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La dialectique, c’est la vie. Penser le monde sans la dynamique des contradictions, c’est la mort....

mercredi 25 janvier 2012, par Robert Paris, Tiekoura Levi Hamed

« Ce qui se meut, c’est la contradiction. (...) C’est uniquement parce que le concret se suicide qu’il est ce qui se meut. »

G.W.F Hegel, dans sa préface à la « Phénoménologie de l’esprit »

« La seule chose nécessaire pour obtenir la progression scientifique (...) c’est la connaissance de cette proposition logique : le négatif est également positif ; autrement dit, ce qui se contredit ne se résout pas en zéro, en néant abstrait, mais essentiellement en la négation de son contenu particulier ; autrement dit encore, une telle négation n’est pas complète négation, mais négation de la chose déterminée (...) le résultant, la négation, étant négation déterminée, a un contenu. (...) Elle s’est enrichie de sa négation, (...) elle est l’unité d’elle-même et de son opposé. » explique G.W.F Hegel dans « Science de la Logique ».

La dialectique, c’est la vie. Penser le monde sans la dynamique des contradictions, c’est la mort....

Nous sommes des révolutionnaires. Cela signifie que nous pensons qu’existe potentiellement un autre monde, complètement contradictoire avec le monde actuel. Cela signifie que la classe qui subit ce monde peut demain diriger une autre société. Que les opprimés qui ne sont pas organisés en vue de diriger le monde peuvent l’être demain. Que les souffrances qu’ils subissent peuvent les porter à se transformer radicalement de manière brutale. Aussi surement qu’à une température et à une pression suffisante, un liquide peut se transformer brutalement en gaz, l’oppression, arrivée à un stade critique, peut se transformer en libération. Cela signifie aussi que nous estimons que les contradictions du monde actuel peuvent donner son contraire, une société d’où l’exploitation de l’homme par l’homme sera bannie. Plus le capitalisme est en crise, plus est proche le moment où un autre monde sera possible.

Les contradictions de la société nous semblent porteuses d’avenir, moteur du changement radical. Pourtant, tous les logiciens formels vous diront que les contradictions sont des fautes de raisonnement, des erreurs ou des accidents très rapidement corrigés par leur élimination. La logique formelle est ainsi faite qu’elle ne peut admettre deux propositions contradictoires. Si on fait une erreur de frappe dans un système logique formel, par exemple un logiciel informatique, il ne donne pas un nouveau logiciel mais un signal erreur et un blocage... Pour la logique, il n’y a que le vrai ou le faux et les deux sont parfaitement incompatibles. Ils ne peuvent nullement coexister.

Il n’est pas besoin pourtant d’aller chercher très loin pour comprendre que la réalité est pleine de contradictions. Chaque individu humain en est déjà un témoignage. Nous sommes tous parfaitement contradictoires et nous désirons clairement des choses que nous refusons en même temps. Chaque être humain est le siège de confrontations permanentes de ce type tout au long de sa journée et pendant sa nuit. Ce débat continue sans cesse nous tirant dans un sens puis dans un autre. Et ce n’est qu’un exemple de situations où, en interne, on trouve deux propositions opposées en train de se confronter. L’exemple de la cellule vivante est tout aussi frappant, puisque cette cellule voit se confronter dès la naissance une aspiration naturelle à mourir exprimée par des gènes et des protéines de la mort et une aspiration adverse visant à la survie et composée de gènes et de protéines de la vie, en opposition avec les précédentes. Tant que la cellule vivante ne se suicide pas, la cellule est vivante et elle est le siège de ce combat. La vie est donc non l’opposition diamétrale à la mort, mais le combat permanent entre la vie et la mort, une contradiction dynamique en somme. Et la tendance naturelle à la mort de la cellule est indispensable au vivant. Nous nommons cancer l’accident qui amène la cellule à ne plus obéir à cette aspiration au suicide... L’idée de la dialectique est justement l’existence d’un dialogue/combat entre des tendances opposées qui échangent sans cesse et avancent dans leur lutte en développant leurs arguments ou en emmêlant leurs fonctions. L’idée de la logique formelle est d’opposer diamétralement les éléments contraires en disant par exemple que la vie est seulement l’opposé de la mort. Nous reprochons à cette dernière conception de voir les choses de manière figée sans comprendre qu’il s’agit de processus dynamiques : la vie est un combat permanent et pas un état figé. La vie nécessite la mort...

Au delà de ces exemples, la question qu’il convient de se poser est la suivante : convient-il de penser le monde de manière dialectique ou à la manière de la logique formelle, celle des religieux, des mathématiciens, des métaphysiciens et celle aussi du bon sens ?

Pourquoi rejeter dans la même poubelle philosophique tous des courants aussi disparates ?

Tout d’abord, il ne s’agit pas de les rejeter ou de les jeter dans une poubelle, mais de décrypter leurs choix philosophiques et d’examiner s’ils sont les plus adéquats pour comprendre le monde...

La plupart des gens ignorent qu’ils philosophent d’une certaine manière et n’ont pas pris le temps de se demander d’où ils ont tiré leur philosophie et quels étaient les autres choix possibles. Et pourtant, ce choix philosophique est l’orientation de fond...

Les mathématiciens ignorent qu’ils font partie d’un courant philosophique. Les scientifiques ne savent pas qu’ils ne font pas qu’utiliser un outil, mais en acceptent aussi la démarche.

Les uns et les autres ne voient rien de commun entre cela et la religion du bien et du mal. Leur religion est pourtant celle du vrai et du faux...

Et pourquoi s’agirait-il d’une religion ? N’est-il pas exact que le vrai s’oppose aussi surement au faux, que la lumière s’oppose à l’obscurité et la matière s’oppose au vide, que le mouvement s’oppose au repos, que le conscient s’oppose à l’inconscient, que la vie s’oppose à la mort et que le vivant s’oppose à l’inerte.

Eh bien, justement commençons par examiner comment ces oppositions se réalisent, comment elles sont appréhendées par la science moderne.

La question que nous nous poserons sur elles est la suivante : correspondent-elles à l’opposition de la logique formelle ou à la contraction de type dialectique ?

Dans le premier cas, les contraires s’annulent. dans le second, ils sont indispensables l’un à l’autre et s’interpénètrent. Alors que nous répondent les sciences de ces domaines ? Les opposés s’annulent-ils ou se composent-ils, sont-ils incompatibles ou entremêlés et mutuellement indispensables ?

Pour les mathématiques, un nombre est ou positif ou négatif et le positif ne peut pas se changer en négatif.

Pour les religieux, un acte est ou bien ou mal. Le mal ne peut pas se changer en un bien.

Pour les métaphysiciens, il y a le corps et l’esprit. Ce sont deux domaines séparés. Un problème provient de l’un ou de l’autre. Ce sont deux univers qui ne se mêlent pas. Tous ceux qui obéissent à la logique de Descartes croient à ce dogme.

Et le résultat des sciences que nous dit-il donc ? L’esprit est séparé du corps ? La lumière s’oppose diamétralement à l’obscurité ? La matière est le contraire du vide à la manière de la logique formelle (incompatible, se détruisant mutuellement) ou à la manière dialectique (interpénétrée, interdépendante, se transformant en son opposé,...) ?

Cela change fondamentalement la vision du mécanisme de la nature et de la société.

Dans un cas, le bien, le vrai, le bon, le beau, le correct, le juste, le positif sont éternellement figés. Dans l’autre, ils s’échangent et produisent ainsi la dynamique du monde.

Pour la métaphysique, la matière est et restera matière, le vide est et restera le vide, la lumière est et restera la lumière.

Pour le dialecticien, le vide se transformera en matière et la matière se transformera en lumière... sans aucun miracle divin, par la seule dynamique des contradictions dialectiques de la nature. Par la nature contradictoire de la matière, de la lumière et du vide...

On pourrait aussi bien discuter d’autres catégories opposées comme le lent et le rapide (changement d’échelle du temps), le grand et le petit (changement d’échelle de distance) ou encore le changement d’échelle d’énergie, le changement d’échelle des espèces du vivant (passage de l’animal à l’homme par exemple).

Nous allons examiner tous ces cas par la suite brièvement, mais voyons d’abord les conséquences pour la pensée...

Dans tous ces cas, on peut raisonner dialectiquement ou métaphysiquement.

Le principal fondateur de la pensée métaphysique est Aristote. Le principal fondateur de la pensée dialectique est Hegel.

Le métaphysicien dira que l’homme s’oppose à l’animal, que le lent s’oppose au rapide, que le grand est radicalement différent du petit, que le conscient s’oppose diamétralement à l’inconscient, que le contingent s’oppose au déterminé (obéissant à des lois), que la flèche du temps s’oppose au retournement du temps.

Le dialecticien dira que c’est vrai, mais que le contraire l’est aussi... que le lent se fonde sur le rapide, que le petit est contenu dans le grand comme le grand dans le petit, que le conscient se fonde sur l’inconscient autant qu’il s’y oppose, que le contingent est la base même de la mise en place des lois, que la vie se fonde sur le mécanisme de la mort (apoptose), que le vivant est en permanence destruction de structures vivantes (de la cellule qui s’autodétruit à la destruction permanente des molécules et autres êtres ou espèces), que la vie est fondée sur la mort d’autres être vivants, etc... le dialecticien dira que la mort est dans la vie autant que la vie est dans la mort...

Le métaphysicien dira que la lumière s’oppose à l’obscurité et le dialecticien rajoutera que lumière + lumière peut donner obscurité (interférence) et que cela provient fondamentalement du caractère contradictoire de la lumière, de manière interne. le photon est fondé sur un couple de contraires qui s’éliminent périodiquement (particule et antiparticule virtuels du vide).

Par exemple, est-ce que la matière existe ? Le logicien formel dira : oui s’il est matérialiste et non s’il est idéaliste. Mais sa réponse sera formelle c’est-à-dire absolue, éternelle, immanente. La matière, telle qu’elle ressortira de son image sera toujours identique à elle-même.

Le dialecticien dira que la matière existe et n’existe pas suivant que l’on change d’échelle, que l’on pratique une interaction ou une autre, que le phénomène en est à un stade ou à un autre. Il dira que l’existence de la matière provient de sa non-existence....

En effet, la matière n’est une chose sans cesse présente, mais une structure issue du vide, qui saute sans cesse d’une particule virtuelle du vide à une autre. Si on cherche à l’attrapper, à la situer précisément, elle répond qu’elle n’existe pas. Si on se contente de ses effets, elle répond qu’elle existe....

Le bon sens ne peut que hausser les épaules et dénoncer une telle philosophie. le physicien quantique ne peut que reconnaitre là les résultats paradoxaux de sa science...

La métaphysique est fondée sur l’identité et la dialectique sur la contradiction. Les deux admettent des propositions opposées, mais elles n’ont pas les mêmes caractéristiques.

Le métaphysicien dira qu’un objet (qu’une quantité ou qu’une propriété) est égal à lui-même. Ainsi, le mathématicien dira qu’un nombre est toujours égal à lui-même.

Le dialecticien remarquera que pour qu’une structure se maintienne, elle doit changer, soit changer ses composants matériels, soit se transformer pour conserver certaines propriétés fondamentales. La conservation devient ainsi un produit de la transformation.

Pour le métaphysicien, il y a une clause du tiers exclus qui impose que A soit égal à B ou ne soit pas égal, sans qu’aucune autre proposition soit possible. Pour le dialecticien, deux objets identiques ne le sont pas en permanence. Ils ne le sont que s’ils cessent par moments de l’être.

Pour un métaphysicien, une chose existe ou n’existe pas. Pour le dialecticien, pour exister et se conserver, une structure doit se détruire, disparaitre, se nier...

Le métaphysicien remarquera que rien ne change, que tout ce qui existe se transforme ou se déplace, mais "rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme". Le mathématicien dira que les choses s’additionnent sans se transformer. Le dialecticien dira que les choses ne se contentent pas de s’additionner. En se couplant, elles se transforment. Elles n’ont pas, en groupe, une valeur égale à la simple somme des valeurs. Ainsi, un groupe durable d’éléments devient une nouvelle unité. Il y a changement d’échelle éventuellement. Il peut y avoir mise en commun des efforts et économie d’énergie.

Le métaphysicien dira donc que le tout est la somme des parties et le dialecticien non.

Pour le métaphysicien, ou il y a repos, ou il y a mouvement. Pour le dialecticien, le repos est mouvement et le mouvement est repos.

Cela peut sembler, à première vue, un jeu ridicule et gratuit de la pensée. Mais le philosophe Hegel, marqué par un monde en convulsions, celui de la prise du pouvoir par la bourgeoisie en Europe, a remarqué que les contradictions ne sont ni des accidents, ni des erreurs, ni des oppositions qui vont très vite s’annuler.

Il en a tiré quelques principes dynamiques selon lesquels les contradictions sont internes aux structures et leur donnent leur dynamique du changement...

Nous ne citerons qu’un passage de Hegel tiré de sa "Science de la logique" :

"Si les premières déterminations réflexives : l’identité, la différence et l’opposition, sont établies comme principes, alors on devrait à plus forte raison concevoir et établir comme principe... la contradiction, dont le principe doit être énoncé ainsi : toutes les choses sont contradictoires en soi. (...) C’est pourtant un des principaux préjugés de la logique traditionnelle et de la représentation ordinaire que la contradiction ne serait pas une détermination aussi essentielle et immanente que l’identité. Mais s’il était question de hiérarchie et s’il était possible de considérer ces deux déterminations comme isolées l’une de l’autre, c’est plutôt la contradiction qu’il faudrait tenir pour la détermination la plus profonde et la plus essentielle. Vis-à-vis d’elle l’identité n’est que la détermination du simple immédiat, de l’être mort, tandis que la contradiction est la racine de tout mouvement et de toute vitalité ; c’est seulement dans la mesure où elle renferme une contradiction qu’une chose est capable de mouvement, d’élan, d’activité.

La contradiction est ordinairement ce qu’on écarte en premier lieu des choses, de l’être et du vrai en général ; on dit notamment qu’"il n’y arien de contradictoire". D’autre part, on relègue la contradiction dans la réflexion subjective, en disant que c’est elle qui la pose dans ses rapports et comparaisons.... Qu’il s’agisse de la réalité ou de la réflexion pensante, la contradiction est considérée comme un simple accident, pour ne pas dire comme une anomalie ou un paroxysme morbide et passager.

(...) Mais c’est un fait d’expérience courante qu’il y a une foule de choses contradictoires, d’institutions contradictoires, etc, dont la contradiction n’existe pas seulement dans la réflexion extérieure, mais réside dans les choses mêmes. Elle ne doit pas non plus être considérée comme une simple anomalie qui apparaît ça ou là, mais elle est le négatif dans sa détermination essentielle, le principe de tout mouvement spontané, lequel n’est pas autre chose que la manifestation de la contradiction. Le mouvement sensible extérieur lui-même est son existence immédiate. Une chose se meut non seulement en tant qu’elle se trouve à un moment donné ici et au moment suivant ailleurs, mais aussi en tant qu’elle est et en même temps n’est pas dans la même place. On doit reconnaître avec les anciens dialecticiens les contradictions qu’ils ont montrées dans le mouvement ; cependant il ne s’ensuit pas que le mouvement n’existe pas, mais plutôt que le mouvement est la contradiction même existant empiriquement. (...)

Une chose n’est donc vivante que pour autant qu’elle renferme une contradiction et possède la force de la saisir et de la soutenir. Mais, lorsqu’un existant est incapable, dans sa détermination positive, de passer à la détermination négative et de les conserver l’une dans l’autre, autrement dit lorsqu’il est incapable de supporter à l’intérieur de lui-même la contradiction, il n’est pas une unité vivante, ... mais s’effondre et succombe à la contradiction. (...) Il résulte de l’examen de la nature de la contradiction que lorsqu’on dit d’une chose qu’elle renferme une contradiction, on ne signifie pas par là qu’elle est endommagée, défectueuse ou fautive. Toute détermination, tout concret, tout concept constituent essentiellement une unité des moments différents et différenciables, qui deviennent contradictoires par la différence déterminée essentielle qui les sépare."

Automouvement, autochangement et auto-organisation, considérés comme des propriétés universelles découlant du caractère contradictoire des objets, des structures ou des dynamiques, signifient que le mouvement, le changement et l’organisation d’une structure nouvelle ne viennent pas de l’extérieur de l’objet, de la structure ou de la dynamique du système mais de l’intérieur. C’est exactement le point de vue inverse de celui d’Aristote.

Loin de parler spécialement du monde des idées à propos de cette dynamique dialectique, Hegel donne de multiples exemples dans tous les domaines, parlant du "vivant qui se livre à une continuelle négation du monde extérieur", ou encore de "la vie mouvante en soi de la matière morte", à propos des mouvements de marchandises dans la société capitaliste ! Et il rappelle dans tous ces cas que "toutes les choses sont contradictoires en soi" et que "la contradiction doit se retrouver dans toute expérience, dans toute la réalité, dans tout le concept.

Hegel rajoute à cette conception de la dynamique des contradictions internes un point essentiel : "la deuxième négation, négation de la négation, constitue un dépassement de la contradiction".

Il réalise ainsi un programme affirmé dès sa première œuvre "De la différence des système de Fichte et de Schelling" : "supprimer les oppositions solidifiées".

Peut-on retrouver de telles préoccupations en sciences ? Ou trouver cette négation de la négation ? Faut-il supprimer les oppositions solidifiées ? Les contradictions internes jouent-elles ce rôle de locomotive de la dynamique ?

Commençons par la physique fondamentale.

Le principe d’incertitude d’Heisenberg qui règle les limites de la mesure dans tous les domaines matériels est fondé sur la remarque suivante : plus on essaie de cantonner une particule de matière dans un espace étroit, plus il reçoit d’énergie pour en sortir…

Partons dans la matière de l’extrêmement grand, dans les étoiles et les espaces interstellaires. Plus l’étoile est de grande taille et subit une forte pression de gravitation due à sa grande masse, plus elle émet une grande quantité de pression de rayonnement due à ses explosions nucléaires dans son noyau.

Examinons maintenant une échelle intermédiaire : celle de la terre. La météorologie et la climatologie, la tectonique des plaques, le volcanisme et tous les mécanismes de géophysiques sont remplis de contradictions dialectiques. Ce sont par exemple les rétroactions négatives de phénomènes comme les coexistence de deux phases (liquide et gazeuse) au sein d’un nuage. Plus il y a une grande partie du nuage qui condense (en gouttelettes) et plus il y en a une part importante qui vaporise. C’est le fondement même de la structure dynamique du nuage. Et c’est loin d’être un exemple isolé. Les structures émergentes sont toutes le produit de telles contradictions dynamiques.

Examinons l’émergence de la matière durable, dite réelle par opposition à la matière virtuelle qui est plus éphémère, au sein du vide. Elle est pleine de contradictions. Le vide contient autant de matière que d’antimatière et le temps y est symétrique (pas de flèche du temps). Par contre, le temps n’existe que sur de très courtes plages inversement proportionnelles aux émissions d’énergie. Le monde du vide engendre un monde de la matière qui lui est complètement contradictoire. Le monde dit matériel est formé de bosons et de fermions qui sont interdépendants mais complètement contradictoires. Ils obéissent à des logiques opposées. Par exemple, les bosons peuvent et apparaître et disparaître sans laisser de trace et sont grégaires. Les fermions sont anti-grégaires (principe de Pauli) et ne peuvent disparaître sans laisser de trace. Cependant ni les uns ni les autres ne peuvent exister sans leur contraire.

Passons au vivant. Il n’est pas de domaine où soit plus évident l’existence des contradictions dialectiques. Elles sont partout présentes. Elles jouent le rôle le plus fondamental, celui de pilote de la dynamique qui est permanente.

La cellule vivante est le siège d’un combat permanent des gènes et des protéines de protection de la vie et des gènes et des protéines de la mort qui cherchent à suicider la cellule de l’intérieur (apoptose). C’est le mécanisme fondamental mais c’est loin d’être le seul mécanisme contradictoire du fonctionnement biologique et génétique. Les gènes qui servent à produire des protéines peuvent également servir à bloquer le fonctionnement d’autres gènes. Ainsi, l’ADN est auto-bloquant, ce qui signifie lui qui est d’abord chargé de produire des protéines ne fait rien s’il n’est pas activé par des protéines spécifiques qui débloquent les gènes de blocage. Activation et blocage sont donc des fonctions assurées par les mêmes types de molécules.

La mort n’est pas le seul mécanisme de négation qui dirige l’ensemble du processus du vivant. Celui qui englobe le phénomène tout entier, que ce soit la mort ou la vie, c’est l’inhibition. Ce phénomène suppose qu’une propriété soit momentanément inactivée sans être définitivement détruite. C’est la biochimie des molécules qui produit ce phénomène par attachement des molécules. Une molécule possède une propriété mais celle-ci est perdue quand une molécule se fixe sur un de se récepteurs. Cette liaison est produite par une attraction des contraires – souvent par liaisons électriques d’ions ou par mécanisme clef-serrure. La propriété de la molécule de départ, inhibée par cette liaison, peut être réactivée si une nouvelle molécule vient se fixes sur la molécule inhibitrice. Ce phénomène d’ « accroche-décroche » entre deux contraires, que l’on retrouve aussi bien dans le vide, dans la matière ou au sein du vivant, c’est l’inhibition de l’inhibition.

Dans le vivant, tout processus fondé sur une activation possède son inhibition et toute inhibition peut être elle-même inhibée (négation de la négation, comme dirait Hegel). Toute activation, comme toute inhibition est fondée sur un passage de la quantité à la qualité. Des réactions chimiques s’arrêtent ou démarrent à partir d’une concentration seuil d’un produit chimique. A ce seuil, une propriété se change en son contraire : une porte fermée s’ouvre. Les contraires ne se suppriment pas et ne s’annihilent pas, mais coexistent, se produisent et se reproduisent mutuellement. La diversification et la sélection rétroagissent sans cesse négativement comme positivement. Concevoir de tels processus nécessite une philosophie qui n’oppose pas logiquement les contraires, conçoive que ceux-ci sont liés, que les changements brutaux peuvent provenir d’évolutions graduelles et inversement, que les changements à grande échelle peuvent provenir de modifications à petite échelle, que les phénomènes durables peuvent être apparemment stables mais entraîner des modifications brutales inattendues qui ne sont pas dues à l’action extérieure mais à la dynamique interne.

Tout le mécanisme du vivant et de construction de l’homme est le produit d’une inhibition de l’inhibition, d’une double négation, ainsi que l’expose le biologiste Henri Atlan dans « La fin du tout-génétique » : « Apparaissent des processus d’auto-organisation de la matière (...) que Prigogine et Nicolis adaptaient à la thermodynamique en les rebaptisant ’’ordre par fluctuations’’. ( ..) Les erreurs aboutissent à une protéine dont la structure n’est pas une reproduction à l’identique de l’ADN (...) source de l’augmentation progressive de la diversité et de la complexité des êtres vivants. (...) La création par le bruit de complexité fonctionnelle – c’est-à-dire signifiante – fonctionne à la façon d’une double négation. »

Dans le système nerveux et dans le cerveau, les mêmes types de mécanismes sont à l’œuvre. Jean-Pierre Changeux les décrit ainsi dans « L’homme neuronal » : « Singer (1979) a suivi la propagation des impulsions électriques du nerf optique au cortex visuel via le thalamus (...) Si, au moment où elles passent, on stimule la formation réticulée, la traversée des signaux jusqu’au cortex est facilitée de manière spectaculaire (...) L’amplitude de la réponse électrique au niveau du cortex augmente. Cette augmentation correspond à la levée d’une inhibition intrinsèque qui, lors du repos, met le régime du canal au niveau le plus bas. L’acétylcholine sert de neurotransmetteur. Elle inhibe une inhibition, donc, elle active. Le noyau de la formation réticulée qui la contient agit comme régulateur du canal visuel. »

Pourquoi l’inhibition du vivant serait-elle une négation dialectique, plutôt que celle de l’ancienne logique formelle ? La négation dialectique ne supprime pas la contradiction, mais masque momentanément son existence. Dans la négation formelle, à l’inverse, les contraires se suppriment immédiatement et définitivement. Si, dans la génétique, l’inhibition semble dialectique puisque les contraires se combinent, qu’en est-il du suicide cellulaire, l’apoptose, qui provoque la mort de la cellule ? Le mécanisme d’apoptose n’est pas celui de la mort brutale et définitive. C’est un combat permanent au sein de la cellule entre molécules, protéines et gènes de la vie et de la mort, se combattant et s’inhibant mutuellement, gagnant ou perdant des zones, s’appuyant pour cela sur des messages des autres cellules. Tant que la cellule est dite vivante, elle n’est pas exclusivement vivante ou exclusivement morte, répondant à la logique du « oui ou non exclusifs ». Elle répond plutôt à la dialectique qui suppose le « oui et non ». En effet, la cellule vivante est un processus dynamique de combat intérieur permanent entre les gènes et les protéines de vie et les gènes et les protéines de mort. C’est cet équilibre sur le fil du rasoir que l’absence des messages extérieurs, molécules-signaux des autres cellules indispensables à la survie, peut facilement déstabiliser, menant à l’apoptose. La cellule vivante est sans cesse entre la vie et la mort. Elle est « la vie et la mort » et pas « la vie ou la mort ». Comme la matière est sans cesse entre la matière et le vide et pas « la matière ou le vide » (ou exclusif). Une espèce vivante est sans cesse entre la conservation de l’espèce et sa transformation, toujours sur le fil et déstabilisable en cas de changement brutal des conditions extérieures. On peut bel et bien parler de dialectique du vivant, comme de dialectique de la matière. Dans « Le vivant », le biologiste François Dagognet affirme : « On n’en finirait pas, d’examiner les paradoxes ou les propriétés antinomiques qui conviennent au corps, énigme majeure. »

On retrouve dans les mécanismes particulaires, atomiques et moléculaires la notion d’inhibition de l’inhibition comme modèle de l’action. Par exemple, la mise en commun d’un électron permet de lier deux atomes et de former ainsi une structure durable : la molécule. Une autre liaison avec l’un des atomes va libérer l’atome de sa liaison. Il en va de même pour deux molécules. Une autre liaison permettra d’inhiber cette propriété. La particule elle-même est fondée sur cette inhibition de l’inhibition. En effet, la particule isolée est en interaction avec le vide. Elle se lie à des particules et antiparticules virtuelles. Si elle se lie à une antiparticule, elle forme un boson et rend son boson de Higgs qui va se fixer sur une particule virtuelle voisine. L’ensemble particule et boson virtuel a donné un nouvel ensemble particule et boson virtuel mais les individus qui y participent ont changé. Le mécanisme de ce changement est l’accroche entre particule et antiparticule au sein d’un boson. L’approche d’une particule a cassé cette attache pour fonder une autre attache. L’action de rapprochement est une négation, la cassure d’une liaison avant formation d’une liaison du même type. Chaque structure est contradictoire. La lumière l’est également puisque le photon est un couplage entre particule et antiparticule virtuels. C’est dire à quel point la dialectique n’est pas étrangère à la physique.

L’évolution est elle aussi d’abord et avant tout un processus de destructions et d’inhibitions. L’activation de processus de nouveauté est inhibition de l’inhibition, par exemple blocage des protecteurs ou mobilisation des « chaperons » (protecteurs du « soi ») hors de leur rôle d’inhibition de la variation. L’activation par double inhibition, par élimination, permet de faire place à la nouveauté. Nous-mêmes, les hommes, ne devons pas oublier que nous sommes d’abord et avant tout le produit d’un nombre considérable d’inhibitions (des gènes du développement qui sont retardés par inhibition de leur interrupteur génétique, et de la sexualité notamment par réduction de la période sexuelle lors du passage du singe à l’homme ) et de destructions, à commencer par celles des espèces humaines qui nous ont précédé (de l’australopithèque au premier homo sapiens en passant par l’homo habilis et l’homo erectus). Remarquons que ce type de transformation n’est pas propre à l’homme. Les espèces d’origine des divers animaux et autres êtres vivants qui nous entourent n’ont pas été conservées. Les grandes mutations des espèces se déroulent par divergence au sein d’une espèce puis destruction de l’ancienne forme. C’est ce qui distingue les changement radicaux d’espèce (les spéciations ou macro-évolutions que nous appellerons révolution des espèces) des petites évolutions au sein d’une espèce.

L’ordre construit par le désordre ? Peut-on donner des exemples d’un tel paradoxe que certains prendraient volontiers pour un simple jeu de mots sur la dialectique du monde ? Empruntons les d’abord à la physique. La thermodynamique classique croyait que toute évolution allait vers une perte d’ordre irrémédiable (loi d’entropie du deuxième principe) mais, après les travaux de scientifiques comme Ilya Prigogine, les exemples se sont multipliés de structures dissipatives fondées sur le déséquilibre et cependant capables de construire de l’ordre. Un nuage bien tranquille dans le ciel en l’absence de vent n’est cependant pas une structure fondée sur l’immobilité. L’énergie du nuage provient des rayons solaires réfléchis sur la surface terrestre. Le nuage reçoit sans cesse de nouvelles masses d’eau et en perd également sans cesse. L’aspect globalement inchangé du nuage n’est pas fondé sur l’équilibre mais au contraire sur une agitation interne des molécules d’eau qui se déplacent dans le nuage et entre l’extérieur et le nuage. Les gouttes d’eau chutent, vaporisent, remontent, se condensent. Des mouvements internes de tourbillons donnent une énergie considérable au nuage. Cette dynamique interne explique que le nuage soit sujet à des transformations brutales causées par sa structure instable. Le physicien Grégoire Nicolis explique ainsi dans la revue « Science et avenir » d’août 2005 que « Dans tout système physique existe en permanence une source de variabilité intrinsèque, les fluctuations. Celles-ci rendent comptent du caractère chaotique très marqué de la dynamique des variables macroscopiques des évolutions essentiellement aléatoires. Pour caractériser une telle évolution, on doit adopter encore un autre niveau de description, où la grandeur centrale est la distribution de probabilité de rencontrer les variables macroscopiques dans une certaine gamme de valeurs à un instant donné. » On retrouve ces propriétés dans toutes les structures fondées sur des courants de convection. Il en va de même du flocon de neige qui peut sauter brutalement d’une structure à une autre (grains fins, grains à face plane, en gobelets, en grains ronds). La constitution de la neige est déjà une transformation brutale. On remarque d’ailleurs que la structure du flocon est toujours spécifique, individuelle même s’il y a des grands types de structures. Deux flocons ne sont pas totalement identiques car un peu d’agitation existe en permanence lors de la fondation de la structure. La surface apparemment tranquille d’un liquide est elle aussi le produit d’une grande agitation : des molécules d’eau sautent dans l’air et inversement. La surface plane de la mer apparaît telle à nos yeux mais n’est qu’une illusion ou plutôt un ordre global fondé sur le désordre. La matière solide est elle-même sujette à cette agitation qui maintient seulement globalement la même structure, les particules élémentaires qui la composent pouvant changer et bouger sans cesse. Une surface matérielle qui semble immobile est, elle aussi, sujette, à des mouvements permanents de particules qui quittent la surface ou la gagnent. Les particules elles-mêmes ne sont rien d’autre que des structures se fondant sur une autre agitation, celle du vide comme nous tenterons de le montrer par la suite. A grande échelle, l’espace apparemment calme est le produit d’une agitation. La structure de l’étoile est le produit des multiples explosions nucléaires du cœur de l’astre lumineux.

La destruction est le mécanisme fondamental de l’organisation de la matière. A chaque fois qu’une interaction a lieu, un ou plusieurs corpuscules sont détruits. La plus élémentaire des interactions de la matière est l’électromagnétisme dans lequel un photon lumineux est absorbé par une particule matérielle. Le photon disparaît pour que la particule saute d’un état à un autre. Au sein du noyau atomique, l’interaction dite faible est le passage d’un proton à un neutron par absorption d’un électron. Celui-ci disparaît. Examinons maintenant l’un des phénomènes fondamentaux de la physique des particules, l’interaction forte, qui maintient le noyau de l’atome malgré la répulsion électrique entre protons dont les électricités positives se repoussent. La rapidité de l’activation de l’interaction forte par rapport aux autres interactions est la clef de sa capacité à maintenir la structure du noyau et donc de l’atome. Cela explique également le caractère violent de la rupture du noyau. Rompre la liaison du noyau nécessite une énergie et une rapidité d’action considérables qui est à l’origine de l’énergie des explosions nucléaires. L’énergie nucléaire est le type même d’une action à toute petite échelle spatio-temporelle qui agit brutalement et construit (ou détruit) une structure à beaucoup plus grande échelle. C’est une des définitions de la révolution. Elle n’agit que sur un temps très court et, du coup, sur une distance extrêmement petite mais permet la formation d’un atome de taille et de durée beaucoup plus importantes. La durée de l’interaction forte est moins de 10-23 secondes, soit un cent millième de milliard de milliardième de seconde alors que le noyau et l’atome sont souvent durables. Cette interaction est l’un des phénomènes les plus rapides et brutaux de la nature. Il est également à remarquer que l’interaction forte a un caractère inhibiteur, c’est-à-dire qui bloque un processus spontané. Les interactions rapides et de courte portée sont les bâtisseurs des structures de la matière. Voilà encore un exemple de situation où des petits facteurs ont une influence à grande échelle.

Dans la matière inerte, l’agitation est permanente à tous les niveaux : agitation du vide, agitation des particules, agitation des atomes et des molécules. L’ordre qu’est la particule est une barrière, plus ou moins durable, pour le désordre de l’espace vide. Selon la conception de Max Planck exposée dans l’ouvrage de Léon Brillouin, « La science et la théorie de l’information », « Planck a défini le système atomique élémentaire comme une « complexion métastable ». De manière très générale, on peut dire que tout système est une « complexion métastable », c’est à dire qu’il représente une permanence dans le temps et l’espace d’un état extrêmement peu probable. La « complexion » que représente le système n’est ni plus ni moins probable qu’une autre ; le fait important est qu’elle soit « métastable », c’est à dire qu’il se produit un « saut » (eh oui !) dans la stabilité, dans la constitution d’une « forme ». Tout système est improbable ; mais, pour être plus précis, ce n’est pas l’apparition de la forme spécifique du système qui est improbable (elle est aussi probable que n’importe quelle autre forme composée des mêmes éléments), c’est sa conservation dans le temps, la conservation « systématique » de formes primitivement peu probables . (...)Toute forme conservée, en tous cas, réalise un équilibre entre des éléments fortement discriminés : c’est ce qu’on appelle « contre entropie », « néguentropie » ou « entropie basse ». » (Jean-Marc Lepers dans « Anthropologie systémique ») Dans la matière vivante, le désordre est constitué par les interactions au hasard des molécules qui produisent toutes les liaisons possibles. C’est la destruction qui produit l’ordre. Des systèmes comme les lymphocytes du système immunitaire ou les protéines chaperons sont chargés de détruire tout ce qui menace l’ordre. L’ordre au sein d’un corps, la conservation du « soi », est le produit de la destruction de multiples molécules non désirées. L’ordre qu’est la vie, cette auto-organisation de la matière inerte, est le produit de la destruction de la cellule vivante par elle-même (autodestruction par apoptose ou négation) qui est retardée (négation de la négation comme l’appelle lui-même le spécialiste de l’apoptose Jean-Claude Ameisen) si la cellule correspond à une norme collective définie par les cellules voisines (participer à la mise en place d’un organe ou d’un tissu). Cela signifie que la destruction (gène et protéine de mort) provient de l’intérieur de la cellule et qu’elle existait dès la naissance de la cellule, que toute la vie de la cellule est une lutte entre gènes et protéines de la vie et de la mort. L’ordre que représentent l’Etat et l’organisation sociale est une structure mise en place pour limiter et combattre la lutte des classes que l’aggravation des inégalités sociales aggrave. La lutte des classes est permanente même si elle ne devient évidente (si elle n’explose) qu’en de rares moments et ne triomphe que rarement.

L’idée générale qui en ressort peut grossièrement être résumée ainsi : l’état fondamental (de la nature comme de la société humaine) est l’agitation (agitation des particules, des molécules, des actions individuelles). Ce désordre (appelé symétrie en physique) peut être plus ou moins détruit par une action énergique (appelée en physique rupture de symétrie et que nous appellerons philosophiquement la négation puisqu’elle démolit cet état). Le changement d’ordre est nécessairement brutal et est lui aussi une destruction (appelée en physique transition de phase et que nous appellerons philosophiquement négation de la négation). Et surtout le désordre peut être producteur d’un nouvel ordre. Cela signifie qu’il faut changer la conception selon laquelle le désordre produit du désordre et l’ordre produit l’ordre. L’Etat qui combattait la lutte des classes a produit la révolution, et la révolution produit un nouvel Etat. Dans la nature comme dans la société, le désordre peut produire l’ordre et l’ordre peut produire le désordre. La mort produit la vie et la vie produit la mort. Le positif produit le négatif et le négatif produit le positif.

La matière s’agite en tous sens à tous les niveaux (agitation quantique du vide et des particules, vibrations et rotation des atomes, agitation des molécules, agitation des grandes quantités de matière, etc…). Elle se transforme sans cesse. Les particules apparaissent et disparaissent en permanence par le processus fondamental matérialisation/dématérialisation du vide que nous exposerons. Cette transformation qui est à la base des interactions matière/matière, matière/lumière et matière/vide comme espace/temps se produit en un instant tellement court qu’il nous échappe. Il n’a été mis en évidence que par la physique quantique étudiant des instants extrêmement courts. L’origine de l’ « ordre » matériel c’est le désordre du vide (fluctuations d’énergie). L’origine de l’ordre du vivant, c’est le désordre des interactions au hasard entre molécules. L’origine de l’ordre du cerveau, c’est le désordre du message électrique cérébral. De nombreuses transformations, aussi brutales que le saut d’un rythme à un autre de notre cœur ou de notre cerveau, échappent à notre attention. Il en est de même pour la tectonique des plaques, la formation des montagnes, la formation d’étoiles et de galaxies. Ces transformations considérables nous sont quasiment insensibles parce qu’elles ont lieu à une échelle qui ne nous est pas perceptible directement (trop petite ou trop grande) sauf quelques manifestations exceptionnelles (un tremblement de terre par exemple).

Voyons un domaine, celui de la physique quantique : « Cette description des particules, entremêlant les propriétés des ondes et celles des corpuscules, est révolutionnaire. Elle met en relation des images que notre esprit isole dans des catégories distinctes, voire opposées. L’étrangeté de la chose vient de ce que toutes les particules, qu’elles soient de lumière ou de matière, nous appariassent soit comme des ondes (elles peuvent interférer – l’interférence est une addition qui est inhibitrice) soit comme des corpuscules (elles semblent ponctuelles quand on détecte leur position), mais elles ne sont ni des ondes ni des corpuscules. (…) Puisque les concepts d’onde et de corpuscule apparaissent mutuellement exclusifs en même temps qu’indissociables, il n’existe aucune possibilité de définir leur sens au moyen, d’une seule expérience. On ne peut pas les combiner en une seule image. Néanmoins, ils sont nécessaires l’un à l’autre pour épuiser tous les types d’information que nous pouvons obtenir sur un objet quantique à l’aide des divers appareils de mesure. (…) Dans la bouche de Niels Bohr, le mot complémentarité n’est pas à prendre dans son sens usuel. La complémentarité ne signifie nullement pour lui quelque chose comme « collaboration » ou « association ». La dualité n’est pas un duo, l’association de l’onde et du corpuscule n’est pas une synthèse. Elle incluse toujours au contraire l’exclusion mutuelle et la disjonction des éléments qu’elle met en vis-à-vis. Il faut la voir comme une sorte de paradoxe irréductible qui lie un concept à sa négation. (…) Comme nous dit John Bell, dans la bouche de Niels Bohr, (…) la complémentarité est proche du concept de contradiction (…) Contradiction est le mot fétiche de Bohr, comme l’ont fait remarquer Wootters et Zurek dans un article de 1979. » écrit Etienne Klein dans « Dictionnaire de l’ignorance ».

L’un des fondateurs de la physique quantique, Heisenberg, donnait ses conclusions philosophiques contre la logique formelle du syllogisme en termes très dialectiques : La théorie quantique peut s’exprimer comme une extension ou modification de la logique classique. Il existe en particulier un principe fondamental de logique classique qui semble avoir besoin d’être modifié : en logique classique, si une affirmation a le moindre sens, on suppose que soit elle soit sa négation qui doit être vraie. (…) En théorie quantique, il faut modifier cette loi du « tiers exclu ». C’est dire à quel point la dialectique n’est pas étrangère à la physique. C’est ce qu’explique le physicien Ilya Prigogine et la philosophe Isabelle Stengers dans « Order out of chaos » (l’ordre issu du désordre) : « Jusqu’à un certain point, on peut trouver une analogie entre le conflit entre la physique newtonienne et les nouvelles idées en physique et celles qui sont issues du matérialisme dialectique. L’idée d’une histoire de la nature partie intégrante du matérialisme fut développée par Marx, puis plus en détails par Engels. Des développements contemporains en physique, la découverte du rôle constructif joué par l’irréversibilité, ont fait réapparaître dans les sciences naturelles une question qui avait été posée par les matérialistes. Pour eux, comprendre la nature signifiait expliquer comment elle était capable de produire l’homme et ses sociétés. De plus, au moment où Engels écrivait sa « Dialectique de la nature », les sciences physiques semblaient rejeter les conceptions mécanistes et se rapprocher de l’idée du développement historique de la nature. Engels mentionne trois découvertes fondamentales : l’énergie et les lois gouvernant ses transformations qualitatives, la cellule comme base matérielle de la vie et la découverte de l’évolution des espèces par Darwin. »

« Le Capital est contradiction en acte : il tend à réduire au minimum le temps de travail, tout en en faisant l’unique source et la mesure de la richesse. Aussi le diminue-t-il dans sa forme nécessaire pour l’augmenter dans sa forme inutile, faisant du temps de travail superflu la condition – question de vie ou de mort – du temps de travail nécessaire. D’un côté, le capital met en branle toutes les forces de la science et de la nature, il stimule la coopération et le commerce sociaux pour libérer (relativement) la création de la richesse du temps de travail ; d’un autre côté, il entend mesurer en temps de travail les immenses forces sociales ainsi créées, de sorte qu’il en contient, immobilise et limite les acquis. Forces productives et relations sociales – double principe du développement de l’individu – ne sont et ne signifient pour le capital que de simples moyens pour se maintenir sur sa propre base étroite. En réalité, ce sont là les conditions matérielles qui feront éclater les fondements du capital. (…) Ce qu’il y a de nouveau dans le capital, c’est qu’il augmente le temps de surtravail des masses par tous les moyens de l’art et de la science, puisque aussi bien il a pour but immédiat non la valeur d’usage mais la valeur en soi, qu’il ne peut réaliser sans l’appropriation directe du temps de surtravail, qui constitue sa richesse. Ainsi, réduisant à son minimum le temps de travail, le capital contribue malgré lui à créer du temps social disponible au service de tous, pour l’épanouissement de chacun. Mais, tout en créant du temps disponible, il tend à le transformer en surtravail. Plus il réussit dans cette tâche, plus il souffre de surproduction ; et sitôt qu’il n’est pas en mesure d’exploiter du surtravail, le capital arrête le travail nécessaire. Plus cette contradiction s’aggrave, plus on s’aperçoit que l’accroissement des forces productives doit dépendre de l’appropriation du surtravail non par autrui mais par la masse ouvrière elle-même. (…) La vraie richesse étant la pleine puissance productive de tous les individus, l’étalon de mesure en sera non pas le temps de travail, mais le temps disponible. Adopter le temps de travail comme étalon de la richesse, c’est fonder celle-ci sur la pauvreté, c’est vouloir que le loisir n’existe que dans et par l’opposition au temps de surtravail ; c’est réduire le temps tout entier au seul temps de travail et dégrader l’individu au rôle exclusif d’ouvrier, d’instrument de travail. C’est pourquoi le machinisme le plus perfectionné force l’ouvrier à consacrer plus de temps au travail que ne l’a jamais fait le sauvage de la brousse ou l’artisan avec ses outils simples et grossiers. (…) Le travail ne peut pas devenir un jeu, comme le veut Fourier, qui eut le grand mérite d’avoir proclamé comme fin ultime le dépassement, dans une forme supérieure, non point du mode de distribution mais de production. (…) De même que le système de l’économie bourgeoise se développe peu à peu, de même, aboutissement ultime de ce système, se développe peu à peu sa propre négation. »

Karl Marx dans « Principes de la critique de l’économie politique »

Conclusions

La dialectique n’a rien d’un jeu gratuit.

Le vivant porte en lui la matière inanimée. Il est sans cesse attiré par la mort de ses cellules. La loi de mort spontanée est la première loi du vivant. C’est elle qui structure les éléments de la vie. En même temps, le vivant est un combat incessant contre la mort.

L’ordre est issu du désordre.

Le réel est la négation de l’actuel et la double négation du virtuel.

Pas de conscience sans inconscient.

Pas de rationnel sans irrationnel.

Le contingent est indispensable à l’établissement de la loi.

La meilleure compréhension de la « chose » matière est qu’il n’y a pas de chose. La compréhension du vide est qu’il n’y pas de vide. La meilleure compréhension du réel est qu’il est le virtuel. La meilleure compréhension du très grand est dans le très petit.

C’est seulement la destruction qui permet la conservation.

Le simple mouvement matériel nécessite la contradiction. La présence d’un objet ici nécessite de concevoir son absence.

Le capitalisme nie la marchandise pour accumuler l’argent. La circulation du capital est la destruction de la valeur-travail en même temps que sa réalisation. Le capital essaie sans cesse de réduire la part du travail pour augmenter celle du capital, mais ainsi il se détruit lui-même puisque son mécanisme est fondé sur la plus-value extraite du travail.

Comprendre la dialectique du monde, c’est d’abord combattre ses propres préjugés antiscientifiques, imposés par la classe dirigeante et la tradition, selon lesquels :

 le monde est ce que je vois être

 le monde est fait d’objets fixes

 le monde change lentement et de manière continue

 le monde obéit à des lois figées

 les contraires ne font que s’opposer

 ce qui est s’oppose à ce qui n’est pas

etc, etc...

Pourquoi il est mortel pour un révolutionnaire de ne pas raisonner dialectiquement ?

Les révolutionnaires sont les premiers intéressés par la philosophie dialectique, eux qui pensent que pour transformer le monde, il faut en comprendre les lois. Les lois ne veulent pas dire que le monde est immuable. Les lois ne veulent pas dire non plus que tout est prédictible. Dire que la société obéit à des lois (par exemple, celle de la lutte des classes ou encore celle de la loi de la valeur-travail, le moteur de l’Histoire étant la lutte pour la productivité du travail ) ne signifie pas que l’histoire suive une évolution linéaire vers le progrès (celle des forces productives par exemple), ni qu’elle aie un développement inéluctable dans lequel les individus ne joueraient aucun rôle, dans lequel les circonstances aléatoires ne permettraient pas d’entraîner des bifurcations de l’Histoire. Il s’agit au contraire de lois dans lesquelles de petits facteurs peuvent avoir de grands effets (voir « le rôle de l’individu dans l’Histoire » dont parlent Hegel et Marx) et d’un déterminisme qui ne permet pas la prédictibilité. Il s’agit de lois dynamiques où la conservation n’empêche pas le changement mais contraint au changement brutal et radical. Il y a des sauts dans la vie sociale comme dans la nature. Pour Hegel et Marx, le monde matériel et la vie sociale obéissent à des lois dialectiques. Leur caractère dynamique est le produit de contradictions internes. Il ne s’agit pas de contradictions logiques c’est-à-dire d’affirmations incompatibles, mais de contradictions dialectiques, c’est-à-dire de tendances contraires qui s’opposent sans s’annuler. Chaque élément nécessite son contraire et s’unit même avec son contraire, fondant ainsi une structure qui dépasse la contradiction (ainsi, les électricités positives et négatives s’associent ainsi en structures atomiques au lieu de s’annuler mutuellement, de même que les ondes et les particules, le « dépassement de ces contradictions » produisent les lois de l’électrodynamique). La formation de structure nouvelle fondée sur la contradiction ne la supprime pas mais la porte à une nouvelle échelle, en transforme la nature. L’histoire, celle de la nature comme celle de la société, n’a pas de point d’arrêt, ne mène pas à un équilibre stable. Il n’y a pas de fin de l’évolution, pas plus que de fin de l’Histoire. Cette manière dialectique d’interpréter la dynamique, mouvement et changement, s’oppose à la métaphysique qui considère les pôles opposés comme incompatibles et capables tout au plus de se détruire l’un l’autre. Pour la métaphysique, c’est l’un ou l’autre : la vie ou la mort, la maladie ou la santé, le bien ou le mal. En sciences, la démarche métaphysique a été compatible avec la phase de classement des formes réelles mais ensuite elle a laissé une conception figée qui est un frein à la compréhension des mouvements et des changements, dès lors que la science cherche le passage entre des formes séparées de la classification.

La démarche philosophique de Marx, contrairement à celle d’Hegel, est matérialiste, c’est-à-dire qu’elle étudie non seulement les idées mais également le monde réel dans son mouvement, sans supposer que la matière (et notamment la vie) ne serait qu’un sous-produit du monde des idées. Ce qui la distingue de l’ancien matérialisme, c’est que ce dernier étudiait la réalité de manière figée. La dialectique suppose une démarche différente :

 ne pas considérer les propriétés de l’objet séparément du mouvement et du changement de celui-ci,

 ne rien considérer comme immuable, ni un objet, ni une propriété, ni une structure

 ne pas séparer l’objet de son histoire ni de son environnement,

 ne pas craindre de trouver dans l’instabilité la source de la stabilité, dans le désordre à un niveau, la source de l’ordre à autre niveau,

 chercher dans le processus interne et contradictoire de l’objet, la source de son propre changement autant que de sa durabilité,
 chercher dans les contradictions la source de l’histoire,

 montrer comment celle-ci procède à la fois par transformations infinitésimales et par sauts à plus grande échelle,

 expliquer le saut brutal par le processus précédent, même s’il était apparemment stable et graduel,

 considérer que chaque phase n’est qu’une étape de l’histoire, que ce soit celle de la matière, celle de la société ou celle des idées,

 considérer ainsi que tout ordre est fait pour être supprimé et remplacé par un nouvel ordre

La dialectique, au sens du mode dynamique se fondant sur des contradictions internes à un système, se rencontre partout dans le processus du vivant : dialectique de la vie et de la mort (tout être vivant nécessite un processus interne de multiplication du vivant et un processus de destruction), de la conservation et du changement (processus de diversification des molécules produites et processus de destruction sélective), de la spécialisation et de la totipotence (capacité des cellules à donner plusieurs types de cellules spécialisées), propriétés locales et globales, fermeture et ouverture membranaires, activation et inhibition de l’action d’une molécule, d’un gène. Dans chaque cas, on a des propriétés apparemment antinomiques et, en fait, indispensables l’une à l’autre.

Penser la révolution, c’est raisonner sans cesse dialectiquement sur un monde que l’on nous présente comme figé.

Les contraires sont la dynamique universelle. Refuser de raisonner contradictoirement, c’est se préparer à tomber dans tous les pièges de l’adversaire de classe.

Le métaphysicien est un militant tout ce qu’il y a de courant dans le domaine du militant révolutionnaire, même s’il s’ignore...

Présenter les classes et les oppositions de classe, les Etats, les intérêts des classes, les critères de démocratie de classe, les critères de prises de position révolutionnaire comme des catégories figées est plus que courant.

Présenter les prises de position politiques comme découlant du "simple" bon sens, c’est encore tout ce qu’il y a de courant.

Opposer diamétralement les classes sociales et les objectifs qu’elles défendent est ce que l’on trouve le plus souvent chez les militants qui se veulent révolutionnaires.

Certes, il fait partie du B-A-BA de dire que la classe ouvrière s’oppose aux autres classes. Mais s’en tenir aux premières lettres du langage, ce n’est pas intervenir pour faire avancer le prolétariat dans la conscience de ses tâches historiques.

Dans un monde contradictoire, ces tâches sont loin de cette bonne vieille simplicité des oppositions diamétrales...

Donnons-en quelques exemples.

Dans bien des situations, le prolétariat doit prendre la tête de mouvements qui sont démocratiques bourgeois. Ainsi, dans la politique des révolutionnaires, on ne peut disjoindre question nationale des peuples opprimés et internationalisme prolétarien, question démocratiques et question sociale, lutte revendicative et lutte politique, grève offensive et grève défensive, point de vue de classe du prolétariat et nécessité d’une politique s’adressant aux autres classes, etc... Opposer diamétralement révolution ouvrière et revendications bourgeoises mène à l’échec, comme le montre la conception de la révolution permanente. Toute vision en noir et blanc du monde n’est pas une aide pour l’action, car elle efface tout caractère dynamique de l’histoire et remplace l’analyse par un jugement moral figé. Nier les oppositions est aussi nuisible que de les transformer en absolus. Par exemple, il est nécessaire de distinguer revendications démocratiques et revendications prolétariennes ou socialistes mais très dangereux de s’en tenir à leur opposition. Il est nécessaire de distinguer entre Etat bourgeois et Etat ouvrier mais, disait Lénine, il y a encore un Etat bourgeois dans tout Etat ouvrier. Séparer deux notions opposées par un abîme infranchissable, c’est les couper de la réalité, en faire des abstractions inutilisables et non une boussole. Les catégories figées ne suffisent pas à ceux qui veulent comprendre le monde réel pour le transformer : il leur faut des catégories dialectiques. En sciences, la conception dialectique s’oppose ainsi au réductionnisme (comme la sociobiologie qui réduit tout aux gènes et prétend fonder sur eux les inégalités sociales !), comme à l’élémentarisme (par exemple l’atomisme) qui considèrent que ce qui compte est la décomposition en éléments simples et la connaissance de leurs propriétés, les propriétés de l’ensemble étant la simple addition des propriétés des éléments. Bien souvent le réductionnisme a été la première étape de la science : réductionnisme de l’atome, de l’onde, de l’espèce, du gène. La dialectique considère, à l’opposé, que le tout n’est pas la somme des parties et que les différents niveaux ne doivent pas être ramenés à un seul, dit élémentaire. Au contraire, la réalité est perçue comme une interaction des différents niveaux, interaction qui est non-linéaire, chaque niveau n’étant pas assimilable à une simple addition d’éléments du niveau inférieur, mais étant une structure qui les intègre, produisant des propriétés nouvelles.

Si la philosophie actuellement dominante est la chose la plus étrangère au monde moderne fondé sur les sciences, ce n’est pas l’effet du hasard. S’il y a même un grand écart entre les idéologies et l’évolution des capacités scientifiques et techniques, c’est le reflet d’un grand écart, réel, entre les capacités de la société humaine et la réalité de la misère humaine. L’arriération idéologique n’est pas simplement le produit d’une volonté de la classe dirigeante d’empêcher le développement d’idées nouvelles. Elle est le produit de l’arriération sociale. L’idéologie d’une époque dépend bien sûr de son niveau scientifique et technologique, c’est-à-dire du niveau des forces productives, mais plus encore de l’organisation sociale, de l’état des rapports entre hommes, c’est-à-dire fondamentalement des rapports de production et de la structure sociale qui en découle. Si on peut s’étonner du grand écart entre l’homme envisageant de construire des plates-formes dans l’espace et l’homme s’inclinant devant les puissances mystiques du passé, cela est bien moins étonnant si on songe qu’en même temps qu’il s’incline devant les dieux l’homme continue à s’incliner devant l’argent, le pouvoir capitaliste et les rapports de production que ceux-ci imposent. Le fatalisme idéologique est en rapport direct avec le fatalisme social. Une idéologie sociale bloquée provient d’une société dont l’évolution est bloquée et qui nécessite, plus que jamais, une révolution sociale pour avancer. Pour comprendre le maintien des religions et des superstitions au 21ème siècle, la contradiction n’est pas spirituelle mais bien réelle. La science mise au service de l’oppression de l’homme ne peut suffire à secouer les toiles d’araignée qu’impose la mystification des bases des rapports humains.

En paraphrasant une déclaration fameuse de Marx, l’humanité ne résout que les problèmes qu’elle décide de se poser ! Mais pour cela, la classe opprimée a besoin d’ôter de sa tête les vieilleries fatalistes et métaphysiques, de penser avec sa propre tête, et dans l’action, les lois de la lutte des classes. C’est dans ce but qu’elle a absolument besoin de remplacer l’idéologie de passivité et d’ignorance par une philosophie révolutionnaire qui s’appuie sur les résultats des sciences de la nature et de la société.

On peut conclure avec Karl Marx : « La tête de cette émancipation (de l’humanité) est la philosophie. Son coeur le prolétariat. » (dans « Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel »). L’émancipation de l’humanité ne viendra pas seulement des idées (scientifiques et philosophiques) mais de l’action, c’est-à-dire de la lutte des opprimés et de la révolution sociale. En ce sens, c’est l’Histoire qui doit avoir le dernier mot et transformer les potentialités en réalité.

qu’est-ce que la dialectique

dialectique de Hegel

dialectique de la nature et de la société

la négation de la négation chez Engels

pourquoi Marx estimait la dialectique indispensable pour comprendre l’économie capitaliste ?

« La pensée véritablement révolutionnaire est impossible sans dialectique »
Léon Trotsky (dans « Bolchevisme et stalinisme »)

« L’éducation dialectique de la pensée est aussi nécessaire à une politique révolutionnaire que les gammes pour le pianiste, car elle nous contraint à aborder tous les problèmes en tant que processus et non en tant que catégories immuables. »

Léon Trotsky (dans « Défense du marxisme »)

Messages

  • Loin de parler spécialement du monde des idées à propos de cette dynamique dialectique, Hegel donne de multiples exemples dans tous les domaines, parlant du "vivant qui se livre à une continuelle négation du monde extérieur", ou encore de "la vie mouvante en soi de la matière morte", à propos des mouvements de marchandises dans la société capitaliste ! Et il rappelle dans tous ces cas que "toutes les choses sont contradictoires en soi" et que "la contradiction doit se retrouver dans toute expérience, dans toute la réalité, dans tout le concept.

  • « La pensée véritablement révolutionnaire est impossible sans dialectique » Léon Trotsky (dans « Bolchevisme et stalinisme »)

    « L’éducation dialectique de la pensée est aussi nécessaire à une politique révolutionnaire que les gammes pour le pianiste, car elle nous contraint à aborder tous les problèmes en tant que processus et non en tant que catégories immuables. »

    Certains groupes trotskystes ne s’embarrassent pas trop avec la dialectique dans la formation de leur militant. Ni de philo et sciences en général.

    Réfléchir, débattre, discuter ou suivre des prêtres, il faut choisir, mais certains staliniens choisissent pour tout le monde, au nom de la sauvegarde de la race.

  • La plupart des gens ignorent qu’ils philosophent d’une certaine manière et n’ont pas pris le temps de se demander d’où ils ont tiré leur philosophie et quels étaient les autres choix possibles. Et pourtant, ce choix philosophique est l’orientation de fond...

  • « Lorsqu’on rencontre, dans un objet ou dans une notion, la contradiction (et il n’y a pas d’objet où l’on ne puisse trouver une contradiction, c’est-à-dire deux déterminations opposées et nécessaires, un objet sans contradiction n’étant que pure abstraction de l’entendement qui maintient avec une sorte de violence l’une des deux déterminations et s’efforce d’éloigner et de dérober à la conscience la détermination opposée que contient la première), lorsqu’on rencontre, disons-nous, la contradiction, l’on a l’habitude de conclure qu’elle donne pour résultat le néant. (…) Ici, c’est le néant, mais le néant qui contient l’être, et réciproquement, c’est l’être, mais l’être qui contient le néant. »

    Le physicien-chimiste Ilya Prigogine dans "La fin des certitudes" :

  • La démarche philosophique de Marx, contrairement à celle d’Hegel, est matérialiste, c’est-à-dire qu’elle étudie non seulement les idées mais également le monde réel dans son mouvement, sans supposer que la matière (et notamment la vie) ne serait qu’un sous-produit du monde des idées. Ce qui la distingue de l’ancien matérialisme, c’est que ce dernier étudiait la réalité de manière figée. La dialectique suppose une démarche différente :

     ne pas considérer les propriétés de l’objet séparément du mouvement et du changement de celui-ci,

     ne rien considérer comme immuable, ni un objet, ni une propriété, ni une structure

     ne pas séparer l’objet de son histoire ni de son environnement,

     ne pas craindre de trouver dans l’instabilité la source de la stabilité, dans le désordre à un niveau, la source de l’ordre à autre niveau,

     chercher dans le processus interne et contradictoire de l’objet, la source de son propre changement autant que de sa durabilité,  chercher dans les contradictions la source de l’histoire,

     montrer comment celle-ci procède à la fois par transformations infinitésimales et par sauts à plus grande échelle,

     expliquer le saut brutal par le processus précédent, même s’il était apparemment stable et graduel,

     considérer que chaque phase n’est qu’une étape de l’histoire, que ce soit celle de la matière, celle de la société ou celle des idées,

     considérer ainsi que tout ordre est fait pour être supprimé et remplacé par un nouvel ordre

  • Conclusions

    La dialectique n’a rien d’un jeu gratuit.

    Le vivant porte en lui la matière inanimée. Il est sans cesse attiré par la mort de ses cellules. La loi de mort spontanée est la première loi du vivant. C’est elle qui structure les éléments de la vie. En même temps, le vivant est un combat incessant contre la mort.

    L’ordre est issu du désordre.

    Le réel est la négation de l’actuel et la double négation du virtuel.

    Pas de conscience sans inconscient.

    Pas de rationnel sans irrationnel.

    Le contingent est indispensable à l’établissement de la loi.

    La meilleure compréhension de la « chose » matière est qu’il n’y a pas de chose. La compréhension du vide est qu’il n’y pas de vide. La meilleure compréhension du réel est qu’il est le virtuel. La meilleure compréhension du très grand est dans le très petit.

    C’est seulement la destruction qui permet la conservation.

    Le simple mouvement matériel nécessite la contradiction. La présence d’un objet ici nécessite de concevoir son absence.

  • Une chose n’est donc vivante que pour autant qu’elle renferme une contradiction et possède la force de la saisir et de la soutenir. Mais, lorsqu’un existant est incapable, dans sa détermination positive, de passer à la détermination négative et de les conserver l’une dans l’autre, autrement dit lorsqu’il est incapable de supporter à l’intérieur de lui-même la contradiction, il n’est pas une unité vivante, ... mais s’effondre et succombe à la contradiction. (...) Il résulte de l’examen de la nature de la contradiction que lorsqu’on dit d’une chose qu’elle renferme une contradiction, on ne signifie pas par là qu’elle est endommagée, défectueuse ou fautive. Toute détermination, tout concret, tout concept constituent essentiellement une unité des moments différents et différenciables, qui deviennent contradictoires par la différence déterminée essentielle qui les sépare."

  • « La dialectique dite objective règne dans toute la nature, et la dialectique dite subjective, la pensée dialectique, ne fait que refléter le règne, dans la nature entière, du mouvement par opposition des contraires qui, par leur conflit constant et leur conversion finale l’un en l’autre ou en des formes supérieures, conditionnent précisément la vie de la nature. »

    Friedrich Engels, 1883

  • « La grande idée fondamentale, écrit Engels, selon laquelle le monde ne doit pas être considéré comme un complexe de choses achevées, mais comme un complexe de processus où les choses, en apparence stables, tout autant que leurs reflets intellectuels dans notre cerveau, les idées, passent par un changement ininterrompu de devenir et dépérissement - cette grande idée fondamentale a, notamment depuis Hegel, pénétré si profondément dans la conscience courante qu’elle ne trouve, sous cette forme générale, presque plus de contradiction. Mais la reconnaître en paroles et l’appliquer dans la réalité, en détail, à chaque domaine soumis à l’investigation, sont deux choses différentes. »

  • Friedrich Engels dans "Dialectique de la nature" :

    « Sur le plan de la théorie, la science de la nature s’est obstinée d’une part dans la pauvreté de la métaphysique selon Wolff qui veut que quelque chose soit ou bien nécessaire ou bien contingent, mais non les deux à la fois et d’autre part, dans le déterminisme mécaniste à la pensée à peine moins pauvre, qui supprime en bloc le hasard par une négation verbale pour le reconnaître en pratique dans chaque cas particulier. (...) En face de ces deux conceptions, Hegel apparaît avec des proportions absolument inouïes jusque-là : « Le contingent a un fond parce qu’il est contingent, et aussi bien il n’a pas de fond parce qu’il est contingent ; le contingent est nécessaire et la nécessité elle-même se détermine comme contingence, tandis que d’autre part, cette contingence est plutôt la nécessité absolue ». (Logique : L.II, Section III, ch. 1, La Réalité.) La science de la nature a tout simplement oublié ces principes en les prenant comme des jeux de paradoxes, comme un non-sens se contredisant lui-même. »

    « Ce qu’on affirme nécessaire, écrivait Engels, est composé de purs hasards et le prétendu hasard est la forme sous laquelle se cache la nécessité. La causalité linéaire est suffisante pour des phénomènes simples. Mais cette forme simpliste de détermination ne suffit lorsqu’on se trouve devant des systèmes complexes et sensibles. (...) Le hasard n’est pas la négation de la causalité et du déterminisme ; il est la négation dialectique de la nécessité, expression de la richesse des déterminations des systèmes physiques. » (dans « Physique et matérialisme »)

  • Friedrich Engels dans "Dialectique de la nature" :

    « Sur le plan de la théorie, la science de la nature s’est obstinée d’une part dans la pauvreté de la métaphysique selon Wolff qui veut que quelque chose soit ou bien nécessaire ou bien contingent, mais non les deux à la fois et d’autre part, dans le déterminisme mécaniste à la pensée à peine moins pauvre, qui supprime en bloc le hasard par une négation verbale pour le reconnaître en pratique dans chaque cas particulier

  • A côté et à la suite de la philosophie française du XIIIe siècle, la philosophie allemande moderne était née et avait trouvé son achèvement en Hegel. Son plus grand mérite fut de revenir à la dialectique comme à la forme suprême de la pensée. Les philosophes grecs de l’antiquité étaient tous dialecticiens par naissance, par excellence de nature, et l’esprit le plus encyclopédique d’entre eux, Aristote, a aussi déjà étudié les formes les plus essentielles de la pensée dialectique. La philosophie moderne, par contre, bien que la dialectique y eût aussi de brillants représentants (par exemple Descartes et Spinoza) s’était de plus en plus embourbée, surtout sous l’influence anglaise, dans le mode de pensée dit métaphysique, qui domine aussi presque sans exception les Français du XIIIe siècle, du moins dans leurs oeuvres spécialement philosophiques. En dehors de la philosophie proprement dite, ils étaient néanmoins en mesure de produire des chefsd’oeuvre de dialectique ; nous rappellerons seulement le Neveu de Rameau de Diderot et le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes de Rousseau. Indiquons ici, brièvement, l’essentiel des deux méthodes.

    Lorsque nous soumettons à l’examen de la pensée la nature ou l’histoire humaine ou notre propre activité mentale, ce qui s’offre d’abord à nous, c’est le tableau d’un enchevêtrement infini de relations et d’actions réciproques où rien ne reste ce qu’il était, là où il était et comme il était, mais où tout se meut, change, devient et périt. Nous voyons donc d’abord le tableau d’ensemble, dans lequel les détails s’effacent encore plus ou moins ; nous prêtons plus d’attention au mouvement, aux passages de l’un à l’autre, aux enchaînements qu’à ce qui se meut, passe et s’enchaîne. Cette manière primitive, naïve, mais correcte quant au fond, d’envisager le monde est celle des philosophes grecs de l’antiquité, et le premier à la formuler clairement fut Héraclite : Tout est et n’est pas car tout est fluent, tout est sans cesse en train de se transformer, de devenir et de périr. Mais cette manière de voir, si correctement qu’elle saisisse le caractère général du tableau que présente l’ensemble des phénomènes, ne suffit pourtant pas à expliquer les détails dont ce tableau d’ensemble se compose ; et tant que nous ne sommes pas capables de les expliquer, nous n’avons pas non plus une idée nette du tableau d’ensemble. Pour connaître ces détails, nous sommes obligés de les détacher de leur enchaînement naturel ou historique et de les étudier individuellement dans leurs qualités, leurs causes et leurs effets particuliers, etc.. C’est au premier chef la tâche des sciences de la nature et de la recherche historique, branches d’investigation qui, pour d’excellentes raisons, ne prenaient chez les Grecs de la période classique qu’une place subordonnée puisque les Grecs avaient auparavant à rassembler les matériaux. Il faut d’abord avoir réuni, jusqu’à un certain point, des données naturelles et historiques pour pouvoir passer au dépouillement critique, à la comparaison ou à la division en classes, ordres et genres. Les rudiments de l’étude exacte de la nature ne sont donc développés que par les Grecs de la période alexandrine, et plus tard, au moyen âge ? par les Arabes ; encore, une science effective de la nature ne se rencontre-t-elle que dans la deuxième moitié du XVe siècle, date depuis laquelle elle a progressé à une vitesse sans cesse croissante. La décomposition de la nature en ses parties singulières, la séparation de divers processus et objets naturels en classes déterminées, l’étude de la constitution interne des corps organiques dans la variété de leurs aspects anatomiques, telles étaient les conditions fondamentales des progrès gigantesques que les quatre derniers siècles nous ont apportés dans la connaissance de la nature. Mais cette méthode nous a également légué l’habitude d’appréhender les objets et les processus naturels dans leur isolement, en dehors de la grande connexion d’ensemble, par conséquent non dans leur mouvement, mais dans leur repos ; comme des éléments non essentiellement variables, mais fixes ; non dans leur vie, mais dans leur mort. Et quand, grâce à Bacon et à Locke, cette manière de voir passa des sciences de la nature à la philosophie, elle produisit l’étroitesse d’esprit spécifique des derniers siècles, le mode de pensée métaphysique.

    Pour le métaphysicien, les choses et leurs reflets dans la pensée, les concepts, sont des objets d’étude isolés, à considérer l’un après l’autre et l’un sans l’autre, fixes, rigides, donnés une fois pour toutes. Il ne pense que par antithèses sans moyen terme : il dit oui, oui, non, non ; ce qui va au delà ne vaut rien. Pour lui, ou bien une chose existe, ou bien elle n’existe pas ; une chose ne peut pas non plus être à la fois elle même et une autre. Le positif et le négatif s’excluent absolument ; la cause et l’effet s’opposent de façon tout aussi rigide. Si ce mode de penser nous paraît au premier abord tout à fait évident, c’est qu’il est celui de ce qu’on appelle le bon sens. Mais si respectable que soit ce compagnon tant qu’il reste cantonné dans le domaine prosaïque de ses quatre murs, le bon sens connaît des aventures tout à fait étonnantes dès qu’il se risque dans le vaste monde de la recherche ; et la manière de voir métaphysique, si justifiée et même si nécessaire soit elle dans de vastes domaines dont l’étendue varie selon la nature de l’objet, se heurte toujours, tôt ou tard, à une barrière au delà de laquelle elle devient étroite, bornée, abstraite, et se perd en contradictions insolubles : la raison en est que, devant les objets singuliers, elle oublie leur enchaînement ; devant leur être, leur devenir et leur périr : devant leur repos, leur mouvement ; les arbres l’empêchent de voir la forêt. Pour les besoins de tous les jours, nous savons, par exemple, et nous pouvons dire avec certitude, si un animal existe ou non ; mais une étude plus précise nous fait trouver que ce problème est parfois des plus embrouillés, et les juristes le savent très bien, qui se sont évertués en vain à découvrir la limite rationnelle à partir de laquelle tuer un enfant dans le sein de sa mère est un meurtre ; et il est tout aussi impossible de constater le moment de la mort, car la physiologie démontre que la mort n’est pas un événement unique et instantané, mais un processus de très longue durée. Pareillement, tout être organique est, à chaque instant, le même et non le même ; à chaque instant, il assimile des matières étrangères et en élimine d’autres, à chaque instant des cellules de son corps dépérissent et d’autres se forment ; au bout d’un temps plus ou moins long, la substance de ce corps s’est totalement renouvelée, elle a été remplacée par d’autres atomes de matière de sorte que tout être organisé est constamment le même et cependant un autre. A considérer les choses d’un peu près, nous trouvons encore que les deux pôles d’une contradiction, comme positif et négatif, sont tout aussi inséparables qu’opposés et qu’en dépit de toute leur valeur d’antithèse, ils se pénètrent mutuellement ; pareillement, que cause et effet sont des représentations qui ne valent comme telles qu’appliquées à un cas particulier, mais que, dès que nous considérons ce cas particulier dans sa connexion générale avec l’ensemble du monde, elles se fondent, elles se résolvent dans la vue de l’universelle action réciproque, où causes et effets permutent continuellement, où ce qui était effet maintenant ou ici, devient cause ailleurs ou ensuite et vice versa.

    Tous ces processus, toutes ces méthodes de pensée n’entrent pas dans le cadre de la pensée métaphysique. Pour la dialectique, par contre, qui appréhende les choses et leurs reflets conceptuels essentiellement dans leur connexion, leur enchaînement, leur mouvement, leur naissance et leur fin, les processus mentionnés plus haut sont autant de confirmations du comportement qui lui est propre. La nature est le banc d’essai de la dialectique et nous devons dire à l’honneur des sciences modernes de la nature qu’elle a fourni pour ce banc d’essai une moisson extrêmement riche de faits qui s’accroît tous les jours, en prouvant ainsi que dans la nature les choses se passent, en dernière analyse, dialectiquement et non métaphysiquement, que la nature ne se meut pas dans l’éternelle monotonie d’un cycle sans cesse répété, mais parcourt une histoire effective. Avant tout autre il faut citer ici Darwin, qui a porté le coup le plus puissant à la conception métaphysique de la nature en démontrant que toute la nature organique actuelle, les plantes, les animaux et, par conséquent, l’homme aussi, est le produit d’un processus d’évolution qui s’est poursuivi pendant des millions d’années. Mais comme jusqu’ici on peut compter les savants qui ont appris à penser dialectiquement, le conflit entre les résultats découverts et le mode de pensée traditionnel explique l’infinie confusion qui règne actuellement dans la théorie des sciences de la nature et qui met au désespoir maîtres et élèves, auteurs et lecteurs.

    Une représentation exacte de l’univers, de son évolution et de celle de l’humanité, ainsi que du reflet de cette évolution dans le cerveau des hommes, ne peut donc se faire que par voie dialectique, en tenant constamment compte des actions réciproques universelles du devenir et du finir, des changements progressifs et régressifs. Et c’est aussi dans ce sens que s’est immédiatement manifestée la philosophie allemande moderne. Kant a commencé sa carrière en résolvant le système solaire stable de Newton et sa durée éternelle une fois donné le fameux choc initial en un processus historique : la naissance du soleil et de toutes les planètes à partir d’une masse nébuleuse en rotation. Et il en tirait déjà cette conclusion qu’étant donné qu’il était né, le système solaire devait nécessairement mourir un jour. Cette vue, un demi siècle plus tard, a été confirmée mathématiquement par Laplace et, après encore un demi siècle, le spectroscope a démontré l’existence dans l’univers de semblables masses gazeuses incandescentes à différents degrés de condensation.

    Cette philosophie allemande moderne a trouvé sa conclusion dans le système de Hegel, dans lequel, pour la première fois et c’est son grand mérite le monde entier de la nature, de l’histoire et de l’esprit était représenté comme un processus, c’est à dire comme étant engagé dans un mouvement, un changement, une transformation et une évolution constants, et où l’on tentait de démontrer l’enchaînement interne de ce mouvement et de cette évolution. De ce point de vue, l’histoire de l’humanité n’apparaissait plus comme un enchevêtrement chaotique de violences absurdes, toutes également condamnables devant le tribunal de la raison philosophique arrivée à maturité et qu’il est préférable d’oublier aussi rapidement que possible, mais comme le processus évolutif de l’humanité lui même ; et la pensée avait maintenant pour tâche d’en suivre la lente marche progressive à travers tous ses détours et d’en démontrer la logique interne à travers toutes les contingences apparentes.

    Que le système de Hegel n’ait pas résolu le problème qu’il s’était posé importe peu ici. Son mérite, qui fait époque, était de l’avoir posé. Ce problème est précisément de ceux qu’aucun individu à lui seul ne pourra jamais résoudre. Bien que Hegel fût avec Saint-Simon la tête la plus encyclopédique de son temps, il était tout de même limité, d’abord par l’étendue nécessairement restreinte de ses propres connaissances, ensuite par l’étendue et la profondeur également restreintes des connaissances et des vues de son époque. Mais il faut tenir compte encore d’une troisième circonstance. Hegel était idéaliste, ce qui veut dire qu’au lieu de considérer les idées de son esprit comme les reflets plus ou moins abstraits des choses et des processus réels, il ne considérait à l’inverse les objets et leur développement que comme de simples copies réalisées de l’« Idée » existant de quelque manière dès avant le monde. De ce fait, tout était mis sur la tête et l’enchaînement réel du monde entièrement inversé. Et en conséquence, bien que Hegel eût appréhendé mainte relation particulière avec tant de justesse et de génie, les raisons indiquées rendaient inévitable que le détail aussi tournât souvent au ravaudage, à l’article, à la construction, bref, à la perversion du vrai. Le système de Hegel comme tel a été un colossal avortement bien que le dernier du genre. En effet, ne souffrait-il pas toujours d’une contradiction interne incurable ? D’une part, son postulat essentiel était la conception historique selon laquelle l’histoire de l’humanité est un processus évolutif qui, par nature, ne peut trouver sa conclusion intellectuelle dans la découverte d’une prétendue vérité absolue ; mais, d’autre part, il prétend être précisément la somme de cette vérité absolue. Un système de connaissance de la nature et de l’histoire embrassant tout et qui constitue une conclusion définitive est en contradiction avec les lois fondamentales de la pensée dialectique ; ce qui toutefois n’exclut nullement, mais implique, au contraire, que la connaissance systématique de l’ensemble du monde extérieur puisse progresser à pas de géant de génération en génération.

    Une fois démêlée la totale perversion caractéristique de l’idéalisme allemand du passé, il fallait forcément revenir au matérialisme, mais notons le non pas au matérialisme purement métaphysique, exclusivement mécanique du XIIIe siècle. En face de la condamnation pure et simple, naïvement révolutionnaire de toute l’histoire antérieure, le matérialisme moderne voit, dans l’histoire, le processus d’évolution de l’humanité, et sa tâche est de découvrir ses lois motrices. En face de la représentation de la nature qui régnait tant chez les Français du XIIIe siècle que chez Hegel encore, et qui en faisait un tout restant constamment semblable à lui même et se mouvant en cycles étroits, avec des corps célestes éternels, ainsi que l’avait enseigné Newton, et des espèces organiques immuables, ainsi que l’avait enseigné Linné, le matérialisme moderne synthétise, au contraire, les progrès modernes des sciences de la nature, d’après lesquels la nature, elle aussi, a son histoire dans le temps ; les corps célestes, comme les espèces vivantes susceptibles d’y vivre dans des circonstances favorables, naissent et périssent, et les cycles de révolution, dans la mesure où en général on peut encore les admettre, prennent des dimensions infiniment plus grandioses. Dans les deux cas, il est essentiellement dialectique et n’a que faire d’une philosophie placée au dessus des autres sciences. Dès lors que chaque science spéciale est invitée à se rendre un compte exact de la place qu’elle occupe dans l’enchaînement général des choses et de la connaissance des choses, toute science particulière de l’enchaînement général devient superflue. De toute l’ancienne philosophie, il ne reste plus alors à l’état indépendant, que la doctrine de la pensée et de ses lois, la logique formelle et la dialectique. Tout le reste se résout dans la science positive de la nature et de l’histoire.

    Mais tandis que le revirement dans la conception de la nature ne pouvait s’accomplir que dans la mesure où la recherche fournissait la quantité correspondante de connaissances positives, des faits historiques s’étaient déjà imposés beaucoup plus tôt, qui amenèrent un tournant décisif dans la conception de l’histoire. En 1831 avait eu lieu à Lyon la première insurrection ouvrière ; de 1838 à 1842, le premier mouvement ouvrier national, celui des chartistes anglais, atteignait son point culminant. La lutte de classe entre le prolétariat et la bourgeoisie passait au premier plan de l’histoire des pays les plus avancés d’Europe, proportionnellement au développement de la grande industrie d’une part, de la domination politique nouvellement conquise par la bourgeoisie d’autre part. Les enseignements de l’économie bourgeoise sur l’identité des intérêts du capital et du travail, sur l’harmonie universelle et la prospérité universelle résultant de la libre concurrence, étaient démentis de façon de plus en plus brutale par les faits. Il n’était plus possible de réfuter tous ces faits, pas plus que le socialisme français et anglais qui, malgré toutes ses imperfections, en était l’expression théorique. Mais l’ancienne conception idéaliste de l’histoire qui n’était pas encore détrônée, ne connaissait pas de luttes de classes reposant sur des intérêts matériels, ni même, en général, d’intérêts matériels ; la production et toutes les relations économiques n’y apparaissaient qu’à titre accessoire, comme éléments secondaires de l’« histoire de la civilisation ».

    Les faits nouveaux obligèrent à soumettre toute l’histoire du passé à un nouvel examen et il apparut que toute histoire passée, à l’exception des origines, était l’histoire de luttes de classes, que ces classes sociales en lutte l’une contre l’autre sont toujours des produits des rapports de production et d’échange, en un mot des rapports économiques de leur époque ; que, par conséquent, la structure économique de la société constitue chaque fois la base réelle qui permet, en dernière analyse, d’expliquer toute la superstructure des institutions juridiques et politiques, aussi bien que des idées religieuses, philosophiques et autres de chaque période historique. Hegel avait libéré de la métaphysique la conception de l’histoire, il l’avait rendue dialectique, mais sa conception de l’histoire était essentiellement idéaliste. Maintenant l’idéalisme était chassé de son dernier refuge, la conception de l’histoire ; une conception matérialiste de l’histoire était donnée et la voie était trouvée pour expliquer la conscience des hommes en partant de leur être, au lieu d’expliquer leur être en partant de leur conscience, comme on l’avait fait jusqu’alors.

    Friedrich Engels

  • « Montrant la nature comme « créant continuellement pour pouvoir détruire, et incapable de produire rien de durable » (Schopenhauer) — l’évolutionnisme saisit le vrai sens du monde avec lequel nous avons affaire, la relativité de sa valeur, son caractère purement phénoménal, étranger à tout absolu. Mais, ramenant les faits de la vie à la valeur de phénomènes d’un caractère relatif, nous devons aussi les considérer dans leur causalité, dans leur continuité et ressemblance essentielle, et exclure de tout novum absolutum, incompatible avec la causalité. Poursuivre l’évolution d’un certain phénomène, c’est ramener une série de phénomènes hétérogènes, différenciés, individuels, à l’élément qui leur est commun, à une certaine unité ; par exemple, on ne peut étudier l’évolution des vertébrés que si l’on ramène les différents types d’espèces à un caractère anatomique commun à eux tous, la corde dorsale. Les êtres absolument différents ne peuvent entrer dans une chaîne évolutive, de même qu’ils ne peuvent se nier mutuellement ; le son ne peut pas constituer le contraste de la lumière ; la thèse et l’anti-thèse conditionnent réciproquement leur caractère. La conception évolutionniste du monde en est donc en même temps la conception moniste. La dialectique, comme fidèle interprète de l’évolution objective, doit par conséquent reproduire ce même double procès : développer l’unité en hétérogénéité, et ramener l’hétérogénéité à l’unité. »

    Edward Abramowski

    Le Matérialisme historique et le principe du phénomène social

  • « Pour le métaphysicien, les choses et leurs reflets dans la pensée, les concepts, sont des objets d’étude isolés, à considérer l’un après l’autre et l’un sans l’autre, fixes, rigides, donnés une fois pour toutes. Il ne pense que par antithèses sans moyen terme : il dit oui, oui, non, non ; ce qui va au-delà ne vaut rien. Pour lui, ou bien une chose existe, ou bien elle n’existe pas ; une chose ne peut pas non plus être à la fois elle-même et une autre. Le positif et le négatif s’excluent absolument ; la cause et l’effet s’opposent de façon tout aussi rigide. Si ce mode de penser nous paraît au premier abord tout à fait plausible, c’est qu’il est celui de ce qu’on appelle le bon sens. Mais si respectable que soit ce compagnon tant qu’il reste cantonné dans le domaine prosaïque de ses quatre murs, le bon sens connaît des aventures tout à fait étonnantes dès qu’il se risque dans le vaste monde de la recherche, et la manière de voir métaphysique, si justifiée et si nécessaire soit-elle dans de vastes domaines dont l’étendue varie selon la nature de l’objet, se heurte toujours, tôt ou tard, à une barrière au-delà de laquelle elle devient étroite, bornée, abstraite, et se perd en contradictions insolubles : la raison en est que, devant les objets singuliers, elle oublie leur enchaînement ; devant leur être, leur devenir et leur périr ; devant leur repos, leur mouvement ; les arbres l’empêchent de voir la forêt. Pour les besoins de tous les jours, nous savons, par exemple, et nous pouvons dire avec certitude, si un animal existe ou non ; mais une étude plus précise nous fait trouver que ce problème est parfois des plus embrouillés, et les juristes le savent très bien, qui se sont évertués en vain à découvrir la limite rationnelle à partir de laquelle tuer un enfant dans le sein de sa mère est un meurtre ; et il est tout aussi impossible de constater le moment de la mort, car la physiologie démontre que la mort n’est pas un événement unique et instantané, mais un processus de très longue durée. Pareillement, tout être organique est, à chaque instant, le même et non le même ; à chaque instant, il assimile des matières étrangères et en élimine d’autres, à chaque instant des cellules de son corps dépérissent et d’autres se forment ; au bout d’un temps plus ou moins long, la substance de ce corps s’est totalement renouvelée, elle a été remplacée par d’autres atomes de matière, de sorte que tout être organisé est constamment le même et cependant un autre. A considérer les choses d’un peu près, nous trouvons encore que les deux pôles d’une contradiction, comme positif et négatif, sont tout aussi inséparables qu’opposés et qu’en dépit de toute leur valeur d’antithèse, ils se pénètrent mutuellement ; pareillement, que cause et effet sont des représentations qui ne valent comme telles qu’appliquées à un cas particulier, mais que, dès que nous considérons ce cas particulier dans sa connexion générale avec l’ensemble du monde, elles se fondent, elles se résolvent dans la vue de l’action réciproque universelle, où causes et effets permutent continuellement, où ce qui était effet maintenant ou ici, devient cause ailleurs ou ensuite, et vice versa. Tous ces processus, toutes ces méthodes de pensée n’entrent pas dans le cadre de la pensée métaphysique. Pour la dialectique, par contre, qui appréhende les choses et leurs reflets conceptuels essentiellement dans leur connexion, leur enchaînement, leur mouvement, leur naissance et leur fin, les processus mentionnés plus haut sont autant de vérifications du comportement qui lui est propre. La nature est le banc d’essai de la dialectique et nous devons dire à l’honneur de la science moderne de la nature qu’elle a fourni pour ce banc d’essai une riche moisson de faits qui s’accroît tous les jours, en prouvant ainsi que dans la nature les choses se passent, en dernière analyse, dialectiquement et non métaphysiquement, que la nature ne se meut pas dans l’éternelle monotonie d’un cycle sans cesse répété, mais parcourt une histoire effective. Avant tout autre, il faut citer ici Darwin, qui a porté le coup le plus puissant à la conception métaphysique de la nature en démontrant que toute la nature organique actuelle, les plantes, les animaux et, par conséquent, l’homme aussi, est le produit d’un processus d’évolution qui s’est poursuivi pendant des millions d’années. Mais comme jusqu’ici on peut compter les savants qui ont appris à penser dialectiquement, le conflit entre les résultats découverts et le mode de pensée traditionnel explique l’énorme confusion qui règne actuellement dans la théorie des sciences de la nature et qui met au désespoir maîtres et élèves, auteurs et lecteurs. Une représentation exacte de l’univers, de son évolution et de celle de l’humanité, ainsi que du reflet de cette évolution dans le cerveau des hommes, ne peut donc se faire que par voie dialectique, en tenant constamment compte des actions réciproques universelles du devenir et du finir, des changements progressifs et régressifs. »

    Engels, Anti-Dühring

  • « Essai sur le développement de la conception moniste de l’histoire » de G. Plékhanov :

    « Hegel qualifiait de métaphysique l’attitude des penseurs, tant idéalistes que matérialistes, qui, incapables de comprendre le devenir, bon gré mal gré se représentent et présentent les phénomènes comme figés, sans liens entre eux ni possibilité de passage de l’un à l’autre. A cette attitude, il opposait la dialectique qui les fait connaître dans leur devenir et, par suite, dans leur liaison réciproque. Pour Hegel, la dialectique est le principe de toute vie. Il se rencontre souvent des gens qui, après avoir énoncé quelque généralité, reconnaissent de bonne grâce qu’ils font peut-être erreur et que l’opinion diamétralement contraire serait peut-être vraie. Ce sont des gens bien élevés, tout pénétrés de « tolérance » : vis et laisse vivre les autres, disent-ils en leur for intérieur. La dialectique n’a rien de commun avec la tolérance sceptique des gens du monde, mais elle sait aussi concilier des généralités diamétralement contraires. L’homme est mortel, disons-nous, en considérant la mort comme quelque chose de complètement étranger à la nature de l’homme vivant, et qui tire sa source de circonstances extérieures. L’homme possède donc deux propriétés : d’abord celle de vivre, et ensuite, celle d’être sujet à la mort. Mais, si l’on y regarde de plus près, il s’avère que la vie elle-même porte en soi le germe de la mort, et que tout phénomène, en général, est contradictoire en ce sens qu’il développe à partir de soi-même les éléments qui, tôt ou tard, mettront un terme à son existence, le transformant en son contraire. Tout s’écoule, tout change ; il n’est point de force capable de retarder ce flux constant, d’arrêter ce mouvement perpétuel ; il n’est point de force capable de s’opposer à la dialectique des phénomènes. »

  • Socrate à Glaucon dans « La République » de Platon :

    « Seule la dialectique a cette puissance d’atteindre l’ultime réalité »

  • Une procédure très simple, qui s’accomplit en tous lieux et tous les jours, que tout enfant peut comprendre, dès qu’on élimine le fatras mystérieux sous lequel la vieille philosophie idéaliste la dissimulait et sous lequel des métaphysiciens incurables de la trempe de M. Dühring continuent à avoir intérêt à la cacher. Prenons un grain d’orge. Des milliards de grains d’orge semblables sont moulus, cuits et brassés, puis consommés. Mais si un grain d’orge de ce genre trouve les conditions qui lui sont normales, s’il tombe sur un terrain favorable, une transformation spécifique s’opère en lui sous l’influence de la chaleur et de l’humidité, il germe : le grain disparaît en tant que tel, il est nié, remplacé par la plante née de lui, négation du grain. Mais quelle est la carrière normale de cette plante ? Elle croît, fleurit, se féconde et produit en fin de compte de nouveaux grains d’orge, et aussitôt que ceux-ci sont mûrs, la tige dépérit, elle est niée pour sa part. Comme résultat de cette négation de la négation, nous avons derechef le grain d’orge du début, non pas simple, mais en nombre dix, vingt, trente fois plus grand. Les espèces de céréales changent avec une extrême lenteur et ainsi l’orge d’aujourd’hui reste sensiblement semblable à celle d’il y a cent ans. Mais prenons une plante d’ornement plastique, par exemple un dahlia ou une orchidée ; traitons la semence et la plante qui en naît avec l’art de l’horticulteur : nous obtiendrons comme résultat de cette négation de la négation non seulement davantage de semence, mais aussi une semence qualitativement meilleure, qui donne de plus belles fleurs, et toute répétition de ce processus, toute nouvelle négation de la négation renforce ce perfectionnement. - Ce processus s’accomplit, de même que pour les grains d’orge, pour la plupart des insectes, par exemple les papillons. Ils naissent de l’œuf par négation de l’œuf, accomplissent leurs métamorphoses jusqu’à la maturité sexuelle, s’accouplent et sont niés à leur tour, du fait qu’ils meurent, dès que le processus d’accouplement est achevé et que la femelle a pondu ses nombreux oeufs. Que chez d’autres plantes et d’autres animaux le processus ne se déroule pas avec cette simplicité, qu’ils ne produisent pas une seule fois, mais plusieurs fois, des semences, des oeufs ou des petits avant de dépérir, cela ne nous importe pas pour l’instant ; nous voulons seulement démontrer ici que la négation de la négation se présente réellement dans les deux règnes du monde organique. En outre, toute la géologie est une série de négations niées, une série de destructions successives de formations minérales anciennes et de sédimentations de formations nouvelles. Tout d’abord, la croûte terrestre primitive résultant du refroidissement de la masse fluide se morcelle sous l’action des océans, de la météorologie et de la chimie atmosphérique et ces masses concassées se déposent en couches sur le fond de la mer. Des soulèvements locaux du fond océanique au-dessus du niveau de la mer exposent de nouveau des parties de cette première stratification aux effets de la pluie, de la température changeante avec les saisons, de l’oxygène et de l’acide carbonique de l’atmosphère ; ces mêmes influences agissent sur les masses rocheuses d’abord en fusion, puis refroidies, qui, sorties de l’intérieur de la terre, ont traversé les couches successives. Ainsi, pendant des millions de siècles des couches nouvelles ne cessent de se former, d’être détruites pour la plus grande partie et de servir derechef à la formation de couches nouvelles. Mais le résultat est très positif : production d’un sol où se mêlent les éléments chimiques les plus différents dans un état de concassage mécanique qui permet la végétation la plus massive et la plus variée.

    Engels dans l’AntiDühring

  • Hegel : « La contradiction est la racine de tout mouvement et de toute manifestation vitale. »

  • « C’est l’un des préjugés fondamentaux de la logique jusqu’alors en vigueur et de la représentation habituelle que la contradiction ne serait pas une détermination aussi essentielle et immanente que l’identité ; pourtant, s’il était question d’ordre hiérarchique et que les deux déterminations étaient à maintenir fermement comme des déterminations séparées, la contradiction serait à prendre pour le plus profond et le plus essentiel, car, face à elle, l’identité est seulement la détermination de l’immédiat simple, de l’être mort, tandis que la contradiction est la racine de tout mouvement et de toute vitalité ; c’est seulement dans la mesure où quelque chose a dans soi-même une contradiction qu’il se meut, a une tendance et une activité. (...) Quelque chose est donc vivant seulement dans la mesure où il contient dans soi la contradiction. »

    Hegel dans "Science de la Logique"

  • « La représentation ordinaire contient donc partout la contradiction, mais n’en atteint pas la conscience ; elle demeure réflexion externe qui passe de l’égalité à l’inégalité, ou du rapport négatif à la réflexion de la différence en elle-même. Elle oppose de façon externe ces deux déterminations (...) mais ne possède pas le passage de l’une en l’autre qui est l’essentiel et soutient la contradiction. (...) La représentation ordinaire saisit la différence et la contradiction, mais pas la transition de l’un à l’autre, or c’est cela le plus important. (...) C’est seulement sur le sommet de la contradiction que les diversités deviennent mobiles les unes par rapport aux autres et vivantes, et acquièrent cette négativité qui est la pulsation interne du mouvement spontané et de la vie. »

    Friedrich Hegel dans "Doctrine de l’Essence"

  • « Le mécanisme de fonctionnement de l’esprit humain a besoin d’une dialectique : sans contradictions, il n’avance pas. »

    Le physicien Etienne Klein, dans « Conversations avec le sphinx »

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