathleen Kenyon permirent la conclusion étonnante que Jéricho était déjà une véritable ville à l’époque antérieure à la poterie, bien avant 5.000 ans avant J.-C.

On supposait autrefois que l’homme en adoptant le genre de vie sédentaire se mit à fabriquer des coupes, des cruches et autre récipients en argile. Tous ces objets sont fragiles et ne se prêtent pas à la vie nomade. Jéricho nous a révélé un fait entièrement nouveau : pendant des millénaires, l’homme habitait une ville fortifiée sans pour autant s’entourer de poteries. Entre le nomadisme et la fabrication d’objets en terre cuite s’étendit une période très longue qui vit des villes florissantes dont les habitants se contentaient d’ustensiles et d’outils en os et en bois. L’époque antérieure à la poterie de Jéricho remonte à 9.000 ou 10.000 ans jusqu’aux environs de 7.800 avant J.-C. (…) Les maisons les plus anciennes étaient rondes avec des murs recourbés. Les maisons de ce genre avaient probablement la forme d’une demi-sphère ou d’un œuf coupé en deux. Les planchers étaient en terre battue, les murs en brique. Les briques étaient de forme oblongue et ovale avec une base plate et un profil bombé. (…)

Cette époque ancienne fut suivie d’une autre, également avant l’an 5.000 avant J.-C., pendant laquelle on construisait de grandes maisons carrées. (…) Les murs de ces maisons qui possédaient peut-être un étage supérieur étaient construits en briques séchées au soleil. Mrs Kenyon raconte à quel point elles sont bien assemblées. Aujourd’hui encore, 8.000 à 9.000 ans après leur construction, il est difficile de démolir ces maisons ou d’en extraire des briques. (…)
Les outils, lames, forets, grattoirs et les très belles scies des hommes de Jéricho sont en silex ou en obsidienne. (…)

La ville était entourée d’une muraille très large haute de 5 mètres. Lorsque la muraille s’écroula, elle fut reconstruite. Détruite, on l’éleva de 6,5 mètres. Une grande énigme reste la tour d’un diamètre de 9 mètres, d’une construction si solide en pierres naturelles que maintenant encore, après les fouilles, elle se présente comme un bastion médiéval. C’est la tour la plus ancienne de notre globe ! Elle se dressait déjà là avant que des murailles aient protégé la ville de Jéricho. Elle a été conçue par des hommes vivant là il y a 9.000 ans ou davantage. Elle est de 4.000 ans plus ancienne que la plus vieille des pyramides. (…) Dans une galerie de la tour, les membres de l’expédition découvrirent 21 squelettes, posés les uns contre les autres. On a dû y enterrer des morts en grande hâte. (…) Quelle était donc la destination de cette construction préhistorique à l’époque où elle ne servait pas encore, reliée à la muraille, à des fins défensives ? (…)

La trouvaille la plus importante de Jéricho est celle de 10 crânes humains découverts sous les maisons. Cette découverte est tellement importante que rien ne l’égale au monde. (…) Les crânes ont été soigneusement enduits d’une couche d’argile. Les yeux sont marqués par des coquillages. On a essayé, par ces moyens, de leur rendre les traits des vivants. Chaque partie de la figure est travaillée avec une grande finesse. On a même découvert des traces de peinture, car les habitants de Jéricho étaient poussés par le désir de reconstituer le teint, l’expression, et même la vie de leurs morts grâce à un savoir artistique remarquable. L’homme s’efforce ici de vaincre la mort par l’art.

Nous avons ici affaire aux portraits les plus anciens de la terre ; car les statues en ivoire de mammouth et en os de l’âge de pierre, les dessins muraux des grottes du midi de la France et du nord-ouest de l’Espagne n’ont jamais la moindre ressemblance avec un portrait. On a trouvé sous presque toutes les maisons de Jéricho des squelettes dépourvus de têtes. Le fait même que les têtes aient été ensevelies sous le plancher permet peut-être de conclure à une sorte de culte des ancêtres. (…)

Le niveau artistique, l’idéalisation, la maîtrise étonnante qui s’exprime dans ces crânes à une époque où nous ne supposions même pas l’existence de villes sur la terre sont absolument inconcevables.
Jéricho est un lieu dont les ruines portent témoignage de millénaires. (…) Un jour, on vit s’y établir des hommes qui connaissaient l’art de la céramique. Comme l’’ancienne ville était tombée en ruine, ils établirent leurs demeures sur les gravats. Ils ne nous ont pas laissé de maisons. En arrivant, ils possédaient l’art de la poterie. On a découvert des monceaux de poteries brisées. Mais la vie citadine n’a pas laissé de trace de cette période obscure. Une seule découverte est d’un très grand intérêt. Le professeur Garstang a mis à jour les restes de trois statues en calcaire de grandeur naturelle représentant un homme, une femme, un enfant. La tête de la statue masculine était intacte. Ainsi les fouilles de Jéricho nous révèlent un deuxième miracle : il s’agit, de l’avis de Kathleen Kenyon, de la première représentation préhistorique de la Sainte Famille. (…)

Vinrent ensuite des conquérants qui savaient fabriquer les poteries plus fines, mieux cuites, ornées de dessins gravés. On constate pour la première fois chez ce peuple, en comparant ces trouvailles à celles découvertes près de Sha’ar ha Golan, sur le bord du Yarmouk, près de Byblos et ailleurs, une certaine parenté culturelle. Nous voyons dans le Jéricho de cette époque – vers 4750 avant J.-C. – l’apport d’inventions faites en d’autres lieux. Ensuite, c’est le silence ! Les vestiges de l’activité humaine s’effacent ; nous tombons sur une période intermédiaire qui ne donne aucune indication aux archéologues. (Discontinuité de l’ordre social – note de M et R) La vie reprend vers moins 3220 avant J.-C. dans la profondeur des caveaux. Les constructeurs mésolithiques de Jéricho avaient enterré leurs morts sous le plancher de leurs maisons. Les peuples de céramistes nous ont laissé très peu de vestiges de leur genre de vie. Mais les hommes après 3200 nous ont laissé de véritables caveaux dans les collines de leur ville. (…) Les caveaux se présentent la plupart du temps en forme de galeries arrondies creusées dans le roc conduisant dans une excavation. Le caveau lui-même est fermé par une grande pierre ou par plusieurs pierres. Le plafond des caveaux s’était souvent effondré. Dans une de ces cavités plus grande que les autres on avait soigneusement dressé 113 crânes humains dont les orbites semblaient viser le milieu de la pièce. Les morts de cette tombe, qui porte la désignation scientifique « A94 », étaient accompagnés de récipients d’argile, de coupes, de grands brocs et de cruches à vin. (…) La méthode du carbone 14 permet d’établir que cette sépulture fut construite en 3260 avant J.-C.

Nous débouchons sur le premier âge du bronze. Il s’étendit à Jéricho de 2900 avant J.-C. jusqu’aux environs de 2300 avant J.-C. On construisit de nouveau des murailles épaisses. Des sentinelles gardaient la ville. L’activité y régnait. (…) Nous ignorons pourquoi les murs de Jéricho s’écroulèrent (…) lorsque Jéricho était déjà une ville très ancienne. Elle avait 7.000 à 8.000 ans d’existence. »

Ugarit - Ras Shamra

Ville côtière de la Syrie actuelle, la cité d’Ougarit (Ugarit) est connue maintenant sous le nom de Ras Shamra (cap du fenouil). Le site est situé à 15 Km au Nord de Lattaquié, en bordure de la Méditerranée.
Les fouilles archéologiques débutèrent en 1929 suite à une découverte fortuite faite par un paysan labourant son champ et se heurtant à une tombe remplie de céramiques. La Syrie était à cette époque sous mandat français. Le pouvoir mandataire, qui venait de créer un Service des Antiquités sous la direction de René Dussaud, dépêcha sur place l’archéologue Claude Schaeffer qui se consacrera au site jusqu’à sa mort en 1982.

Ougarit, le grand port cananéen connu jusque là uniquement à travers les archives antiques d’Amarna (capitale d’Akhénaton), anéanti par les invasions des Peuples de la mer en 1186 av.J.C., était prêt à livrer ses secrets. Le site d’Ougarit, l’un des plus anciens du Proche-Orient Antique, fut occupé dès le néolithique (6500 av.J.C.). L’industrie du cuivre y fait son apparition au début du IV° millénaire. Aux alentours de 3000 av.J.C. une cité importante émerge, pourvue de fortifications. Le début du II° millénaire marque un tournant dans l’histoire de la ville avec l’arrivée de groupes nomades, les Amorrites , artisans spécialisés dans la fonte du bronze. Ougarit est alors la capitale d’un royaume florissant positionné au croisement des voies terrestres du Proche-Orient et des voies maritimes de la Méditerranée. La cité était située sur un axe stratégique de l’époque, ses rois avaient à se défendre face aux puissances en présence : au Sud, les Pharaons d’Egypte, au Nord, sur les contreforts du Taurus, le royaume de Mitanni et par la suite les Hittites, à l’Est le monde mésopotamien et à l’Ouest la Méditerranée (monde Egéen). Cette position, à un carrefour d’échanges commerciaux et culturels, à un croisement nord-sud (monde hittite - Egypte) et est-ouest (monde mésopotamien - Méditerranée), va enrichir ce royaume grâce au commerce et au développement de l’artisanat du luxe. Ougarit se trouvait au débouché d’une plaine fertile, on y cultivait la vigne, le blé et l’olivier ce qui encouragea l’exportation du vin et de l’huile d’olive. Son port accueillait les navires égyptiens et crétois qui déchargeaient l’albâtre, le cuivre et les précieux cratères mycéniens. Des terres intérieures arrivaient les caravanes remplies des richesses venues des contrées lointaines : les archéologues ont ainsi retrouvé du lapis-lazuli d’Afghanistan, de l’ivoire de l’Inde, de l’ambre de la Baltique.

Ivar Lissner écrit dans « Civilisations mystérieuses » :

« Il y a trente ans, on ignorait tout du peuple des Cananéens. En 1929, l’explorateur français Claude Schaeffer mit à jour, près de Ras Shamra, la vieille ville d’Ugarit. Il mit ainsi en évidence l’une des civilisations les plus intéressantes de l’histoire humaine. (…) C’est seulement il y a trente ans qu’on a réussi à déchiffrer les tablettes d’Ugarit. On a pu ainsi se faire une idée de la vie intellectuelle et spirituelle d’une ville dont on avait perdu la trace pendant plus de 3.000 ans. La bibliothèque de tablettes d’argile d’Ugarit est une des découvertes les plus importantes que l’on ait faite. (…)

« Quoique le palais d’Ugarit ne soit encore que partiellement dégagé, il est dès maintenant possible de dire qu’il se classe parmi les demeures royales les plus grandes et les plus somptueuses jusqu’ici connues dans le Proche-Orient au second millénaire. »
(Claude F.A. Schaeffer, « Le palais royal d’Ugarit », Paris, 1955.)
Le peuple dont on a ainsi découvert la civilisation il y a trente ans est le peuple des Cananéens. (…) Ce peuple, les grecs l’appelaient plus tard les Phéniciens. C’est à eux qu’appartenaient les villes maritimes puissantes de Tyr et Sidon. Ils étaient les navigateurs les plus hardis de l’Antiquité. (…) Les Phéniciens se firent navigateurs aux environs de 1250 avant J.-C. seulement. Leur renommée est grande comme navigateurs, comme inventeurs de la pourpre, comme commerçants, comme fondateurs de villes, comme dangereuse puissance maritime. Leurs ancêtres sont les Cananéens.

Ce n’est qu’en ces derniers temps qu’on commence à s’intéresser à la civilisation si importante de ce vieux peuple. Depuis 3000 avant J.-C. environ les Cananéens s’étaient établis en Syrie et en Palestine. Ils édifièrent leurs villes sur les ruines des villes anciennes. Ils mirent au point un style de vie et un ordre social qui semblait très raffiné aux yeux des bergers israélites qui arrivèrent plus tard dans ce pays. (…) Les fortifications, les immeubles, les rues, les villes entières des Cananéens entre 3000 et 1200 avant J.-C. étaient de vrais prodiges. Ces populations avaient inventé des canalisations extrêmement pratiques. Elles possédaient des potiers très qualifiés, le premier âge du bronze fut inauguré par elles. (…) Les Cananéens construisirent des forteresses puissantes telles que Meggiddo, Beth-shean, Taanak, Gezer, Beth-shemesh, Hazor. (…) En 1929, l’archéologue français Claude F.A. Schaeffer fit une découverte extrêmement intéressante. Il mit, en effet, à jour sur la côte septentrionale de la Syrie, face à l’île de Chypre, à Ras Shamra, près de la ville moderne de Lattakie, la très vielle cité d’Ugarit. Depuis des millénaires, des hommes y avaient vécu. Leurs traces remontent jusqu’au paléolithique. (…) 6.000 ou 5.000 ans avant J.-C. un lien semble avoir existé entre les habitants de Ras Shamra (de l’âge de pierre) et ceux de Jéricho ce qu’on peut conclure de certaines ressemblances entre les premiers récipients de pierre. (…) Nous abordons une époque dont les vestiges se trouvent à 7,5 mètres environ sous le niveau du sol. On a découvert les tombeaux de cette époque les premiers bracelets, des aiguilles à coudre munies d’un trou, des colliers et d’autres bijoux de bronze ainsi que des vestiges d’Européens venus des Balkans, du Danube, des bords du Rhin, du Caucase. Ils avaient envoyé à Ugarit les produis de leur industrie, puisqu’on a y a trouvé des objets similaires. (…) Il est difficile de savoir ce qui se passe ensuite : une puissance inconnue détruisit les statues égyptiennes qui se trouvaient à Ugarit. (…)
Vers le milieu du quatorzième siècle avant J.-C., on trouve à Ugarit des maisons écroulées, des murs lézardés, dont les blocs de pierre s’étaient disloqués, des traces d’incendie. Abimilki, roi de Tyr, annonça au pharaon Aménophis IV la catastrophe : « La ville royale d’Ugarit a été détruite par le feu. La moitié de la ville a été la proie des flammes. L’autre moitié n’existe plus. » On se demande encore à la suite de quels événements du quatorzième siècle avant J.-C. Ugarit, la ville de Cnossos en Crète, Troie et d’autres métropoles ont subi au même moment de vastes destructions. Un tremblement de terre peut-il toucher simultanément tant de centres fort éloignés les uns des autres ? »

La réponse est oui : en cas de tremblement de terre social et politique !
L’auteur reprend :

« Une fois de plus Ugarit se relève de ses cendres. On reconstruit maisons et palais. Une fois de plus, les dames de la ville portent les beaux vêtements de mode égyptienne et surtout mycénienne, car les Crétois comptent parmi les habitants les plus riches et ce sont eux qui déterminent le goût du jour.

Soudain, vers 1200 avant J.-C., la catastrophe finale éclate. (….) La ville est effacée de la carte du monde. Elle disparut avec l’âge du bronze. Les commerçants cessèrent de calculer ; les écrivains déposèrent leur style. Les tablettes en argile furent dispersées à tous les vents par les destructions de cette ville prestigieuse. Les grandes dames arrêtèrent de rire. L’herbe se mit à pousser sur la colline où les fouilles se poursuivent à l’heure actuelle. (…) Schaeffer constata la présence de cinq couches successives en mettant à jour la ville d’Ugarit, sous la colline de Ras-Shamra. Ces couches représentent cinq civilisations de l’humanité, de l’âge de pierre jusqu’à 1100 avant J.-C. environ, date de la disparition d’Ugarit. La cinquième couche est la plus ancienne et se trouve de ce fait tout en bas. La couche supérieure contient les ruines d’une ville qui avait prospéré entre 1500 et 1100 avant J.-C. environ. C’est à ce niveau que Schaeffer découvrit les restes d’une grande bâtisse (…) Ce bâtiment qui ressemble à un palais avait dû être une véritable université de l’art d’écrire. On étudiait dans la ville cananéenne les langues akkadienne, sumérienne, hurrite et surtout l’alphabet proto-phénicien des ancêtres de Phéniciens, l’alphabet des Cananéens. L’art d’écrire, autrement dit l’art d’imprimer des signes dans les tablettes d’argile était à l’époque un art difficile et demandait des études approfondies. (…) Il est très intéressant de se pencher sur la vie d’une ville qui nous a donné l’une des inventions les plus importantes, l’alphabet, avant de périr, il y a 3.000 ans environ. »

Tyr - Sour

La première occupation date de 2700 av. J.-C. Cette date fut attestée par l’archéologie, et surtout par le sondage effectué par Patricia Bikai dans le centre de Tyr l’insulaire, ce sondage ayant livré 27 niveaux dont le premier niveau remonte au premier quart du troisième millénaire.

Ivar Lissner écrit dans « Civilisations mystérieuses » :

« Tyr était l’une des plus célèbres villes phéniciennes. La forteresse, située sur une île, avait deux ports, le port sidonien au nord, le port égyptien au sud. (…) Poidebard a pris des photos aériennes. Il envoya ensuite des scaphandriers. Ils virent à leur grand étonnement les archaïques murailles de Tyr. Sur le côté sud de la ville, ils découvrirent un môle long de 750 mètres, large de 8 mètres environ, immergé au fond de l’eau. Ils reconnurent même l’entrée du port, située au milieu et solidement renforcée. (…) La ville était bâtie sur une île. Elle aurait eu, selon les indications de l’historien Arrien qui vécut au deuxième siècle de notre ère, des murailles hautes de 50 mètres et se dressait sur un sol rocheux. Comme sa surface était limitée, ses habitants vivaient dans des immeubles de quatre ou cinq étages. (…) De nos jours, 6.000 habitants peuplent la ville de Sour, mais la ville antique hébergeait 25.000 hommes dans ses murs ! (…) Le littoral en face de l’île appartenait aux rois de Tyr et fournissait à la ville des céréales, des fruits, des légumes. On est étonnés d’apprendre que les Phéniciens érigèrent il y a 3.000 ans un aqueduc pour approvisionner la ville en eau. Sur la terre ferme, à 7 kilomètres au sud de Tyr, se trouve une fontaine, Ras el-Aïn. Elle jaillit encore de nos jours. Les Phéniciens établirent une conduite d’eau jusqu’à un point en face de l’île. Ils irriguèrent de cette manière les champs qui les approvisionnaient en vivres. Un service de bateaux transportait régulièrement l’eau fraiche jusqu’à l’ile. C’était un « pont d’eau potable » pour 25.000 individus. Les réserves d’eau de la ville, les citernes, ne servaient qu’en cas de siège. Les habitants de Tyr étaient si bien pourvus en eau potable que Nabuchodonosor assiégeait la ville en vain pendant treize ans, de 585 à 572."

Troie - Hissarlik

Le site d’Hissarlik, en Anatolie, est aujourd’hui reconnu sous le nom de « site archéologique de Troie ».

La ville de Troie est très ancienne et son existence a été tout aussi discontinue avec des phases d’occupation suivies d’interruptions complète d’existence. Les couches de ruines dans la citadelle chez Hisarlik sont numérotées de Troie I à Troie IX, avec de diverses subdivisions :

• Troie I 3000-2600 (Anatolien occidental Eb 1)

• Troie II 2600-2250 (Anatolien occidental eb 2)

• Troie III 2250-2100 (Anatolien occidental eb 3 [récent])

• Troie IV 2100-1950 (Anatolien occidental eb 3 [milieu])

• Troie V : 20ème-18èmes siècles (Anatolien occidental eb 3 [tardif]).

• Troie VI : 17ème-15èmes siècles

• Troie VIh : défunt âge en bronze, 14ème siècle

• Troie VIIa : ca. 1300-1190

• Troie VIIb1 : 12ème siècle

• Troie VIIb2 : 11ème siècle

• Troie VIIb3 : jusqu’à ca. 950

• Troie VIII : autour 700

• Troie IX : Hellénistique Ilium, 1er siècle

Nulle continuité entre ces périodes. La ville a été détruite à chaque fois et reconstruite à une époque nouvelle.

Schliemann creusa une immense tranchée dans la colline d’Hissarlik en traversant le niveau de la Troie homérique. Ses fouilles, commencées en 1870, durèrent vingt ans.

Aujourd’hui, nous savons qu’il existait au moins neuf villes, construites les unes sur les autres dans la même région, et que la première ville fut construite au IIIe millénaire av. J.-C.

Dérouté par les nombreux niveaux découverts sous la colline, Schliemann finit par identifier quatre villes distinctes et successives sous la ville romaine d’Ilium. Il décide que la Troie d’Homère correspondait au deuxième niveau à partir du bas, mais cette conclusion n’était guère partagée par les autres archéologues. En 1873, il exhume un ensemble de bijoux en or, qu’il dissimule aux autorités turques et aux ouvriers, grâce à sa femme grecque Sophia qui les passe pièce par pièce en les cachant sous son châle. Parallèlement, Schliemann découvre un grand nombre de vases, de pointes de lances et de boucles d’oreille aux niveaux de Troie II ou de Troie III (2200 av. J.-C.). Malheureusement, son « trésor de Priam » disparut à Berlin en 1945, pour réapparaître dans les collections du Musée de l’Ermitage après la chute de l’URSS.

Troie est présentée de manière anachronique, dans la mythologie grecque, comme faisant partie de la culture grecque de États-cités. En réalité, c’est une très ancienne ville anatolienne qui précède de loin la civilisation grecque. Et cette ville appartenait à une vaste civilisation dans laquelle toute le peuple se nommait « troyen » au sens ethnique. La ville de Troie a été connue pour sa richesse gagnée du commerce de port avec l’est et l’ouest, les vêtements de fantaisie, la production de fer, et massif murs défensifs. Troie est un élément clef de la mythologie grecque car la guerre que la Grèce a menée contre Troie a permis d’unir les Etats-cités en une seule armée, fondant l’unité grecque. Les textes d’Homère ont chanté cette légende. On aurait situé cette guerre entre 1193 et 1183 avant J.-C. Son existence n’est pas prouvée. Eratosthène la place en 1184, Herodote en 1250, Douris en 1334.

Troie IV
La première ville a été fondée dans le 3ème millénium AVANT JÉSUS CHRIST. Pendant l’âge en bronze, l’emplacement semble avoir été une ville marchande de épanouissement, puisque son endroit a tenu compte de la commande complète du Dardanelles, par lequel chaque bateau marchand de Mer Égée se diriger pour La Mer Noire a dû passer.

Troie VI
Troie VI a été détruit autour de 1300 AVANT JÉSUS CHRIST, probablement par tremblement de terre. Seulement une pointe de flèche simple a été trouvée en cette couche, et aucuns restes des corps.

Troie VII
Troie VIIa, qui a été daté au mi au siècle de late-13th AVANT JÉSUS CHRIST, est le candidat souvent-cité pour Troie de Homer. Il semble avoir été détruit par guerre.

Troie IX
La dernière ville sur cet emplacement, Hellénistique Ilium, a été fondé près Romans pendant le règne de l’empereur Augustus et était une ville le commerce importante jusqu’à l’établissement de Constantinople au quatrième siècle comme capital oriental de Empire romain. Dans Bizantin chronomètre la ville diminuée graduellement, et par la suite disparue.

Sous une partie de la ville romaine, les ruines dont la couverture par secteur beaucoup plus grand que la citadelle excavée par Schliemann, les excavations récentes ont trouvé des traces d’un secteur additionnel de règlement de Bronze-Âge (de statut inférieur que la citadelle contiguë) défendu par un fossé.

L’un des problèmes majeurs posés par le site d’Hissarlik (la Troie historique) était sa petite taille (137 m sur 187 m) comparée a la Troie décrite par Homère. Trois cent habitants tout au plus auraient pu vivre dans la Troie VIIa, alors qu’Homère en décrit cinquante mille. Magnification et exagération du poète ?

On aurait pu le croire jusqu’à la découverte lors de nouvelles fouilles en 2001-2002 de la ville basse : ces fouilles, entreprises par le Dr Korfmann de l’Université de Tübingen en Allemagne, ont révélé un mur d’enceinte de type cyclopéen enserrant la ville basse appartenant à la Troie VIIa.

Cette nouvelle découverte assure à la ville une superficie de 350 000 m², soit treize fois plus grande que celle de la seule acropole que nous connaissions déjà. Avec une taille aussi considérable, Troie dépasse en superficie sa rivale et maîtresse (?), Ugarit (200 000 m²) et en fait l’une des plus grandes villes de l’Âge du bronze. Sa population serait alors de 5 000 a 10 000 habitants, ce qui en temps de siège peut tout à fait être suffisant pour abriter les 50 000 habitants de toute la région. Pour le moment, on ne peut cependant parler de guerre de Troie, estime le Dr Korfmann ; il faudra des fouilles ultérieures pour révéler ce mythe.

Messages

  • La première dynamique sociale de la civilisation est le produit de la division entre villes et campagnes. La seconde est celle qui oppose riches et pauvres dans les villes. Enfin, l’apparition et le développement de l’Etat va mener à de nouvelles oppositions : entre guerriers, religieux et bourgeoisie. La relation entre classes dominantes et Etat est contradictoire. Les classes riches des villes ont fini par être menacées par les exploités et elles ont ressenti le besoin de se protéger derrière le bouclier de l’Etat.

  • La discontinuité de la vie : de la naissance et de la disparition des civilisations, la disparition de la civilisation Nasca

    http://www.tvzaz.com/streaming_documentaire/civilisations/lenigme-des-nascas/

    Sur les Nascas du Pérou, un documentaire qui permet de se poser des questions.

    Voici quelques questions qui me sont venues à l’esprit en regardant ce documentaire :

    Contexte (informations glanées au fil du documentaire, non vérifiées donc) :

    La civilisation des Nascas a vécu entre les Andes et l’Océan Pacifique. De nombreuses traces archéologiques sont magnifiquement conservées permettant de connaître l’existence de cette civilisation.

    Cette civilisation s’est éteinte au IVe siècle après JC. Entre 300 et 350, il y a environ 1700 ans.

    Une civilisation qui a laissé de multiples traces. Une cité religieuse, apparemment pacifique, s’étalant sur un site de ruines de 24km². Le site s’appelle KAWASHI. Seul 1% du site est exploré à ce jour, malgré des années de recherches archéologiques.

    Cela permet à des collectionneurs du monde entier de se positionner sur un marché, et ainsi à des pilleurs de tombes non-officiels de récupérer des joyaux : tissus magnifiques, poteries peintes, momies, tout cela est conservé de manière exceptionnelle.

    Depuis 17 ans, 2 à trois mois par ans, une équipe de recherche d’Europe va sur place faire de fouilles sur le site de KAWASHI. L’équipe embauche des locaux (bénévoles ? rémunérés ? on es voit dans le documentaire, mais bien entendu, ils ne dirigent pas les opérations et sont complètement inféodés au programme dirigés par des chercheurs d’un pays impérialiste).

    Cette cité enfouie au milieu du désert a connu des conditions climatiques et géologiques importantes.

    Entre 300 et 350 une inondation et un tremblement de terre ont été enregistrés par les chercheurs.

    C’est suite à ces deux événements que les NASCAS ont quitté leur cité.

    Ils semblent qu’ils aient rejoint un autre peuple, avec lequel ils avaient des relations, les WARIS. Avant de quitter le site de KAWASHI, les Nascas ont recouvert d’argile l’ensemble de leur cité.

    24km² de bâtiments, de temples, pyramides, bref d’une cité qui administrait sous le pouvoir de prêtres (combien étaient-ils ? le documentaire ne le dit pas) le pays alentour.

    Des populations actuelles continuent, à proximité du site de KAWASHI, de cultiver grâce aux irrigations que la civilisation NASCA a bâties.

    Le modèle est connu : en Mésopotamie, des prêtres administraient une cité, organisaient l’agriculture, et constituaient une classe dirigeant l’État vivant du travail de la population qui devait "alimenter les deux", fort nombreux : les prêtres qui étaient en même temps ingénieurs, scribes, comptables des productions agricoles de l’ensemble de la société.

    Pour revenir aux Nascas, le documentaire explique que la religion ne fonctionnait plus. Qu’après l’ensevelissement de la cité de KAWASHI, c’est un féodalisme qui s’installe.

    Quel contrat social entre les Nascas et les Waris s’est-il établi ? quelque chose de similaire à l’Europe d’après la fin de l’Empire romain ? autre chose ?

    Les poteries et tissus d’avant le IVe siècle évoquent très précisément la religion des Nascas : ils comportent des figures de dieux-animaux, faisant penser à un totémisme. Les animaux qui y figurent, colibris, singes, serpents, poissons ou baleines, condor sont des animaux connus dans cette région montagneuse, désertique, pas très éloignée de l’Océan.

    Des tissus riches très colorés, comportent des figurines faisant penser à des processions, des fêtes religieuses.
    En revanche après la fin du fonctionnement de la religion, les poteries ne comportent plus du tout les figures des dieux Nascas. Les poteries postérieures comportent des figures humaines.

    Cela fait penser à la remise en cause, dans l’antiquité grecque, de la religion des Titans (mélange de corps humains et de griffes, queue de serpents, corps animaux, etc.) pour des dieux olympiens à figures humaine. Cet abandon d’une religion empreinte de restes totémistes est figurée par le combat entre les Dieux (olympiens) et les Titans, par exemple figurée par les magnifiques statues de la fresque du temple de Pergame (Pergamon) -pillé en Turquie au XIXe siècle et visible à Berlin.

    Le documentaire parle d’une libération d’une religion. Et effectivement, il semble que la fin d’une religion des dieux animaux fasse partie d’une libération d’un peuple ou d’une civilisation soumise aux lois de la nature qui se sent capable de maîtriser suffisamment son destin pour se donner des dieux humains ou pour se passer de dieux tout court.

    Cependant, les fins de civilisations et de religions, sont toujours corrélés, dans les discours médiatiques ou scientifiques officiels, bourgeois, à des événements appelés « catastrophes
    naturelles ».

    Qu’en est-il de cette civilisation qui a enterré un lieu de culte si immense ? Pourquoi avoir choisi d’ensevelir 24km² ?

    Quels choix sociaux ont présidé à cet acte ? Aujourd’hui, les bâtisseurs se servent de grues pour détruire les immeubles dont on ne veut plus, quelle que soit la cause. Mais de là à détruire toute une ville d’un coup, ou simplement à la quitter, sans compter de l’ensevelir pour la quitter ?

    Quelle représentations avaient les Nascas de leur cité ? Ensevelir une cité servait-il à protéger leurs ancêtres morts ?

    Pourquoi les programmes de recherches actuels n’envisagent pas de se développer à grande échelle pour fouiller à fin d’en savoir plus sur cette civilisation ?

    Même sans connaissances exactes ou plus complètes, quelles conjectures, quelles hypothèses d’explication, quel modèle explicatif en croisant les connaissances anthropologiques d’autres civilisations pouvons-nous formuler sur les raisons de l’extinction de la civilisation Nasca ?

  • Néandertal a-t-il décoré la grotte espagnole de Nerja ?

    Coup de tonnerre dans le monde de la préhistoire : de récentes datations au carbone 14, encore confidentielles, feraient remonter les peintures de la grotte ornée de Nerja, en Andalousie, à plus de 43 000 ans… Soit 7000 de plus que celles de la grotte Chauvet. Plus étonnant encore : cet art rupestre élaboré serait l’œuvre de l’homme de Néandertal, qui n’avait jusqu’à présent laissé aucune trace artistique.

    La suite ici.

  • Barbarie et civilisation ?

    « L’attitude la plus ancienne, et qui repose sans doute sur des fondements psychologiques solides puisqu’elle tend à réapparaître chez chacun de nous quand nous sommes placés dans une situation inattendue, consiste à répudier purement et simplement les formes culturelles : morales, religieuses, sociales, esthétiques, qui sont les plus éloignées de celles auxquelles nous nous identifions. « Habitudes de sauvages », « cela n’est pas de chez nous », « on ne devrait pas permettre cela », etc.., autant de réactions grossières qui traduisent ce même frisson, cette même répulsion en présence de manières de vivre, de croire ou de penser qui nous sont étrangères. Ainsi l’Antiquité confondait-elle tout ce qui ne participait pas de la culture grecque (puis gréco-romaine) sous le même nom de barbare ; la civilisation occidentale a ensuite utilisé le terme de sauvage dans le même sens. Or, derrière ces épithètes se dissimule un même jugement : il est probable que le mot barbare se réfère étymologiquement à la confusion et à l’inarticulation du chant des oiseaux, opposées à la valeur signifiante du langage humain ; et sauvage, qui veut dire « de la forêt », évoque aussi un genre de vie animal par opposition à la culture humaine. (...) Cette attitude de pensée, au nom de laquelle on rejette les « sauvages » (ou tous ceux qu’on choisit de considérer comme tels) hors de l’humanité, est justement l’attitude la plus marquante et la plus instinctive de ces sauvages mêmes. (...) L’humanité cesse aux frontières de la tribu, du groupe linguistique, parfois même du village ; à tel point qu’un grand nombre de populations dites primitives se désignent elles-mêmes d’un nom qui signifie les « hommes » (ou parfois – dirons-nous avec plus de discrétion ? – les « bons », les « excellents » , les « complets »), impliquant ainsi que les autres tribus, groupes ou villages ne participent pas des vertus ou même de la nature humaine, mais qu’ils sont tout au plus composés de « mauvais », de « méchants », de « singes de terre » ou « d’oeufs de pou ». On va souvent jusqu’à priver l’étranger de ce dernier degré de réalité en en faisant un « fantôme » ou une « apparition ». Ainsi se réalisent de curieuses situations où deux interlocuteurs se donnent cruellement la réplique. Dans les Grandes Antilles, quelques années après la découverte de l’Amérique, pendant que les Espagnols envoyaient des commissions d’enquête pour rechercher si les indigènes avaient ou non une âme, ces derniers s’employaient à immerger des Blancs prisonniers, afin de vérifier, par une surveillance prolongée, si leur cadavre était ou non sujet à la putréfaction. (...) En refusant l’humanité à ceux qui apparaissent comme les plus « sauvages » ou « barbares » de ses représentants, on ne fait que leur emprunter une de leurs attitudes typiques. Le barbare, c’est d’abord l’homme qui croit à la barbarie. (...) Les anciens chinois, les Eskimos, avaient poussé très loin les arts mécaniques ; et il s’en est fallu de fort peu qu’ils n’arrivent au point où la "réaction en chaîne" se déclenche, déterminant le passage d’un type de civilisation à l’autre. (...) En vérité, il n’existe pas de peuples enfants ; tous sont adultes, même ceux qui n’ont pas tenu le journal de leur enfance et de leur adolescence. (...) L’humanité en progrès ne ressemble guère à un personnage gravissant un escalier, ajoutant par chacun de ses mouvements une marche nouvelle à toutes celles dont la conquête lui est acquise. (...) Il y a beaucoup plus de cultures humaines que de races humaines, puisque les unes se comptent par milliers et les autres par unités : deux cultures élaborées par des hommes appartenant à la même race peuvent différer autant, ou davantage, que deux cultures relevant de groupes racialement éloignés. (...) Le développement des connaissances préhistoriques et archéologiques tend à étaler dans l’espace des formes de civilisation que nous étions portés à imaginer comme échelonnées dans le temps. Cela signifie deux choses : d’abord que le « progrès » n’est ni nécessaire, ni continu ; il procède par sauts, par bonds, ou, comme diraient les biologistes, par mutations. Ces sauts et ces bonds ne consistent pas à aller toujours plus loin dans la même direction ; ils s’accompagnent de changements d’orientation."

    Claude Lévi-Strauss - Extrait de "Race et Histoire"

  • Sylvain Lévi, L’Inde et le monde :

    « Un préjugé puéril que la science historique a battu en brèche dans l’Occident sans arriver à l’en expulser, mais que l’Orient continue à entretenir avec une sorte de piété, veut que chaque peuple soit, à ses propres yeux comme aux yeux du monde entier, l’auteur exclusif de sa propre civilisation et qu’il ne doive rien à l’étranger. Des esprits surannés, restés au stage d’un passé lointain, croient encore trop souvent que la barbarie commence aux frontières du pays natal. C’est ainsi qu’on voit, sur les anciennes cartes géographiques, à l’entour de la contrée spécialement figurée, un espace blanc, nu, vide de noms et d’indications. Il semble que l’honneur national aurait à souffrir, s’il fallait reconnaître à des voisins la moindre part d’influence. L’amour de la patrie, comme l’amour de Dieu, peut dégénérer en fanatisme stupide ; il faudrait, pour satisfaire les maniaques du chauvinisme, que tous les arts, toutes les sciences, toutes les découvertes, toutes les inventions aient surgi du sol privilégié qui a eu l’honneur de les porter.

    La réalité proteste contre cette conception puérile : la civilisation est une œuvre collective où chacun travaille pour l’avantage de tous. Sans remonter trop haut dans ces annales du passé que notre temps s’applique à déchiffrer, jetons les yeux sur la Grèce, bienfaitrice du monde, dispensatrice de beauté, de sagesse, et de vérité. Il n’est pas un peuple, sur toute l’étendue de la terre, qui ne soit aujourd’hui son débiteur. Mais à quoi n’avait-elle pas elle-même emprunté ? Elle avait, de son propre aveu, reçu l’écriture des Phéniciens, la philosophie des Égyptiens ; mieux instruits qu’elle de son propre passé, nous atteignons maintenant au-dessous de la Grèce classique une civilisation « égéenne » tout imprégnée d’influences orientales. La génération spontanée, chassée des sciences biologiques par les expériences de Pasteur, n’a point à espérer de refuge dans l’histoire. Qu’on ne vienne pas alléguer, en manière de réfutation, l’incertitude des périodes lointaines ; les temps plus rapprochés n’en laissent apparaître que plus clairement la même vérité. Il suffit de rappeler l’histoire de notre littérature ; au XVIe siècle c’est l’étude des modèles grecs et latins qui suscite les chefs-d’œuvre de la Renaissance ; bientôt après l’Italie impose son goût subtil et maniéré ; l’Espagne triomphe ensuite dans l’œuvre de Corneille ; Racine associe dans la même dévotion Euripide et la Bible. L’Angleterre, mère des libertés politiques, préside à notre XVIIIe siècle ; après la Révolution, l’Allemagne romantique lui succède. Et tout récemment encore le théâtre scandinave, le roman russe ont marqué leur empreinte sur l’esprit français. »

    source

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