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Pourquoi l’idéologie de la méfiance aveugle dans la science remplace l’idéologie de la confiance aveugle dans les progrès et l’objectivité de la science
jeudi 4 avril 2013, par
Pourquoi l’idéologie de la méfiance aveugle dans la science remplace l’idéologie de la confiance aveugle dans les progrès et l’objectivité de la science
Un très grand nombre de conférences et de travaux intellectuels (du Collège de France à Normale supérieure et au CNRS) visent actuellement à redonner confiance dans la démarche scientifique, confiance qui leur semble grandement perturbée dans le grand public….
Le nucléaire, les médicaments et les vaccins contestés des labos pharmaceutiques, le réchauffement climatique, les nanoparticules, la robotique, les lampes basse consommation, les OGM et autres manipulations génétiques du vivant des biotechnologies, etc., les sujets ne manquent pas dans lesquels les scientifiques du domaine affirment qu’il n’y aurait pas de risque quand le grand public pense le contraire… Le plus grand nombre des scientifiques du nucléaire ont beau répéter qu’il n’y a aucun risque, suivis en cela par ceux de la chimie, de la biochimie, des manipulations génétiques, des nanotechnologies, etc, etc, on ne doit pas se contenter de les croire même si c’est eux qui sont les spécialistes. Car ils ne sont pas seulement des scientifiques mais aussi des cadres économiques et sociaux qui défendent leur domaine d’activité becs et ongles, et avec des arguments frappants, parfois erronés et parfois même mensongers…
Un sondage Ipsos montre qu’en France, une personne sur trois pense que les scientifiques ne disent pas la vérité au grand public et citent le nucléaire et les OGM. La confiance prévaut davantage pour d’autres sujets tels que les recherches sur les cellules souches, les nanotechnologies ou les neurosciences. mais elle reste sous la barre des 50%. Les Français se déclarent surtout mal informés dans ces domaines. Le taux de confiance tendrait au plus bas dans les secteurs où on ne peut pas compter sur l’indépendance des chercheurs vis-à-vis du pouvoir politique ou de l’industrie.
Les exemples dans lesquels des scientifiques ont menti au grand public sont légion. On pense notamment aux spécialistes des médicaments qui ont fait de graves dégats dans la population. On pense aux spécialistes scientifiques qui ont longtemps fermé les yeux sur les risques pourtant reconnus de l’amiante. On pense aux spécialistes du nucléaires qui ne reconnaissent quasiment jamais le moindre risque sérieux, même depuis Three Miles Island, Tchernobyl et Fukushima. On se souvient du responsable de la météorologie nationale affirmant à la télévision que le nuage de Tchernobyl avait fait demi-tour à la frontière française et les autorités sanitaires françaises qui avaient refusé les précautions prises en Italie pour limiter les risques de maladie de la thyroïde, y compris dans les montagnes et en Corse. Ceux qui ont lancé des alertes ont souvent été diabolisés comme l’alerte à l’amiante à Jussieu, le scandale de l’amiante, celui de l’excès de sel dans l’alimentation dénoncé par le chercheur Pierre Meneton, l’utilisation des éthers de glycol dénoncé par André Cicolella ou encore, plus récemment celui du Mediator dénoncé par le docteur Irène Frachon.
On a remarqué également la manière de discuter de l’IPCC dans la question du réchauffement climatique avec une diabolisation systématique de tous ceux qui s’opposaient à la thèse et le refus des budgets de leurs recherches. On a remarqué également des tricheries dans les résultats et leurs communications.
On a été également frappés par l’affaire des scientifiques italiens, accusés d’avoir sous-estimé les risques avant le séisme meurtrier de L’Aquila en 2009, et condamnés, lundi 22 octobre, à six ans de prison pour "homicide par imprudence" par le tribunal de cette ville des Abruzzes.
Le séisme du 6 avril 2009 avait fait plus de 300 morts et ravagé son centre historique, ses églises médiévales et plusieurs localités des alentours. Des dizaines de milliers de personnes s’étaient retrouvées sans abri. Il reste un traumatisme pour tous les Italiens, une vive polémique s’étant ensuite développée sur tous les manquements ayant contribué à ce lourd bilan.
Fin septembre, le parquet avait requis une peine de quatre ans de prison contre les sept membres de la Commission italienne Grands risques qui s’était réunie le 31 mars 2009 à L’Aquila, six jours avant le séisme. La Commission, qui avait analysé une série de secousses sismiques qui avaient frappé L’Aquila pendant les mois précédents, avait indiqué qu’il n’était pas possible de prédire la survenue éventuelle d’un séisme plus fort, mais avait recommandé de respecter davantage les mesures de prévention anti-sismiques, notamment dans la construction d’immeubles.
Le parquet accuse les sept scientifiques d’avoir donné des informations trop rassurantes à la population, qui aurait pu prendre des mesures pour se protéger. Le procureur Fabio Picuti avait dénoncé dans son réquisitoire "une analyse incomplète, inapte, inadaptée et coupablement trompeuse car en lisant le procès-verbal" de la réunion de la "Commission Grands risques", "nous trouvons des informations banales, inutiles, auto-contradictoires et fallacieuses".
Parmi les accusés figurent de grands noms de la science en Italie, comme le professeur Enzo Boschi, président de l’Institut national de géophysique et vulcanologie, ou un professeur de physique de l’université de Gênes, Claudio Eva.
Alessandra Stefano, avocat de l’un des scientifiques, Gian Michele Calvi, avait au contraire jugé qu’"il ne devrait y avoir aucune chance" que le verdict aboutisse à une condamnation. Encore une erreur de diagnostic ! Cette condamnation des sept experts est totalement inédite et inquiète les milieux scientifiques.
L’avocat Carlo Sica représentant le gouvernement italien dont dépendait la Commission Grands risques, a demandé mercredi dernier que les sept accusés soient innocentés, affirmant que "les faits, à savoir le tremblement de terre, ne sont de la faute de personne". Plus de 5 000 membres de la communauté scientifique avaient adressé une lettre ouverte au président Giorgio Napolitano dans laquelle ils affirment qu’il est impossible de prédire un tremblement de terre.
"Dormez tranquilles." C’est par ces mots adressés à la population des Abruzzes, région au centre de l’Italie, le 31 mars 2009 que la commission des grands risques avait conclu sa réunion au bout d’à peine une heure. Les scientifiques et responsables de la protection civile qui la composent s’étaient voulus rassurants malgré les 400 secousses sismiques ressenties par les habitants de la province de L’Aquila durant les quatre mois précédents.
Une semaine plus tard, le 6 avril à 3 heures 32 du matin, un tremblement de terre de 6.2 sur l’échelle de Richter causait la mort de 308 personnes, ravageait le centre historique de la ville et plusieurs villages alentour, et faisait des dizaines de milliers de sans-abri.
Ces mots, beaucoup à L’Aquila ne les avaient pas oubliés. Ceux du président par intérim de la commission, Franco Barberi, qui avait estimé qu’"il n’y avait aucune raison de dire qu’une séquence de secousses de faible magnitude pouvait être considérée comme précurseur d’un événement de plus grande ampleur". Ceux de cet autre membre les invitant à boire "tranquillement un verre de Montepulciano", le vin local, plutôt que de se faire du mauvais sang.
Mais l’absence de confiance ne concerne pas seulement la sécurité et la santé. Ce sont les idées diffusées par les scientifiques elles-mêmes qui sont parfois mises en cause.
La crise idéologique de la science se manifeste de multiples manières : contestation sur internet des points de vue officiels, remise en question publique des affirmations de la communauté scientifique, crise des vocations scientifiques, baisse des lectures et des achats d’ouvrages scientifiques, discussion des thèmes par des non spécialistes qui critiquent publiquement les organismes autorisés de la science, etc…
Le scepticisme actuel vis-à-vis de la science est-il :
– une résurgence de l’obscurantisme,
– un recul de l’amour de la connaissance pure,
– un produit de la perte de confiance dans toutes les idéologies et conceptions globales,
– un « néo-luddisme » c’est-à-dire une révolte destructrice contre le monde-machine,
– une réaction contre trop de progrès technologique, contre un monde trop artificiel,
– une réaction contre les manières trop autoritaires des milieux scientifiques qui imposeraient plus leur savoir qu’ils ne l’expliqueraient et seraient rétifs au débat avec des non-spécialistes,
– le produit d’un grand écart entre progrès technologique et accompagnement de la pensée scientifique du grand public,
– le résultat d’un défaut de communication ou de formulation,
– un sous–produit involontaire de la médiatisation plus grande des controverses au sein du monde scientifique et le résultat d’une trop grande médiatisation des débats entre spécialistes,
– un retour de bâton lié à une phase de trop grande confiance dans l’objectivité de la science et des scientifiques,
– le produit d’échecs de certaines technologies (sang contaminé, vache folle, hormone de croissance, Tchernobyl, Fukushima ou Bhopal),
– une réaction contre une dérive de la science devenue technoscience, de la science au service du seul résultat économique à court terme et de la science aux mains des politiques et des classes dirigeantes,
– une forme de contrôle par le public des dirigeants qui se cacheraient derrière la science pour imposer leurs vues,
– une dérive de la démocratie en révolte contre l’autorité indiscutée de l’édifice scientifique,
– la prise de conscience des limites des capacités de la science ou des scientifiques,
– le résultat de l’apparition (difficilement acceptable pour la science officielle) de penseurs scientifiques hors des circuits traditionnels et officiels,
Ou bien est-ce que cette philosophie consistant à ne croire à rien serait une nouvelle idéologie dominante ?
Est-ce une crise de confiance passagère ou le témoignage d’une décadence réelle ?
Est-ce une crise de la science ou une manifestation idéologique de la crise de confiance dans la vieille société ?
Est-ce une méfiance vis-à-vis de la science spécifiquement ou plutôt de l’idéologie du progrès ?
Est-ce un recul de la capacité de jugement du grand public ou un désir de celui-ci d’être juge et pas seulement réceptacle passif ?
Si on pose la question aux scientifiques eux-mêmes, ils affirmeraient volontiers que tout va bien au sein même de la science, qu’il n’y a aucune crise réelle et que c’est juste une tempête dans un verre d’eau médiatique et un effet trompeur de l’internet-isation du monde. Il suffirait de renvoyer à leur ignorance les sceptiques et d’éduquer mieux le grand public en poussant plus de scientifiques à faire de la communication.
Mais allons un peu au-delà de ce pronostic faussement rassurant…
Tout d’abord les scientifiques eux-mêmes ont laissé leur domaine dériver largement vers la techno-économie et s’éloigner de l’aspiration humaine à comprendre le monde.
Bertrand Russel écrivait dans « Science et valeurs » :
« L’amour de la connaissance auquel est dû le développement de la science est lui-même le produit d’une double impulsion. Nous pouvons chercher la connaissance d’un objet parce que nous aimons l’objet ou parce que nous souhaitons avoir du pouvoir sur lui. La première impulsion conduit au genre de connaissance qui est contemplatif, la deuxième au genre qui est pratique. Dans l’évolution de la science l’impulsion qui vise le pouvoir l’a emporté de plus en plus sur l’impulsion qui cherche l’amour. L’impulsion qui vise le pouvoir est incarnée dans l’industrialisme et dans la technique gouvernementale. Elle est incarnée également dans les philosophies connues sous les noms de pragmatisme et d’instrumentalisme. Chacune de ces philosophies soutient, au sens large, que nos croyances concernant un objet quelconque sont vraies dans la mesure où elles nous rendent capables de le manipuler de façon avantageuse pour nous-mêmes. C’est ce que l’on peut appeler une conception gouvernementale de la vérité. De la vérité ainsi conçue, la science nous offre une quantité importante ; effectivement il ne semble pas y avoir de limite à ses triomphes possibles. À l’homme qui désire changer son environnement la science offre des outils d’une puissance étonnante, et si la connaissance consiste dans le pouvoir de produire des changements que l’on a en vue, alors la science nous procure la connaissance en abondance »
Loin de progresser vers un niveau indiscutable de positions, la science en est arrivée à de multiples controverses scientifiques qui ne sont pas tranchées et qui ne semblent pas près de l’être et ce dans de multiples domaines. Il y a une controverse dans le domaine de la climatologie et qui concerne la possibilité que l’activité humaine ait provoqué une hausse globale de la température du globe du fait de l’effet de serre. Il y a les divergences concernant l’évolution des espèces et notamment celle entre le courant officiel de l’évolutionnisme et les thèses de Stephen Jay Gould, évolutionnistes aussi au sens de Darwin mais très différemment. Il y a les thèses qui tentent d’unifier la physique quantique et la physique relativiste et là c’est carrément un foisonnement de divergences au point que certains parlent carrément de nouvelle crise de la physique avec une divergence marquée entre le niveau d’énergie calculé en astrophysique et en physique quantique. Il y a également des divergences entre scientifiques sur les risques des manipulations génétiques et les OGM. Et encore bien d’autres controverses dès qu’on entre plus précisément dans chacun des domaines… Par exemple entre ceux qui fondent toute l’astrophysique sur la matière noire et sur l’énergie noire et ceux qui carrément n’y croient simplement pas du tout… La psychanalyse est elle aussi sujette à controverse.
Pour bien des scientifiques, il est facile de trancher les controverses dès qu’on dispose des vraies connaissances mais cela est faux… Car les connaissances elles-mêmes nécessitent une disposition à les accepter. La physique en est un parfait exemple : physique quantique, relativiste ou chaotique se sont heurtées à une forte réaction des scientifiques eux-mêmes avant d’être acceptées. Parce qu’elles étaient effectivement renversantes sur ce qu’on croyait savoir de la matière, de l’espace, de l’énergie, du mouvement, du temps et de la continuité du monde.
Notre conception scientifique est très loin d’être fondée sur des certitudes empilées les unes sur les autres. C’est presque le contraire :
Lee Smolin écrit dans « Rien ne va plus en physique » :
« La science marche car nous vivons dans un monde de régularités, mais également en raison de quelques particularités de notre constitution humaine. En particulier, nous sommes champions pour tirer des conclusions à partir d’une information incomplète. Nous observons sans cesse le monde, nous faisons ensuite des prédictions et nous en tirons des conclusions. C’est ce que font les chasseurs-cueilleurs, et c’est aussi ce que font les physiciens des particules et les microbiologistes. Nous ne possédons jamais une information qui soit suffisante pour justifier entièrement les conclusions que nous en tirons. Etre capable d’agir sur la base de conjectures et d’intuitions, et de le faire en toute confiance alors que l’information que nous possédons tend vers quelque chose sans en constituer la preuve, est une capacité essentielle qui fait de qui la possède un homme d’affaire à succès, un bon chasseur, un bon agriculteur ou un bon scientifique. Cette capacité est en grande partie responsable du succès de l’espèce humaine. Son coût est élevé : on se trompe facilement. (…) Notre posture fondamentale ne peut être que la confiance, car si nous étions obligés de tout démontrer nous-mêmes, nous ne pourrions jamais croire autrui. Nous n’aurions, non plus, jamais fait quoi que ce soit : ni nous lever de notre lit, ni nous marier, ni devenir amis ou conclure des alliances. Sans la capacité de faire confiance, nous serions des animaux solitaires. Le langage n’est efficace et utile que parce que, la plupart du temps, nous croyons ce que disent les autres. Ce qui est important – et dégrisant en même temps – est la fréquence à laquelle nous nous trompons. Et nous nous trompons non seulement individuellement, mais également en masse. La tendance d’un groupe humain à se mettre rapidement à croire quelque chose que les membres individuels du groupe, plus tard, verront comme évidemment faux, est réellement ahurissante. (…) Le consensus fait partie de nous, car il est essentiel à un groupe de chasseurs qui veut réussir sa chasse ou à une tribu souhaitant échapper à un danger imminent. Par conséquent, pour qu’une communauté survive, il doit y avoir des mécanismes de correction : les anciens qui freinent l’impulsivité des plus jeunes, parce que, s’ils ont appris quelque chose de leurs longues vies, c’est la fréquence élevée avec laquelle ils se sont trompés ; les jeunes qui remettent en question les croyances tenues pour vraies et sacrées pendant des générations, quand ces croyances ne leur conviennent plus. (…) Feyerabend a insisté sur le fait que les scientifiques ne doivent jamais être d’accord s’ils n’y sont pas obligés. Quand les scientifiques s’accordent trop rapidement, avant que les résultats et les données les y forcent, la science est en danger. Il faut alors se demander ce qui a exercé une telle influence sur les scientifiques, de sorte qu’ils sont parvenus à une conclusion prématurée. (…) Une communauté se trouve souvent contrainte de penser d’une façon particulière en raison de son organisation. (…) Le problème de l’organisation est ainsi clairement posé : avons-nous un système qui permette à une personne de dénicher un faux présupposé, ou de poser la bonne question (…) Acceptons-nous des rebelles créatifs ou les excluons nous ? (…) Pendant les périodes normales, on a besoin de chercheurs qui, quelque soit leurs capacités d’imagination (parfois élevée), travaillent efficacement avec les outils techniques. Pendant les périodes révolutionnaires, on a besoin de visionnaires qui sauront montrer la voie dans l’obscurité. (…) Nous sommes dans une période révolutionnaire, mais nous essayons d’en sortir en utilisant l’organisation et les instruments inadéquats de la science normale. (…) La science n’a jamais été organisée d’une façon favorable aux visionnaires ; l’échec d’Einstein d’accéder à un poste universitaire n’en est pas le seul exemple. (…) Quelqu’un qui n’écoute que sa voix intérieure et ignore presque tout le reste aurait-il pu obtenir aujourd’hui un poste de professeur dans une université de premier plan ? Pensez donc ! (…) C’est un cliché de demander si le jeune Einstein pourrait être aujourd’hui recruté par une université. La réponse est évidemment non ; il n’a pas été embauché même de son temps. »
“Alors que pendant trois siècles, on avait espéré trouver dans la science le plus sûr moyen pour s’arracher à la violence (religieuse, politique, révolutionnaire), en donnant à l’exercice de la vie publique un fondement solide, on se retrouve à nouveau tenu de mélanger les sciences et le politique, écrit le sociologue Bruno Latour dans son livre Cogitamus (Ed La Découverte). Comment ne pas ressentir un affreux sentiment de perte en voyant les techniques et les sciences replonger dans ces chaudrons de sorcière ?” “L’avis d’un ou plusieurs experts ne suffit plus à clore une polémique”, affirme Bruno Latour.
Relativisme, scepticisme, méfiance, controverse, contestation se multiplient dans une révolte à la fois antiautoritaire, antispécialistes, anti-diktat des sciences, des scientifiques, des techniques et de prétendus progrès qui camouflent des profits et parfois même anticapitaliste.
Un relativisme exagéré peut très bien répondre à des affirmations trop tranchées de la communauté scientifique. La matière est ceci et pas cela, la vie est ceci et pas cela, l’homme est ceci et pas cela, la génétique est ceci et pas cela, affirment péremptoirement les scientifiques, oubliant bien souvent qu’il y a peu ils affirmaient quelque chose qui est presque le contraire…. Et également tel domaine de développement scientifique et technique n’est pas dangereux alors que dans quelques années ils reconnaitront le contraire !
Et cependant, ils estiment devoir présenter leurs travaux sous la forme d’un décret de vérité absolue et toute contestation devant être présentée comme la manifestation certaine de l’ignorance et du crime contre la science !
Il ne faut jamais oublier qu’une thèse scientifique est toujours provisoire et sujette à la critique, aux nouvelles réflexions comme aux nouvelles expériences. Elle n’a donc jamais le statut de vérité absolue et définitive que lui prêtent nombre de scientifiques, croyant ainsi lui donner plus de force en la parant de l’autorité sociale des institutions et du pouvoir social. Rien de plus fragile au contraire que ces institutions et ce pouvoir social, contrairement à ce qu’ils croient.
Dire qu’une thèse d’Einstein doit être reconnue comme indiscutable pour justifier qu’une supériorité de professeur de faculté doit être respectée, c’est vraiment ramener le volcan Etna à un de ses grains de poussière !
La grandeur des thèses d’Einstein est justement d’avoir tenu le coup en restant toujours discutables et discutées, vérifiées et revérifiées…Et elles ne sont toujours pas certaines pour autant. Lui-même les tenait seulement pour une étape vers une théorie plus générale unifiant relativité et quantique, théorie qui n’a pas encore valablement vu le jour malgré quelques avancées… Et, si une telle théorie apparaissait, elle remiserait les thèses d’Eisntein au rang d’étapes de la connaissance, rien de plus. Cela ne doit pas choquer les amoureux de la science. Celle-ci est du royaume du changement et pas de celui de la conservation. Tant pis pour les amoureux de sécurité et de la fixité des idées.
La mentalité classique des équipes de scientifiques consiste à défendre « la thèse » de l’équipe et pas à rechercher la contradiction des autres équipes comme le voudrait une conception scientifique rigoureuse. Les équipes défendant les thèses adverses sont un peu considérées comme les ennemis. Pourtant la progression des idées scientifiques nécessitent cette confrontation. La révolte contre les idées reçues de la science est tellement nécessaire que, sans elle, aucun progrès scientifique ne serait possible.
Contrairement à ce que beaucoup de gens croient les institutions scientifiques et centres de formation et de recherche ont toujours été beaucoup plus des conservatoires (comme on dit en musique) que des centres de création et d’innovation scientifique. Beaucoup des idées scientifiques sont apparues brutalement comme des révolutions car le conservatisme de la société et celui des milieux scientifiques freinent les idées nouvelles même s’ils les propagent ensuite quand on ne peut plus les combattre…L’évolution des espèces, l’atomisme, la discontinuité quantique de l’énergie sont des idées qui rompent brutalement avec d’anciennes croyances scientifiques. La réaction d’un Max Planck, lors du triomphe de l’idée de quanta, est très caractéristique puisqu’il y voyait un triomphe de l’idée de l’atomisme interdite par la physique officielle (Mach, Ostwald, Avenarius notamment) qui avaient victorieusement combattu Boltzmann dans la période précédente. Boltzmann balayé, Planck était déjà bien content de voir confirmée la révolution de l’atomisme et osait à peine se faire le défenseur de la nouvelle révolution qu’il introduisait lui-même : celle des quanta ! Deux révolutions d’un seul coup et même bien plus que cela puisque son enfant, la physique quantique, allait renverser toute la philosophie de la matière avec la dualité onde/particule, avec la discontinuité de l’énergie et du mouvement, avec les superpositions d’état, avec l’intrication quantique, avec la rupture de la superposition par mesure (mythe du chat de Schrödinger), avec la non-séparabilité des particules en tant qu’objets ou encore avec la réduction du paquet d’ondes lors de la mesure…Et la physique quantique a continué ses révolutions avec l’étude du vide quantique base de la matière (boson de Higgs notamment). Ces révolutions des quanta auraient été impossibles sans le penseur situé en dehors de l’institution scientifique qu’était Einstein et aussi sans cet autre penseur scientifique hors circuits officiels qu’était De Broglie. Ni l’un ni l’autre n’étaient universitaires ni appointés en tant que chercheurs mais des penseurs indépendants ! Sans la découverte du caractère ondulatoire de la matière par De Broglie, la physique quantique ne serait pas née davantage que sans l’interprétation par les quanta de l’effet photoélectrique ou du mouvement brownien par Einstein, venant compléter les travaux de Planck sur le rayonnement du corps noir et la catastrophe ultraviolette.
Planck était si convaincu du caractère conservateur de l’institution scientifique que, selon lui, une idée nouvelle en science ne pouvait triompher qu’avec la nouvelle génération de scientifiques, l’ancienne génération de scientifiques étant selon lui incapable de sortir de son conservatisme intellectuel !
Darwin ne pensait sans doute pas différemment et les exemples frappants de Giordano Bruno et Galilée ne montrent pas autre chose.
Nous pouvons, avec les revues scientifiques et les émissions télé et radio sur les sciences, avoir l’impression qu’aujourd’hui ce serait le contraire : on serait en direct de toutes les innovations scientifiques que personne ne pourrait plus cacher ni empêcher. Mais cela est faux. On peut parler d’une découverte scientifique sans souligner du tout ce qu’elle a de novateur et de dévastateur pour les anciennes conceptions. Et c’est exactement ce que les média, scientifiques ou pas, font tous les jours…
La presse s’épanche longuement sur le boson de Higgs sans relever que son existence signifie que la masse n’est plus un attribut fixé sur la particule et qu’elle s’échange en sautant d’une particule du vide à une autre, ce qui signifie que la matière est… le vide et le vide est la matière ! Les média et les scientifiques eux-mêmes se gardent bien de montrer à quel point les nouvelles manières de voir sont renversantes par rapport à l’ancienne philosophie scientifique.
La presse n’est pas non plus avare d’articles sur les manipulations génétiques sur des animaux proches de l’homme que l’on espère transférer à l’homme et pourtant on continue à laisser le grand public croire que les gènes sont propres à chaque espèce. Or cette dernière affirmation signifierait que les expériences génétiques sur les rats n’auraient pas d’effet sur l’homme si nous n’avions pas du tout les mêmes gènes. La vérité est que les gènes de rats fonctionnent aussi sur l’homme ! La différence entre les espèces est bien plus fondée sur l’ordre des rétroactions entre les gènes que sur le contenu biochimique de ceux-ci ! Les divergences biochimiques entre gènes des différentes sont beaucoup plus le produit de la séparation des espèces, plus une conséquence, qu’une cause de cette évolution…
La société bourgeoise peut difficilement se plaindre du retour en force des croyances anti-scientifiques, elle qui n’a jamais voulu fonder une idéologie scientifique qui aille a contrario des idéologies religieuses, considérées comme utiles à calmer les masses exploitées, le fameux opium du peuple non pas celui de Marx mais de Napoléon ! Ce n’est pas les antireligieux qui ont inventé l’idée de coupler le bâton et le goupillon, le sabre et la croix… Et les classes bourgeoises, une fois installées au pouvoir, se sont bien gardées de continuer à remettre en question l’idéologie religieuse qu’elles avaient combattue quand elles voulaient déstabiliser l’ordre féodal.
La philosophie révolutionnaire du changement d’état brutal découlant de la notion des transitions de phase, de l’ordre émergent de la matière inerte comme vivante, des sauts d’espèces n’a rien à voir avec la philosophie dominante de la société. Elle n’est nullement enseignée dans les universités et les labos de recherche et ce n’est pas un hasard car la classe dirigeante ne souhaite pas propager une idéologie révolutionnaire, dans la période actuelle moins que jamais.
Cette société exploiteuse préfère certainement, pour assurer la pérennité de son pouvoir, que le grand public soit déboussolé, ne croit plus à rien, se sente perdu, plutôt qu’il comprenne la philosophie révolutionnaire du monde dialectique…
Mais il y a un autre problème : la recherche éperdue de financements mène à choisir les recherches porteuses d’applications immédiates bien plus que celles qui posent des questions de fond à la science.
Et sur les questions de fond, plutôt que de continuer à se les reposer périodiquement, le scientifique va se retrouver avec le bon vieux argument d’autorité : la majorité des scientifiques de la spécialité seraient d’accord entre eux. C’est le fameux consensus de la communauté qui sert d’argument alors qu’il ne prouve absolument rien quand on ne discute pas sérieusement des thèses adverses !
Messages
1. Pourquoi l’idéologie de la méfiance aveugle dans la science remplace l’idéologie de la confiance aveugle dans les progrès et l’objectivité de la science, 30 décembre 2013, 16:32
La science, comme connaissance mathématique du monde, doit être critiquée à quatre niveaux :
D’abord, au niveau métaphysique, comme réduction du monde à un objet de connaissance dépouillé de tout ce qui n’est pas calculable (Galilée, Descartes)1. Cette métaphysique doit être sévèrement critiquée.
Ensuite, comme idéologie totalitaire impérialiste (scientisme), comme prétention à être l’unique mode de connaissance du monde. La science scientiste cherche à subsumer l’ensemble du réel dans ses catégories idéologiques, ce qui conduit à « mathématiser » ce qui n’est pas « mathématisable », en plus de mathématiser inadéquatement ce qui est mathématisable (en génétique, par exemple, en vertu d’un « programme métaphysique » et idéologique darwinien). Le scientisme doit être complètement subverti, ainsi que l’ensemble des paradigmes « scientifiques » n’étant en réalité que des idéologies adoptant un langage scientifique (darwinisme, sociobiologie, etc).
Également, comme condition épistémologique à l’instrumentalisation du monde, à sa rationalisation, et comme acteur de celles-ci : une fois réduit scientifiquement à l’état d’objet calculable, notre monde et nous-mêmes devenons des instruments potentiels au service du processus de rationalisation du monde (rationalisation comprise comme réduction de tout à un moyen en vue d’une fin absurde – l’efficacité). La science participe activement à ce processus, car connaître c’est pouvoir potentiellement instrumentaliser : et c’est ce à quoi elle travaille d’arrache-pied depuis deux siècles, comme Recherche & Développement et comme techno-science. La techno-science et son épistémologie instrumentaliste/rationaliste doivent être critiquées radicalement : l’efficacité ne doit être qu’un des critères, pas l’unique, et nous devons toujours regarder notre monde avant tout comme une fin.
Enfin, comme un des modes de connaissance du réel : même si celle-ci à renoncé à son programme métaphysique, à sa prétention totalitaire, à ses paradigmes idéologiques et à son rôle dans l’instrumentalisation du monde, elle reste néanmoins potentiellement problématique, ambivalente mais pas neutre. La science, uniquement comme un des modes de connaissance du réel (à côté de sa connaissance conceptuelle/philosophique, de sa connaissance spirituelle, etc), doit aussi être critiquée, sans être abandonnée (ce qui serait une perte), identifiée à une théologie (nous ne pouvons accepter Feyerabend et son relativisme qui met sur un même plan science et cosmologie brahmanique) ou dévalorisée en raison de ses conséquences passées et présentes.