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La pensée et la société sont-elles piégées par l’hypertrophie et l’omnipotence de la technologie ?

lundi 26 novembre 2012, par Robert Paris

La pensée et la société sont-elles piégées par l’hypertrophie et l’omnipotence de la technologie ?

Technologie et capitalisme

La technologie semble avoir pris une importance décisive dans le monde capitaliste actuel au point qu’on pourrait penser que la technologie est maitresse de l’avenir du capitalisme.

Partisans et adversaires de la technologie pensent qu’elle domine le monde alors que le capitalisme n’est pas dirigé par la technologie qui n’est qu’un des éléments de son développement et non sa locomotive.

Les partisans de la technologie affirment que c’est elle qui détermine le progrès, les succès économiques et le développement de la société. Ils ont souvent tendance à confondre civilisation et technologie, économie et technologie ou encore science et technologie, ce qui est faux dans les trois cas. Les adversaires de celle-ci prétendent qu’on assisterait à notre époque au diktat du « tout technologique » qui transforme l’homme en appendice de la machine, de l’ordinateur, des moyens de technique de communication, des téléphones portables par exemple. Et certains auteurs voient dans le tout technologique la cause de la crise actuelle par l’effondrement de l’emploi dont ils accusent la robotisation et l’informatisation du travail.

Mais le capitalisme est un diktat du grand capital et de sa course au profit mais pas du « tout technologique ». Le recours exacerbé à certaines technologies comme les ordinateurs ou la téléphonie mobile est voulu par les grands groupes capitalistes, et donc favorisé, en fonction (ou pas) des profits qui en sont attendus. Ces technologies ne se sont pas elles mêmes imposées aux capitalistes.

Ce sont les capitalistes qui poussent la société à ressentir tel ou tel (faux) besoin en fonction de ce qui les intéresse financièrement de développer. Si intellectuellement, le diktat du « tout technologique » existe en un sens, socialement ce n’est le cas qu’en fonction des intérêts des capitalistes.

Il est vrai que le capitalisme a connu un essor sans précédent des moyens techniques, de la domination de l’homme sur la nature, développement qui peut servir à la mise en place d’une société d’abondance socialiste si les prolétaires agissent dans ce sens en renversant le pourvoir des capitalistes. De même, le développement des technologies au sein de la société du Moyen-Age a rendu possible le capitalisme. Mais ce ne sont pas ces technologies qui ont par elles-mêmes poussé en avant la bourgeoisie. Ce n’est pas la technologie qui a lancé le capitalisme mais la crise de la société féodale.

La phase dynamique du capitalisme a certes poussé au maximum les capacités scientifiques et technologiques. Mais cela ne veut pas dire que les capitalistes aient toujours choisi de développer toutes les techniques qui étaient possibles technologiquement et dès qu’elles étaient découvertes, loin de là.

Ce n’est pas l’existence de découvertes qui décide si elles sont ou non immédiatement rentables. Ce n’est pas non plus la technologie qui détermine les phases ascendantes ni descendantes du système, ni l’effondrement actuel.

L’évolution des sociétés, que ce soit du capitalisme ou des sociétés qui l’ont précédé, n’a pas été déterminée en premier par les technologies mais par les forces productives, ce qui n’est pas exactement pareil, car les forces productives supposent des rapports de production et des modes de production qui vont avec et supposent donc des classes sociales et des luttes de classes. C’est un processus contradictoire dans lequel a lieu une confrontation permanente et non une poussée de l’avant continuelle des découvertes. Nous y reviendrons.

Marx et la thèse du développement fondé sur la technique

Toute l’histoire du capitalisme est l’histoire d’un prodigieux développement de la productivité, à travers le développement de la technologie. Mais ce développement était nécessaire au capital qui cherchait à s’investir dans la production car celle-ci était porteuse de profits extraits du travail humain. Il n’empêche que le développement technique était contradictoire car il défaisait d’une main ce qu’il avait fait de l’autre, diminuant la part du capital produisant du profit, en augmentant sa part investie dans les machines. Cela fait que le capitalisme n’a jamais pu vraiment miser à fond sur le machinisme.

On a tendance à parler de « mutation » ou de « révolution » dans la technologie contemporaine. Bien des auteurs ont interprété le marxisme comme une théorie des rapports sociaux calqués sur les révolutions technologiques. Mais Marx n’a jamais dit cela. En réalité Marx avait affirmé dès le Manifeste et démontré dans Le Capital que le mode de production capitaliste se caractérise par une « révolution ininterrompue dans les moyens de production », avant tout dans les instruments de production (technologie). Ce qui se passe depuis dix-quinze ans est déclaré « sans précédent » à grands coups de proclamations, et il est vrai que depuis quelques années les choses vont plus vite qu’avant. Mais il s’agit d’une simple différence de degré, non de nature.

Le progrès technologique entraînant le progrès économique puis le progrès social, c’est bel et bien la thèse de la bourgeoisie elle-même et de ses économistes. La réalité est bien plus contradictoire dialectiquement. Marx a, pour sa part, montré le caractère contradictoire des forces productives et des rapports de production, c’est qui est très loin de l’action positif-positif des économistes bourgeois mais souligne la négation de la négation du processus économique. Le développement capitaliste a un moteur dynamique qui est la destruction permanente de quantité de richesses (négatif) et pas la construction de technologies ou de sciences nouvelles (positif).

« À un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants, ou, ce qui n’en est que l’expression juridique, avec les rapports de propriété au sein desquels elles s’étaient mues jusqu’alors. De formes de développement des forces productives qu’ils étaient ces rapports en deviennent des entraves. Alors s’ouvre une époque de révolution sociale. »

« Les économistes expriment les rapports de la production bourgeoise, la division du travail, le crédit, la monnaie, etc., comme des catégories fixes, immuables, éternelles. (…)
Les économistes nous expliquent comment on produit dans ces rapports donnés, mais ce qu’ils ne nous expliquent pas, c’est comment ces rapports se produisent, c’est-à-dire le mouvement historique qui les fait naître. »

« C’est de cet oubli que découle, par exemple, toute la sagesse des économistes modernes qui prétendent prouver l’éternité et l’harmonie des rapports sociaux existant actuellement. Par exemple, pas de production possible sans un instrument de production, cet instrument ne serait-il que la main. Pas de production possible sans travail passé accumulé, ce travail ne serait-il que l’habileté que l’exercice répété a développée et fixée dans la main du sauvage. Entre autres choses, le capital est, lui aussi, un instrument de production, c’est, lui aussi, du travail passé, objectivé. Donc le capital est un rapport naturel universel et éternel ; oui, mais à condition de négliger précisément l’élément spécifique, ce qui seul transforme en capital l’« instrument de production », le « travail accumulé ». Toute l’histoire des rapports de production apparaît ainsi, par exemple chez Carey, comme une falsification provoquée par la malveillance des gouvernements. S’il n’y a pas de production en général, il n’y a pas non plus de production générale. La production est toujours une branche particulière de la production - par exemple l’agriculture, l’élevage du bétail, la manufacture, etc., ou bien elle constitue un tout. Mais l’économie politique n’est pas la technologie. Il faudra expliquer ailleurs (plus tard) le rapport entre les déterminations générales de la production à un stade social donné et les formes particulières de la production. » dit Marx dans son « Introduction à la critique de l’économie politique ».

« La technologie, dit Marx, met à nu le mode d’action de l’homme vis-à-vis de la nature, le procès de production de sa vie matérielle, et, par conséquent, l’origine des rapports sociaux et des idées ou conceptions intellectuelles qui en découlent. » affirme Marx dans Le Capital, livre I.

Lénine ; qui le cite, rajoute : « Mettre à nu les rapports sociaux ne signifie pas produire ces rapports sociaux, ce mode de production, ce qui n’est nullement dans les capacités des seules capacités technologiques. Marx le rappelle son ouvrage Contribution à la critique de l’économie politique, où il s’exprime comme suit »  :

« Dans la production sociale de leur existence, les hommes entrent en des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté, rapports de production qui correspondent à un degré de développement déterminé de leurs forces productives matérielles.

L’ensemble de ces rapports de production constitue là structure économique de la société, la, base concrète sur laquelle s’élève une superstructure juridique et politique et à laquelle correspondent des formes de conscience sociale déterminées. Le mode de production de la vie matérielle conditionne le processus de vie sociale, politique et intellectuelle en général. Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur être ; c’est inversement leur être social qui détermine leur conscience. A un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants, ou, ce qui n’en est que l’expression juridique, avec les rapports de propriété au sein desquels elles s’étaient mues jusqu’alors. De formes de développement des forces productives qu’ils étaient, ces rapports en deviennent des entraves. Alors s’ouvre une époque de révolution sociale. Le changement dans la base économique bouleverse plus ou moins rapidement toute l’énorme superstructure. Lorsqu’on considère de tels bouleversements, il faut toujours distinguer entre le bouleversement matériel – qu’on peut constater d’une manière scientifiquement rigoureuse – des conditions de production économiques et les formes juridiques, politiques, religieuses, artistiques ou philosophiques, bref, les formes idéologiques sous lesquelles les hommes prennent conscience de ce conflit et le mènent jusqu’au bout. »

(Voir la brève formule que Marx donne dans sa lettre à Engels en date du 7 juillet 1866 : "Notre théorie de la détermination de l’organisation du travail par les moyens de production.") Fin de la citation de Lénine.

L’organisation du travail, ce n’est pas seulement la technologie, bien entendu… mais des rapports sociaux ce qui est très différent, redisons le !

Marx souligne dans son Introduction à la critique de l’économie politique : « L’économie politique n’est pas la technologie. »

Même à ses débuts, le capitalisme était d’abord fondé sur l’exploitation du travail humain et pas seulement sur le machinisme.

Marx écrit dans « Un chapitre inédit du Capital » : « Bien que l’adresse et la technologie puissent être d’un grand effet, il importe essentiellement que l’élément du travail vivant soit prépondérant pour que se développent les manufactures. »

Comprendre la société capitaliste n’a jamais, à aucune époque de celui-ci, correspondu seulement ni essentiellement à l’étude de ses capacités technologiques. La loi d’accumulation du capital ne dépend pas en premier d’innovations techniques. Si le capitalisme s’est heurté aujourd’hui à ses limites, cela a un caractère capitalistique, comme limite d’investissement rentable, et non comme limite due à un manque (ni à un surcroit) de découvertes techniques…

Ce n’est pas Marx mais les réformistes, les staliniens et certains « trotskystes » comme Ernest Mandel qui ont cru aux « révolutions technologiques »…

Ainsi, Mandel écrivait dans le tome quatre de son « Traité d’économie marxiste » :

« Dès les années 40 du xxe siècle apparaissent les signes précurseurs d’une troisième révolution industrielle. La première était fondée sur la machine à vapeur, la seconde sur le moteur électrique et le moteur à explosion. La troisième révolution industrielle est fondée sur la libération de l’énergie nucléaire et sur l ’emploi de machines électroniques.

L’utilisation productive de l’énergie nucléaire constitue la première réponse que l’ingéniosité des hommes a trouvée au problème, angoissant selon d’aucuns, de la perte de ressources énergétiques mondiales ; la deuxième réponse, sans doute finale, sera celle de l’utilisation de l’énergie thermo-nucléaire et solaire.

Dès aujourd’hui, l’énergie nucléaire pourrait réduire les frais de l’industrialisation de certaines zones sous-développées (Amérique latine, de grandes parties de l ’Inde ou de la Chine), où le charbon est rare ou difficile à transporter, et où l’énergie hydro-électrique est plus chère que l’énergie nucléaire. (…)

En outre, la troisième révolution industrielle substitue des machines au travail intellectuel, dans la même mesure que la première les avait substituées au travail manuel. C’est par milliers que les employés, comptables, vérificateurs, dans les banques, les compagnies d ’assurances, les bureaux des grandes usines, sont remplacés par des machines à calculer électroniques. »

Lire ici

Cela laissait entendre que les innovations étaient le moteur du développement capitaliste, ce qui est essentiellement inverser la cause et l’effet…

Certains voient inversement dans la crise actuelle un sous-produit d’un trop grand développement non maîtrisé des technologies. Le leitmotiv actuel étant la compétitivité, la maîtrise des technologies nouvelles est présentée comme l’essentiel avantage concurrentiel mais il est inexact que la crise actuelle soit un produit de la concurrence.

Le fonctionnement du système serait marqué non par une concurrence exacerbée qui signifierait essentiellement un déplacement des capitaux vers de nouvelles zones ou activités mais, en fait, il n’est pas caractérisé par un tel mouvement mais par un retrait massif des capitaux de leurs investissements productifs ce qui est très différent.

La pensée scientifique n’est pas un sous-produit de la technologie

Il est exact, par contre, que l’évolution de la société capitaliste a entrainé une perte de vitesse économique, sociale, politique et, du coup, philosophique et scientifique de la même manière que la phase ascendante du capitalisme avait entrainé un lancement des sciences et de la philosophie scientifique. Lire 1895 – 1905 : la grande décennie révolutionnaire de la physique

Mais, par la suite, les scientifiques eux-mêmes ont pris conscience d’un blocage social autant qu’idéologique et ils ont actuellement conscience d’un blocage financier. Citons les.

« Face à la croissance explosive des techniques de communication de l’information, les capacités de notre cerveau d’acquérir, de stocker, d’assimiler et d’émettre de l’information sont restées inchangées. »
de Pierre Joliot

Le physicien-philosophe Etienne Klein écrit dans "Regards sur la matière" : « Il ne faudrait pas oublier de penser la science. »

Le physicien Robert B. Laughlin affirme dans « Un univers différent »

« C’est terrible que la science se soit tant éloignée du reste de la vie intellectuelle, car elle n’avait pas du tout commencé ainsi. (…) C’est triste à dire, mais la machinerie de la science n’est pas conçue pour traiter les concepts, seulement les faits et les technologies. » (…) Howard Mumford Jones écrit : « Notre époque est fière des machines pensantes et se méfie des hommes qui cessaient de penser. » (…) Si tolérer l’ignorance d’importants objets de science est à la mode, c’est pour des motifs non seulement économiques mais aussi politiques »
Le physicien Georges Lochak explique dans le « Dictionnaire de l’ignorance » que « Il n’y a pas d’expérience sans idée théorique et pas de théorie sans conceptualisation du réel. »

Le physicien Etienne Klein dans « Sous l’atome, les particules » affirme, lui aussi, son souci de conceptualisation : « Penser la science. La science n’est pas la technique. (...) On peut craindre que la volonté d’obtenir toujours plus de résultats expérimentaux n’étouffe la dimension réflexive du métier de physicien. Etre physicien (...) c’est aussi réfléchir, méditer les concepts, en créer de nouveaux, saisir leur portée, envisager leur sens. Il ne suffit pas d’avoir rendu la science prédictive pour en épuiser le contenu. »

Dans « Prédire n’est pas expliquer », René Thom le dit avec des mots qui feront grincer des dents : « Si l’on réduit la science à n’être qu’un ensemble de recettes qui marchent, on n’est pas dans une situation supérieure à celle du rat qui sait que lorsqu’il appuie sur un levier, la nourriture va tomber dans son écuelle. »

Nombre de scientifiques insistent sur la nécessité de « penser le réel ». Dans ce sens, le physicien David Ritz Finkelstein écrit dans l’ouvrage collectif de sciences et de philosophie intitulé « Le vide » : « Nous avons peut-être besoin d’imagination plus que d’investissement en matériel. »

Le biologiste Richard Lewontin remarque dans « Gènes, environnement et organisme » : « Les limites de nos schémas conceptuels ne déterminent pas seulement la nature de nos réponses aux questions mais aussi la nature des questions que nous nous posons. »

On retrouve la même préoccupation chez Prigogine et Stengers dans « Entre le temps et l’éternité » (ouvrage issu du couplage rétroactif d’un physicien et d’une philosophe) : « L’histoire de la physique ne se réduit pas à celle du développement de formalismes et d’expérimentations mais est inséparable de ce que l’on appelle usuellement des jugements idéologiques. » Le physicien Albert Einstein écrit dans l’article « L’opportunisme du savant », cité par les Œuvres choisies d’Albert Einstein édité par le CNRS (tome 5) : « La relation réciproque de la théorie de la connaissance et de la science est d’un genre remarquable : elles dépendent l’une de l’autre. La théorie de la connaissance sans contact avec la science n’est qu’un schéma vide. La science sans théorie de la connaissance – pour autant qu’elle est concevable – est primitive et confuse ; mais, dès que le théoricien de la connaissance, dans sa recherche d’un système clair, y est parvenu, il est enclin à interpréter le contenu de pensée de la connaissance dans le sens de son système et à écarter tout ce qui n’y est pas conforme. (...) Il apparaît comme un réaliste dans la mesure où il cherche à se représenter un monde indépendant des actes de perception ; comme un idéaliste dans la mesure où il considère les concepts et les théories comme des libres inventions de l’esprit humain (non dérivables logiquement du donné empirique) ; comme positiviste dans la mesure où il considère ses concepts et théories comme fondés seulement pour autant qu’ils procurent une représentation logique des relations et expériences sensorielles. » Franco Selleri rajoute, dans « Le grand débat de la théorie quantique », « Aujourd’hui l’opinion la plus répandue est de penser que la physique est une activité purement technique menée par les chercheurs dans leurs laboratoires, selon des règles théoriques et expérimentales bien établies et qu’elle est fondamentalement neutre par rapport aux tendances culturelles, à la philosophie, aux problèmes sociaux et autres. » Et Franco Selleri va, tout au long de son ouvrage, montrer que les questions posées par la physique quantique ne peuvent être résolues sans faire appel à la pensée philosophique.

« Le progrès technique est comme une hache qu’on aurait mis dans les mains d’un psychopathe. » dit Albert Einstein.
« Il est impossible de prédire les conséquences positives ou négatives du progrès de nos connaissances. » dit Pierre Joliot.

Aujourd’hui, technologie rime souvent avec rentabilité, efficacité, productivité, et finances plus qu’avec sciences, recherche des lois de la nature et compréhension du monde…

La thèse dominante est que la technologie avec ses implications économiques est plus fondamentale que la connaissance scientifique.

C’est la thèse bien sûr des classes dirigeantes, véhiculée aussi bien par les gouvernants, les média et les scientifiques eux-mêmes le plus souvent. Cela aurait fait bien rire les grands scientifiques jusqu’aux années 1930 !!! Eriger la science en socle des techniques est un recul considérable de la pensée. En faire un simple auxiliaire du profit industriel et financier est carrément catastrophique. La nouvelle génération d’étudiants en sciences n’a probablement plus la moindre idée des préoccupations en termes de pensée qui était celles de la génération d’Einstein et ce n’est pas par regret du passé que je dis cela. Car il s’agit d’une énorme régression intellectuelle et humaine…

La progression de la civilisation est très loin de se calquer sur la progression des technologies. La progression des idées scientifiques n’est pas non plus identique à celle des technologies.

La société ne parle que « technologies d’avenir » et prétend calquer les recherches scientifiques sur les objectifs en termes de techniques rentables à court terme.

La science a été remplacée par la technofinance en biotechnologie, en pharmacie, en nanotechnologies, en nucléaire, en sciences des communications, de l’information et de l’informatique.

Il n’y a plus d’argent pour la recherche. Les équipes se disputent les financements des projets.
Ainsi, tous les chercheurs vous le diront, la maladie de la recherche c’est de passer son temps à chercher de l’argent.

Associer productivité et recherche est pour le moins audacieux, et pose un certain nombre de questions quant à la capacité de la direction de la société à comprendre l’activité de recherche. En effet, la recherche n’est pas par essence une activité commerciale, et encore moins une activité rationalisable, quantifiable, industrialisable à grand échelle. Autrement dit, les visions de court et de moyen termes sont certes appropriées en matière de spéculation financière, mais totalement illusoires en ce qui concerne la recherche.

Bien des recherches sont déterminées non par les questions que se posent les chercheurs mais par la nécessité d’utiliser des matériels que l’on a difficilement réussi à faire financer…

Bien entendu, il n’est pas question de tirer des conclusions hors de l’expérience, mais il y a belle lurette que la science ne se contente plus d’observer la nature. La science est engagée dans une vision de la nature fondée sur un édifice théorique qui est sous-jacent dans tout le programme de recherche. On ne fait pas des observations objectives, au hasard dans toutes les directions, mais pour approfondir un modèle, confirmer une conception liée à l’ensemble de la conception scientifique. Mettre sur pied une expérience et y investir une équipe, des moyens, du temps, c’est déjà décider d’une orientation et d’un choix. En effectuant telle ou telle expérience, le scientifique s’engage. Il choisit de préciser un point en fonction d’une conception déjà établie de l’ensemble des scientifiques. Il n’y a pas d’expérience sans base théorique et conceptuelle. En ce sens, il n’existe pas d’observation pure ni objective.

C’est la technologie qui est un danger ou la classe dirigeante ou les deux liées ?

La question a été posée de nombreuses fois, quand une technologie s’est révélée dangereuse en soi comme le nucléaire, comme les nanotechnologies, comme les manipulations génétiques type OGM, etc. Il convient de ne pas faire comme si ces recherches ou ces technologies dangereuses se pilotaient elles-mêmes ou étaient seulement aux mains des scientifiques qui seraient des savants dangereux en eux-mêmes. Ils ne le sont que tant que le système capitaliste les pousse à produire avant d’être sûrs des risques éventuels et cela pour engranger plus vite les profits, qu’il s’agisse de ceux du nucléaire, des produits pharmaceutiques ou des bio ou nano technologies.

Mais ce qui est certain, c’est que les scientifiques ne décident pas par eux-mêmes du sens dans lequel va la recherche et que ce qu’ils décident dépend d’abord et avant tout de ce qui est rentable, tel que cela est déterminé par l’Etat et les classes dirigeantes. Il n’existe pas de diktat des scientifiques mais un diktat de la classe capitaliste qui s’adjoint des dirigeants bourgeois de la science en fonction de ses besoins.

Par contre, il ne faut pas trop compter sur les scientifiques eux-mêmes pour combattre les évolutions nuisibles des technologies car les scientifiques ont tendance à favoriser tout ce qui va pouvoir financer et favoriser par tous les moyens leurs recherches et l’apprenti sorcier ne date pas d’aujourd’hui.

Les modes écologiques et environnementales discutent plus que jamais des risques technologiques mais cela ne veut pas dire qu’ils soient davantage pris en compte. La société est seulement davantage hypocrite et cache derrière le "développement durable" une recherche plus effrénée que jamais de rentabilité à court terme incompatible avec la prise en compte des risques. Le nucléaire japonais en est la démonstration.

Un autre point a été fréquemment soulevé ces dernières années : celui de l’influence d’un monde très technologique sur les cerveaux des jeunes générations qui n’ouvriraient plus un livre et se contenteraient des interactions par internet… Le monde entièrement technique empêcherait l’homme d’exister dans un monde un tant soi peu naturel et humain… Ce n’est pas entièrement faux mais cela l’est là aussi en fonction d’un environnement social et pas en soi, du fait de l’emprise "naturelle" de ces technologies.

Il est certain cependant qu’intellectuellement et psychologiquement un univers tout technologique n’a pas que des avantages pour l’être humain. Plusieurs recherches l’ont montré.

Pour reposer son esprit, mieux vaut regarder un coin de verdure par la fenêtre que regarder ce même paysage sur un écran. Voilà ce qu’annonçait il y a quelques mois l’université de Washington, qui publiait un rapport sur les limites du tout technologique. Elle récidive aujourd’hui, en s’intéressant à la perte du rapport avec la nature que la surabondance de technologies provoque. Le constat de l’équipe est simple : les techniques modernes empiètent sur les connexions qu’ont les individus avec l’environnement naturel. Et provoquent un déplacement important : pour les personnes, l’univers technologique qui les entoure devient la norme. Une intrusion capable, selon les chercheurs, de provoquer un appauvrissement de l’espèce humaine. En effet, l’interaction de l’homme avec la machine n’atteint pas la qualité de celle qu’il peut avoir avec un être vivant.

Pour démontrer cette théorie, l’équipe a étudié comment des enfants interagissaient avec le robot chien Aibo. Conclusions : sur certains aspects, les jeunes traitaient les robots comme un véritable chien. Mais ces interactions restent superficielles. Le problème, c’est que "robots et animaux virtuels sont en train de remplacer les rapports que les enfants peuvent avoir avec de véritables animaux", souligne Jolina Ruckert, qui participe au projet. Et d’ajouter : "Il y a du coup des risques que ces rapports avec une nature dite technologique deviennent pour les personnes la référence de l’expérience que l’homme a de la véritable nature et des êtres qui la représentent". Selon la chercheuse, ce déplacement risque de provoquer ce qu’elle appelle une amnésie environnementale générationnelle. Et de conclure : "Si nous n’en changeons pas le cours, cela risque de nous appauvrir sur le plan psychologique".

Mais ce n’est pas directement la technologie elle même qui est en cause. Si des dos délaissent les relations humaines pour le virtuel des ordinateurs, c’est la société qui est en cause car en fait ils se droguent et le font parce que la vie sociale les déçoit.

Si d’autres jeunes se jettent sur les possibilités de faire du fric rapidement par la technofinance, c’est que le système est tourné vers elle. Il y a quelques temps, ils auraient plutôt été enthousiastes de comprendre le monde comme Einstein car la société bourgeoise souhaitait lancer sa jeunesse dans cette voie. La cause n’est encore une fois pas technologique mais sociale. La bourgeoisie avait confiance dans son avenir et aujourd’hui c’est exactement le contraire. La grande bourgeoisie est paradoxalement ultra pessimiste tout en étant très très riche... Et ce n’est nullement parce que les résultats de la technique seraient décevants. Au contraire, ils marchent très bien. C’est parce que le système capitaliste n’a aucun avenir !

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