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Les meilleurs écrits athées - Sixième partie – Plekhanov, Lénine, Trotsky

mercredi 6 septembre 2017, par Robert Paris

Les meilleurs écrits athées - Sixième partie – Plekhanov, Lénine,Trotsky

Plekhanov

L’avenir de la religion

Le matérialisme français du XVIII° siècle

Le matérialisme contemporain

Plekhanov, matérialiste

La pensée philosophique de Gheorgi Plekhanov

Plekhanov, lecteur de Spinoza

La conception moniste

Lénine

« Le marxiste doit être un matérialiste, c’est à dire un ennemi de la religion, mais un matérialiste dialectique, c’est à dire envisageant la lutte contre la religion, non pas de façon spéculative, (...) mais de façon concrète, sur le terrain de la lutte, de classe réellement en cours, qui éduque les masses plus que tout et mieux que tout. »

Prolétari n°45 (03.1908 - 08.1909)

« Croyez vous que ce soit par hasard que Lounatcharski en arrive à parler, dans un ouvrage collectif dirigé contre la philosophie du marxisme, de la « divinisation du potentiel humain supérieur », de l’« athéisme religieux » [7], etc. ? Si tel est votre avis, c’est uniquement parce que les disciples russes de Mach ont donné au public une information erronée sur toute la tendance de Mach en Europe et sur son attitude envers la religion. Cette attitude ne ressemble en rien à celle de Marx, d’Engels, de Dietzgen et même de Feuerbach ; elle lui est directement contraire, à commencer par la déclaration de Petzoldt : l’empiriocriticisme « n’est en contradiction ni avec le théisme ni avec l’athéisme » (Einfährung in die Philosophie der reinen Erfahrung, t. I, p. 351), ou par celle de Mach : « les opinions religieuses sont affaire privée » (traduction française, p. 434), pour finir par le fidéisme avoué, par la tendance réactionnaire avouée de Cornélius, qui loue Mach et est loué de Mach, de Carus et de tous les immanents. La neutralité du philosophe dans cette question, c’est déjà de la servilité à l’égard du fidéisme. Or, en raison des points de départ de leur gnoséologie, Mach et Avenarius ne s’élèvent ni ne peuvent s’élever au dessus de cette neutralité. Du moment que vous niez la réalité objective qui nous est donnée dans la sensation, vous perdez toute arme contre le fidéisme, car alors vous tombez dans l’agnosticisme ou le subjectivisme, et le fidéisme ne vous en demande pas davantage. Si le monde sensible est une réalité objective, la porte est fermée à toute autre « réalité » ou pseudo réalité (souvenez vous que Bazarov a cru au « réalisme » des immanents qui déclaraient Dieu « conception réaliste »). Si le monde est matière en mouvement, on peut et on doit l’étudier indéfiniment jusqu’aux moindres manifestations et ramifications infiniment complexes de ce mouvement, du mouvement de cette matière ; mais il ne peut rien y avoir en dehors de cette matière, en dehors du monde extérieur, « physique », familier à tous et à chacun. La haine du matérialisme et les calomnies accumulées contre les matérialistes sont à l’ordre du jour dans l’Europe civilisée et démocratique. Tout cela continue jusqu’à présent. Tout cela est dissimulé au public par les disciples russes de Mach qui n’ont pas tenté une seule fois de confronter tout bonnement les sorties de Mach, d’Avenarius, de Petzoldt et Cie contre le matérialisme, avec les affirmations favorables au matérialisme de Feuerbach, de Marx, d’Engels et de J. Dietzgen. Mais il ne servira à rien de « dissimuler » l’attitude de Mach et d’Avenarius à l’égard du fidéisme. Les faits parlent d’eux mêmes. Aucun effort n’arrachera ces professeurs réactionnaires du poteau d’infamie où les ont cloués les embrassements de Ward, des néo criticistes, de Schuppe, de Schubert Soldern, de Leclair, des pragmatistes, etc. L’influence des personnes que je viens de nommer en tant que philosophes et professeurs, la diffusion de leurs idées parmi le public « instruit », c’est à dire bourgeois, la littérature spéciale qu’ils ont créée, sont dix fois plus riches et plus larges que la petite école spéciale de Mach et d’Avenarius. Cette école sert ceux qu’elle doit servir. On se sert de cette école comme on doit s’en servir. Les faits honteux auxquels en est arrivé Lounatcharski ne sont pas une exception ; ils sont le fruit de l’empiriocriticisme et russe et allemand. On ne saurait les défendre en arguant des « bonnes intentions » de l’auteur, ni du « sens particulier » de ses paroles : s’il s’agissait de leur sens direct et coutumier, c’est à dire franchement fidéiste, nous ne nous donnerions pas la peine de polémiquer avec l’auteur, car il ne se trouverait sans doute pas un marxiste qui, à la suite de ces déclarations, n’ait pas mis sans réserve Anatoli Lounatcharski sur le même plan que Piotr Strouvé. S’il n’en est pas ainsi (et il n’en est pas encore ainsi), c’est uniquement parce que nous voyons dans les paroles du premier un sens « particulier » que nous combattons tant qu’il nous reste un terrain pour le combattre en camarades. La honte des affirmations de Lounatcharski, c’est justement qu’il a pu les rattacher à ses « bonnes » intentions. La nocivité de sa « théorie », c’est justement qu’elle admet de tels moyens ou de telles conclusions pour réaliser de bonnes intentions. Le malheur est justement que les « bonnes » intentions demeurent tout au plus l’affaire subjective de Pierre, Jean ou Paul, tandis que la portée sociale de semblables affirmations est certaine, indiscutable, et ne saurait être infirmée par aucune restriction ou explication. Seuls les aveugles ne voient pas la parenté idéologique entre la « divinisation du potentiel humain supérieur » de Lounatcharski et la « substitution universelle » du psychique à toute la nature physique de Bogdanov. La pensée est la même, mais, dans un cas, elle est exprimée principalement au point de vue de l’esthétique et, dans l’autre, au point de vue de la gnoséologie. La « substitution », qui aborde la question tacitement et d’un autre côté, divinise déjà le « potentiel humain supérieur » en détachant le « psychique » de l’homme et en substituant le « psychique en général », immensément élargi, abstrait et divinement mort, à toute la nature physique. Et le « logos » de Iouchkévitch introduit « dans le torrent irrationnel du donné » ? Mettez un doigt dans l’engrenage, la main y passe. Or, nos disciples de Mach sont tous pris dans l’engrenage de l’idéalisme, c’est à dire dans un fidéisme atténué, affiné, enlisés depuis qu’ils ont commencé à considérer la « sensation » comme un « élément » particulier, et non comme une image du monde extérieur. A ne point reconnaître la théorie matérialiste d’après laquelle la conscience humaine reflète le monde extérieur objectivement réel, on glisse nécessairement à la sensation et au psychique désincarnés, à la volonté et à l’esprit désincarnés. »

Matérialisme et Empiriocriticisme

De l’attitude du parti ouvrier à l’égard de la religion

La portée du matérialisme militant

Socialisme et religion

L’attitude de la doctrine de Mach envers la religion

Lénine et la religion

Lénine : LES CLASSES ET LES PARTIS,
ET LEUR ATTITUDE VIS-A-VIS DE LA
RELIGION
ET DE L’EGLISE

Les débats soulevés à la Douma d’Etat autour du budget du Synode, puis au sujet de la réhabilitation
dans leurs droits des personnes ayant quitté l’habit ecclésiastique et, enfin, à propos des communautés
de vieux-croyants, ont fourni des matériaux extrêmement édifiants pour caractériser les partis
politiques russes au point de vue de leur attitude à l’égard de la religion et de l’Eglise. Jetons un coup
d’œil d’ensemble sur cette documentation en nous arrêtant principalement sur les débats relatifs au
budget du Synode (nous n’avons pas encore reçu les comptes rendus sténographiques des délibérations
sur les autres questions).

La première conclusion qui s’impose tout particulièrement, quand on examine
les débats à la Douma, c’est que le cléricalisme militant non seulement existe en Russie, mais se
renforce manifestement et s’organise de plus en plus. Le 16 avril l’évêque Mitrophane a déclaré : « Dès
les premiers pas de notre activité à la Douma, nous visions précisément à ce que, grandement honorés
par la confiance du
peuple, nous puissions nous placer ici, à la Douma, au-dessus des divisions de parti
et former un groupe du clergé qui éclairerait toutes les questions de son point de vue éthique... Pour
quelle raison nous n’en sommes pas venus à cette situation idéale ?... La faute en est à ceux qui
partagent avec vous » (c’est-à-dire avec les cadets et les « gauches ») « ces bancs, précisément, les
députés du clergé appartenant à l’opposition. Ils ont été les premiers à élever la voix et ont déclaré que
ce n’était rien d’autre que la naissance d’un parti clérical, et que ceci était indésirable au suprême degré.
Certes, on ne saurait parler du cléricalisme de l’Eglise orthodoxe russe, car jamais il n’y a eu chez nous
de tendances de ce genre ; désirant former un groupe distinct, nous ne poursuivions que des buts
purement moraux, éthiques. Or, maintenant, messieurs, que ce désaccord semé par les députés de
gauche dans notre milieu fraternel, a entraîné la division et le morcellement, c’est vous » (c’est-à-dire
les cadets) « 
qui nous en accusez ».

Dans son discours ignare, l’évêque Mitrophane a vendu la mèche : les gauches, voyez-vous, sont
coupables d’avoir détourné une partie des curés de la Douma de la formation d’un groupe particulier « 
moral » (ce mot, évidemment, est plus commode pour tromper le peuple que le mot « clérical ») !
Environ un mois plus tard, le 13 mai, l’évêque Eulogius a donné lecture à la Douma d’une « décision
du clergé de la Douma » : « La majorité écrasante du clergé orthodoxe de la Douma estime »... qu’au
nom « de la position prédominante et du droit de préséance de l’Eglise orthodoxe », sont inadmissibles
la liberté du prêche pour la secte des vieux-croyants, l’ouverture sans autorisation officielle de
communautés de vieux-croyants, l’attribution aux ecclésiastiques vieux-croyants du titre de serviteurs
du culte. Le « point de vue purement moral » des curés russes s’est entièrement révélé comme le plus
pur cléricalisme. La « majorité écrasante » du clergé de la Douma, au nom de laquelle l’évêque
Eulogius a parlé, était composée, probablement, par les 29 prêtres de la droite et de la droite modérée
de la troisième Douma, et peut-être aussi les 8 prêtres octobristes.

Se sont ralliés à l’opposition,
probablement, les 4 prêtres du groupe des progressistes
et des rénovateurs pacifiques
et un prêtre
du groupe polono-lituanien.
Quel est donc le « point de vue purement moral, éthique
de la majorité
écrasante du clergé de la Douma » (du 3 juin
, hâtons-nous d’ajouter) ?
Voici quelques passages empruntés aux
discours : « Je dis simplement que l’initiative de ces
transformations » (c’est-à-dire de l’Eglise) « doit partir du sein de l’Eglise et non pas du dehors, non
pas du côté de l’Etat et pas, évidemment, du côté de la commission du budget. Car l’Eglise est
une
institution divine et éternelle, ses lois sont immuables ; or les idéals de la vie publique subissent,
comme on sait, des changements constants » (
évêque
Eulogius, 14 avril). L’orateur rappelle « le
troublant parallèle historique » : la sécularisation
des biens de l’Eglise sous Catherine II. « Qui peut
affirmer que la commission du budget qui a exprimé cette année le désir de les soumettre » (les fonds
de l’Eglise) « au contrôle de l’Etat, n’exprimera pas, l’année prochaine, le désir de les faire passer
au
trésor de l’Etat pour, ensuite, en retirer la gestion à l’Eglise et la remettre au pouvoir civil ou à l’Etat ?...
Les règlements de l’Eglise portent que, si des âmes chrétiennes sont confiées à l’évêque, à plus forte
raison doivent lui être confiés les
biens de l’Eglise
... Aujourd’hui apparaît devant vous » (députés de la
Douma) votre mère spirituelle, la sainte Eglise orthodoxe, non seulement comme devant les
représentants du peuple, mais aussi comme devant ses enfants spirituels »
(ibid.).

Nous sommes
en présence d’un cléricalisme pur. L’Eglise est au-dessus de l’Etat, comme l’éternel et le
divin est au-dessus du temporaire, du terrestre. L’Eglise ne pardonne pas à l’Etat la sécularisation de
ses biens-fonds. Elle exige une position prédominante et un
droit de préséance. Pour elle, les députés
de la Douma ne sont pas seulement ou, plus exactement, ne sont pas tant des représentants du peuple
que ses « enfants spirituels ».
Ce ne sont pas des fonctionnaires en soutane, comme l’a dit le s.-d. Sourkov, mais des
féodaux
en
soutane. La défense des privilèges féodaux de l’Eglise, la défense déclarée de la féodalité médiévale,
voilà ce qu’est, en substance, la politique de la majorité du clergé de la troisième
Douma. L’évêque
Eulogius n’est pas du tout une exception. Guénetski glapit également contre la « sécularisation », qu’il
qualifie d’« offense » inqualifiable (14 avril). Le curé Machkévitch fulmine contre le rapport
octobriste
pour sa tendance à « ruiner les bases historiques et canoniques sur lesquelles s’appuie et doit s’appuyer
notre vie ecclésiastique », à « déplacer la vie et l’activité de l’Eglise orthodoxe russe de la voie
canonique dans la voie, où... les véritables princes de l’Eglise — les évêques — devront abandonner
presque tous leurs droits, hérités des apôtres, aux princes séculiers »... « Ce n’est rien d’autre qu’une ...
atteinte à la propriété d’autrui et aux droits de l’Eglise et à ses biens »... « Le rapporteur nous mène à la
destruction du régime canonique de la vie de l’Eglise ; il vise à
soumettre l’Eglise orthodoxe, avec
toutes ses fonctions économiques, à la Douma d’Etat, à une institution composée des éléments les plus
divers et de religions tolérables et intolérables dans notre Etat » (14 avril).

Les populistes et les libéraux russes
se sont longtemps bercés, ou, plus exactement, leurrés de la « 
théorie » prétendant qu’en Russie le terrain n’est pas favorable au cléricalisme militant, à la lutte des « 
princes de l’Eglise » contre le pouvoir séculier, etc. Cette illusion, comme les autres illusions
populistes et libérales, notre révolution l’a dissipée. Le cléricalisme existait sous une forme cachée,
aussi longtemps que l’autocratie restait intacte et indemne. Les pleins pouvoirs conférés à la police et à
la bureaucratie dissimulaient au
x yeux de la « société » et du peuple la lutte de classe en général, la
lutte des « féodaux en soutane » contre la « vile canaille », en particulier. Or la première brèche
pratiquée par le prolétariat révolutionnaire et la paysannerie dans l’autocratie féodale, a rendu
manifeste ce qui était camouflé. Dès que le prolétariat et les éléments d’avant-garde de la démocratie
bourgeoise ont commencé à user de la liberté politique, de la liberté d’organisation des masses, après
l’avoir conquise à la fin de 1905, les classes réactionnaires se sont, à leur tour, orientées vers une
organisation indépendante et non dissimulée. Elles ne s’organisaient ni ne s’affirmaient de façon
particulièrement manifeste, sous l’absolutisme absolu, non point parce qu’elles étaient faibles, mais
parce qu’elles étaient fortes, non point parce qu’elles étaient incapables de s’organiser et de mener la
lutte politique, mais parce qu’à l’époque elles ne voyaient pas encore la nécessité impérieuse d’une
organisation de classe indépendante. El
les ne croyaient pas à la possibilité d’un mouvement de masse
contre l’autocratie et les féodaux en Russie. Elles étaient sûres que pour contenir la canaille un knout
suffit. Les premières blessures faites à l’autocratie ont contraint les éléments sociaux
qui la soutenaient
et en avaient besoin, de se montrer au grand jour. Il n’est plus possible de lutter
seulement
à l’aide de
vieux knout contre des masses qui ont été capables de l’action du 9 janvier, du mouvement gréviste
de 1905 et de la révolution d’
octobre-décembre. Il faut se placer sur le terrain d’organisations
politiques indépendantes ; il faut que le Conseil de la noblesse unifiée
organise les Cent-Noirs et
déploie la démagogie la plus effrénée ; il faut que les « princes de l’Eglise — les évêques » fassent du
clergé réactionnaire une force indépendante.
La troisième Douma et la période de contre-révolution
russe qui s’y rattache sont précisément caractérisées par le fait que cette organisation des forces
réactionnaires est apparue à la surface
, qu’elle a commencé à se développer à l’échelle nationale et
qu’elle a réclamé un « parlement » bourgeois ultra-réactionnaire tout spécial. Le cléricalisme militant
s’est montré au grand jour, et la social-démocratie russe sera désormais plus d’une fois le témoin et le
participant des conflits entre la bourgeoisie cléricale et la bourgeoisie anticléricale. Si notre tâche
commune consiste à aider le prolétariat à former une classe particulière, susceptible de se séparer de la
démocratie bourgeoise, une partie de cette tâche consiste à utiliser tous les moyens de propagande et
d’agitation,
y compris la tribune de la Douma, pour expliquer aux masses ce qui distingue
l’anticléricalisme socialiste de l’anticléricalisme bourgeois.
Les octobristes et les cadets, qui se sont
élevés dans la IIIe
Douma contre l’extrême-droite, contre les cléricaux et le gouvernement, nous ont
extrêmement facilité cette tâche, en montrant pratiquement l’attitude de la bourgeoisie vis-à-vis de
l’Eglise et de la religion.

La presse légale des cadets et de ce qu’on appelle les progressistes accorde en ce moment une attention
particulière à la question des vieux-croyants, au fait que les octobristes se sont prononcés ensemble
avec les cadets contre le gouvernement, et qu’ils se sont, tout
au moins pour les petites choses, « 
engagés dans la voie des réformes » promises le 17 octobre. Ce qui nous intéresse bien plus, c’est le
côté principe de la question, c’est-à-dire l’attitude de la bourgeoisie en général, jusques et y compris les
cadets pré
tendant au titre de démocrates, vis-à-vis de la religion et de l’Eglise. Nous ne devons pas
permettre qu’une question relativement particulière — celle du conflit de la secte des vieux-croyants
avec l’Eglise dominante, de la conduite des octobristes liés aux vieux-croyants et, partiellement,
dépendants de ces derniers, même directement sur le plan financier (le
Golos Moskvy
est édité,
comme on le dit, avec les fonds des vieux-croyants) — masque la question fondamentale des intérêts
et de la politique de la bourgeoisie, en tant que classe.
Jetez un coup d’œ
il sur le discours du comte Ouvarov, octobriste par tendance, qui a quitté cette
fraction. Prenant la parole après le s.-d. Sourkov, il renonce aussitôt à situer la question sur le terrain
de principe où
l’a placée le député ouvrier. Ouvarov n’attaque le Synode et son premier procureur que
parce qu’ils refusent de fournir à la Douma des renseignements sur certains revenus de l’Eglise et sur
l’emploi des fonds paroissiaux. La question est posée de même par
le représentant officiel des
octobristes Kamenski (16 avril), qui exige le rétablissement de la paroisse « dans l’intérêt de la
consolidation de la foi orthodoxe ». Cette
idée est développée par l’« octobriste de gauche »
Kapoustine : « Si nous considérons
la vie populaire, s’exclame-t-il, la vie de la population rurale, nous
voyons, aujourd’hui, une chose navrante : la vie religieuse chancelle, on voit fléchir le plus grand,
l’unique fondement de l’ordre moral de la population.
.. Par quoi remplacer la notion du péché, par quoi
remplacer l’appel de la conscience ? Car cela ne saurait être remplacé par l’idée de la lutte de classe et
des droits de telle ou telle classe. C’est là une triste idée, devenue chez nous d’un usage courant. Eh
bien, afin que la religion, comme base de la moralité, continue d’exister, soit accessible à toute la
population, il faut que les porte-parole de cette religion jouissent de l’autorité nécessaire »...
Le représentant de la bourgeoisie contre-révolutionnaire veut consolider la religion, il veut consolider
l’influence que celle-ci exerce sur les masses, parce que sentant l’insuffisance, la caducité et même le
tort causé aux classes régnantes par les « fonctionnaires en soutane » qui
diminuent
l’autorité de
l’Eglise. L’octobriste combat les excès du cléricalisme et de la tutelle policière,
pour renforcer
l’influence de la religion sur les masses, pour remplacer, ne serait-ce que certains procédés
d’abrutissement du peuple, trop grossiers, trop périmés, trop désuets et n’atteignant pas le but, par des
procédés plus raffinés, plus perfectionnés. La religion policière ne suffit plus pour abrutir les masses ;
il nous faut maintenant une religion plus cultivée, rénovée, plus adroite, capable d’agir dans une
paroisse se dirigeant elle-même,
voilà ce que le capital exige de l’autocratie.
Et le cadet Karaoulov partage
entièrement
ce point de vue. Ce renégat « libéral » (qui a évolué de la « 
Narodnaïa Volia »
aux cadets de droite) clame contre la « dénationalisation de l’Eglise, entendant par
là chasser les masses populaires, les séculiers, de l’œuvre religieuse ». Il trouve « 
horrible
 » (textuel !)
que les masses « perdent la foi ». Il affirme à grands cris, tout à fait à la manière de Menchikov, que
la « grande valeur intrinsèque de l’Eglise se
dévalorise... au grand préjudice non seulement de la cause
confessionnelle, mais aussi de la cause de l’Etat ». Il qualifie de « paroles d’or » l’hypocrisie
répugnante du fanatique Eulogius disant que « la tâche de l’Eglise est éternelle, immuable et
que, par
conséquent, il est impossible de lier l’Eglise à la politique ». Il proteste contre l’union de l’Eglise avec
les Cent-Noirs, à
seule fin
que celle-ci s’acquitte « avec une force et une gloire encore plus grandes
qu’aujourd’hui, de sa grande et sainte mission dans l’esprit du Christ — sa mission d’amour et de
liberté. »

Le camarade Biélooussov a très bien fait de railler du haut de la tribune de la Douma ces « paroles
lyriques » de Karaoulov. Mais cette raillerie est encore loin, bien loin de suffire. Il fallait expliquer, et
il faudra expliquer du haut de la tribune de la Douma, à la première occasion, que le point de vue des
cadets est absolument identique à celui des octobristes et qu’il n’exprime rien d’autre que la tendance
du capital « civilisé » à organiser l’abrutissement du peuple au moyen de l’opium religieux, par des
procédés de tromperie ecclésiastique plus subtiles que ceux que pratiquait le « petit père » russe de
jadis.

Pour maintenir le peuple dans l’esclavage spirituel, il faut une
alliance des plus étroites entre l’Eglise et
les Cent-Noirs, disait par la bouche de Pourichkévitch
le sauvage propriétaire foncier et le vieil
argousin. Vous faites erreur, MM., leur réplique par la bouche de Karaoulov le bourgeois contre-révolutionnaire : par ces moyens, vous ne ferez que repousser définitivement le peuple de la religion.
Agissons donc avec plus d’intelligence, plus d’adresse et plus d’habileté, écartons le Cent-Noir trop
bête et trop grossier, déclarons la guerre à la « dénationalisation de l’Eglise », inscrivons sur un
drapeau les « paroles d’or » de l’évêque Eulogius, disant que l’Eglise est au-dessus de la politique. Ce
n’est qu’en agissant ainsi que nous saurons berner au moins une partie des ouvriers attardés et,
notamment, les petits bourgeois et les paysans, nous aiderons l’Eglise rénovée à s’acquitter de sa « 
grande et sainte mission », qui
consiste à maintenir dans la servitude spirituelle les masses populaires.
Notre presse libérale, jusqu’au journal la
Retch,
a fortement blâmé
ces derniers temps Strouvé et Cie,
auteurs du recueil
Vékhi.
Mais l’orateur officiel du parti cadet à la Douma d’Etat, Karaoulov, a
remarquablement dénoncé toute l’hypocrisie infâme de ces reproches et de ces désaveux. Ce à quoi
Karaoulov et Milioukov pensent, Strouvé le dit. Les libéraux
ne
blâment Strouvé
que
pour avoir
imprudemment lâché la vérité, pour avoir trop découvert le jeu. Les libéraux qui blâment
Vékhi
et
continuent de soutenir le parti cadet, trompent le
peuple de la façon le plus éhontée, en
condamnant
une
parole
imprudemment franche et continuent
d’accomplir
justement
l’acte
qui y correspond.
De la conduite des troudoviks
pendant les débats à la Douma, on ne peut dire que peu de choses.
Comme toujours, une différence marquante s’est révélée entre les troudoviks - paysans et les
troudoviks -
intellectuels, au désavantage de ces derniers, vu leur plus grand empressement à suivre les
cadets. Le paysan Rojkov, il est vrai, a montré par son discours toute son inconscience politique : il a,
lui aussi, repris la platitude des cadets prétendant que l’Union du peuple russe contribue non pas à
renforcer, mais à détruire la foi ; il n’a su exposer aucun programme. Par contre, lorsqu’il s’est mis à
raconter sans malice la vérité pure et sans fard sur les prestations imposées par le clergé, sur les
exactions des curés qui réclament, pour un mariage, en plus de l’argent « une bouteille de vodka, des
hors-d’œuvre et une livre de thé,
et qui parfois demandent des choses qui ne sont pas à dire du haut de
la tribune »
(16 avril, page 2 259 du compte rendu sténographique), la Douma réactionnaire n’y tint
plus ; des clameurs sauvages s’élevèrent sur les bancs de droite. « C’est se moquer du monde ! C’est
scandaleux ! hurlaient les Cent-Noirs, sentant que ce simple discours de moujik sur les prestations et la
« taxe » pour les cérémonies religieuses, révolutionne les masses plus que toutes les déclarations
théoriques ou
tactiques antireligieuses et anticléricales. Alors ce ramassis d’aurochs
qui défendent
l’autocratie à la IIIe
Douma foncèrent sur leur laquais, le président Mayendorf, et l’obligèrent à retirer
la parole à Rojkov (les social-démocrates, auxquels s’étaient ralliés quelques troudoviks, cadets, etc.,
déposèrent une protestation contre ce geste du président).
Le discours du troudovik-paysan Rojkov, en dépit de son caractère extrêmement rudimentaire, a fort
bien montré tout l’abîme qui existe entre la défense hypocrite, calculée et réactionnaire de la religion
par les cadets et la religiosité primitive, inconsciente, routinière du moujik, chez qui les conditions de
vie font naître, contre son gré et à son insu, une colère véritablement révolutionnaire contre les
prestations, et la volonté à lutter résolument contre la féodalité. Les cadets sont les représentants de la
bourgeoisie contre-révolutionnaire, qui veut rénover et affermir la religion contre le peuple. Les
Rojkov sont les représentants de la démocratie bourgeoise révolutionnaire, inculte, inconsciente,
accablée, assujettie, morcelée, mais recelant des
réserves, qui sont loin, bien loin d’être épuisées,
d’énergie révolutionnaire dans la lutte contre les propriétaires fonciers, les curés et l’autocratie.

Le troudovik-intellectuel Rozanov s’est rapproché des cadets bien moins inconsciemment que ne l’a
fait Rojkov. Rozanov a su parler de la séparation de l’Eglise d’avec l’Etat, comme d’une revendication
des « gauches », mais il n’a pu s’empêcher de lancer des phrases réactionnaires et petites-bourgeoises sur la « modification de la loi électorale de façon que le clergé soit écarté de la participation à la lutte
politique ». L’esprit révolutionnaire qui se manifeste spontanément chez le paysan moyen typique,
quand il se prend à dire la vérité sur son train de vie, disparaît chez le troudovik-intellectuel pour
faire
place à une phrase nébuleuse et parfois tout simplement infâme. Pour la centième, pour la millième
fois, nous voyons se confirmer cette vérité que ce n’est qu’en suivant le prolétariat que les masses
paysannes russes seront capables de renverser le
joug
qui les étouffe et les tue des féodaux terriens,
des féodaux en soutane, des féodaux « absolutistes ».

Le représentant du parti ouvrier et de la classe ouvrière, le s.-d. Sourkov, seul dans toute la Douma, a
élevé les débats au niveau d’une véritable
question de principe ; il a montré sans détours l’attitude du
prolétariat vis-à-vis de l’Eglise et de la religion, l’attitude que doit observer à leur égard une démocratie
conséquente et viable. « La religion est l’opium du peuple »... « Pas un liard des deniers publics à ces
ennemis mortels du peuple, qui obscurcissent la conscience populaire », ce cri de guerre franc,
intrépide, ouvertement lancé, du socialiste a retenti comme un défi à la Douma ultra-réactionnaire et
s’est répercuté dans le cœur de millions de prolétaires, qui le répandent parmi les masses, et qui
sauront, le moment venu, le transformer en action révolutionnaire.
Le « Social-Démocrate » n°6,
4 (17) juin 1909
Conforme au texte des
Œuvres
de Lénine, tome 15, pp. 382-390 (4e
éd. russe)

Trotsky

« Nous appelons notre dialectique matérialiste, parce que ses racines ne sont ni dans les cieux (ni dans les profondeurs de notre "libre esprit"), mais dans la réalité-objective, dans la nature. La conscience est née de l’inconscient, la psychologie de la physiologie, le monde organique de l’inorganique, le système solaire de la nébuleuse. A tous les degrés de cette échelle du développement, les changements quantitatifs sont devenus qualitatifs. Notre pensée, y compris dialectique, n’est qu’une des manifestations de la matière changeante. Il n’y a place, dans cette mécanique ni pour Dieu, ni pour le diable, ni pour l’âme immortelle, ni pour les normes éternelles du droit et de la morale. La dialectique de la pensée, procédant de la dialectique de la nature, a par conséquence un caractère entièrement matérialiste. »

Trotsky, dans « L’opposition petite-bourgeoise dans le SWP »

"L’abolition complète de la religion ne sera atteinte que dans une structure socialiste complètement développée, c’est à dire, lorsqu’il y aura une technique qui libérera l’homme de toute dépendance dégradante envers la nature. Cela n’est possible que dans le cadre de rapports sociaux déniés de tout mystère, parfaitement lucides et n’oppressant pas l’humanité. La religion traduit le chaos de la nature et le chaos des rapports sociaux dans le langage d’images fantastiques. Seule l’abolition du chaos terrestre peut supprimer à jamais son reflet religieux."

Léon Trotsky

"Il est de nos jours parfaitement évident et incontestable que nous ne pouvons pas mener notre propagande anti-religieuse par la voie d’un combat direct contre Dieu. Cela ne saurait nous satisfaire. Nous remplaçons le mysticisme par le matérialisme, en donnant la plus grande importance à l’expérience collective des masses, en renforçant leur influence active sur la société, en élargissant l’horizon de leurs connaissances positives, et c’est sur ce terrain aussi, chaque fois que c’est nécessaire, que nous portons des coups directs aux préjugés religieux.
Le problème religieux est d’une importance énorme et est étroitement lié au travail culturel et aux structures socialistes. Marx disait dans sa jeunesse : « La critique de la religion est la base de toute autre critique ». Dans quel sens ? Dans celui qui veut que la religion soit une sorte de connaissance fictive de l’univers. Cette fiction a deux sources : la faiblesse de l’homme face à la nature, et l’incohérence des rapports sociaux. Craignant la nature ou n’en voulant pas tenir compte, incapable d’analyser les rapports sociaux ou les méconnaissant, l’homme social s’est efforcé de satisfaire ses besoins en créant des images fantastiques, en les recouvrant d’une réalité imaginaire, et en se prosternant devant ses propres créations. La source de cette créativité réside dans le besoin pratique de l’homme de s’orienter, besoin découlant des conditions de la lutte pour l’existence. Il y a dans cette adaptation des règles pratiques tout à fait appropriées. Mais elles sont toutes liées à des mythes, à des fantasmes, à des superstitions, à un savoir imaginaire. Précisément parce que tout développement de la culture est accumulation de savoir et d’habileté, la critique de la religion est la base nécessaire à toute autre critique. Pour paver la route pour un savoir juste et réel, il est indispensable de se débarrasser de tout savoir fictif. Dans ce cas précis cependant, cela n’est vrai que si l’on considère la question dans son ensemble. Historiquement parlant – et cela n’est pas seulement vrai pour des cas individuels, mais aussi en ce qui concerne le développement de classes entières – le savoir véritable est lié, sous différentes formes et dans diverses proportions, aux préjugés religieux. La lutte contre une religion donnée, ou contre la religion en général et contre toutes les formes de mythologies et de superstitions, n’est ordinairement couronnée de succès que si l’idéologie religieuse entre en conflit avec les besoins d’une classe donnée dans un nouvel environnement social. En d’autres termes, lorsque l’accumulation de savoir et le besoin de savoir ne peuvent plus se contenter du cadre des vérités imaginaires de la religion, alors un seul coup d’un couteau critique peut parfois suffire, et tombe la coquille de la religion."

Léon Trotsky

"Il est de nos jours parfaitement évident et incontestable que nous ne pouvons pas mener notre propagande anti-religieuse par la voie d’un combat direct contre Dieu. Cela ne saurait nous satisfaire. Nous remplaçons le mysticisme par le matérialisme, en donnant la plus grande importance à l’expérience collective des masses, en renforçant leur influence active sur la société, en élargissant l’horizon de leurs connaissances positives, et c’est sur ce terrain aussi, chaque fois que c’est nécessaire, que nous portons des coups directs aux préjugés religieux.

Le problème religieux est d’une importance énorme et est étroitement lié au travail culturel et aux structures socialistes. Marx disait dans sa jeunesse : « La critique de la religion est la base de toute autre critique ». Dans quel sens ? Dans celui qui veut que la religion soit une sorte de connaissance fictive de l’univers. Cette fiction a deux sources : la faiblesse de l’homme face à la nature, et l’incohérence des rapports sociaux. Craignant la nature ou n’en voulant pas tenir compte, incapable d’analyser les rapports sociaux ou les méconnaissant, l’homme social s’est efforcé de satisfaire ses besoins en créant des images fantastiques, en les recouvrant d’une réalité imaginaire, et en se prosternant devant ses propres créations. La source de cette créativité réside dans le besoin pratique de l’homme de s’orienter, besoin découlant des conditions de la lutte pour l’existence. Il y a dans cette adaptation des règles pratiques tout à fait appropriées. Mais elles sont toutes liées à des mythes, à des fantasmes, à des superstitions, à un savoir imaginaire. Précisément parce que tout développement de la culture est accumulation de savoir et d’habileté, la critique de la religion est la base nécessaire à toute autre critique. Pour paver la route pour un savoir juste et réel, il est indispensable de se débarrasser de tout savoir fictif. Dans ce cas précis cependant, cela n’est vrai que si l’on considère la question dans son ensemble. Historiquement parlant – et cela n’est pas seulement vrai pour des cas individuels, mais aussi en ce qui concerne le développement de classes entières – le savoir véritable est lié, sous différentes formes et dans diverses proportions, aux préjugés religieux. La lutte contre une religion donnée, ou contre la religion en général et contre toutes les formes de mythologies et de superstitions, n’est ordinairement couronnée de succès que si l’idéologie religieuse entre en conflit avec les besoins d’une classe donnée dans un nouvel environnement social. En d’autres termes, lorsque l’accumulation de savoir et le besoin de savoir ne peuvent plus se contenter du cadre des vérités imaginaires de la religion, alors un seul coup d’un couteau critique peut parfois suffire, et tombe la coquille de la religion.

Le succès des pressions anti-religieuses que nous avons exercées ces dernières années s’explique par le fait que des couches avancées de la classe ouvrière, qui sont passées à travers l’école de la révolution, c’est à dire des rapports actifs avec le pays et les institutions sociales, se sont facilement débarrassées de la coquille des préjugés religieux, qui avait été complètement minée par les évènements antérieurs. Mais la situation change considérablement lorsque la propagande anti-religieuse exerce son influence en direction des couches les moins actives de la population, non seulement des campagnes, mais aussi des villes. Le savoir réel qu’elles ont acquis est si limité et si fragmentaire qu’il peut exister côte à côte avec des préjugés religieux. La critique brute de ces préjugés, ne trouvant pas de soutien dans l’expérience personnelle et collective, ne mène à aucun résultat. C’est pourquoi il est nécessaire d’effectuer cette approche sous un autre angle, et d’élargie les sphères de l’expérience sociale et du savoir réaliste. Les moyens diffèrent pour ces fins. Des salles à manger publiques et des crèches peuvent affecter la conscience de la ménagère d’un stimulus révolutionnaire, ainsi qu’énormément accélérer son évolution vers le rejet de la religion. Les méthodes chimiques utilisées par l’aviation pour détruire les sauterelles peuvent jouer le même rôle vis à vis des paysans. Le simple fait pour le travailleur et la travailleuse de participer à la vie d’un club, en les extirpant de la petite cage familiale avec son icône et son cierge, ouvre l’une des voies vers la libération des préjugés religieux. Et ainsi de suite. Les clubs peuvent et doivent mesurer la résistance des préjugés religieux, et trouver des voies indirectes pour élargir l’expérience et le savoir. Ainsi au lieu d’attaques directes par la propagande anti-religieuse, nous utilisons des blocus, des barricades, et des manœuvres indirectes. De manière générale, nous ne faisons qu’entrer dans une telle période, mais cela ne veut pas dire que, dans le futur, nous ne ferons pas d’attaques directes. Il est seulement nécessaire de s’y préparer.

Notre attaque contre la religion est-elle légitime ou illégitime ? Elle est légitime. A-t-elle mené à quelques résultats ? Elle l’a fait. Qui a-t-elle attiré à nous ? Ceux qui par des expériences antérieures avaient été préparés à se délivrer complètement des préjugés religieux. Et les autres ? Il reste toujours ceux que même la grande expérience révolutionnaire d’Octobre n’a pas libérés de la religion. Et là, les méthodes formalistes de critique anti-religieuse, la satire, la caricature, etc… ne peuvent pas faire grande chose. Et si l’on y va trop fort, on risque d’obtenir un résultat inverse. Il faut perforer le rocher – c’est vrai qu’il n’est pas bien ferme –, le bourrer de bâtons de dynamite, utiliser des attaques indirectes. Avant longtemps, il y aura une nouvelle explosion et un nouvel éboulement, c’est à dire qu’une nouvelle couche de la population sera arrachée des grandes masses… La résolution du VIII° congrès du parti nous dit que dans ce domaine nous devons actuellement passer de l’explosion et de l’attaque à un travail plus prolongé de minage, et ce, avant tout, au moyen de la propagande pour les sciences naturelles.

Pour montrer comment une attaque non-frontale peut parfois donner un résultat totalement inespéré, je vais donner le très intéressant exemple tiré de l’expérience du Parti communiste norvégien. Comme chacun sait, en 1923 ce parti se scinda en une majorité opportuniste sous la direction de Tranmael, et une minorité révolutionnaire fidèle à l’Internationale communiste. J’ai demandé à un camarade qui vivait en Norvège comment Tranmael avait réussi à gagner la majorité – de manière, bien sûr, temporaire. Il me dit que l’une des raisons en était le caractère religieux des travailleurs et des pêcheurs norvégiens. Les pêcheries, comme vous le savez, n’ont qu’un standard de technicité très bas, et dépendent entièrement de la nature. Ceci est la base des préjugés et des superstitions ; et la religion pour le pêcheur norvégien, comme l’a spirituellement fait remarquer un camarade, c’est quelque chose comme un vêtement de protection. Il y avait en Scandinavie des membres de l’intelligentsia, des Académiciens, qui flirtaient avec la religion. Ils ont été, comme de juste, battus par l’impitoyable fouet du marxisme. Les opportunistes norvégiens en avaient adroitement tenu compte dans l’intention de conduire les pêcheurs à s’opposer à l’Internationale communiste. Le pêcheur, un révolutionnaire, éprouvant une profonde sympathie pour la République des soviets, favorisant de toute son âme l’Internationale communiste, se dit : « Ceci se réduit à cela. Ou je dois être pour l’Internationale communiste, mais alors sans Dieu et poisson, ou alors, bon gré, mal gré, il me faut rompre ». Et il l’a fait… Ceci montre comment la religion s’infère dans la politique prolétarienne.

Evidemment, cela s’applique encore plus à notre propre paysannerie, dont la nature religieuse traditionnelle correspond étroitement aux conditions de notre agriculture arriérée. Nous ne vaincrons les préjugés religieux profondément enracinés de la paysannerie qu’avec l’électrification et l’industrialisation de l’agriculture paysanne. Cela, bien sûr, ne veut pas dire que nous ne devons pas profiter de tout progrès technique isolé ou de tout moment social favorable en général pour faire de la propagande anti-religieuse, pour provoquer des ruptures partielles avec la conscience religieuse. Non, cela est tout autant obligatoire qu’auparavant, mais nous devons avoir une perspective générale correcte. En fermant simplement les églises, comme il a été fait en quelques endroits, ou par d’autres excès administratifs, non seulement vous serez incapables d’atteindre un succès décisif, mais au contraire, vous préparerez la voie pour un retour en force de la religion. S’il est vrai que la critique de la religion est la base de toute autre critique, il n’en est pas moins également vrai qu’à notre époque, l’électrification des campagnes est la base nécessaire à la liquidation des superstitions des paysans. Je vais citer les remarquables paroles d’Engels, il y a peu de temps inconnues encore, et qui concernent directement la question de l’électrification et de l’abolition du gouffre séparant la ville de la campagne. La lettre a été écrite par Engels à Bernstein l’année 1883. Vous vous rappelez qu’en 1882 l’ingénieur français Deprez a trouvé une méthode permettant de transmettre l’énergie électrique par fil. Et, si je ne me trompe pas, lors d’une exposition à Munich, il fit une démonstration de transmission de l’énergie électrique d’un ou deux chevaux-vapeur sur environ 50 kilomètres. Cela fit une impression fantastique sur Engels, qui était extrêment sensible à toute invention dans les domaines des sciences naturelles, de la technique, etc… Il écrivit à Bernstein : « La toute dernière invention de Deprez… libère l’industrie de toute contrainte géographique, rend possible l’utilisation de l’énergie hydraulique la plus éloignée. Et même si au début elle ne sera utilisée que dans les villes, en dernière analyse elle doit devenir le levier le plus puissant pour l’abolition de l’antagonisme entre la ville et la campagne ».

Vladimir Ilitch (Lénine) ne connaissait pas ces lignes. Cette correspondance n’est parue que récemment, et pourtant il partageait ce point de vue, que l’électricité accomplirait de grandes transformations dans la psychologie paysanne.

Il y a des périodes de rythmes différents dans la conduite de l’entreprise d’abolition de la religion, et qui sont déterminées par les conditions générales de la culture. Tous nos clubs doivent être des points d’observation. Ils doivent toujours aider le parti à s’orienter lui-même sur ce problème, trouver le moment, prendre le rythme correct.

L’abolition complète de la religion ne sera atteinte que dans une structure socialiste complètement développée, c’est à dire, lorsqu’il y aura une technique qui libérera l’homme de toute dépendance dégradante envers la nature. Cela n’est possible que dans le cadre de rapports sociaux déniés de tout mystère, parfaitement lucides et n’oppressant pas l’humanité. La religion traduit le chaos de la nature et le chaos des rapports sociaux dans le langage d’images fantastiques. Seule l’abolition du chaos terrestre peut supprimer à jamais son reflet religieux. Une direction consciente, raisonnable et planifiée, de la vie sociale, dans tous ses aspects, abolira définitivement tout mysticisme et diablerie."

Léon Trotsky, "Sens et méthodes de la propagande anti-religieuse"

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Messages

  • « Le marxisme est un matérialisme. A ce titre il est aussi implacablement hostile à la religion que le matérialisme des encyclopédistes du XVIII° siècle ou le matérialisme de Feuerbach. Voilà qui est indéniable. Mais le matérialisme dialectique de Marx et d’Engels va plus loin que les encyclopédistes et Feuerbach en ce qu’il applique la philosophie matérialiste au domaine de l’histoire, au domaine des sciences sociales. Nous devons combattre la religion ; c’est l’a b c de tout le matérialisme et, partant, du marxisme. Mais le marxisme n’est pas un matérialisme qui s’en tient à l’a b c. Le marxisme va plus loin. Il dit : il faut savoir lutter contre la religion ; or, pour cela, il faut expliquer d’une façon matérialiste la source de la foi et de la religion des masses. On ne doit pas confiner la lutte contre la religion dans une prédication idéologique abstraite ; on ne doit pas l’y réduire ; il faut lier cette lutte à la pratique concrète du mouvement de classe visant à faire disparaître les racines sociales de la religion. Pourquoi la religion se maintient elle dans les couches arriérées du prolétariat des villes, dans les vastes couches du semi-prolétariat, ainsi que dans la masse des paysans ? Par suite de l’ignorance du peuple, répond le progressiste bourgeois, le radical ou le matérialiste bourgeois. Et donc, à bas la religion, vive l’athéisme, la diffusion des idées athées est notre tâche principale. Les marxistes disent : c’est faux. Ce point de vue traduit l’idée superficielle, étroitement bourgeoise d’une action de la culture par elle-même. Un tel point de vue n’explique pas assez complètement, n’explique pas dans un sens matérialiste, mais dans un sens idéaliste, les racines de la religion. Dans les pays capitalistes actuels, ces racines sont surtout sociales. La situation sociale défavorisée des masses travailleuses, leur apparente impuissance totale devant les forces aveugles du capitalisme, qui causent, chaque jour et à toute heure, mille fois plus de souffrances horribles, de plus sauvages tourments aux humbles travailleurs, que les événements exceptionnels tels que guerres, tremblements de terre, etc., c’est là qu’il faut rechercher aujourd’hui les racines les plus profondes de la religion. « La peur a créé les dieux. » La peur devant la force aveugle du capital, aveugle parce que ne pouvant être prévue des masses populaires, qui, à chaque instant de la vie du prolétaire et du petit patron, menace de lui apporter et lui apporte la ruine « subite », « inattendue », « accidentelle », qui cause sa perte, qui en fait un mendiant, un déclassé, une prostituée, le réduit à mourir de faim, voilà les racines de la religion moderne que le matérialiste doit avoir en vue, avant tout et par dessus tout, s’il ne veut pas demeurer un matérialiste primaire. Aucun livre de vulgarisation n’expurgera la religion des masses abruties par le bagne capitaliste, assujetties aux forces destructrices aveugles du capitalisme, aussi longtemps que ces masses n’auront pas appris à lutter de façon cohérente, organisée, systématique et consciente contre ces racines de la religion, contre le règne du capital sous toutes ses formes. »

    LENINE - De l’attitude du parti ouvrier à l’égard de la religion. 1909

  • Lénine, dans Socialisme et religion, 3 décembre 1905 :

    « Notre programme est fondé tout entier sur une philosophie scientifique, rigoureusement matérialiste. Pour expliquer notre programme il est donc nécessaire d’expliquer les véritables racines historiques et économiques du brouillard religieux. Notre propagande comprend nécessairement celle de l’athéisme ; et la publication à cette fin d’une littérature scientifique que le régime autocratique et féodal a proscrite et poursuivie sévèrement jusqu’à ce jour doit devenir maintenant une des branches de l’activité de notre Parti. Nous aurons probablement à suivre le conseil qu’Engels donna un jour aux socialistes allemands : traduire et répandre parmi les masses la littérature française du XVIII° siècle athée et démystifiante. »

    source

  • Réponse à une enquête faite par le « Mercure de France » sur l’avenir de la religion

    Gheorgi Plekhanov :

    Vous demandez : Assistons-nous à une dissolution ou à une évolution de l’idée religieuse et du sentiment religieux ?

    Vous me permettrez de me placer au point de vue de l’évolution sociale et de formuler la question de la manière suivante : la dissolution de l’idée religieuse n’est-elle pas le terme nécessaire de son évolution ?

    Pour y répondre, rendons-nous compte de ce qu’a été jusqu’ici l’évolution de cette idée.

    Mais d’abord qu’est-ce que la religion ? Si nous nous servons de ce que Edward B. Tylor appelle "définition minimum du terme religion", nous dirons que la religion est la croyance en des êtres spirituels existant à côté des choses et des processus naturels [1].

    Cette croyance, qui est l’élément nécessaire de toute religion, sert en même temps à expliquer tous les phénomènes de la nature. Mais à une phase supérieure de l’évolution sociale, nous voyons s’ajouter à cet élément primitif un nouvel élément : l’élément moral.

    L’alliance entre ces deux éléments devient de plus en plus étroite. C’est alors qu’on arrive à ce que je pourrais appeler : "définition maximum du terme religion", soit la croyance en des êtres spirituels associée à la morale et lui servant de sanction. C’est à ce point que, pour beaucoup de gens, l’essence de la religion consiste dans la morale.

    Mais nous ne sommes point encore au terme de cette évolution.

    L’alliance qui semblait indissoluble entre la religion et la morale est condamnée à disparaître de par le progrès de l’esprit humain.

    L’explication scientifique des phénomènes est forcément matérialiste. L’intervention des êtres spirituels, qui, aux yeux du sauvage, explique tous les phénomènes, n’explique rien aux yeux d’un Berthelot ; sa valeur diminue de plus en plus pour l’homme civilisé qui peut s’assimiler les résultats du travail scientifique.

    Si nombre de gens croient à l’existence d’êtres spirituels et surnaturels, c’est que — pour diverses raisons — ils n’ont pu surmonter les obstacles qui les empêchent de se placer au point de vue scientifique.

    Une fois ces obstacles écartés — et il faut croire que ce sera l’oeuvre de l’évolution sociale — toute conception surnaturelle s’évanouira, et alors la morale sera forcée de reprendre son existence indépendante. La religion, dans le sens de sa définition maximum, aura vécu. — Quant au sentiment religieux, il disparaîtra évidemment avec la dissolution de l’idée religieuse. Mais il y a plus de conservatisme dans les sentiments que dans les idées. Il peut y avoir et il y aura certainement des survivances qui engendreront des conceptions plus ou moins bâtardes, mi-spiritualistes, mi-matérialistes, du monde.

    Mais à leur tour ces survivances sont condamnées à disparaître, surtout quand disparaîtront certaines institutions sociales que la religion paraît sanctionner.

    Le progrès de l’humanité apporte avec lui l’arrêt de mort de l’idée et du sentiment religieux. Les gens timides ou intéressés ont peur pour la morale. Mais, je le répète, la morale peut mener une existence indépendante.

    La croyance en des êtres spirituels, même à l’heure qu’il est, est loin de renforcer la morale. Bien au contraire, les religions des peuples civilisés actuels sont, pour la plupart, en arrière du développement moral de ces peuples.

    W. K. Clifford l’ a dit avec raison : "Si les hommes n’étaient pas meilleurs que leurs religions, le monde serait un enfer !"

    Note

    [1] Il est vrai que tout être spirituel n’est pas dieu. Pour devenir dieu, un être spirituel doit passer par une certaine évolution. Un dieu est un être spirituel se trouvant en relations de services mutuels avec une tribu ou une peuplade donnée. Mais tout dieu est un être spirituel. Et cela nous suffit ici.

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