Accueil > 01 - PHILOSOPHIE - PHILOSOPHY > Chapter 02 : Is matter a suject of philosophy ? Matière à philosopher ? > Mathématiques et philosophie

Mathématiques et philosophie

jeudi 27 septembre 2012, par Robert Paris

Il existe une histoire dialectique de la pensée comme il existe une histoire dialectique de la matière, toutes deux progressant par bonds et par le heurt des contraires. La pensée mathématique, une partie de la pensée formelle, pourrait sembler n’obéir qu’à la logique formelle, opposée à la logique dialectique, mais, comme toute forme de pensée et de matière, elle est historique, subit des contradictions et des combats et est donc une partie de la logique dialectique. Elle est certainement la pensée qui, dans sa complexification, semble la plus détachée de la réalité matérielle, mais, là encore, elle ne l’est que dialectiquement, c’est-à-dire qu’elle se confronte cependant sans cesse à la réalité du monde. Et cela même si certains mathématiciens l’ignorent. Il existe donc un matérialisme des mathématiques.

Robert Paris

« La dialectique dite objective règne dans toute la nature, et la dialectique dite subjective, la pensée dialectique, ne fait que refléter le règne, dans la nature entière, du mouvement par opposition des contraires qui, par leur conflit constant et leur conversion finale l’un en l’autre ou en des formes supérieures, conditionnent précisément la vie de la nature. »

Friedrich Engels, 1883

Mathématiques et philosophie

« On distingue habituellement quatre grandes familles en philosophie des mathématiques : le réalisme, le conceptualisme, le formalisme et l’intuitionnisme. Selon le réalisme, il existe des entités mathématiques indépendantes de l’esprit ; le mathématicien les découvre et leur attribue des propriétés. La relation qu’un énoncé mathématique vrai entretient avec le fait qui le rend vrai doit être conçue exactement sur le modèle de la relation qu’entretient un énoncé empirique vrai avec l’aspect ou le segment du monde matériel qui le rend vrai. Les énoncés mathématiques sont donc susceptibles d’être vrais ou faux dans un sens non spécifique et la contrainte épistémique, c’est-à-dire la dépendance de la vérité à l’égard de notre capacité à l’établir et à la justifier, n’est pas plus forte ici qu’ailleurs. Selon le conceptualisme au contraire la contrainte épistémique est fondamentale : les entités mathématiques ne sont pas indépendantes de l’esprit. Elles manifestent les propriétés formelles des contenus de pensée. Le formalisme de son côté met l’accent sur les notations mathématiques et les règles qui président à leurs transformations dans une stratégie d’évitement de l’engagement ontologique. L’intuitionnisme, enfin, voit les entités mathématiques comme des constructions et insiste sur la notion de preuve : un objet mathématique est éventuellement indépendant de l’esprit mais demeure quelque chose pour quoi nous disposons d’une méthode complète de constitution pas à pas. »

Jean-Baptiste Rauzy dans Introduction à la philosophie des mathématiques

« Parmi toutes les sciences, les mathématiques jouissent d’un prestige particulier qui tient à une raison unique : leurs propositions ont un caractère de certitude absolue et incontestable, alors que celles de toutes les autres sciences sont discutables jusqu’à un certain point et risquent toujours d’être réfutées par la découverte de faits nouveaux. Le chercheur d’une autre discipline n’aurait pas lieu pour autant d’envier le mathématicien si les propositions de ce dernier ne portaient que sur de purs produits de notre imagination et non sur des objets réels. Il n’est pas étonnant en effet que l’on parvienne à des conclusions logiques concordantes, une fois que l’on s’est mis d’accord sur les propositions fondamentales (axiomes) ainsi que sur les méthodes à suivre pour déduire de ces propositions fondamentales d’autres propositions ; mais le prestiges de mathématiques tient, par ailleurs, au fait que ce sont également elles qui confèrent aux sciences exactes de la nature un certain degré de certitude, que celles-ci ne pourraient atteindre autrement.
Ici surgit une énigme qui, de tout temps, a fortement troublé les chercheurs. Comment est-il possible que les mathématiques, qui sont issues de la pensée humaine indépendamment de toute expérience, s’appliquent si parfaitement aux objets de la réalité ? La raison humaine ne peut-elle donc, sans l’aide de l’expérience, par sa seule activité pensante, découvrir les propriétés des choses réelles ?
Il me semble qu’à cela on ne peut répondre qu’une seule chose : pour autant que les propositions mathématiques se rapportent à la réalité, elles ne sont pas certaines, et, pour autant qu’elles sont certaines, elles ne se rapportent pas à la réalité. (…) Interprétation ancienne : tout le monde sait ce qu’est une droite et ce qu’est un point. (…) Interprétation nouvelle : la géométrie traite d’objets qui sont désignés au moyen de termes « droite », « point », etc. On ne présuppose pas une quelconque connaissance ou intuition de ces objets, mais seulement la validité d’axiomes (…) Ces axiomes sont des créations libres de l’esprit humain. (…) Ce sont les axiomes qui définissent en premier lieu les objets dont traite la géométrie. (…) Pourquoi Poincaré et d’autres chercheurs rejettent-ils l’équivalence naturelle entre le corps pratiquement rigide de l’expérience et le corps de la géométrie ? Tout simplement parce qu’un examen un peu précis révèle que les corps solides réels de la nature ne sont pas rigides, étant donné que leur comportement géométrique, c’est-à-dire les diverses positions relatives qu’ils peuvent occuper, est fonction de la température, des forces extérieures, etc. »

Einstein dans « La géométrie et l’expérience »

Réflexions d’un mathématicien sur la dialectique de José-Luis Massera (extraits)

(…) Le très grand prestige conquis par la science et ses applications, le beau système intégré de connaissances qu’elle a réussi à élaborer sur la base de points de vue rationalistes ont poussé les savants vers une attitude présomptueuse.

C’est dans ce cadre qu’éclate la « crise » de la science du commencement du 20ème siècle. Un immense désarroi s’est partout répandu, et cependant, à proprement parler, il n’était pas question d’une crise de la science – au contraire, elle conquérait dans cette période de tout nouveaux et vastes territoires du savoir – mais de certaines préconceptions philosophiques assumées par les scientifiques, dans la plupart des cas sans le savoir. Le pire est que ceux-ci, à cause de leur insuffisance de formation et de culture philosophiques, se sont détournés des vieilles conceptions erronées pour en embrasser de nouvelles… erronées elles aussi !

C’est pourquoi une étroite collaboration entre savants et philosophes, un dialogue ouvert et un échange fluide de points de vue entre eux – j’oserai même dire une espèce de symbiose – me semblent impératifs. (…)

On ne peut pas même concevoir le mouvement si l’on ne s’appuie pas sur la notion de repos ; Engels disait que c’est précisément « dans son contraire, le repos », que s’exprime le mouvement. (Engels, Antidühring) Prenons un simple exemple classique, celui de la phrase célèbre d’Héraclite lui-même : « On ne peut entrer deux fois dans le même fleuve ». Puisqu’on dit « le même », c’est que d’un certain point de vue le fleuve n’a pas changé. En parlant d’un objet concret, si on affirme qu’il change, cela implique qu’on lui attribue vraiment une certaine fixité. (…)

A l’inverse, nous qui pensons la nature de façon dialectique ne pouvons pas imaginer des objets doués d’une fixité absolue : une montagne majestueuse est le résultat historique de certains phénomènes géologiques passés, elle n’existe pas de toute éternité ; elle pourrait être modifiée et même disparaître à la suite d’une catastrophe future, ou encore, à une échelle mineure, subir des transformations dues aux changements de température, aux phénomènes météorologiques, à l’action de l’homme. Celle-ci pourrait introduire des cultures, y faire des terrasses, percer des tunnels, construire des viaducs, exploiter les minéraux précieux qu’elle recèle dans son sein, etc.

Je pourrais même ajouter, dans le domaine des mathématiques qui apparaît au premier abord tellement rétif à la dialectique : les nombres naturels ne changent pas (Kronecker, un esprit de tournure mystique, aurait, dit-on, prononcé un jour cette sentence : « C’est le bon Dieu lui-même qui les a créés, tout le reste est œuvre des hommes ! » - tiré de « A concise history of mathematics » de D.J. Struil) (…)

On peut se rappeler que Platon mentionne souvent, avec une admiration justifiée, la « théorie des pairs et impairs », un des plus anciens et grands exploits des mathématiques grecques. (…) Un examen en profondeur montre que la dialectique foisonne dans les nombres naturels, malgré les apparences contraires.

La dialectique comprend donc aussi bien l’étude du repos que celle du mouvement, l’invariance et la variation. L’insistance excessive mise dans trop d’exposés marxistes sur l’aspect du mouvement conduit à négliger l’analyse approfondie des structures où la stabilité joue un rôle de première importance, souvent décisif, pour commencer à comprendre certains ordres de phénomènes. (…)

Revenons à la suite des nombres naturels. Il est évident qu’il ne s’agit pas d’une évolution ou d’une histoire : on ne peut l’inscrire en relation directe avec la « flèche du temps ». Mais les exemples foisonnent de cas d’unité et affrontement des contraires, de relations complexes entre divers éléments qui interviennent en jouant des rôles différents, qui « agissent » les uns sur les autres en une action réciproque enchevêtrée. Cette situation n’est-elle pas adéquate pour être désignée comme dialectique ?

Considérons les phénomènes réversibles. L’action successive d’un couple d’entre eux – directe et inverse – ferait revenir à la position initiale ; on pourrait donc dire que le résultat équivaut au repos. Mais ce serait fausser la relation réelle entre deux événements différents, liés entre eux en tant que contraires qui forment une unité dynamique, expression dialectique de leur réversibilité – qu’on ne doit pas confondre avec l’unité des contraires au sein d’un même objet. (…)

Il ne faut jamais oublier le conseil de L. Sève : « Penser dialectiquement n’est pas ‘‘naturel’’ : il faut l’apprendre. » (Introduction à la philosophie marxiste)

En 1994, a publié (…) un essai de Juan Flo intitulé « Novedad y créacion » (nouveauté et création) qui touchent à des problèmes importants du rapport entre la dialectique et les sciences. (…)

Concrètement, il y a nouveauté « chaque fois qu’apparaît une structure ou un ensemble ordonné d’une certaine façon, sans que l’information nécessaire pour établir cet ensemble de relations qui constituent la structure soit contenue dans les antécédents qui la produisent. »

Dit autrement : « Il y a nouveauté seulement quand la production d’une structure n’est pas contrôlée par des agents d’une structure équivalente n’est pas contrôlée par des agents d’une structure équivalente ou plus complexe, dont celle-ci est une partie ou une conséquence. » (…) Ou encore, « il y a nouveauté au sens fort chaque fois qu’il y a réduction de l’entropie ». (…)

Il faut signaler une particularité – très rare dans l’ensemble des sciences – qui caractérise la naissance des mathématiques : ni la recherche ni l’exposition des résultats auxquels on arrive ne font, en principe, appel à l’empirisme. Cette affirmation est un peu trop tranchée même si elle est essentiellement vraie, et il faudra y introduire des nuances, ce que nous ferons par la suite. (…)

La découverte du Calcul Infinitésimal, faite presque simultanément par Newton et Leibniz dans la décennie 1665-1675, est un repère fondamental dans toute l’histoire des mathématiques. Elle a permis la recherche en profondeur des phénomènes du mouvement dans la nature, moyennant la création d’outils mathématiques adéquats. Au cours des siècles suivants, mathématiciens et chercheurs appartenant à d’autres sciences naturelles et même sociales, ainsi qu’un grand nombre de techniciens de caractéristiques très variées, en ont profité abondamment pour faire avancer la science et les techniques à un rythme qui n’avait peut-être jamais été atteint auparavant.

Malgré cela, on doit dire que durant deux siècles cet essor impétueux n’était pas sans défauts. Les fondements théoriques du calcul manquaient de clarté et de fermeté. Le grand Euler ne sourcillait pas en écrivant 1-1+1-1+1… = ½ et, dans d’autres occasions = 0 (et, de certains points de vue, il avait raison les deux fois !). (…)

L’attitude critique générale du dix-neuvième siècle a conduit à d’autres découvertes étonnantes, qui mettaient au clair les extrémités qu’on devait atteindre pour demeurer fidèle à la conception des mathématiques en tant que science formelle. Pendant deux millénaires, le cinquième postulat d’Euclide avait été l’objet d’une curiosité et d’une attention toutes particulières : on essayait vainement de le déduire des autres postulats. Or, comme je le disais la « solution » du problème a été trouvée en niant le postulat euclidien, et en dérivant d’une façon formelle parfaitement cohérente les géométries non euclidiennes. Les postulats d’Euclide n’ont donc rien de sacré, on peut en supprimer quelques-uns, les remplacer par d’autres différents, etc. : les diverses géométries qui en résultent sont également légitimes du point de vue d’une science formelle. Après la première trouvaille, on s’est mis à explorer un terrain immense qui s’ouvrait à des recherches toutes nouvelles.

On doit signaler que la découverte des géométries non euclidiennes posait immédiatement le nouveau problème logique – qui deviendra dès lors extrêmement important – de la compatibilité d’un système arbitraire de postulats, c’est-à-dire de savoir si l’on ne pourrait en déduire une contradiction. Dans le cas des géométries de Bolyai-Lobatchevski, il a été résolu par Poincaré suivant une méthode d’aspect tout à fait bizarre : étant admis – personne ne l’avait mis en doute jusqu’alors – que le système de postulats euclidien était compatible, il a construit un modèle euclidien de la géométrie non euclidienne !

Tout était en branle. Il fallait examiner sévèrement les fondements des mathématiques tout entières. Il fallait systématiser et formaliser la logique elle-même établir pour cela des langages formalisés ; dans la deuxième moitié du dix-neuvième siècle apparaît la logique symbolique ou mathématique (Boole et ses continuateurs). Frege, Dedekind, Peano établissent une théorie rigoureuse de l’arithmétique ; celle-ci peut alors servir pour modéliser d’autres branches des mathématiques : c’est la période de leur arithmétisation. En 1899, Hilbert publie « Die Grundlagen der Geometrie » où il refait les « Eléments » d’Euclide en élaborant pour eux un système complet de postulats, bien plus complexe que l’euclidien. Dans la deuxième décennie du vingtième siècle, Whitehead et Russel publient les « Principia Mathematica », écrits dans un « langage » complètement formalisé. Les mathématiques commencent à s’organiser en « structures », dont chacune est fondée sur son propre système de postulats (groupes et autres structures algébriques, espaces et autres structures topologiques, branches nouvelles qui combinent les postulats de différentes structures plus simples, etc.) (…)

Les plus grandes complications, cependant, n’étaient pas encore survenues. Une grande « crise » a éclaté, qui a un parallélisme marqué, quant aux dates, avec la « crise » de la relation profonde ou causal. En 1870, G. Cantor commença à publier une série de mémoires où il étudiait la théorie des ensembles infinis et des nombres transfinis qui exprimaient la « quantité » de leurs éléments. C’était un horizon nouveau et immensément riche pour les mathématiques. En même temps, le développement de la théorie mettait en évidence beaucoup de cas où apparaissaient des contradictions qu’il était bien difficile d’écarter : ce qu’on a appelé les paradoxes de la théorie des ensembles.

On pouvait croire revenu le temps de Zénon ; les problèmes étaient cependant beaucoup plus graves. Bien qu’il s’agît parfois de problèmes typiquement mathématiques, leur substance était de nature principalement « logique ».

La « crise » s’est montrée extrêmement féconde. Elle a stimulé des recherches profondes et prolongées, tant mathématiques que logiques, où ont foisonné des connaissances nouvelles et importantes. En 1930, quand les difficultés subsistaient encore, Hilbert, dans son livre « Grundlagen der Geometrie », pouvait s’écrier avec raison : « Du paradis que Cantor a créé pour nous, personne ne pourra nous chasser. »

En particulier, on a essayé plusieurs systèmes d’axiomatisation de la théorie des ensembles, parmi lesquels celui de Zermelo-Fraenkel est généralement accepté. Cependant, même N. Bourbaki est prudent dans l’évaluation des résultats : « L’élimination des paradoxes semble bien obtenue par les systèmes précédents, mais au prix de restrictions qui ne peuvent manquer de paraître très arbitraires. »

La profondeur et la difficulté des problèmes étaient telles qu’il a fallu créer une nouvelle science autonome pour les aborder : la métamathématique. L’enjeu – tel que l’a posé Hilbert dans sa célèbre allocution au Congrès des mathématiques de 1900 – était de prouver le caractère non contradictoire de l’arithmétique, question vitale pour l’ensemble des mathématiques, par la voie de la modélisation. L’avancement de la métamathématique dans les décennies suivantes fut considérable. Toutefois, elle arriva à un résultat négatif surprenant : les théorèmes de Gödel des années trente, en vertu desquels il est impossible de démontrer au moyen de ces méthodes la non-contradiction logique de toute théorie qui comprenne l’arithmétique.(…)

Un grand mathématicien tel que J. Dieudonné a dit : « 95% des mathématiciens se moquent éperdument de ce que peuvent faire tous les logiciens et tous les philosophes. Cela ne les intéresse absolument pas. » (Cf « Mathématiques vides et mathématiques significatives », in « Penser les mathématiques »)

Je ne suis pas d’accord avec lui : on peut légitimement décider de ne pas participer aux efforts pour éclaircir ces questions, c’est une affaire purement personnelle ; mais je ne crois pas qu’il soit possible de récuser leur importance.

Il y a encore une tendance, de caractère organique assez marqué, à laquelle participent des mathématiciens en nombre non négligeable, parmi lesquels on doit nommer son principal promoteur, le hollandais L.E.J. Brouwer : l’intuitionnisme ou constructivisme. Face aux « paradoxes », la plupart des mathématiciens (certainement plus de 95% dont parle Dieudonné), couramment appelés « idéalistes » ou « formalistes », soutiennent « qu’il est vain de chercher à fonder une théorie mathématique quelconque par un appel (explicite ou non) à l’’’intuition’’ » Autrement dit, ils voudraient conserver aux mathématiques leur caractère de science formelle. (…)

L’apparente ’’rigidité métaphysique’’ recouvre une richesse réelle de contraires et de processus dialectiques. Si l’on examine avec un peu d’attention presque tous les sujets que nous avons considérés, on découvrira une quantité de problèmes dialectiques très variés qui sont apparus tout au long de l’histoire millénaire des mathématiques, tout particulièrement dans les deux derniers siècles. (…)

Ceci est vrai surtout pour les plus stricts et les plus exigeants des logiciens et des formalistes. Je dirai même – et ce n’est pas à cause d’un attrait malsain pour les paradoxes, mais par une solide conviction dialectique – que le formalisme est la source la plus riche en contradictions dialectiques et en paradoxes – Zénon semble naïf devant les apprentis sorciers modernes -, le plus puissant moteur dialectique des mathématiques du vingtième siècle.

« L’intention de conférer un statut d’autonomie aux mathématiques en en faisant une science purement formelle, a dit justement F. Gonseth, n’était pas nécessairement liée au projet de fournir la preuve de l’impossibilité d’une contradiction. (cf Les Actes du colloques sur « Les mathématiques et la réalité ») (…)

Mais du fait que les mathématiques sont une science formelle résulte l’énorme importance qu’a pour elle sa propre dynamique interne. Il est simplement inconcevable d’écrire l’histoire des mathématiques sans en tenir compte. (…)

En second lieu, je pense qu’il faut souligner le rôle que jouent les définitions introduites par le mathématicien. Elles déterminent une rupture qualitative dans la chaîne plus ou moins monotone des déductions logiques des théorèmes successifs. Ce sont des actes de créations idéelle de nouveaux objets mentaux (…) Je n’hésite pas non plus à employer le mot « objet » ; l’expérience individuelle, collective et historique des mathématiciens prouve que la connaissance de ces nouveaux objets est parfois aussi difficile que celle des objets matériels, quelquefois même davantage. Ils se comportent devant la conscience qui essaie de les aborder comme de vraies forteresses très solides ’’inexpugnables’’ ; il faut parfois les efforts persévérants, pendant des siècles, de nombreux mathématiciens pleins de talent pour les conquérir, et bien souvent on n’est pas capable de le faire. (…)

Ici, nous sommes strictement dans le domaine de l’histoire, bien que restreinte à un aspect très particulier des activités de la société humaine. Il est normal, alors, que la dialectique y règne. Il faut cependant remarquer que l’histoire des mathématiques, en tant qu’’’histoire’’ d’événements qui se déroulent suivant la « flèche du temps », est en général étroitement liée à la dialectique « interne » du développement des mathématiques en tant que science, à la logique de l’avancement des sciences mathématiques.

Extrait du texte de Robin Goodfellow intitulé "La troisième révolution industrielle"

(...)

Les avatars de la métaphysique

Les ambitions de la logique formelle n’avaient jamais été aussi grandes en cette fin de XIXè siècle.

Elles étaient à la mesure des menaces qui pesaient sur elle. La géométrie d’Euclide était le modèle de
la cohérence dans l‘univers des mathématiques. A partir d’un petit nombre d’axiomes, eux mêmes en
phase avec l’intuition et le sens commun, on démontrait des théorèmes qui servaient à leur tour pour
fonder d’autres théorèmes. L’émergence d’une géométrie non euclidienne (Bolyai, Lobatchevski,
Riemann et, avant eux, Gauss) était venue ébranler ce dispositif. Tous les espoirs n’étaient pas
nécessairement perdus. La géométrie se dérobait. L’arithmétique ne pouvait-elle pas être une planche
de salut et permettre cette fondation ? L’arithmétique ensembliste semblait, avec Georg Cantor, avoir
remporté une grande victoire, parfois en partie contre l’intuition14. Cantor avait classé les infinis. Il
avait placé l’ensemble de l’infini discret, dénombrable (1,2,3, ...., l’ensemble des nombres entiers ou
mieux des nombres rationnels) avant celui de l’infini supposé continu (ensemble des nombres réels) et
admis l’existence d’autres classes d’infinis. Y avait-il un autre infini entre le discret et le supposé
continu ? Toute le reste de sa vie Cantor cherchera à démontrer qu’il n’y en avait pas. La question le
hantera au point de contribuer à son glissement dans la folie. La théorie était cependant attaquée. Elle
était loin de faire l’unanimité dans la communauté mathématicienne. David Hilbert, le pape des
mathématiques de l’époque, qui la reconnaissait comme la découverte la plus fondamentale de son
temps ne voulait pas être chassé de ce nouveau paradis.

Hilbert avait poursuivi le travail entamé deux cent cinquante ans plus tôt par René Descartes et Pierre
de Fermat et développé une axiomatique formelle permettant de réduire la géométrie à l’arithmétique.
De son côté, Frege faisait un effort considérable pour rationaliser la symbolique et l’axiomatique.

Le siècle s’achevait quand, au congrès de mathématiques de Paris, Hilbert posa 23 questions, comme
autant de défis à relever, aux mathématiciens du XXè siècle15. Pour Hilbert, il s’agissait d’asseoir les
mathématiques, de montrer leur cohérence16 La première question était consacrée à l’infini cantorien et
la deuxième visait à démontrer que l’arithmétique était cohérente (consistante) c’est-à-dire, pour
simplifier, démontrer qu’à partir d’un jeu d’axiomes on ne pouvait prouver une chose et son contraire,
que nous étions bien dans un système où A est différent de non A, ce qu’on nomme aussi, dans la
logique, le principe d’identité.
La question était à peine posée que quelques méchants paradoxes ébranlaient l’édifice, obligeant
notamment Frege à mettre un genou à terre ; ce qu’il fit avec un stoïcisme et une honnêteté
intellectuelle des plus remarquables17.

En 1928, au congrès de Bologne, Hilbert poursuivait sa demande18. Trois ans plus tard, un jeune
mathématicien, Kurt Gödel, expédie la question de Hilbert. La réponse surprend le monde. A partir
d’un jeu d’axiomes donnés, il est possible que des propositions soient indécidables, qu’elles ne
puissent être ni prouvées ni infirmées. Il y a incomplétude. Nous nous trouvons dans une situation
exclue à l’origine par la logique et qu’on nomme le principe du tiers-exclu (un système dans lequel
nous avons soit A soit non A). Plus tard (Gödel -1938 à 1940 -, Cohen - 1963 -), il sera démontré que
l’hypothèse de Cantor appartient à cette sphère des propositions indécidables.

La démonstration par Gödel sonnera le glas des ambitions de la logique formelle 19 et favorisera le
glissement de la pensée bourgeoise du matérialisme bourgeois (comme le positivisme) vers
l’idéalisme, son adhésion à un tremblant probabilisme 20 comme à renforcer l’idée que la connaissance
était intrinsèquement hors de portée de l’homme 21 De leur côté, les mathématiques, sous l’effet des
diverses évolutions à l’oeuvre depuis la remise en cause de la géométrie euclidienne, s’enfonçaient
dans une abstraction toujours plus grande en cherchant sans cesse à s’auto-légitimer. Plutôt que de
s’ouvrir sur la société et de prendre en compte leurs limites, elles se renferment sur toujours plus
d’abstraction 22. Dans ce mouvement, les axiomes évoluaient du rang de vérités évidentes à celui
d’hypothèses pouvant être prises en considération du seul fait de leur fécondité 23.

La recherche d’un algorithme universel, c’est-à-dire un algorithme permettant de résoudre
automatiquement n’importe quel problème, l’idée que tout problème avait une solution dans un
algorithme et qu’il existait un algorithme universel pour régler tous les problèmes restait une des
quêtes fondamentales des sciences mathématiques. Ouverte par Leibniz 24, la question était toujours
pendante quand Hilbert posa sur la table la boîte de pandore des 23 questions.

A partir du moment où un système est cohérent et complet, on démontre qu’il est décidable, c’est-à-dire
qu’il existe une procédure qui permet de dire si une assertion est vraie ou non. Mais avec Gödel,
puis les travaux de Church (1936) ou de Turing (1936), s’envolaient la possibilité de réaliser un
algorithme universel.

Bien avant que la logique formelle ne démontre que, même dans son cadre intellectuel étriqué, elle
était rattrapée par la complexité de la réalité, la dialectique avait envoyé par le fond sa prétention à
appréhender correctement l’ensemble du réel. Que la logique formelle puisse se mouvoir à son aise
dans la sphère mathématique où par définition 25, on pose la non identité des contraires, le tiers
exclu 26, etc. et que donc, par un renversement curieux, mais conforme à l’idéologie de la
métaphysique, de l’échelle des valeurs, les mathématiques apparaissent comme la reine des sciences 27
ne signifiait pas que la logique formelle, passée certaines limites, ou un certain type d’usage, elle ne
rencontre pas des difficultés (y compris dans son champ de prédilection) pour appréhender
correctement la réalité. Ce n’est pas non plus que la dialectique méprise la logique formelle. La
dialectique ne nie pas les résultats puissants que cette logique a obtenu et obtient. Elle reconnaît sa
puissance et son efficacité quand elle arrive à déployer sa méthode. Elle n’en oublie pas non plus sa
beauté. Il suffit de voir revenir les mathématiciens de leurs voyages, les yeux encore éblouis de ce
qu’ils ont vu.

La dialectique considère que passé un certain degré de complexité (et cela vaut aussi dans une certaine
mesure pour les mathématiques), la logique devient inopérante car nous faisons face à un monde en
mouvement où les contraires s’interpénètrent, ou de simples variations quantitatives engendrent des
sauts qualitatifs et inversement. Engels avait montré que dans la dérivation, il fallait bien admettre
l’égalité de la droite et de la courbe, ce qui défie la logique traditionnelle. Marx protestait contre la
représentation des travaux des mathématiciens connus à son époque, quand ils traitaient du calcul
différentiel. La critique de la logique par elle même, les paradoxes de Russell 28 et les théorèmes de
Gödel 29 ne sont ils pas autre chose que l’irruption de l’interpénétration des contraires dans le monde
policé de la logique formelle ?

NOTES

17 « Un scientifique peut difficilement se trouver confronté avec quelque chose de plus indésirable que de voir les
fondations sapées alors que l’ouvrage est achevé. C’est dans cette position que m’a mis une lettre de M. Bertrand
Russell, au moment même où le livre allait être mis sous presse. » Gottlob Frege, 1902

18 Avec la question de la décision, Hilbert se demande s’il existe une procédure, un algorithme, qui peut être
appliqué à une proposition mathématique afin de décider si elle est vrai ou fausse.

19 Comme nous l’avons dit, la métaphysique ne désarme jamais. En première page de couverture de Science et
Vie, n°1013, février 2002, Jean-Louis Krivine, un logicien de premier plan à l’échelle mondiale (un cousin du
trotskyste et du pianiste, pour la petite histoire), déclare avoir trouvé le secret de la pensée. Toute pensée est
calcul et grâce au lambda calcul, mis au point par Alonzo Church, il est possible de transcrire toute pensée. Un
seul hic : il reste à prouver cette théorie. Gageons que cette preuve tardera, car elle ne serait obtenue qu’en
passant sur le corps de la dialectique, ce que n’a jamais réussi à faire la métaphysique.

20 L’évolution de la physique, aussi allait plonger la bourgeoisie dans la perplexité. Mais, une nouvelle
conception de la matière ouvrait aussi des possibilités importantes tant dans le domaine de l’atome que de
l’électronique pour ne citer que ces deux là . Il est d’ailleurs caractéristique que la sixième question de Hilbert :
"Peut-on axiomatiser la physique ?", tout aussi révélatrice de la pensée métaphysique n’ait guère fait l’objet de
commentaires si ce n’est qu’elle a été rapidement expédiée aux oubliettes devant l’évolution de la physique
(relativité, mécanique ondulatoire, etc.).

21 L’effondrement du cadre de référence d’Hilbert lui valut cette réflexion désabusée « Si la pensée mathématique
est déficiente où pourrons nous donc trouver la vérité et la certitude ». Dans le langage du métaphysicien
positiviste anglo-saxon moderne qui poursuit sa logique, avec un zeste d’humour, jusqu’à l’absurde, cela donne :
« Si nous définissons une religion comme un système de pensée qui contient des affirmations indémontrables,
alors elle contient des éléments de foi, et Gödel nous enseigne que les mathématiques sont non seulement une
religion, mais que c’est la seule religion capable de prouver qu’elle en est une » (John Barrow, astrophysicien à
grande notoriété)

22 La question de l’assise des mathématiques, des ensembles, de la logique, peut sembler une préoccupation
lointaine et inoffensive de mathématiciens. Ce serait oublier que les écoles mathématiques (et la France est bien
représentée dans ce domaine) influent sur l’enseignement. Et un jour, on se retrouve avec une réforme, aux effets
plus que mitigés, de l’enseignement des mathématiques, à base de « mathématiques modernes », en l’occurrence
ensemblistes, puisque Nicolas Bourbaki, (pseudonyme collectif d’un groupe influent de mathématiciens), en bon
héritier d’Hilbert, était partisan d’asseoir les mathématiques sur la théorie des ensembles.

23 Au lieu de chercher à démontrer dialectiquement les axiomes.

24 « On découvrira un jour une méthode générale dans le cadre de laquelle il sera possible de réduire toutes les
données rationnelles à une sorte de calcul ». Leibniz 1686

25 « Il n’y a que dans les mathématiques, - science abstraite qui opère avec des objets idéaux (même si ce sont
des décalques de la réalité) - que l’identité abstraite et son antithèse avec la différence soient à leur place, et,
dans ce domaine lui-même, elle est constamment levée. »(Engels, Dialectique de la nature, p.216)

26 Les travaux de Gödel ont engendré, comme axe de travail pour certains mathématiciens

26 Les travaux de Gödel ont engendré, comme axe de travail pour certains mathématiciens, une logique non
aristotélicienne qui ne prend pas en compte le tiers exclu. L’énoncé est soit vrai soit faux soit possible. Le fait de
passer d’une logique bivalente à une logique trivalente ne lui fait pas fondamentalement dépasser ses limites.

27 Le socialisme, s’il la relativise, ne rejette pas pour autant la méthode mathématique. Bien au contraire. Dans
ses souvenirs personnels sur Karl Marx, Paul Lafargue relate que « Marx retrouvait dans les mathématiques
supérieures le mouvement dialectique sous sa forme la plus logique et la plus simple. Une science, disait-il, n’est
vraiment développée que quand elle peut utiliser les mathématiques. ». De même, Engels critiquait le jugement
de Hegel sur la pauvreté de pensée de l’arithmétique. Cf. Dialectique de la nature. p.264).

28 Plus tard, Russell en fournira un exemple explicite : Tous les hommes qui ne se rasent pas eux-mêmes se font
raser par le barbier. A quel ensemble appartient le barbier ?

29 Gödel formalise le paradoxe d’Epiménide le Crétois : « Tous les Crétois sont menteurs »

Mathématique constructive

Par Roger Apéry

in Penser les mathématiques, Séminaire de philosophie et mathématiques de l’Ecole Normale Supérieure (J. Dieudonné, M. Loi, R. Thom). Éditions du Seuil, 1982

"Qui veut tuer son chien l’accuse de la rage." Pour combattre une dissidence religieuse, philosophique ou politique, un pouvoir commence toujours par la discréditer, en lui ôtant son caractère de doctrine soutenue par des chercheurs de bonne volonté attachés à leur conviction intime par des arguments solides pour la présenter comme une entreprise criminelle (hérétique, asociale) vouée à la disparition. Selon la caricature présentée par ses adversaires sous le nom d’intuitionnisme, la conception constructive détruirait une grande part de la mathématique classique, notamment l’axiome de choix et ses conséquences ; contrairement au caractère objectif de la science, elle adopterait comme critère de vérité l’intuition particulière de chaque mathématicien, elle ne serait qu’une singularité historique, liée à une métaphysique particulière destinée à disparaître ; elle n’exprimerait que l’angoisse de quelques mathématiciens. À défaut de convaincre, ce texte pourra dissiper des malentendus : nous montrons que la conception constructive ne mutile pas la mathématique classique, mais au contraire l’enrichit. Nous de traitons pas de l’axiome de choix dont la discussion n’est pas essentielle. Nous indiquons les critères objectifs de preuve utilisés par les mathématiciens constructifs. Enfin, aucun argument solide ne permet d’affirmer que L. Kronecker, H. Poincaré ou H. Weyl étaient plus angoissés que Cantor, Hilbert ou Russell.

Les principales philosophie des mathématiques

Le platonisme mathématique (Bolzano, Frege, Cantor, Russell)

Comme toute science, la mathématique traite d’une réalité indépendante de chaque mathématicien particulier : la géométrie étudie des droites et des cercles idéaux, non des traits et des ronds dessinés. La conception platonicienne reporte sur le monde mathématique le désir d’absolu et d’éternité de l’esprit humain.

Les principales affirmations du platonisme mathématique sont les suivantes :

1° Toute question mathématique concerne des objets aussi réels (et même plus réels) que les astres, les animaux ou les végétaux ; elle a donc une réponse (éventuellement inconnue) affirmative ou négative : c’est la logique bivalente et son corollaire, le principe du tiers exclus.

2° La notion d’ensemble, définie par Cantor comme " un groupement en un tout d’objets bien distincts de notre intuition et de notre pensée (1) ", est simple, primitive et constitue à elle seule le fondement de toutes les mathématiques. Par exemple, le nombre 1 est défini par Russell comme l’ensemble de tous les ensembles E non vides tels que x Î E et y Î E Þ x = y.

3° L’existence simultanée de tous les êtres mathématiques exige de traiter comme une unité achevée tout ensemble infini ; c’est la doctrine de l’infini actuel soutenue par Leibniz et étendue par Cantor pour des raisons métaphysique.

" Je suis tellement pour l’infini actuel qu’au lieu d’admettre que la nature l’abhorre, je tiens qu’elle l’affecte partout, pour mieux marquer la perfection de son auteur. Ainsi, je crois qu’il n’y a aucune partie de la matière qui ne soit, je ne dis pas divisible, mais actuellement divisée, et, par conséquent, la moindre particule doit être considérée comme un monde plein d’une infinité de créatures différentes " (Leibniz).

" Sans un petit grain de métaphysique, il n’est pas possible, à mon avis, de fonder une science exacte. La métaphysique telle que je la conçois est la science de ce qui est, c’est-à-dire de ce qui existe, donc du monde tel qu’il est en soi et pas tel qu’il nous apparaît " (Cantor).

" La plus haute perfection de Dieu est la possibilité de créer un ensemble infini et son immense bonté le conduit à le créer " (Cantor).

Les difficultés de la théorie cantorienne se manifestèrent sous forme d’antinomies. L’édifice s’effondra quand Russell montra que le monde cantorien lui-même, c’est-à-dire l’ensemble de tous les ensembles, est contradictoire.

Le formalisme

Le formalisme, conçu par Hilbert et poussé à l’extrême par Bourbaki, veut créer un ordre mathématique dont les commandements sont les suivants :

1° Que la réglementation des méthodes autorisées soit suffisamment rigide pour empêcher toute discussion.

2° Que l’on ne rencontre pas de contradictions et, en particulier, que l’on évite les paradoxes.

3° que l’on conserve la mythologie du transfini qu’Hilbert appelle le " paradis créé pour nous par Cantor ".

Ce objectif est atteint par la méthode suivante :

1° Rejeter l’ordre ancien en lui reprochant simultanément d’être trop libéral (mot d’ordre : " A bas Euclide ", lancé par Bourbaki) et d’être autoritaire (Hilbert traitant Kronecker de Verbotsdiktator).

2° Considérer comme infranchissable le fossé entre les mathématiques et les autres disciplines.

3° Attribuer la réussite de l’application des mathématiques aux autres sciences à l’ " harmonie préétablie " (Leibniz) ou à un " miracle " (Bourbaki).

4° Réduire la mathématique au texte écrit, ce qui rejette à la fois comme inexistant le monde platonicien et comme épiphénomène la pensée du mathématicien.

5° Refuser comme dénués de sens les concepts d’espace, de temps, de liberté.

6° " Imposer au domaine mathématique des bornes en grande partie arbitraires " (Bourbaki, théorie des ensembles, p. E. IV. 67).

7° Pratiquer le double langage (2) , d’une part en laissant croire qu’une seule école possède la " bonne mathématique " et en considérant les mathématiques comme un simple jeu, ou, par exemple, " les mots " il existe" dans un texte formalisé n’ont pas plus de " signification" que les autres, et [où] il n’y a pas à considérer d’autres types d’"existence" dans les démonstrations formalisé (3) " (Bourbaki).

8° Extirper l’intuition, notamment en refusant l’usage des figures dans l’enseignement.

9° Considérer comme " métamathématiques " toutes les questions gênantes sur la structure des mathématiques.

10° Uniformiser les esprits par l’enseignement des " mathématiques modernes ", où on laisse croire aux enfants qu’entourer des petits objets par une ficelle est une activité mathématique au lieu de leur apprendre à compter, à calculer et à examiner les propriétés des figures.

11° Créer un Dieu mathématique à plusieurs personnes qui tente d’assurer son immortalité en renouvelant périodiquement ses membres et qui assure l’unité de la communauté mathématique en révélant périodiquement les bonnes définitions et les bonnes théories.

Hilbert espérait démontrer la cohérence de sa conception, mais Gödel, en montrant que toute théorie contenant au moins l’arithmétique élémentaire contient des résultats vrais mais non démontrables par axiomatique, mettait en évidence l’échec du formalisme hilbertien. Il faut distinguer entre la méthode formaliste et la philosophie formaliste. Tous les logiciens utilisent la méthode formaliste pour préciser les types de déductions valables ; la philosophie formaliste considère le texte formalisé non comme un outil commode, mais comme la seule réalité mathématique (les physiciens connaissent une distinction analogue entre la méthode positive, qui est la méthode de tous, et la positivisme, qui est la philosophie de quelques-uns). On fixe une théorie mathématique en indiquant les propriétés de départ (axiomes) et les règles de déductions admises. Le scepticisme vis-à-vis de certains principe traduit généralement un dogmatisme sous-jacent qui refuse d’expliciter ses propres principes et de les laisser critiquer. Ainsi les formalistes, qui soumettent à une critique poussée les propriétés mathématiques élémentaires, avalent sans examen les règles traditionnelles de logique, en refusent la mise en cause, oublient que ces règles, issues de l’expérience courante comme la géométrie euclidienne, n’ont comme elle qu’un champ d’application limité. Il ne pas sont pas sûrs de la vérité de 2 + 2 = 4, considèrent comme un axiome gratuit, donc susceptible d’être rejeté, qu’en enlevant le dernier signe de deux suites isomorphes en obtient des suites isomorphes, ce qui entraîne l’ " axiome de Peano " selon lequel deux nombres naturels ayant mêmes successeurs sont égaux. Par contre, ils considèrent comme évident et incontestable l’axiome logique de Peirce selon lequel, quelles que soient les propositions p, q, on peut déduire de la proposition (p Þ q) Þ p la proposition p ; toute mise en cause du principe du tiers exclu leur apparaît non comme une opinion discutable, mais comme un scandale intolérable.

Le mathématicien idéal selon le constructivisme

Selon la conception constructive, il n’y a pas de mathématique sans mathématicien. En tant qu’êtres de raison, les êtres mathématiques n’existent que dans la pensée du mathématicien et non dans un monde platonicien indépendant de l’esprit humain ; quant aux textes mathématiques, ils ne prennent un sens que par une interprétation qui exige un lecteur connaissant le langage utilisé par l’auteur du texte. Le mathématicien idéal se définit par un certain comportement mental dont la pensée effective du mathématicien concret n’est qu’une image approchée.

Les hypothèses nécessaires pour l’activité mathématique sont les suivantes :

1° On peut toujours ajouter un nouveau signe à une formule ; en particulier, après tout nombre entier, on peut en considérer un autre.

2° Le mathématicien raisonne toujours en appliquant des règles de déductions explicitement précisées.

3° Tout résultat démontré est définitivement acquis.

4° L’aptitude à tirer des déductions ne se détériore pas et ne s’améliore pas.

Toutes ces propriétés supposent que le mathématicien satisfasse aux conditions suivantes :

1° Il est immortel, c’est-à-dire qu’il peut toujours continuer un calcul inachevé.

2° Il est imperméable à la douleur, aux passions, aux souffrances, ce qui maintient la rigueur nécessaire de sa pensée.

3° Grâce à une mémoire parfaite, il n’oublie ni ne déforme aucun résultat acquis.

4° Il ne se fatigue pas et effectue des performances sans entraînement préalable.

Les mathématiciens suppléent à leur différence évidente avec le mathématicien idéal :

1° Par l’entraide : l’erreur qui échappe à un mathématicien peut être décelée par un autre.

2° Par les mémoires mécaniques (textes manuscrits ou imprimés) qui suppléent aux défaillances de la mémoire individuelle.

3° Par les machines à calculer qui leur permettent d’effectuer en un temps raisonnable des calculs que, sans machine, leur vie n’aurait pas suffi à achever.

S’il extrapole la réalité, le mathématicien constructif refuse les hypothèses fantastiques des platoniciens. En effet :

1° Il ne se croit pas éternel : l’activité mathématique a eu un commencement.

2° Il croit que les êtres mathématiques sont des êtres de raison ; ils apparaissent au moment où le mathématicien les définit et non antérieurement à tout mathématicien.

3° Il constate que la mathématique se déroule dans le temps. Un raisonnement est une méthode pour montrer que si certaines affirmations sont supposées vraies avant, d’autres deviennent vraies après.

4° Son immortalité lui permet d’atteindre des nombres aussi grands qu’il veut, mais pas de définir tous les nombres ; il croit à l’infini potentiel, pas à l’infini actuel.

Alors que les mathématiciens idéaux sont interchangeables, les mathématiciens concrets sont divers, et chacun d’entre eux se modifie dans le temps ; cette diversité entraîne dans l’activité mathématique une part subjective qui ne peut être supprimée. Cette part subjective se manifeste dans la création, dans l’apprentissage, dans la reproduction. Malgré son importance, ce n’est pas elle qui constitue la différence entre mathématique statique et mathématique constructive.

Mathématique et durée

Comme le platonicien et contrairement au formaliste, le mathématicien constructif reconnaît une certaine réalité aux objets mathématiques, mais les différencie essentiellement des objets matériels, en ne leur attribuant que les propriétés susceptibles de démonstration. Une distinction analogue différencie les héros de roman des personnages historiques. Une question concernant Vercingétorix admet une réponse, même si elle échappe à nos moyens d’investigation ; la même question concernant Don Quichotte n’a pas de réponse si celle-ci ne peut être déduite des affirmations du roman de Cervantès. En revanche, l’existence d’ensembles plus nombreux que l’ensemble des entiers et moins nombreux que l’ensemble des réels n’a pas de réponse, car, comme Paul Cohen l’a démontré, ni cette existence ni sa négation ne peuvent être déduites des définitions usuelles des réels : l’ensemble des réels, comme Don Quichotte, est un être essentiellement incomplet.

Le mathématicien constructif refuse le tabou philosophique interdisant de parler de temps et de liberté, car toute activité mathématique exige un esprit libre opérant dans le temps. Laissant au moraliste le temps irréversible, ce fameux " temps perdu " qui ne se rattrape jamais, les mathématiciens, comme les musiciens, utilisent un temps reproductible. Une statue, un tableau, un monument, essentiellement situés dans l’espace, se maintiennent par eux-mêmes ; les forces extérieures peuvent les user ou les détruire, mais ne sont pas nécessaires à leur maintient ; l’examen de leurs diverses parties s’opère selon un ordre arbitraire et pendant une durée arbitraire. Au contraire, la musique se situe essentiellement dans le temps. Une mélodie n’est pas un ensemble, mais une suite de note subtilement reliées : contrairement aux monuments qui perdurent, la mélodie disparaît ; pour réapparaître, elle doit être reproduite ; elle est conservée par des procédés de mémorisation artificiels (partitions musicales, disques). Nous connaissons les outils ou les dessins de nos ancêtres préhistoriques, nous ignorons leurs paroles ou éventuellement leur chants.

De même, un raisonnement mathématique, essentiellement fragile, doit être refait pour être compris : un texte mathématique se lie la plume à la main. Bien que la durée semble moins contraignante qu’en musique, l’examen d’un raisonnement mathématique exige d’embrasser simultanément à chaque étape les prémisses, la conclusion, la règle de raisonnement utilisée ; une compréhension authentique s’adresse à l’ensemble des articulations du raisonnement, de façon que le résultat apparaissent dû à une méthode applicable à d’autres problèmes et non à un heureux hasard. Schématiquement, l’activité mathématique comporte deux phases, caractérisées par la boutade : 5 % d’inspiration, 95 % de transpiration.

Dans la première phase, l’activité mentale, subjective, indépendante du langage, étroitement liée à la durée intuitive. Malgré ses deux faiblesses (fugacité et incommunicabilité), cette phase constitue l’activité mathématique authentique. Dans la seconde phase, le mathématicien note, formaliste, traduit (partiellement) sont intuitions en terme communicables ; chacun peut examiner ses résultats devenus objectifs. Les diverses exécutions d’une oeuvre musicale ne sont jamais rigoureusement identiques, elles dépendent de la personnalité du chef d’orchestre. De même, la reproduction d’un raisonnement contient une part subjective irréductible ; en rappelant qu’un chien dévorant une oie emmagasine de la graisse de chien et non de la graisse d’oie, H. Poincaré illustre la nécessité pour chacun d’incorporer à sa propre personnalité toute connaissance extérieure. Celui qui possède des textes mathématiques dont il ne comprend pas l’articulation ne possède rien.

2. Quelques outils et concepts des mathématiques constructives

Nombres naturels

Comme Bourbaki (Théorie des ensembles, chap. I. § 1), nous commençons les mathématiques par l’étude d’assemblages de signes extraits d’un alphabet ; un tel assemblage est une suite, non un ensemble. Tous les mathématiciens s’accordent sur la philosophie des signes : tout signe est indestructible, peut être reproduit sans changement ni usure autant de fois qu’on le désire, peut servir à construire des formules de longueur arbitraire. Un texte mathématique se présente comme une suite d’arguments correctement déduits, non comme un ensemble d’affirmations en vrac. Les assemblage construits avec un alphabet à un seul signe, noté ½ , sont les nombres naturels. L’assemblage vide est doté 0, les assemblages ½ ,½ ½ ,½ ½ ½ , sont notés respectivement 1, 2, 3.

Devant une question mathématique élémentaire, par exemple rechercher s’il existe un entier naturel qui vérifie une propriété simple (c’est-à-dire une propriété qui peut être effectivement décidée pour chaque entier donné), trois situations se rencontrent pratiquement :

a) on connaît une solution ;

b) on peut montrer que l’existence d’une solution conduit à une contradiction ;

c) on ne sait pas.

Les mathématiciens s’accordent sur la réponse au problème dans les cas a) et b). Les différences d’attitude apparaissent dans le cas c), qui est le plus intéressant (il recouvre tous les problèmes mathématiques non résolus, c’est-à-dire toute la mathématique vivante).

Une attitude empiriste n’admettrait que des réponse à des questions déjà tranchées. L’attitude statique considère notre incapacité de répondre comme infinité humaine mais admet une réponse "en soi".

L’attitude constructive est intermédiaire. Devant une proposition p non tranchée, le mathématicien constructif ne refuse pas toujours de poser p ou non p.

Mais il n’admet la validité de cette expression logique (application du principe du tiers exclu à l’énoncé p) que s’il possède un algorithme qui au bout d’un nombre fini d’étapes permettra de trancher, quelle que soit par ailleurs la longueur de l’algorithme. Comme un tel algorithme n’existe pas toujours, il y a donc des énoncés auxquels le principe du tiers exclu de s’applique pas.

Suite de nombres

Une suite d’entiers (ou de rationnels) est un processus qui associe à chaque nombre naturel un entier (ou un rationnel) u(n) noté encore un. Si c’est à l’occasion des suites d’entiers qu’apparaît le point crucial du débat : infini actuel ou infini potentiel. Selon la conception constructive, une suite infinie, par exemple la suite des nombres naturels, n’est jamais finie, c’est-à-dire n’est jamais achevée : après tout nombre entier, on peut en construire un autre ; c’est la conception de l’infini potentiel qui fut soutenue par Gauss et Poincaré. Il n’existe pas d’ensemble effectivement infini. Une propriété qui exige de tester tous les éléments d’une suite ne relève pas de la loi du tiers exclu. En appelle suite fugace une suite dont tous les éléments effectivement calculés sont nuls, mais dont on ignore si le calcul de nouveaux éléments donnera toujours des zéros. Des problèmes importants posés aux mathématiciens équivalent à la question de savoir si une suite fugace est nulle ou non (conjecture de Fermat ou de Riemann). La comparaison de deux suites u(n) et v(n) revient à examiner si la suite |u(n) - v(n)| est nulle. L’existence de suites fugaces montre que, contrairement aux nombres (naturels, entiers relatifs ou rationnels), deux suites ne sont pas nécessairement égales ou inégales.

Logique constructive

Platoniciens et formalistes utilisent une même logique " classique ", que nous comparons à la logique constructive. On distingue la logique propositionnelle qui examine les propositions complexes bâties à l’aide de propositions élémentaires et de connecteurs (généralement, Ù , Ú , Þ , Û ) et la logique des prédicats (à une ou plusieurs places) qui utilise notamment les quantificateurs " , $ . La logique classique n’a besoin que des connecteurs Ù , Ø et du quantificateur " ; les connecteurs Ú , Þ et le quantificateur $ sont, selon les classiques, des abréviations :

p Ú q signifie Ø (Ø p Ù Ø q)

p Þ q signifie Ø (p Ù Ø q)

$ x Px signifie Ø " x Ø Px.

Certains énoncés complexes bâtis avec des propositions élémentaires indéterminées constituent des thèses logiques, c’est-à-dire sont considérés comme " vrais " quelles que soient les propositions considérées, par exemple :

p Þ (q Þ p).

Toutes les thèses de la logique classique sont vraies en logique constructive : autrement dit, contrairement à la légende, la mathématique constructive ajoute quelque chose à la mathématique classique et ne lui retranche rien. L’originalité de la logique constructive est l’introduction de connecteurs que nous noterons , , et d’un quantificateur que nous noterons , qui ne peuvent s’exprimer en logique classique.

pq signifie : il existe un procédé régulier qui permet soit d’affirmer p, soit d’affirmer q.

x P(x) signifie : il existe un procédé régulier qui permet de construire un élément vérifiant la propriété P.

C’est un faux problème de demander qui a raison, du classique affirmant la thèse p Ú Ø p, qui n’est pour lui que l’abréviation de Ø (Ø p Ù Ø Ø p) et se déduit du principe de non-contradiction, et du constructiviste qui nie la thèse pØ p, qui supposerait une méthode pour résoudre tous les problèmes mathématiques. En toute rigueur, le mathématicien classique qui accepte le principe du tiers exclu et le mathématicien constructif qui le rejette ne parlent pas de la même chose. Même avec les connecteurs constructifs, il existe des propositions pour lesquels le tiers exclus s’applique. Les arguments mettant en cause le flou des affirmations courantes ne justifient pas le rejet du tiers exclu : la mathématique exige l’existence d’énoncés que l’on puisse nécessairement affirmer ou nier. Le tiers exclu cesse de s’appliquer pour des propositions dont la démonstration ou la réfutation exigerait de décider d’une infinité de questions. Il arrive qu’une méthode adéquate permette de trancher un problème par un raisonnement fini, mais ce n’est pas toujours le cas.

Les symboles constructifs , , n’acquièrent un sens précis qu’après une définition précise d’un procédé régulier. Les diverses définitions de la calculabilité tentées par les logiciens se sont révélées équivalentes (4) .

Le continu constructif

Trois illusions contribuent à l’adoption du continu classique : la " continuité " des grandeurs physiques, l’intuition géométrique, les constructions mathématiques de Cauchy, Weierstrass, Dedekind ou Cantor. Une grandeur physique n’est jamais un nombre réel, mais présente une certaine indétermination ; par exemple, il n’y a pas de sens à définir la longueur d’une règle avec une erreur inférieure au rayon de l’atome. La droite réelle a des propriétés qui choquent l’intuition : il existe un ouvert de mesure < e contenant tous les rationnels contrairement aux apparences. La définition des réels par les coupures de Dedekind ou les suites de Cauchy est insuffisante, puisque, d’après le théorème de Cohen, l’hypothèse du continu ou sa négation peut être ajoutée comme axiome sans créer de contradiction. À la place du continu " classique ", nous présentons le continu constructif. La notion primitive n’est pas le réel dont la définition par les coupures de Dedekind exige une question décidable pour tout rationnel, mais le duplexe constitué par une suite de rationnels et un régulateur de convergence. Un duplexe est constitué par une suite de rationnels et un régulateur de convergence, c’est-à-dire une suite u(n) de rationnels et une suite c(n) d’entiers tels que :

m, m’ ³ c(n) Þ | u(m) - u(m’)| < 2-n.

On définit la valeur absolue d’un duplexe, le maximum, le minimum, la somme, la différence, le produit de deux duplexes et, pour tout duplexe non nul, son inverse. Ces opérations ont toutes les propriétés classiques. On pose x = 0 s’il existe une suite d(n) telle que :

m ³ d(n) Þ | u(m)| < 2-n.

Il faut distinguer x ¹ 0 (x différent de 0), qui signifie simplement que x ne peut être nul, et, x # 0 (x séparé de 0), qui signifie qu’il existe un entier m tel que |x| > 1/m. La notion de duplexe équivaut à celle de suite contractante d’intervalles rationnels et à celle de coupure constructive (5) .

Nombres irrationnels et transcendants

Dès 1899, Emile Borel soulignait le caractère non constructif des démonstrations d’irrationalité et de transcendance et donnait la première mesure de transcendance de e. Depuis, on ne se contente pas d’affirmer l’irrationalité ou la transcendance de telle ou telle constante de l’analyse, mais on indique une mesure d’irrationalité ou de transcendance. Par exemple, on ne se contente pas de dire que p ou ep est transcendant, mais on précise que, pour chaque rationnel p/q,

|p - p/q| > q-42

|ep - p/q| > q-c Log Log q

Pour presque tout réel a > 1, c’est-à-dire sauf sur un ensemble de mesure nulle, les a n sont " bien répartis " sur le groupe additif de R/Z ; néanmoins, un problème important et non résolu est de nommer un a tel que les a n soient bien répartis. Les traités de théorie des nombres posent, et éventuellement résolvent, de nombreux problèmes d’effectivité qui, dans une optique non constructive, ne pourraient pas être posés.

Nous espérons avoir montré que l’école constructiviste, loin de renier aucun des résultats des mathématiques classiques, pose les problèmes de façon plus fine ; c’est à ce titre qu’elle demande qu’on reconnaisse l’intérêt de ses méthodes et l’importance de ses résultats (6) .

BIBLIOGRAPHIE

J.-P. Azra et B. Jaulin, Récursivité, Paris, Gauthier-Villars, 1973.

E. Bishop, Foundations of Constructive Analysis, New York,MacGraw Hill, 1967.

G. S. Boolos et R. C. Jeffrey, Computability and Logic, Cambridge University Press, 1967 : seconde édition revue et augmentée : 1980.

N. Bourbaki, Théorie des ensembles, Paris, Hermann, 1954-1960.

M. Davis, Computability and Unsolvability, New-York, MacGraw Hill, 1958.

R. L. Goodstein, Recursive Analysis, Amsterdam, North-Holland, 1961.

H. Hermes, Enumerability, Decidability, Computability, Heidelberg, Springer, 1965.

A. Heyting, Les Fondements des mathématiques. Intuitionnisme. Théorie de la connaissance, Paris, Gauthiers-Villars, 1955.

D. Hilbert, " Auf das Unendliche ", Mathematische Annalen, vol. 95, 1926, p. 161-190.

N. D. Jones, Computability Theory, New-York, Academic Press, 1973.

S. C. Kleene, Introduction to Metamathematics, Amsterdam, North-Holland, 1952.

S. C. Kleene et R. E. Vesley, The Foundations of Intuitionnistic Mathematics, Amsterdam, North-Holland, 1965.

J. Loeckx, Computability and Decidability, Heidelberg, Springer, 1976.

P. Lorenzen, Einfuhrung in die operative Logik und Mathematik, Heidelberg, Springer, 1955, 1959.

A. I. Malcev, Algorithms and Recursive Functions, Groningue, Wolters-Noordhoff, 1970.

A. A. Markov, Theory of Algorithms, Jerusalem, Israël Program for Scientific Translations, 1961.

V. A. Oupensky, Leçons sur les fonctions calculables, Paris, Hermann, 1966.

R. Peter, Recursive Functions, New York, Academic Press, 1967.

H. Poincaré, La Science et l’Hypothèse, Paris, Flammarion, 1902.

 La Valeur de la Science, Paris, Flammarion, 1905.

- Science et Méthode, Paris, Flammarion, 1908.

H. Rogers, Theory of Recursive Functions and Effective Computability, New York, MacGraw Hill, 1967.

N. A. Shanin, " Constructive real numbers and constructive function spaces. Translations of mathematical monographs ", American Mathematical Society, vol. 21, 1968.

H. Weyl, Das Kontinuum, Leipzig, 1918. Réimpr. New York, Chelsea, s. d.

A. Yasuhura, Recursive Functions and Logic, New York, Academic Press, 1971.

Notes :

1 - G. Cantor, " Beiträge zur Begründung der transfinite Mengenzahlen " , Mathematische Annalen, vol. 46, 1895, p. 481. Réimprimé dans G. Cantor, Gesammelte Abhandlungen, Heidelberg, Springer-Verlag, 1932, et Hildescheim, G. Olms, 1966, p. 282.

2 - Les Provinciales de Pascal montrent comment le double langage permet à deux groupes qui défendent des thèses opposées de s’unir pour en écraser un troisième.

3 - N. Bourbaki, Théorie des ensembles, Paris, Hermann, 1970, p. E IV. 71, note 1.

4 - Voir l’appendice 2 : " Récursivité ", p. 126 sq. (N.d.É.).

5 - Une suite contractante d’intervalles est définie par une suite d’intervalles ]un, vn[ tels que :
" n un < un+1 < vn < vn+1 et " n $ m |vm - um| < 2-n.

LIRE AUSSI :

Le point de vue de Maurice Loi

Prouvez-moi que la science n’est pas qu’expérience, mesure et calcul et qu’elle est d’abord philosophie

Logique formelle et logique dialectique

Le zéro et l’infini

Le monde est-il mathématique ?

Qu’est-ce que l’efficacité des mathématiques ?

Philosophie des mathématiques et philosophie des sciences

Les mathématiques sont-elles une connaissance ?

L’idée d’une mathématique universelle

Quelles sont les philosophies des mathématiques reconnues d’un point de vue académique

Les mathématiques peuvent-elles trancher elles-mêmes sur la validité de leurs présupposés philosophiques ?

Nombres et réalité - Les nombres peuvent-ils être "naturels", "réels", complexes" au sens de la nature, de la réalité et de sa complexité ? La théorie des nombres reflète-t-elle les propriétés observées de la matière ? Et quels nombre sont-ils réels ? Les entiers ? Les décimaux ? Les nombres dits réels ? Les nombres complexes ? Ou d’autres ? Quelle est cette fameuse réalité de la matière qui serait ou pas descriptible par les mathématiques ?

Aussi sûr que un plus un égale deux ? Les mathématiques sont-elles exemptes des paradoxes et contradictions de la physique ?

Mathématiques et dialectique

Des objets mathématiques continus ou discontinus ?

La continuité, une propriété mathématique ?

Continuité et discontinuité sont incompatibles et non des contraires dialectiques

Peut-on penser sans la dialectique ?

Les recherches mathématiques de Karl Marx

Un point de vue sur logique formelle et dialectique

Peut-on parler de dialectique de la nature ?

Métaphysique et calcul différentiel

Marx, Hegel et les mathématiques

Mathématiques et dialectique selon Platon

Les paradoxes de Zénon

Éléments de mathématiques dans "Dialectique de la nature" de Engles

Engels - Anti-Dühring - Dialectique. Négation de la négation

Engels - Anti-Dühring - Les mathématiques pures

Engels - Anti-Dühring - Dialectique. Quantité et qualité

Lénine - La crise de la physique

Lénine - La révolution moderne dans les sciences de la nature et l’idéalisme philosophique

TEXTES EN ANGLAIS - pour la lecture grossière en français actionner d’abord le drapeau français en haut à gauche

Hegel and mathematics (en anglais)

What is Dialectical Philosophy of Mathematics ? (en anglais)

The Dialectical Ascent to the Absolute in Modern Mathematics (en anglais)

Dialectics and mathematics (en anglais)

Formal logic and dialectics (en anglais)

Marx’s Systematic Dialectics and Mathematics

The Dialectics of the Infinitesimal Calculus (en anglais)

The modern development of the foundations of mathematics in the light of philosophy by Kurt Gödel

Value and Quantity (en anglais)

Friedrich Engels And Mathematics (en anglais)

The Foundations of Mathematics by David Hilbert (en anglais)

Historical Introduction of Engels’ “Dialectics of Nature” by Shoichi Sakata

Letters on Natural Science
and Mathematics

The Philosophical Importance of Mathematical Logic by Bertrand Russell

Anti-Dühring by Frederick Engels - Dialectics.
Negation of the Negation

Lectures on Intuitionism by Lej Brouwer

Messages

  • Peut-on donner un exemple mathématique de deux contraires complètement imbriqués à l’extrême, opposés et inséparables, comme dans la dialectique ?

  • Oui, on peut en trouver de multiples exemples.
    Prenons les rationnels et les irrationnels, deux contraires au sein des nombres réels. Ils sont mêlés à l’extrême car les irrationnels sont « denses » au sein des rééls ce qui signifie qu’il y en a toujours entre deux rationnels. Les rationnels entourent toujours aussi près que l’on veut un irrationnel et inversement. Voilà une imbrication à l’extrême de deux opposés…

  • Mais est-ce qu’on peut fabriquer un rationnel avec deux irrationnels ? Pourquoi ne serait-ce pas une symétrie diamétrale au lieu d’une opposition dialectique ?

    • Tout à fait on peut produire un rationnel avec deux irrationnels ! Il y a un grand nombre de cas où il suffit d’additionner deux irrationnels pour fabriquer un rationnel.

      Ce n’est pas une opposition diamétrale parce qu’il n’y a pas exactement symétrie. Par exemple, il est impossible d’obtenir un irrationnel en additionnant deux rationnels. Les ensembles rationnels et irrationnels sont des opposés mais pas diamétralement opposés.

    • On peut prendre un exemple encore plus simple : les pairs et impairs au sein des nombres entiers.

      Les deux ensembles de nombres sont opposés mais imbriqués. L’un des ensembles peut être obtenu à partir de l’autre : tout simplement en additionnant le nombre un ! Les entiers pairs sont opposés aux entiers impairs mais ils s’entourent mutuellement. Ils peuvent s’obtenir mutuellement dans un sens puisque la somme de deux impairs donne un pair. Ils ne sont pas entièrement symétriques de manière diamétrale au sens où la somme de deux pairs ne peut pas donner un impair.

  • Evariste Galois, « Écrits et mémoires mathématiques » :

    « La science progresse par une série de combinaisons, [...], sa vie est brute et ressemble à celle des minéraux qui croissent par juxtaposition. [...] En vain les analystes voudraient-ils se le dissimuler : ils ne déduisent pas, ils combinent, ils composent : toute immatérielle qu’elle est l’analyse n’est pas plus en notre pouvoir que d’autres ; il faut l’épier, la sonder, la solliciter. Quand ils arrivent à la vérité, c’est en heurtant de ce côté et d’autre qu’ils y sont tombés. »

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.